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CHAPITRE QUINZIÈME.

EXCEPTIONS AUX RÈGLES GÉNÉRALES DE LA COMPÉTENCE.

§ I. Tribunaux d'exception.

2396. Deux sortes d'exceptions aux règles de la compétence: celles qui résultent de la connexité et de l'indivisibilité des délits et celles qui résultent du caractère spécial de certains délits.

2397. Deux classes de tribunaux d'exception: ceux qui sont institués pour juger des faits spéciaux et ceux qui sont institués pour juger des faits communs d'une gravité particulière.

2398. Désignation et maintien des juges spéciaux.

2399. Suppression des juges extraordinaires.

§ II. Haute cour de justice.

2400. Origines de cette haute cour. Institution de la cour des pairs.

2401. La haute cour est réinstituée par la Constitution de 1848 et la Constitution da

14 janvier 1852.

2402. Elle connait des attentats et complots contre la personne de l'Empereur et la sûreté de l'Etat.

2403. Droits des juges ordinaires quand ils sont saisis d'un attentat de cette nature. 2404. L'exception d'incompétence peut-elle être posée devant la haute cour?

§ III. Tribunaux militaires.

2405. Quelle était la compétence de la juridiction militaire sous la législation romaine. 2406. Quelle était cette compétence dans notre ancienne législation.

2407. Quelle était cette compétence dans la législation intermédiaire.

2408. Quel est le principe de la compétence de la juridiction militaire et quelles sont les infractions qu'elle doit saisir.

2409. En règle générale, nul individu, s'il n'est militaire ou attaché au service militaire, ne peut être traduit devant un conseil de guerre.

2410. Première exception, relative aux embaucheurs quand l'armée est en présence de l'ennemi.

2411. Deuxième exception, relative aux individus qui portent les armes contre la France. 2412. Autres exceptions dans les cas d'état de siége, de présence de l'ennemi en France et de résidence de l'armée française en pays étranger.

2413. Quels individus sont réputés faire partie de l'armée. Des engagés volontaires et des insoumis.

2414. Énumération des individus assimilés aux militaires et soumis à la juridiction

militaire.

2415. Distinction, quant à la compétence, entre l'état de paix et l'état de guerre. 2416. Si la juridiction militaire est restreinte, quant aux assimilés, aux crimes et délits

militaires.

2417. Cas d'application de cette juridiction à des individus qui ne sont ni militaires ni assimilés aux militaires, notamment en territoire ennemi. 2418. Les militaires et assimilés, lorsqu'ils sont en disponibilité ou en congé, sont justiciables des juges ordinaires à raison de leurs crimes ou délits communs. 2419. Dans quels cas les militaires hors de leurs corps demeurent justiciables des conseils de guerre.

2420. Les tribunaux sont incompétents quand au prévenu militaire sont joints des prévenus non militaires.

2421. Ils sont également incompétents pour juger les contraventions spéciales; mais ils jugent les contraventions de police.

2422. Compétence des conseils de guerre en cas de déclaration d'état de siége. Étendue et limites de cette compétence.

§ IV. Tribunaux maritimes.

2423. Énumération des juridictions maritimes.

2424. Compétence des conseils de guerre permanents des arrondissements maritimes. 2425. Compétence des conseils de justice à bord des bâtiments.

2426. Compétence des conseils de guerre à bord des bâtiments.

2427. Compétence des tribunaux maritimes.

2428. Examen de cette compétence en ce qui concerne les individus qui ne sont ni marius ni militaires, à raison des crimes commis dans les ports et arsenaux.

2429. Si l'exception relative à ces individus est conforme aux principes constitutionnels. 2430. Compétence des conseils de guerre substitués à celle des tribunaux maritimes à l'égard des crimes et délits des marins et militaires à terre et des attachés au service de la marine.

2431. Compétence des tribunaux maritimes pour connaître des faits de piraterie. 2432. Attributions des conseils et tribunaux de révision.

2433. Abolition des tribunaux maritimes et des conseils de guerre spéciaux.

§ V. Juridictions spéciales.

2434. Compétence des conseils de préfecture pour juger des contraventions de grande voirie.

2435. Limites de cette compétence en ce qui concerne les contraventions de police. 2436. Compétence du conseil de l'université pour connaître des délits commis par les élèves dans l'intérieur des lycées.

2437. Compétence des conseils de prud'hommes en matière de contravention aux règlements sur les manufactures.

2438. Compétence des prud'hommes pêcheurs sur la police de la pêche.

2439. Compétence des autorités sanitaires à raison des crimes et délits commis dans les Jazarets.

2440. Compétence des consuls des Echelles du Levant et de Barbarie à raison des délits et contraventions commis dans les Echelles.

2441. Compétence des conseils de discipline de la garde nationale.

§ I. Tribunaux d'exception.

2396. Les règles de la compétence admettent deux sortes d'exceptions.

Les unes, soit par suite de l'indivisibilité ou de la connexité des délits, soit par l'effet de quelques dispositions spéciales de la loi, ont successivement restreint la règle de la compétence ratione loci. Nous les avons exposées dans le chapitre précédent.

Les autres, fondées sur la nécessité d'assurer une protection plus efficace à des intérêts spéciaux ou d'apporter à la répression

de certains délits des éléments plus puissants de promptitude et de fermeté, ont soustrait à l'application de la compétence des juges ordinaires plusieurs classes d'infractions et plusieurs catégories de personnes.

Ces dernières exceptions à la compétence ratione materiæ et persona se formulent dans l'établissement des juridictions extraordinaires.

2397. Nous avons vu que les tribunaux extraordinaires ou d'exception s'étaient multipliés dans notre ancienne législation : on serait porté à croire, à la vue de cette interminable série de juridictions, que sa tendance était d'instituer autant de juges qu'il y a d'espèces d'infractions. Le législateur, en outre, dès que les délits de telle ou telle nature semblaient s'accroître, ne voyait pas d'autre remède que de créer quelque commission à laquelle il les déférait. Tout paraissait sauvegardé quand ces commissaires étaient investis de pouvoirs extraordinaires et quand les garanties et les formes de la justice étaient supprimées.

Les progrès de la législation ont amené la disparition de la plupart de ces tribunaux ; ils sont venus, tour à tour, se fondre dans la juridiction commune à laquelle ils ont apporté l'héritage de leurs attributions particulières. Quelques-uns ont néanmoins survécu; mais les uns sont fondés sur la nature même des choses, les autres sont nés de l'impérieuse nécessité des événements.

On doit diviser, en effet, les tribunaux d'exception en deux classes distinctes ceux qui sont institués pour juger des faits spéciaux dont l'appréciation exige des notions particulières que ne possèdent pas les juges ordinaires, et ceux qui sont institués pour juger, non des faits spéciaux, mais des faits communs dont le caractère et la gravité inquiètent le pouvoir social, et pour le jugement desquels ce pouvoir cherche des garanties particulières. Les premiers, quand ils sont circonscrits dans la mission étroite qui leur appartient, quand ils se renferment dans leurs attributions spéciales, n'enlèvent rien aux juges communs; car, ou les faits dont ils connaissent, alors même qu'il s'y trouve l'élément d'un délit commun, sont avant tout des infractions spéciales, et les juges ordinaires n'ont point de compétence pour les apprécier; ou ces faits, quoique communs par leur nature, ne peuvent, d'après les lieux ou les circonstances dans lesquels ils se mani

festent, être atteints par la juridiction ordinaire. Les autres, établies en vue de faits graves et menaçants pour les pouvoirs publics, ont eu pour mission, dans des circonstances extraordinaires et périlleuses, d'apporter à la répression de ces faits une promptitude et une fermeté que les formes et le caractère de la justice ordinaire ne semblaient pas comporter. Les premiers, s'ils ont subi quelques modifications dans leur organisation, n'ont jamais cessé d'exister, les seconds, nés des circonstances, ont successivement disparu avec elles.

2398. Ainsi, tous les juges spéciaux, tels que les tribunaux militaires et les tribunaux maritimes, les juridictions des consuls et les juridictions disciplinaires, les prud'hommes pècheurs et autres, se sont maintenus dans notre législation moderne avec les mêmes caractères que dans notre législation ancienne : ils sont placés sur un autre terrain que les juges ordinaires, leurs attributions sont et doivent être étrangères à ceux-ci; ils ne doivent, si leur compétence ne tend point à sortir de ces justes limites, enlever à la juridiction commune aucun des faits, aucune des infractions qu'elle a droit de saisir.

Il n'en est pas des tribunaux extraordinaires comme des tribunaux spéciaux. Depuis 1791, les tribunaux criminels extraordinaires, les tribunaux révolutionnaires, les tribunaux spéciaux, les cours de justice spéciales, les cours spéciales extraordinaires, les cours prévôtales sont venus successivement soustraire à la justice ordinaire de nombreuses catégories d'accusés. C'est en vue de toutes ces juridictions exceptionnelles que l'article 62 de la charte de 1814 déclarait qu'il ne pouvait être créé de commissions et tribunaux extraordinaires, en réservant toutefois la faculté de rétablir, si cela paraissait nécessaire, les cours prévôtales, et que l'article 54 de la charte de 1830, reproduit par l'article 4 de la constitution du 4 novembre 1848, repoussant cette dernière restriction, abolissait d'une manière absolue les tribunaux extraordinaires, à quelque titre et sous quelque dénomination que ce soit.

2399. Notre législation a donc aboli les tribunaux extraordinaires et n'a maintenu que les tribunaux spéciaux. Cette règle semble admettre cependant une exception: la haute cour de justice, instituée par les lois des 10 mai 1791, 5 fructidor an III et 22 frimaire an VIII, définitivement organisée par la constitution

du 4 novembre 1848 et maintenue par celle du 14 janvier 1852, ne constitue ni un tribunal spécial, ni un tribunal extraordinaire : elle n'est point un tribunal spécial, car elle connaît de crimes et de délits communs; elle n'est point un tribunal extraordinaire, car elle est permanente, et son organisation et ses formes reproduisent avec plus de solennité et d'appareil l'organisation et toutes les formes de la justice ordinaire. C'est simplement une juridiction exceptionnelle, puisqu'elle ne connaît que des faits qui lui sont exceptionnellement déférés, et puisque les éléments de sa constitution diffèrent des éléments des juridictions ordinaires. Peut-être quelques esprits, pleins de foi dans la force du droit commun, seraient-ils enclins à penser que les juges ordinaires et les formes habituelles de la procédure pourraient suffire à protéger la paix publique, et que les juridictions exceptionnelles, quelles que soient les garanties qui les entourent, ne sont pas sans quelque danger pour la justice. Mais il faut reconnaître qu'aucune juridiction exceptionnelle n'a présenté des conditions plus réelles d'indépendance et des garanties plus sérieuses de justice.

Nous allons maintenant examiner les attributions respectives, d'abord, de la haute cour de justice, ensuite de chaque juridiction spéciale. En traçant ces exceptions, qui sont les limites du cercle de la compétence des tribunaux ordinaires, nous ne faisons que définir plus clairement cette compétence elle-même.

§ II. Haute cour de justice.

2400. La pensée d'une haute juridiction, instituée pour sauvegarder l'ordre social des attentats que les juges ordinaires seraient impuissants à réprimer, s'est produite en France dès 1789.

La loi du 10 mai 1791 constituait une haute cour nationale. Cette cour était composée d'un haut jury et de quatre grands juges; le haut jury était de vingt-quatre membres élus par les électeurs des départements; les quatre juges étaient tirés au sort parmi les membres du tribunal de cassation. La haute cour ne pouvait se réunir qu'en vertu d'un décret du Corps législatif; elle ne connaissait que des crimes et délits dont le Corps législatif se portait accusateur. Ces crimes étaient, suivant l'expression du rapporteur de la loi, les crimes de lèse-nation, ceux qui intéressent essentiellement le salut de l'État '.

1 Moniteur du 9 févr. 1791.

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