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Cette juridiction, supprimée par un décret du 25 septembre 1792 et qui n'a jamais fonctionné, fut rétablie sur d'autres bases par l'article 265 de la constitution du 5 fructidor an III. Une haute cour de justice était instituée pour juger les accusations admises par le Corps législatif, soit contre ses propres membres, soit contre ceux du directoire exécutif. Cette haute cour était formée de cinq juges et de deux accusateurs nationaux tirés du tribunal de cassation et que ce tribunal élisait lui-même, et de hauts jurés nommés par les assemblées électorales de département. Elle ne pouvait se réunir qu'en vertu d'une proclamation du Corps législatif. Une loi du 20 thermidor an IV avait organisé cette cour.

L'article 73 de la constitution du 22 frimaire an VIII maintenait cette institution: « La haute cour est composée de juges et de jurés. Les juges sont choisis par le tribunal de cassation et dans son sein: les jurés sont pris dans la liste nationale : le tout suivant les formes que la loi détermine. » Mais le sénatus-consulte du 28 floréal an XII en changea toutes les bases: une haute cour impériale connaissait 1° des crimes et délits commis par les princes, les dignitaires de l'empire et les hauts fonctionnaires; 2o des crimes, attentats et complots contre la sûreté intérieure et extérieure de l'État, la personne de l'empereur et celle de l'héritier présomptif de l'empire. Cette haute cour était composée des grands dignitaires, de soixante sénateurs, de vingt membres du conseil d'État, de vingt membres de la Cour de cassation.

La charte de 1814 abolit la haute cour impériale. Mais l'article 33 portait : « La Chambre des pairs connaît des crimes de haute trahison et des attentats à la sûreté de l'État qui seront définis par la loi. » L'acte additionnel du 22 avril 1815 reproduisait en d'autres termes la même attribution, et ajoutait : « Tous les crimes et délits qui étaient attribués à la haute cour impériale et dont le jugement n'est pas réservé par le présent acte à la Chambre des pairs seront portés devant les tribunaux ordinaires. » L'article 28 de la charte de 1830 ne fit que reproduire l'article 33 de la première charte.

2401. Il résulte de ce qui précède que la constitution du 4 novembre 1848 n'avait point innové quand elle réinstitua une haute cour de justice. Cette haute cour, composée de cinq juges annuellement choisis par la Cour de cassation parmi ses membres,

et de trente-cinq jurės pris par la voie du sort parmi les membres des conseils généraux des départements, jugeait, sans appel ni recours en cassation, 1° les accusations portées par l'Assemblée nationale contre le président de la République et les ministres; 2° toutes personnes prévenues de crimes, attentats ou complots contre la sûreté intérieure ou extérieure de l'État que l'Assemblée nationale aurait renvoyées devant elle. Elle ne pouvait être saisie, sauf le cas prévu par l'article 68 de la constitution, que par un décret de l'Assemblée. (Art. 91 et suiv.)

La constitution du 14 janvier 1852 a suivi les mêmes errements. L'article 54 porte: « Une haute cour de justice juge, sans appel ni recours en cassation, toutes personnes qui auront été renvoyées devant elle comme prévenues de crimes, attentats ou complots contre le président de la République et contre la sûreté intérieure ou extérieure de l'État. Elle ne peut être saisie qu'en vertu d'un décret du président de la République. » Un sénatusconsulte du 10 juillet 1852 a organisé cette juridiction. Elle se compose, 1o d'une chambre des mises en accusation et d'une chambre de jugement prises parmi les membres de la Cour de cassation; 2° d'un haut jury pris parmi les membres des conseils généraux des départements. Les juges de chaque chambre, au nombre de cinq, sont nommés tous les ans par l'Empereur. Le haut jury, composé de trente-six membres, est tiré au sort parmi les membres des conseils généraux. La haute cour procède suivant les dispositions du Code d'instruction criminelle, et les peines sont prononcées conformément au Code pénal.

2402. Il résulte de ces textes, 1° que la haute cour de justice n'est appelée à connaitre que des attentats ou complots soit contre la personne de l'Empereur, soit contre la sûreté intérieure ou extérieure de l'État; 2° que sa juridiction est purement facultative; c'est au gouvernement qu'il appartient d'apprécier si, lors même que le crime est constaté, il y a lieu de renvoyer devant elle les prévenus.

La loi du 10 juillet 1852 a voulu que le gouvernement fut en quelque sorte mis en demeure d'opter, dans ce cas, entre la haute cour et les juges ordinaires. L'article 8 porte : « L'officier du parquet qui recueille des indices sur l'existence de l'un des crimes. désignés par l'article 54 de la Constitution est tenu de trans

mettre directement et dans le plus bref délai au ministre de la justice copie des procès-verbaux, dénonciations, plaintes et autres pièces à l'appui de l'accusation. Néanmoins l'instruction. de l'affaire est continuée sans retard. » L'article 9 ajoute « Si la chambre des mises en accusation d'une cour est appelée à statuer sur une affaire qui serait de la compétence de la haute cour, le procureur général est tenu de requérir un sursis et le renvoi des pièces au ministre de la justice; la chambre doit ordonner ce sursis même d'office. » Enfin l'article 10 prescrit que, « dans le cas prévu par l'article précédent, les pièces sont transmises immédiatement au ministre de la justice. Si, dans les quinze jours, un décret n'a pas saisi la haute cour, les pièces sont renvoyées au procureur général, et la cour statue conformément au Code d'instruction criminelle. La haute cour de justice peut toujours être saisie jusqu'à ce qu'il ait été statué par la cour. »

Ainsi, lors même qu'une instruction constate l'un des crimes qui sont attribués à la haute cour, cette instruction n'est point suspendue; elle continue jusqu'à ce que la chambre d'accusation. soit saisie. Il appartient seulement au ministère public de donner avis de la poursuite au ministre et de lui transmettre copie des pièces. La chambre d'accusation seule est tenue de surseoir et d'ordonner la communication de la procédure au ministre ce n'est que dans le cas où la haute cour n'a point été saisie et après que les pièces lui ont été renvoyées que la chambre d'accusation doit statuer. Son arrêt saisit définitivement la juridiction

commune.

2403. Les droits des tribunaux ordinaires demeurent donc entiers en face de la haute cour; ils doivent statuer dans les limites de leur compétence tant qu'ils ne sont pas dessaisis. Si les faits dont la poursuite est portée devant eux rentrent dans les termes de l'article 54 de la constitution, ils se bornent à les signaler au ministre de la justice; mais ils demeurent saisis jusqu'à ce qu'un décret les ait déférés à la haute cour. La Cour de cassation avait jugé, sous l'empire de la première charte, « qu'il appartient aux cours d'assises, en vertu de l'universalité de leur juridiction sur tous les faits qualifiés crimes, de connaître des crimes de haute trahison et d'attentats à la sûreté de l'État, dont elles n'ont pas été dessaisies par un acte d'un pouvoir supérieur et constitution

:

nel, déclaratif, relativement aux faits dont il s'agit, de la compétence de la Chambre des pairs'. » Cette décision conserve toute son autorité : la haute cour, comme la Chambre des pairs, est investie d'une compétence qu'elle n'est point libre d'exercer le gouvernement s'est réservé d'apprécier l'utilité de son intervention; la justice ordinaire, jusqu'à ce qu'elle soit dessaisie, suit donc son cours habituel; la seule exception faite à ses droits consiste dans le sursis de quinzaine qui est imposé à la chambre d'accusation.

2404. L'exception d'incompétence peut-elle être proposée devant la haute cour? La question s'est élevée sous la constitution du 4 novembre 1848, et elle a été résolue affirmativement. La Cour de cassation avait jugé, d'abord, sur le pourvoi de plusieurs accusés renvoyés par un décret de l'Assemblée nationale devant la haute cour: « que les griefs des demandeurs sous ce rapport portent directement sur le décret de l'Assemblée nationale; que ce décret ne peut être déféré à la Cour de cassation, dont l'autorité ne s'étend que sur les jugements et arrêts émanant du pouvoir judiciaire; que les diverses questions qui se rattachent à l'incompétence ne peuvent être débattues, s'il y a lieu, que sous forme d'exception opposée devant la haute cour de justice1», et cette haute cour avait elle-même reconnu, par un arrêt postérieur, que les accusés étaient recevables à proposer l'exception: << attendu que le déclinatoire se lie au droit inaltérable qu'a tout tribunal de juger sa propre compétence et qu'il constitue une exception péremptoire rentrant essentiellement dans la défense des accusés. Mais la question n'est plus dans les mêmes termes l'article 12 de la loi du 10 juillet 1852 porte : « Si le fait ne constitue pas un crime de la compétence de la haute cour (chambre des mises en accusation), elle ordonne le renvoi devant le juge compétent qu'elle désigne. » L'article 13 ajoute : « Ses arrêts sont attributifs de juridiction et ne sont susceptibles d'aucun recours. » Enfin, l'article 14 dispose encore que : « si la chambre des mises en accusation de la haute cour prononce le renvoi devant la chambre du jugement, le président de la Répu

1 Cass. 8 déc. 1820 (J. P., tom. XVI, p. 224).

2 Cass. 17 févr. 1849 (Dall., 49, 1, 51).

3 Arr. 8 mars 1849 (Dall., 49, 1, 53).

blique convoque cette chambre. » Il suit évidemment de ces textes que la question de compétence doit être portée devant la chambre des mises en accusation; que cette chambre a le droit de l'examiner et de la résoudre, mais qu'elle la juge souverainement; et qu'elle ne peut plus dès lors être portée devant la chambre de jugement de la même cour.

§ III. Tribunaux militaires.

2405. Nous ne nous occupons ni de la constitution ni des formes de la procédure des tribunaux militaires : nous n'examinons que leur compétence.

Dans la législation romaine, la juridiction militaire paraît avoir eu plusieurs phases: pendant la guerre, elle appartenait nécessairement aux chefs militaires, judicium ducianum', in quo duces judicum funguntur officio. Juvénal signale cette juridiction: justissima centurionum cognitio est igitur de milite, et la fait remonter aux temps les plus anciens, legibus antiquis castrorum. Tacite ajoute que cette justice des camps, simple et expéditive, ne connaît point les subtilités judiciaires : Castrensis jurisdictio secura et obtusior, ac plura manu agens, calliditatem fori non exerceat. Mais, en dehors des camps, elle fut successivement attribuée aux chefs militaires, au préfet du prétoire et aux gouverneurs des provinces, à des magistrats militaires créés pour cet office, magistri militum1, enfin elle revint aux commandants militaires. Au milieu de ces variations, il était difficile que la compétence de cette juridiction fût immuable`: aussi, les commentateurs ne sont-ils pas d'accord sur ses limites. Les uns enseignent qu'elle ne s'étendait dans aucun cas aux délits communs commis par les militaires, les autres pensent, au contraire, que le militaire était renvoyé à ses juges naturels, quel que fût le crime qu'il avait commis. Il nous parait que la première de ces deux opinions, quoiqu'elle puisse assurément être controversée, trouve

1 L. 18, § 3, Cod., De re militari.

2 Voet, De jure militari, cap. 7, 1.

3 Satira 16.

4 Agricola, cap. 9.

5 L. ult., Cod., De re militari; l. 6, Cod., De jurisd. omn. jud.
6 L. 1, Dig., De offic. præf. præt.; 1. 3, Dig., De re militari.
7 L. 1, Cod., De offic. mag. milit.; 1. 6, Cod., De jur. omn, jud.
8 L. ult. § 3, Cod., De re militari.

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