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relative aux embaucheurs. L'article 6 de la loi du 4 nivôse an IV portait que les prévenus du délit d'embauchage pour l'ennemi, l'étranger ou les rebelles, seraient jugés par un conseil militaire. L'article 9 de la loi du 13 brumaire an V disposait que : « Nul ne sera traduit au conseil de guerre que les militaires, les individus attachés à l'armée et à sa suite, les embaucheurs, les espions et les habitants du pays ennemi occupés par les armées de la République pour les délits dont la connaissance est attribuée au conseil de guerre. » Enfin, un décret du 17 messidor an XII (art. 11 et 12) avait déféré les espions, les embaucheurs et leurs complices à des commissions militaires spéciales. Mais la Cour de cassation, après quelque hésitation', a déclaré, sur le réquisitoire de M. le procureur général Dupin, « que l'article 6 de la loi du 4 nivòse an IV a été abrogé par la loi du 22 messidor an IV, qui a consacré, en principe, que les individus non militaires sont soumis à la juridiction ordinaire; que la loi du 13 brumaire an V n'a reproduit que temporairement l'exception de l'article 6 de la loi du 4 nivôse an IV, en rendant les embaucheurs justiciables des conseils de guerre, disposition successivement abrogée et par la loi du 18 pluviôse an IX, article 11, et par le décret du 17 messidor an XII, article 1; que la Charte de 1814 et celle de 1830 ayant définitivement abrogé les tribunaux spéciaux, le principe de la loi du 22 messidor an IV a été rétabli, et qu'en conséquence les embaucheurs non militaires sont soumis à la juridiction des cours d'assises . » Cette jurisprudence se trouve partiellement abrogée par l'article 64 du Code du 4 août 1857, qui déclare justiciables des conseils de guerre les embaucheurs, militaires ou civils, quand l'armée se trouve en présence de l'ennemi. L'article 208 déclare embaucheur tout individu convaincu d'avoir provoqué des militaires à passer à l'ennemi ou aux rebelles armés, de leur en avoir sciemment facilité les moyens ou d'avoir fait des enrôlements pour une puissance en guerre avec la France.

2411. Une seconde exception résulte de l'article 1er du décret du 6 avril 1809, qui porte : « Tous Français qui, ayant porté les

1 Cass. 12 oct. 1820 (J. P., tom. XVI, p. 166); et 22 août 1822 (J. P., tom. XVII, p. 585).

2 Cass. 17 juin 1831 (J. P., tom. XXIII, p. 1701); et conf. 2 avril 1831 (J. P., tom. XXIII, p. 1404); et 22 juin 1822 (J. P., tom. XXIV, p. 1191),

armes contre nous, ou qui, les portant à l'avenir, auront encouru la peine de mort, seront justiciables des cours spéciales. Pourront néanmoins, ceux qui seront pris les armes à la main, être traduits à des commissions militaires, si le commandant de nos troupes le juge convenable. » La Cour de cassation a jugė, par deux arrêts des 5 février et 18 septembre 1824, « que la compétence accordée à la juridiction militaire pour en connaître est demeurée dans toute sa force; qu'elle n'a point été abrogée par l'article 62 de la charte; qu'il suit seulement de cet article que nul ne peut être jugé que par les juges que la loi a déterminés pour le fait ou la personne à juger; que si, par son article 63, la charte a défendu de créer des commissions et des tribunaux extraordinaires, le seul effet de cette prohibition est de faire rentrer dans la compétence des conseils de guerre, qui sont les tribunaux ordinaires de la juridiction militaire, les attributions antérieurement conférées aux tribunaux militaires ou à d'autres tribunaux extraordinaires de cette juridiction '». Il y a lieu de remarquer que ces arrêts sont antérieurs à la nouvelle jurisprudence, consacrée par les arrêts des 2 avril et 17 juin 1831, relativement à l'embauchage : le principe nouveau, inauguré par ces derniers arrêts, aurait sans doute une grave influence sur la décision de la question, dans le cas où elle se représenterait. Il serait sans doute, en effet, difficile d'admettre: 1° que les chartes de 1814 et de 1830, qui ont rendu les embaucheurs non militaires à leurs juges naturels, n'ont pas restitué aux mêmes juges les prévenus du crime prévu par l'article 75 du Code pénal; 2o que le droit de juger les individus non militaires prévenus de ce crime peut être considéré comme l'une des attributions spéciales du conseil de guerre; 3° qu'il peut dépendre du commandant militaire de saisir le tribunal militaire ou le tribunal ordinaire, suivant qu'il le jugerait convenable '. La question se trouve aujourd'hui tranchée au profit de la juridiction militaire par les articles 64 et 204 du Code militaire, lorsque l'armée se trouve sur le territoire français en présence de l'ennemi.

2412. Une troisième exception a été formulée par la loi du 11 frimaire an IV, les articles 101 et 103 du décret du 24 dé

1 Journ. du Pal., tom. XVIII, p. 423 et 1039.

2 Conf. Mangin, n. 154.

cembre 1811, et par la loi du 9 août 1849, au cas de déclaration d'état de siège. Nous en ferons l'objet d'un examen séparé dans le n° 2422. D'autres exceptions ont encore été établies par les articles 63, 64 et 77 du Code militaire, dans le cas où l'armée se trouve soit sur le territoire français en présence de l'ennemi, soit en pays étranger.

2413. Cela posé, il faut examiner ce qu'on doit entendre par militaire; en d'autres termes, quels sont les individus qui sont réputés faire partie de l'armée.

La qualité de militaire est acquise au soldat appelé par la loi du recrutement, au moment où il reçoit un ordre de route. L'article 39 de la loi du 21 mars 1832 porte : « Tout jeune soldat qui aura reçu un ordre de route et ne sera point arrivé à sa destination au jour fixé par cet ordre sera, après un mois de délai, et hors le cas de force majeure, puni comme insoumis. L'insoumis sera jugé par le conseil de guerre. » Jusque-là, tous les délits qu'il a pu commettre rentrent dans la compétence des juges ordinaires', encore bien que la durée du service compte du 1o janvier de l'année où il a été inscrit sur les registres matricules du corps auquel il appartient. Mais quelle est sa position dans l'intervalle qui sépare la réception de l'ordre de route et l'arrivée au corps ou la constatation de son insoumission? En général, et tant qu'il n'a pas rejoint son corps, quoiqu'il ait la qualité de militaire, il n'est justiciable que des juges ordinaires à raison des délits qu'il commet, puisque ces délits, commis hors du corps, ne peuvent être que des délits communs. Cependant, s'il a commis le délit lorsqu'il faisait partie d'un détachement de jeunes soldats se rendant au corps, sous les ordres d'un chef désigné par l'autorité militaire, et par conséquent lorsqu'il était déjà soumis à la discipline, il y a lieu de lui appliquer la juridiction du conseil de guerre. A plus forte raison cette décision doit-elle s'étendre au cas où le jeune soldat commet le délit pendant qu'il est placé dans une prison militaire, où il a été conduit, au lieu

1 L. 21 mars 1832, art. 41.

2 Même loi, art. 30; cass. 2 juillet 1825 (J. P., tom. XIX, p. 664); 12 avril 1845 (Bull., no 137); 22 nov. 1861 (no 246).

3 Cass. 23 oct. 1840 (Bull., no 312). 4 Cass. 19 mars 1853 (Bull., no 103).

d'être incorporé dans un corps de l'armée, pour subir une condamnation antérieurement prononcée contre lui. Ces diverses solutions sont consacrées par les articles 56, no 2 et 4, et 58 du Code militaire.

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En ce qui concerne les engagés volontaires, ce n'est point l'engagement souscrit suivant les formes prescrites par l'article 34 de la loi du 21 mars 1832 qui leur, imprime la qualité de militaire : c'est l'incorporation de fait, c'est l'inscription sur le registre matricule du corps; ce n'est, en effet, qu'à partir de ce moment qu'ils sont soumis à la discipline militaire. Telle est aussi la règle posée par l'article 58 du Code de justice militaire. Mais lorsque cette incorporation est consommée, et tant qu'elle existe, la juridiction militaire s'ouvre à raison de tous les délits commis par l'engagé, lors même que son engagement serait nul, soit à raison de son âge3, soit à raison d'une incapacité résultant d'une condamnation à la mort civile ou de la dégradation militaire', soit enfin à raison de sa qualité d'étranger. La raison de cette jurisprudence est que, lorsqu'un individu, sans réclamation de sa part ni de l'autorité compétente, est porté sur les contrôles d'un régiment, reçoit la solde et est assujetti au service et à la discipline, la conséquence de ce service effectif est qu'il est justiciable du conseil de guerre à raison des délits militaires qu'il commet, puisque aucun autre tribunal ne pourrait en connaître, et qu'il résulterait de là l'impunité et le désordre dans les corps. La Cour de cassation a même pensé qu'un engagé, acquérant de fait la qualité de soldat par son inscription sur le registre matricule du régiment, était justiciable du tribunal militaire, à raison du faux commis dans l'acte de cette inscription '. Mais la décision ne serait pas la même si le faux avait été commis, non dans l'inscription sur le registre matricule, mais dans l'acte même d'engagement; car, précédant l'incorporation, il appartiendrait aux juges ordinaires 3.

1 Cass. 2 avril 1840 (S. V. 40. 1. 426).

2 Conf. cass. 22 nov. 1861 (Bull., no 246); 26 févr. et 9 juillet 1863 (nos 65 et 191).

3 Cass. 12 déc. 1817 (J. P., tom. XIV, p. 533).

4 Cass. 6 avril 1832 (J. P., t. XXIV, p. 945). 5 Cass. 17 juin 1813 (J. P., tom. XI, p. 469).

6 Cass. 26 avril 1838 (Bull., no 110}).

7 Cass. 10 janv. 1822 (J. P., tom. XVII, p. 27). 8 Cass. 10 déc. 1841 (Bull., no 349).

2414. L'appelé au service ou l'engagé volontaire demeure justiciable de la juridiction militaire pendant toute la durée de l'incorporation; c'est le fait de la présence au corps, de la sujétion au service, de la participation aux différents exercices militaires qui le soumet à la discipline. Ainsi, il a été plusieurs fois décidé qu'un individu qui est porté sur les contrôles, reçoit la solde et concourt au service effectif d'un corps, est justiciable du conseil de guerre, à raison des délits qu'il commet pendant qu'il est sous les drapeaux, lors même que le temps de son service est expiré et qu'il n'a pris aucun nouvel engagement '.

Il résulte de ce qui précède que la qualité de militaire appartient à tous les individus qui sont inscrits sur les contrôles de l'armée et qui sont soumis à un service actif; et telle est aussi la disposition de l'article 56 du Code du 4 août 1857. Il faut ajouter à cette catégorie :

1° Les militaires admis à l'hôtel des Invalides, puisqu'ils sont assujettis au régime et à la discipline militaires.

2° Les sapeurs-pompiers de la ville de Paris: ils sont soumis à la même discipline'.

3o Les gardes nationaux faisant partie des corps détachés pour le service de guerre.

4° Les canonniers garde-côtes en temps de guerre1.

5° Les officiers et sous-officiers de gendarmerie et les gendarmes, pour les délits relatifs au service et à la discipline militaire seulement; car ils sont justiciables des tribunaux ordinaires pour les délits commis hors de leurs fonctions ou dans l'exercice de leurs fonctions relatives au service de police administrative et judiciaire dont ils sont chargés. Il suit de là que les gendarmes prévenus de vols au préjudice des habitants, de dégâts sur une propriété privée en procédant à l'arrestation d'un déserteur, ou à la constatation d'un délit de chasse ", et même de faux dans la 1 Cass. 23 janv. 1829 (J. P., tom. XXII, p. 593); 6 déc. 1833 (J. P., tom. XXV, p. 1035); 3 oct. 1834 (J. P., tom. XXVI, p. 957).

2 Décr. 18 sept. 1811, art. 41.

3 L. 22 mars 1831, art. 161. Voy. aussi l'art. 23 du décret du 11 janv. 1852. 4 Cass. 3 brum. art. 13 (J. P., tom. IV, p. 219).

5 L. 28 germ. an VI, art. 97; ord. 29 oct. 1820, art. 251; I. 4 août 1857,

art. 59.

6 Cass. 14 nov. 1833 (J. P., tom. XXV, p. 930).

7 Cass. 21 nov. 1811 (Dall., tom. III, p. 564).

8 Cass. 26 févr. 1825 (S. V. 25. 1. 335); 6 mai 1830 (Dall., 30. 1. 260);

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