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statée, tout sous-officier, caporal, brigadier ou soldat qui s'absente de son corps ou détachement sans autorisation. Néanmoins, si le soldat n'a pas six mois de service, il ne peut être considéré comme déserteur qu'après un mois d'absence »:

Il faut distinguer ensuite si l'agent a ou n'a pas usé du délai de grâce qui lui était octroyé : s'il est revenu à son corps dans ce délai, les liens de la discipline le ressaisissent, il est réputé n'avoir pas quitté le drapeau, il appartient à la juridiction militaire'. S'il n'a pas usé du bénéfice de la loi, il importe peu que le délai ne fût pas encore expiré au moment de la perpétration du fait l'état de désertion réagit sur tout le temps de l'absence illégale, à compter du jour où elle a commencé.

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Il faut distinguer enfin si, dans le cas même où le prévenu n'a point usé du délai de repentir, son absence était momentanée ou de nature à se prolonger. Un arrêt du 5 janvier 1809 décide que le militaire qui, marchant à la suite de son corps, sous la même feuille de route et avec la même étape, s'en éloigne momentanément pour commettre un délit commun est justiciable des juges militaires : « attendu que, s'il s'est écarté momentanément de son corps, ce n'est ni comme l'ayant abandonné, ni comme étant en congé; que dès lors il ne pouvait être considéré que comme faisant partie de l'armée. » Un arrêt du 14 décembre 1827 déclare également : « que si le fait dont le nommé Doyen est prévenu présente un délit commun, la prévention porte contre un militaire étant à son corps; que si le délit a été commis à quelques kilomètres au delà de la garnison de Stenay, cette circonstance ne peut constituer ce militaire en état de congé ou d'absence de son corps. » Un autre arrêt du 14 mars 1828 déclare encore: « que le demandeur est militaire en activité de service; qu'au jour où le crime qui lui est imputé a été commis, il n'était point en congé, qu'il n'était point hors de son corps, puisque, n'ayant quitté que la veille la place où ce corps tient garnison, il ne pouvait encore être réputé déserteur; que peu importe qu'il ait dépassé volontairement ou fortuitement le rayon d'attaque de cette place, puisque cette infraction aux règles de

1 Cass. 10 sept. 1841 (Bull., no 275). 2 Cass. 19 sept. 1844 (Bull., no 321). 3 S. V. 10. 1. 311.

4 Journ. du Pal., tom. XXI, p. 949.

la discipline, étant insuffisante pour le constituer en état de déser tion, ne pouvait influer sur l'ordre des juridictions'. » Enfin, un arrêt du 4 septembre 1851, rendu dans une espèce où le prévenu avait commis un crime commun le 27 juillet à Niort, après avoir quitté son corps le 22 du même mois à Châtellerault, dispose: « que, lorsqu'un militaire s'est absenté du lieu de sa garnison sans congé ni permission, et que son absence n'a pas eu la durée nécessaire pour le constituer en état de désertion, il doit être réputé encore présent au drapeau, et que, si cette absence constitue une infraction à la discipline susceptible d'être réprimée par une peine, elle ne peut avoir pour effet de le soustraire à la juridiction militaire, pour les crimes et délits qu'il aura commis dans quelque lieu que ce soit, durant cette absence du lieu de sa garnison". >> Dans toutes ces espèces, l'absence n'avait qu'un caractère momentané, et c'est là le motif qui peut expliquer ces arrêts.

Lorsque ce caractère n'existe pas, la décision est différente. Un arrêt du 19 septembre 1844 déclare: « qu'il résulte des faits que Méjean, quoique n'étant pas encore en état de désertion déclarée, se trouvait hors du corps auquel il appartenait, et du lieu de la garnison de ce corps depuis plusieurs jours, lorsqu'il aurait commis les crimes qui lui sont imputės; que, dès lors, il était dans l'un des cas prévus par l'avis du conseil d'État du 7 fructidor an XII3. » Un arrêt du 8 juillet 1843 décide encore: qu'au moment où le fait qui est l'objet de la poursuite a eu lieu, Albertini avait été autorisé à s'absenter de l'hôpital militaire où il était infirmier, pendant deux jours, et qu'il en était en effet sorti;

qu'il avait donc momentanément cessé d'être soumis à la discipline militaire et demeurait soumis comme les autres citoyens à la juridiction commune. » Enfin un arrêt du 11 avril 1850 porte « qu'il est reconnu en fait que le caporal Mille était absent de son corps sans permission depuis trois jours, et qu'il se trouvait à plusieurs étapes de sa garnison quand a été commis le vol dont il est prévenu; que l'avis du conseil d'État proclame la compétence des tribunaux ordinaires pour connaitre des crimes et

1 Journ. du Pal., tom. XXI, p. 1283.

2 Bull., no 370. 3 Bull., no 324. 4 Bull., no 172.

délits communs commis par des militaires en congé ou hors de leur corps; qu'il ne subordonne pas le renvoi devant la juridiction ordinaire à la condition que l'absence du militaire a été autorisée par ses chefs; qu'il suffit que de fait celui-ci ne soit pas présent au corps au moment où il a commis le délit '»

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Il est difficile, malgré la distinction que nous avons énoncée, de ne pas apercevoir quelque dissentiment entre ces derniers arrêts et ceux qui les précèdent. Ce dissentiment ne provient que de ce que, dans quelques-uns, les faits ont évidemment influé sur la décision de compétence. Toute la question est de savoir dans quels cas un militaire est hors de son corps, de son cantonnement, de sa garnison. Or c'est là un point que toutes les fictions juridiques ne peuvent modifier. Il est clair qu'un militaire n'est pas à son corps, c'est-à-dire au lieu de sa garnison ou de son cantonnement, toutes les fois que de fait il l'a quitté. On peut admettre, quoique ce soit éluder les termes précis de la loi, que le militaire qui rejoint son corps, après l'avoir momentanément quitté pour commettre le délit, appartient encore à la justice militaire, parce que la discipline n'a pas cessé de le saisir et que son retour repousse toute pensée de désertion. Mais s'il a commis le délit en état d'absence illégale du lieu de la garnison et qu'il n'ait pas rejoint son corps avant d'être arrêté, qu'importe qu'il ne soit pas en état de désertion? La loi n'exige pas que le lien militaire soit rompu pour déclarer les juges ordinaires compétents, elle n'exige que l'absence du corps. Elle ne distingue point si le délai de repentir est ou n'est pas expiré; c'est l'absence de fait qui constitue le droit des juges; là où ne veille plus la discipline, la justice commune reprend son empire; la juridiction militaire expire aux limites des lieux où se trouve le corps, c'està-dire la surveillance et le régime de ce corps. Comment admettre, comme paraît le faire l'arrêt du 4 septembre 1851, que, pendant toute la durée du délai de grâce, les délits du militaire puissent être revendiqués par la juridiction militaire? Ce système, contraire d'ailleurs aux arrêts des 10 septembre 1841 et 19 septembre 1844, aurait pour résultat que tous les crimes commis par un militaire pendant les huit jours qui suivraient son abandon du drapeau ne pourraient être poursuivis par la justice civile, quelle que fût la nature de ces crimes et à quelque distance du

1 S. V. 50. 1.360.

lieu de la garnison qu'ils eussent été commis. La distinction d'une absence momentanée ou prolongée manque également de base; car est-ce l'intention du prévenu qui l'établira, est-ce le temps écoulé depuis l'abandon? sera-t-elle momentanée après deux jours, après trois jours? est-ce que le principe de la compétence peut être fondé sur des circonstances aussi accessoires? La loi, dont les dispositions nous semblent avoir envahi, sous le prétexte des nécessités de la discipline, le domaine du juge commun, a du moins un avantage : elle est claire et précise; elle attribue au juge militaire tous les délits communs des militaires, mais seulement lorsqu'ils sont sous les drapeaux, lorsqu'ils sont présents au corps; dès qu'ils sont hors du corps, dès qu'ils sont absents, peu importe que cette absence soit de fait ou de droit, ils n'appartiennent plus à la justice spéciale, parce qu'ils n'appartiennent plus à la discipline. Telle est la théorie de l'acte du 7 fructidor an XII cette théorie est peut-être excessive en ce qu'elle enveloppe dans la juridiction militaire des délits communs qu'elle ne devrait point atteindre; mais il ne faut pas l'étendre encore plus que ne l'a voulu la loi et plus que la discipline ne l'exige.

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2420. Les deux conditions de la compétence des tribunaux sont donc 1° la qualité de militaire ou d'assimilé aux militaires; 2o la perpétration du délit, s'il est commun, dans le lieu de la garnison ou du cantonnement du corps auquel le prévenu est attaché. Mais il ne suit pas de là que tous les délits communs ou spéciaux, lorsqu'ils sont commis par des militaires, même sous les drapeaux, soient d'une manière absolue déférés à la juridiction. des conseils de guerre. Il existe deux exceptions.

En premier lieu, le prévenu militaire peut avoir des complices qui n'aient pas cette qualité, et ceux-ci l'entraînent devant la juridiction ordinaire. Telle est la disposition de l'article 5, titre I", de la loi du 30 septembre-19 octobre 1791, et de l'article 2 de la loi du 22 messidor an IV: « Si parmi deux ou plusieurs prévenus du même fait, il y en a un ou plusieurs militaires et un ou plusieurs individus non militaires, la connaissance en appartient aux juges ordinaires. » Et l'article 76 du Code militaire ne fait que reproduire cette disposition. De ce texte il faut déduire : 1° qu'un simple citoyen ne peut être traduit devant la juridiction. militaire, alors même qu'il serait prévenu d'avoir commis un délit

purement militaire; 2° que la complicité d'un citoyen entraîne le militaire devant les juges ordinaires, soit que le délit soit commun ou exclusivement militaire'. Mais si le complice non militaire a été définitivement jugé au moment où les poursuites sont dirigées contre le militaire, celui-ci, n'étant plus attiré par le lien de cette complicité, appartient aux tribunaux militaires. Si l'un des deux complices est justiciable des juges ordinaires, non parce qu'il n'est pas militaire, mais parce qu'il est militaire en congé ou hors de son corps, l'autre, militaire au corps, le suit nécessairement il suffit que l'un des deux puisse, à un titre quelconque, revendiquer le droit commun, pour que le droit commun les couvre l'un et l'autre3.

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2421. En second lieu, la juridiction ne connaît pas de tous les délits des militaires, lors même qu'ils sont commis sous les drapeaux. Il faut excepter: 1° les délits de chasse; un avis du conseil d'État du 4 janvier 1806 porte: « que, les contraventions et délits pour fait de chasse intéressant les règles de la police générale et de la conservation des forêts, la répression n'en peut appartenir aux tribunaux militaires, même à l'égard des militaires. » 2o Les contraventions aux lois des douanes, des contributions indirectes et des octrois. La raison en est que dans la répression des faits de fraude, l'action civile en réparation du dommage et l'action publi- que en réparation de la fraude se confondent en quelque sorte en une seule et même action; d'où il suit que le conseil de guerre, incompétent pour connaître de l'action civile, se trouve incompėtent pour juger le délit lui-même. La Cour de cassation a consacré cette exception en matière de douanes et d'octrois par les motifs que « les lois de douanes ne se rattachent, sous aucun rapport, ni aux délits militaires, ni aux délits communs prévus par le Code pénal; que cette matière est absolument spéciale, uniquement relative à la perception des droits bursaux établis même dans l'intérêt du commerce français; que leur perception et la répression de la contrebande sont l'objet de lois spéciales; que la connaissance des faits de contrebande, considérés comme délits, ne se rattache pas aux attributions des conseils de guerre perma

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1 Cass. 2 mai 1817 (J. P., tom. XIV, p. 209).

2 Cass. 11 oct. 1838 (Bull.).

3 Cass. 6 sept. 1811 (J. P., tom. XI, p. 629).

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