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les séparer les uns des autres, comme s'ils étaient isolés entre cux, pour régler la juridiction par la nature propre à chacun d'eux; qu'une telle distinction serait en opposition, d'une part, avec les principes généraux du droit d'après lesquels les faits connexes doivent, à moins d'une disposition expressément contraire, être jugés simultanément, et d'autre part, avec les règles qui, lorsque l'état de siège est proclamé, attribuent aux tribunaux militaires le jugement des faits auxquels il s'applique '».

Une dernière question est née des rapports que l'état de siège établit entre les juges ordinaires et les juges militaires. Il est d'abord de principe que l'attribution extraordinaire des conseils de guerre est facultative et non nécessaire, et que, par conséquent, jusqu'à l'ordre d'informer émané de l'autorité militaire, les juges ordinaires doivent continuer d'exercer leurs fonctions habituelles. La Cour de cassation a jugé dans ce sens « que, si le crime à raison duquel les prévenus sont poursuivis pouvait être considéré comme rentrant dans la classe des crimes spécifiés par l'article 8 de la loi, l'attribution aux tribunaux militaires de la connaissance des crimes et délits compris dans cette nomenclature est, d'après la disposition de cet article, comme d'après l'article 103 du décret du 24 décembre 1811, une attribution facultative et non nẻcessaire et absolue; qu'aux termes de ces articles, à défaut de revendication par un ordre d'informer émané de l'autorité militaire, les tribunaux ordinaires demeurent saisis de l'instruction et du jugement des inculpations de crimes et délits contre des prévenus non militaires ». Il suit de là 1° que le dessaisissement purement facultatif reste à la disposition de l'autorité militaire qui peut l'exercer soit par une mesure générale pour toutes les affaires de même nature, soit isolément pour telle et telle affaire; 2o que le général commandant de la division ne peut être privé de son droit de revendication par le fait d'un de ses subordonnés qui a provoqué la poursuite devant les juges ordinaires; 3° qu'il peut exercer ce droit en tout état de cause et tant que la prévention n'a pas été jugée; qu'il peut l'exercer même après qu'un arrêt de la chambre d'accusation a renvoyé cette prévention devant la cour d'assises. Les motifs de ces solutions sont « qu'à la différence des cas ordinaires, où la base de la compétence repose

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uniquement sur les prescriptions de la loi et sur les circonstances. du fait incriminé, et où les juges saisis sont toujours en situation d'apprécier ces éléments et de conserver ou de renvoyer devant un autre tribunal, suivant l'état des faits, le procès dont ils s'occupent, l'incompétence des tribunaux ordinaires sous l'état de siége, en ce qui concerne l'application de l'article 8 aux simples citoyens, dépend exclusivement de la volonté de l'autorité militaire ; de telle sorte qu'il n'appartient ni aux prévenus, ni au ministère public de demander, ni à la cour d'ordonner le renvoi devant les conseils de guerre, tant que l'autorité militaire ne l'a pas réclamé par une mesure soit générale, soit spéciale; qu'il ne doit donc pas y avoir chose jugée sur la compétence, par rapport aux droits extraordinaires et exceptionnels conférés dans un intérêt de salut public à cette dernière autorité, dans tout ce qui s'est fait en dehors de son action ".

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§ IV. Tribunaux maritimes.

2423. Les juridictions maritimes qui, sous notre ancienne législation, n'avaient point trouvé dans l'ordonnance de la marine d'août 1681 et dans l'ordonnance relative aux armées navales du 15 avril 1689 la définition précise de leurs attributions avaient continué, sous notre législation nouvelle, d'être régies par des règles qui, sous plus d'un rapport, étaient demeurées incertaines et confuses.

On pouvait assigner deux causes à cet état de la législation : d'abord, la nécessité de pourvoir par une double juridiction à la répression des infractions relatives au service des ports et des arsenaux, et des infractions relatives au service des bâtiments en mer; ensuite, la difficulté de coordonner dans une même loi, sous l'empire des mêmes règles, les dispositions diverses et spéciales que les différentes fonctions de la marine peuvent exiger. Cette révision, cependant, depuis longtemps attendue, était urgente; car la loi a l'obligation d'être claire lorsqu'elle établit les règles d'une compétence en matière criminelle, et qu'elle définit l'étendue et les limites d'une juridiction exceptionnelle.

L'article 1er du Code de justice militaire pour l'armée de mer, du 4 juin 1858, est ainsi conçu : « La justice militaire maritime 1 Cass. 15 mars 1851 (Bull., no 100).

est rendue 1° à terre, par des conseils de guerre et des conseils de révision permanents, par des tribunaux maritimes et des tribunaux de révision permanents; 2° à bord, par des conseils de guerre et des conseils de révision, par des conseils de justice. »

La compétence des conseils de guerre à terre est déterminée par la qualité de l'accusé, leur compétence à bord est déterminée par le fait de l'embarquement; la compétence des tribunaux maritimes est déterminée par le lieu et la nature du délit, sans considération de la qualité de l'accusé. Les règles du Code militaire. relatives à la compétence au cas de complices non militaires, du jugement de l'action civile et des délits spéciaux, ont été étendues à la justice maritime par les articles 75, 103 et 372 du Code

maritime.

Nous n'avons point à nous occuper de la constitution de ces différentes juridictions; nous n'examinerons que leur compétence.

2424. Les conseils de guerre permanents des arrondissements maritimes qui constituent la juridiction ordinaire de la marine connaissent, aux termes de l'article 77 du Code du 4 juin 1858, de tous les crimes et délits, sauf les exceptions établies par la loi, commis par les marins, les employés et agents des corps de la marine, les militaires des corps organisés de marine, les individus assimilés aux marins ou militaires de l'armée de mer (voy. le décret du 20 juin 1858)', pendant qu'ils sont en activité de service ou portés présents soit sur les contrôles de l'armée de mer, soit sur les rôles d'équipage des divisions, ou détachés pour un service spécial. Ils connaissent encore, aux termes de l'article 78, de tous crimes ou délits commis, soit à bord, soit à terre, par tous individus portés présents à quelque titre que ce soit sur les rôles d'équipage des bâtiments de l'État ou détachés du bord pour un service spécial, lorsque ces bâtiments se trouvent dans l'enceinte d'un arsenal maritime; de tous crimes et délits de la compétence des juridictions maritimes siégeant à bord, lorsque leurs auteurs ont quitté le bâtiment sur lequel ils étaient embarqués et que ce bâtiment ne se trouve plus sur les lieux ou a été désarmé. Ils connaissent encore des crimes imputés à un officier d'avoir causé la perte de son bâtiment et des crimes et délits militaires imputés à des marins ou militaires de l'armée de mer 1 Cass. 7 févr. 1862 (Bull., no 39).

en disponibilité ou en congé ou permission. Les marins ou militaires de l'armée de mer et les assimilés sont, suivant le n° 2 de l'article 77, justiciables des mêmes conseils quand ils sont placés dans les hôpitaux civils et maritimes ou quand ils voyagent sous la conduite de la force publique, ou sont détenus dans les établissements, prisons et pénitenciers maritimes. Les inscrits maritimes, à moins qu'ils ne se trouvent dans cette situation, et les ouvriers de l'inscription maritime n'en sont justiciables que pour des faits de désertion (art. 80). Ces règles de compétence reçoivent quelques exceptions, notamment relativement aux tribunaux ordinaires: 1° quand la poursuite comprend des individus justiciables de ces tribunaux (art. 103); 2° quand le prévenu est à la fois poursuivi pour des crimes ou délits justiciables des juridictions maritimes et pour des crimes ou délits justiciables des tribunaux ordinaires et que ces derniers emportent la peine la plus grave (art. 109) '.

2425. A bord des bâtiments de l'État deux juridictions ont été instituées les conseils de justice et les conseils de guerre.

Les conseils de justice, composés de cinq officiers du bâtiment sur lequel est embarqué le prévenu, sont en quelque sorte les tribunaux correctionnels des vaisseaux.

Leur compétence ratione materiæ est déterminée par plusieurs textes. L'article 17, titre Ier, de la loi du21-22 août 1790, porte : « Le conseil de justice d'un vaisseau ne pourra prononcer la peine de mort ni celle des galères. » L'article 18 ajoute ; « Dans les cas où le délit donnerait lieu à l'une ou à l'autre de ces peines, le conseil déclarerait alors que l'objet passe sa compétence et se bornerait à ordonner que l'accusé serait retenu en prison ou aux fers sur le pont. » L'article 21 du décret du 22 juillet 1806 déclare que « tout délit emportant peine de la cale ou de la bouline sera jugé par un conseil de justice ». L'article 31 ajoute que ce conseil ne pourra pas en prononcer de plus grave. Le décret du 14 mars 1848 dispose que « les peines de la bouline, de la cale et les coups de corde seront abolies; jusqu'à révision complète du Code pénal maritime, elles seront remplacées par un emprisonnement au cachot de quinze jours à un mois ». Le décret du 26 mars 1852, article 5, modifie le précédent dé1 Cass. 10 juin 1859 (Bull., no 247).

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cret en ces termes : « Les peines correctionnelles applicables par les conseils de justice, en remplacement des peines corporelles abolies par le décret du 12 mars 1848, sont: -1° en remplacement des coups de corde au cabestan : dix jours de cachot ou de double boucle, au pain et à l'eau; - 2o en remplacement de la cale l'inaptitude à l'avancement pendant un an.... et vingt jours de cachot, ou de double bouele; - 3o en remplacement de la bouline : — l'inaptitude à l'avancement pendant un an, avec trente jours de cachot, ou double boucle. » L'article 6 ajoute « En appliquant une des peines ci-dessus, le conseil de justice pourra prononcer en outre contre le coupable une ou plusieurs réductions de grade ou de classe. » Enfin, l'article 102 du Code de justice maritime porte : « Sont justiciables des conseils de justice, pour tous délits n'emportant pas une peine supérieure à deux années d'emprisonnement.... tous individus qui, n'ayant ni le grade ni le rang d'officier ou d'aspirant, sont portés présents, à quelque titre que ce soit, sur les rôles d'équipage des bâtiments de l'État, ou détachés du bord pour un service spécial. » Ainsi, le conseil de justice ne peut juger les officiers en aucun cas. Il n'a pour justiciables que les individus qui n'ont ni le grade ni le rang d'officier ou d'aspirant, c'est-à-dire les officiers mariniers, quartiers-maitres et matelots. Quant aux passagers, ils n'en sont justiciables que dans le cas où l'ordre d'embarquement les admet aux vivres'.

Cette compétence avait donné lieu à quelques difficultés. D'une part, la loi du 21-22 août 1790 permettait aux conseils de justice de prononcer toutes les peines afflictives, hormis la peine de mort et celle des galères, et d'une autre part, le décret du 22 juillet 1806 leur déférait les délits qui ne sont passibles que de la cale ou de la bouline, ou des peines équivalentes. De là la Cour de cassation avait conclu « que, les articles 17 et 18 du Code du 22 août 1790 n'interdisant aux conseils de justice constitués à bord des bâtiments de l'État que l'application des peines de mort et des galères, ces conseils sont compétents pour prononcer la peine de l'emprisonnement jusqu'à concurrence de cinq années, maximum fixé par l'article 40 du Code pénal, et dont le minimum est fixé à quatre jours par l'article 5, titre II, de la loi de 1790*». La raison 1 Cass. 1er déc. 1864 (Bull., no 271). 2 Cass. 9 juin 1843 (Bull., no 138).

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