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ne remplit aucune fonction vitale, elle est un obstacle à la prompte expédition des procédures. Il convient de la remplacer par le magistrat qui, dans son organisation, est le seul élément d'activité et d'énergie. »

2012. Le but de la loi du 17 juillet 1856 résulte clairement de cet exposé de motifs: elle supprime la chambre du conseil et en concentre tous les pouvoirs dans les mains du juge d'instruction. Les principales modifications qu'elle a introduites dans notre Code ont donc consisté à substituer dans les articles 128, 129, 130 et 133 le juge d'instruction à la chambre du conseil. Nous constaterons, quand nous examinerons ces articles que cette substitution a été à peu près pure et simple et n'a entraîné aucune restriction des pouvoirs délégués.

Les modifications ne portent que sur les dispositions accessoires. L'ordonnance de prise de corps, que décèrnait la chambre du conseil dans le cas de l'article 133, ne pourra plus être décernée que par la chambre d'accusation. L'article 134 dispose que : « dans le cas de l'article 133, le mandat d'arrêt ou de dépôt décerné contre le prévenu conservera sa force exécutoire jusqu'à ce qu'il ait été statué par la cour impériale. » L'exposé des motifs explique cette innovation: « L'ordonnance de prise de corps, décernée par la chambre du conseil, n'est exécutoire que par la confirmation qu'elle reçoit de la chambre d'accusation. Elle est presque une entrave en première instance, où, sans en suspendre l'effet, elle rencontre les mandats de l'instruction qu'elle doit cependant remplacer. Elle devient une superfluité évidente, aujourd'hui que les mandats et les ordonnances de renvoi doivent émaner de la même autorité judiciaire. Il est plus simple assurément de disposer qu'elle sera supprimée pour le juge d'instruction et de déclarer par une formule expresse que les mandats conserveront leur force exécutoire jusqu'à ce que la cour ait statué sur la mise en prévention. »

Les ordonnances du juge, portant règlement des procédures, doivent contenir les énonciations que les ordonnances de prise de corps renfermaient. Le deuxième paragraphe de l'article 134 en contient la prescription formelle : « Les ordonnances rendues par le juge d'instruction en vertu des dispositions des articles 128, 129, 130, 131 et 133, seront inscrites à la suite du réquisitoire

du procureur impérial. Elles contiendront les nom, prénoms, àge, lieu de naissance, domicile et profession du prévenu, l'exposé sommaire et la qualification légale du fait qui lui sera imputé, et la déclaration qu'il existe ou qu'il n'existe pas de charges suffisantes. » Ces ordonnances, pouvant être frappées d'opposition dans les cas prévus par l'article 135, doivent être signifiées ou communiquées aux parties: nous examinerons plus loin les cas et les formes de cette signification et de cette opposition.

Enfin, la loi a cru devoir ajouter au droit d'opposition du procureur impérial celui du procureur général. Une addition faite à l'article 135 porte : « Dans tous les cas le droit d'opposition appartiendra au procureur général près la Cour impériale. Il devra notifier son opposition dans les dix jours qui suivront l'ordonnance du juge d'instruction. Néanmoins, la disposition de l'ordonnance qui prononce la mise en liberté du prévenu sera provisoirement exécutée. » On lit dans l'exposé des motifs : « L'article 135 renfermait une lacune qu'il était du plus haut intérêt de combler. Pour compléter le pouvoir de discipline et d'administration criminelle conféré par la loi aux cours impériales et aux procureurs généraux, il était nécessaire d'attribuer au procureur général le droit d'opposition que cet article ne reconnaît qu'au procureur impérial. Le procureur général exerce ce droit en matière correctionnelle. Comment n'aurait-il pas la latitude, en matière d'indices, de réparer une erreur commise dans l'éloignement de sa surveillance et de ressaisir un criminel échappé à son autorité? Une courte prorogation des délais d'opposition nous a suffi pour organiser ce droit fondamental qui consacre une fois de plus le principe de l'unité et de l'indivisibilité du ministère public. »

Les autres dispositions de la loi du 17 juillet 1856 sont relafives soit à l'instruction préalable, et nous les avons précédemment examinées, soit aux pouvoirs de la chambre d'accusation, et nous en renvoyons l'examen aux chapitres VIII et IX de ce livre.

2043. Nous venons d'exposer le système de la loi du 17 juillet 1856 et les modifications qu'elle a apportées à notre Code. Nous allons essayer maintenant de les apprécier.

Le législateur de 1810, lorsqu'il a supprimé le jury d'accusa

tion, avait essayé de constituer une juridiction qui devait apporter, sinon les mêmes garanties, au moins des garanties suffisantes à la liberté individuelle et à la justice. Cette juridiction, qui avait deux degrés, se composait de la chambre du conseil et de la chambre d'accusation. Nous verrons plus loin que l'ordonnance du 5 août 1844, qui a dispersé les membres de la chambre d'accusation et leur a imposé le service des autres chambres, a été une cause d'affaiblissement pour cette juridiction. La loi du 17 juillet 1856 supprime maintenant la chambre du conseil comme un rouage inutile.

Cette chambre n'avait point assurément toute l'utilité qu'on avait dû en attendre. Elle était paralysée par le vice de son organisation. La voix prépondérante du juge d'instruction dictant la solution lui ôtait son autorité et une partie de son importance. Comment cette disposition insolite s'était-elle introduite dans la loi? On lit dans les délibérations du conseil d'État qu'aux objections qui lui étaient opposées, il fut répondu « que, puisqu'il ne s'agit que de renvoyer le prévenu devant les juges qui doivent examiner s'il y a lieu de le mettre en accusation, la disposition est bonne; elle empêchera d'étouffer certaines affaires, comme il arrive quelquefois dans les petites villes». Et le rapporteur du Corps législatif disait à ce sujet : « Il n'y aura plus d'arbitraire quand les décisions seront délibérées par la chambre du conseil. Il est vrai que l'opposition d'un seul juge pourra empêcher la mise en liberté du prévenu, mais il faudra que cette opposition soit motivée. C'est un sacrifice de l'intérêt personnel à celui de la société civile qui exige que toutes les préventions soient éclaircies, quand elles offrent un caractère suffisant de gravitė. Il n'est pas nécessaire que la justice soit indulgente, pourvu qu'elle soit impartiale, et la rigueur de ses décisions sera toujours assez balancée par la sévérité de l'examen qui les précède. »

Ces motifs justifiaient-ils l'étrange autorité accordée à la voix d'un seul juge? On déclare qu'il n'y aura plus d'arbitraire parce que les décisions seront délibérées dans la chambre du conseil ; mais cette délibération ne devient-elle pas le plus souvent une fiction quand elle n'a pas pour objet de former une majorité, quand le juge d'instruction, dont l'avis est déjà formé, est assuré de le faire prévaloir sans discussion? N'est-il pas le maître de formuler à l'avance l'opinion qu'il impose à ses collègues? On dit

encore que c'est un sacrifice de l'intérêt personnel à l'intérêt général qui exige que toutes les préventions soient éclaircies quand elles offrent un caractère suffisant de gravité; comment attacher cette présomption à un seul suffrage contre la majorité? Est-ce donc dans la majorité qu'il faut supposer de préférence l'erreur ou la faiblesse? Et si l'intérêt général exige la poursuite de toutes les préventions, lors même qu'elles paraissent à la majorité d'un tribunal dénuées de fondement, la conséquence n'est-elle pas qu'il faut supprimer une juridiction préliminaire dont la mission spéciale est précisément d'écarter les préventions téméraires? On dit enfin que la loi veut empêcher que les poursuites puissent être étouffées, lorsque les prévenus appartiennent à des familles puissantes dont l'influence pourrait peser sur deux des membres de la chambre du conseil. Mais n'y a-t-il pas lieu de craindre aussi qu'une partie civile, puissante par sa position ou sa fortune, et animée d'un sentiment de haine ou de vengeance, ne puisse, en entraînant la voix d'un seul juge, obtenir la sanction d'une poursuite injuste? On redoute les faiblesses de la chambre du conseil et on ne songe à la fortifier que contre le prévenu et non contre la prévention; on exige l'unanimité pour l'ordonnance de non lieu, une seule voix suffit pour l'ordonnance de mise en prévention. Or, qu'est-ce qu'une juridiction composée de plusieurs juges et dans laquelle une seule voix commande à la majorité? Qu'est-ce qu'un jugement qui se forme par l'opinion d'un seul contre plusieurs? Il est clair qu'il n'y a plus ni juridiction ni jugement : il y a le pouvoir, il y a l'opinion d'un seul juge. La garantie qui s'attachait à l'intervention du tribunal est détruite : pourquoi le juge d'instruction ne prononcerait-il pas seul sur la prévention, puisque son avis suffit pour en régler le cours? Que sert la présence des autres juges, puisque leur opinion, si elle est contraire à la sienne, ne produit aucun effet?

C'est ainsi qu'on a été conduit à la destruction de cette chambre. le vice dont elle était infectée la rendait inhabile à remplir ses fonctions; et c'est par cette raison qu'elle a été supprimée. Peutêtre eût-il mieux valu s'attaquer au vice lui-même qui causait sa débilité. Peut-être eût-il mieux valu, au lieu de renverser une institution mal organisée, lui donner une organisation nouvelle et plus efficace.

2044. Le juge d'instruction, en effet, était tenu de rendre compte chaque semaine des affaires qu'il avait entre les mains, et la chambre du conseil examinait ces affaires et délibérait sur la suite qu'il convenait de leur donner. Or, ce rapport et cette délibération avaient une importance réelle. Le rapport obligeait le juge à l'examen scrupuleux des actes de la procédure, la délibération à les expliquer et à les justifier. Il savait, avant d'agir, qu'il rendrait compte de ses actes et qu'ils seraient discutés par le tribunal. N'était-ce pas là un frein puissant contre les excès possibles de l'instruction? Et mème, en admettant qu'il pût passer outre en vertu de sa voix prépondérante, cette épreuve de la discussion qu'il devait traverser, des critiques qu'il pouvait essuyer, n'était-elle pas de nature à le retenir? Et puis la délibération ne pouvait-elle pas l'éclairer? Ne pouvait-il y trouver des aperçus nouveaux, des appréciations que son esprit n'avait pas saisis et qui lui révélaient qu'il avait suivi une fausse voie, qu'il s'était trompé, que son jugement s'était fourvoyé? Est-ce la même chose d'embrasser solitairement une opinion ou de s'y attacher après l'avoir solennellement discutée? N'est-il pas arrivé aux magistrats les plus éminents de voir s'écrouler dans un délibéré les arguments qu'ils avaient consciencieusement amassés dans un rapport?

Ensuite la loi avait placé auprès du juge cette juridiction, toujours prête à l'entendre, pour qu'il pût s'y référer facilement et lui soumettre toutes les questions qui se rattachaient aux actes d'instruction, tous les incidents qui se liaient à l'existence de l'action. Il ne faut pas croire que l'instruction ne soit qu'un procès-verbal de vérification et d'audition de témoignages. Des questions ardues, des difficultés imprévues s'y mêlent sans cesse, et comme à ces problèmes sont suspendus les plus hauts intérêts, l'intelligence et la conscience d'un magistrat isolé peuvent se troubler. La chambre du conseil était une chambre consultative où il pouvait porter ses doutes. Elle était à la fois un pouvoir modérateur et une force pour le juge. L'expérience de ses collègues lui venait en aide. Il y trouvait quelquefois un appui pour résister aux obsessions importunes des parties ou à d'excessives réquisitions du ministère public.

Ainsi, la chambre du conseil, mème avec la demi-puissance que la loi lui avait faite, et, à plus forte raison, si cette puissance

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