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lui avait été restituée entière, était une garantie de justice. Elle enlevait à l'action isolée du juge ses dangers et ses entraînements; elle lui donnait des lumières utiles, elle assurait à la fois son activité et sa modération; elle lui était un indispensable auxiliaire pour se défendre des mesures arbitraires et des téméraires poursuites. Elle l'éclairait, elle le contenait, elle le fortifiait.

On a dit qu'elle rompait l'unité de la juridiction préliminaire et qu'elle faisait obstacle à la prompte expédition des procédures. Pourquoi l'unité était-elle brisée? Parce que les ordonnances du juge, relatives à l'instruction, et les ordonnances de la chambre du conseil, relatives à la mise en prévention, relevaient à la fois de la chambre d'accusation, parce qu'il se trouvait deux juridictions à la base et une seule au sommet. Mais ces deux juridictions avaient deux fonctions distinctes, deux compétences nettement séparées et nettement définies. C'est la nécessité des choses qui avait scindé ces fonctions : l'instruction et tous ses actes ne peuvent être l'œuvre que d'un seul juge; mais, quand il s'agit de décider quelle suite leur sera donnée, quand il s'agit d'un examen et d'un jugement préalable, pourquoi cet examen et ce jugement ne seraient-ils pas le résultat de la délibération de plusieurs juges? L'action appartient à un seul, la délibération à plusieurs. Qu'importe cette division des pouvoirs de l'instruction, si elle est utile à la vérité judiciaire, si elle n'enfante point de conflit? Qu'importent ces deux juridictions conjointes, placées l'une et l'autre sous l'autorité de la chambre d'accusation, si elles répondent l'une et l'autre à un besoin de la justice?

Était-elle un obstacle à la prompte expédition des procédures? Elle était sous la main du juge qui pouvait provoquer sans cesse sa réunion, et elle devait statuer immédiatement. Défions-nous d'ailleurs en matière de justice de la célérité : la justice pénale doit marcher sans repos, mais elle ne doit pas se hâter. Comment examiner en se hâtant? comment juger bien en jugeant vite? On supprime une forme qui ralentissait peut-être sa marche; mais si cette forme était utile à la liberté et à la sûreté des citoyens, ne valait-il pas mieux que ses pas fussent un peu plus lents?

On prétend que l'examen de la chambre du conseil n'était pas un droit de l'inculpé, puisque, en matière de contraventions et de délits, il peut être appelé devant les tribunaux par voie de cita

tion directe. Il est clair que cet examen cessait d'être un droit quand le juge d'instruction n'était pas saisi, quand la citation directe, qui ne peut s'appliquer qu'aux contraventions et aux petits délits, était employée. Mais nous ne comprenons pas que de là on puisse induire que, lorsqu'une instruction avait lieu, l'inculpé n'avait pas droit aux garanties de cette instruction et par conséquent à l'examen de la chambre du conseil. S'il pouvait être poursuivi sans instruction, il fallait le faire. Dès que vous faites une instruction, c'est qu'elle est nécessaire et chacune des formes de cette instruction devient un droit pour celui qui en est l'objet; cet argument n'est donc pas sérieux.

2045. Et maintenant si, après avoir apprécié la lacune que la disparition de la chambre du conseil laisse dans notre procédure préliminaire, nous nous arrêtons au juge d'instruction, devenu le seul héritier de ses attributions, nous ne pouvons nous défendre d'une certaine inquiétude. Quels pouvoirs immenses entre les mains de ce juge! Quelle réunion de fonctions distinctes et importantes! Quels droits presque illimités sur les personnes et sur les choses!

Déjà les seuls pouvoirs que lui donne l'instruction étaient considérables nous les avons examinés dans le quatrième livre de ce Traité. (Voy. n° 1553.) Il dispose de toutes les mesures juridiques qui servent à constater les crimes et les délits; la procédure lui appartient, il appelle tous les témoignages, interroge tous les inculpés, ordonne leur arrestation, procède aux visites domiciliaires, prescrit la saisie de tous les objets qu'il croit utiles à la justice. Mais, quelque graves que soient ces attributions, elles ne constituent en général qu'un pouvoir de constatation : le juge recueille les indices, les renseignements, les déclarations; il vérifie l'état des lieux, saisit le corps du délit et ne prend que des mesures de précaution et de sûreté. Les lois du 4 avril 1855, du 17 juillet 1856 et du 14 juillet 1865 ont joint à ces premières attributions des attributions nouvelles et d'une tout autre nature. Le juge ne se borne plus à dresser les procès-verbaux de l'information, il apprécie leurs résultats, il en déduit les conséquences légales.

Les lois des 4 avril 1855 et 14 juillet 1865 l'ont armé d'un pouvoir que nous avons précédemment apprécié. (Voy. no 1946 et

1991.) La liberté individuelle tout entière a été livrée à sa discrétion; une série de facultés énormes ont été déposées entre ses mains qui le font maître souverain de la détention ou de l'élargissement provisoire des inculpés. Il peut à son gré, et suivant qu'il le pense convenable, décerner le mandat de comparution ou le mandat d'amener, convertir ce mandat en mandat de dépôt ou laisser l'inculpé en liberté, donner ou refuser la mainlevée de ce dernier mandat, admettre l'inculpé à la liberté provisoire sans caution ou avec caution.

La loi du 17 juillet 1856, en lui transférant toutes les attributions de la chambre du conseil, a agrandi outre mesure le cercle de ces pouvoirs il apprécie ses propres actes, il prononce sur l'instruction qu'il a édifiée, il décide si elle est ou non fondée, s'il a eu raison d'instruire ou s'il s'est trompé; il statue sur les fins de non-recevoir, sur les questions préjudicielles, sur les questions de compétence, il pèse les indices et les présomptions, il préjuge la culpabilité. Et pour accomplir une œuvre si considérable, il n'a plus le contrôle du tribunal, l'appui et l'opinion de ses collègues, la discussion qui dégage la vérité, il est seul.

Cette situation avait ému le Corps législatif, et c'est pour en lempérer au moins les effets que la loi du 17 juillet 1856, par un amendement introduit dans l'article 56, a voulu que les fonctions de l'instruction ne fussent confiées que par exception et en cas de nécessité à des juges suppléants. On lit dans le rapport du Corps législatif: « Il a paru à votre commission que la rédaction du projet semblait laisser flotter arbitrairement le choix du juge d'instruction entre les titulaires et les suppléants. Cela lui a paru dangereux, car, dans une loi qui augmente les pouvoirs du juge d'instruction, il faut déclarer que ces pouvoirs, hors les cas de force majeure, seront toujours remis entre des mains sùres et éprouvées. L'importance des fonctions des juges d'instruction n'est peut-être pas assez signalée et connue. Leur pouvoir est immense d'un trait de plume ils arrachent un homme à sa famille, à ses affaires, ils ordonnent sa détention, ils décrètent la mesure horrible du secret, ils gardent cet homme plusieurs mois en prison, selon les nécessités de l'instruction. Ces fonctions commandent le sentiment élevé des garanties sociales, mais aussi cette inspiration de la raison, ce mouvement du cœur qui indique et détermine la limite où la rigueur doit s'arrêter.

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Dans ces matières si graves, si difficiles, l'inexpérience ou le zèle inconsidéré pourrait faire un mal incalculable; l'expérience et la sagacité peuvent faire un bien immense. Nous le répétons, il faut des mains sûres et éprouvées pour manier honorablement cette arme utile mais dangereuse de la loi qu'on appelle l'instruction. Sous l'influence salutaire de ces considérations, votre commission a désiré une rédaction qui mît en relief cette idée que la suppléance en matière d'instruction ne serait qu'une mesure forcée et exceptionnelle. »

Ces vues, qui sont excellentes, trahissent l'anxiété du législateur. Il faut, en effet, pour les hautes et difficiles fonctions. que la loi leur a faites, des juges dont la sagesse, l'expérience et le savoir puissent rassurer la justice. Mais cette demi-mesure, en admettant qu'elle amène des magistrats plus expérimentés, suffira-t-elle pour aplanir toutes les difficultés? Il est clair qu'à des pouvoirs aussi étendus, dans quelques mains qu'ils soient placés, il faut un contrôle, un frein quelconque; puisque ce contrôle n'est plus à côté du juge, dans la chambre du conseil, il doit se placer au-dessus de lui. Peut-être la chambre d'accusation, ramenée à son organisation primitive, et redevenue par là plus active et plus laborieuse, suffira-t-elle à cette surveillance. Peutêtre aussi sera-t-on conduit à reconstruire sur de meilleures bases le jury d'accusation.

Nous ne pouvons, au reste, que répéter que le pouvoir discrétionnaire dont le juge d'instruction est investi ne nous paraît pas le dernier terme auquel la législation doit arriver. (Voy. no 1562.) Si les études juridiques avaient pour résultat final la création d'un tel pouvoir, elles seraient complétement inutiles. Là où règne la volonté souveraine du juge, il n'y a plus de règles; là où il n'y a de garanties que sa modération et ses lumières, il n'y a pas de garanties. Il est plus facile, sans doute, de déléguer un droit que de le régler, de donner un blanc seing que de stipuler les conditions d'un mandat. Mais la science de la législation a pour première base une sage défiance du juge; elle se défie de sa modération, elle se défie de ses lumières; elle soupçonne jusqu'à son zèle. Ce n'est point avec l'arbitraire que se fonde la vraie justice.

CHAPITRE TROISIÈME.

ORGANISATION DE LA JURIDICTION DU JUGE D'INSTRUCTION.

2046. Organisation de la juridiction du juge comme remplaçant la chambre du conseil. 2047. Le ministère public ne peut, lorsque le juge d'instruction a été saisi, porter la procédure devant le tribunal correctionnel par voie de citation directe.

2048. Dans quels cas l'instruction est réputée complète et apte à recevoir une solution définitive. Cas où plusieurs prévenus y sont compris.

2049. Communication que le juge doit faire de la procédure au ministère public pour prendre ses réquisitions.

2050. Formes et énonciations de ces réquisitions.

2051. Dans quel délai elles doivent être adressées au juge d'instruction.

2052. L'inculpé a le droit de produire un mémoire devant le juge d'instruction.

2053. Cependant le juge d'instruction n'est pas tenu de lui communiquer les pièces de la procédure, mais il doit lui donner connaissance des charges. 2054. Des ordonnances du juge et de l'examen qui doit les précéder. 2055. Le juge est dessaisi par son ordonnance.

2046. Le juge d'instruction est donc investi de deux juridictions distinctes, l'une relative aux actes de l'instruction, et qui a déjà fait l'objet de notre examen (voy n° 1623), l'autre relative à la mise en prévention des inculpés et au règlement de la compétence. C'est cette dernière juridiction, attribuée jusque-là à la chambre du conseil, qui doit maintenant nous occuper.

La loi du 17 juillet 1856 s'est bornée à substituer dans les articles 128 et suivants le juge d'instruction à la chambre du conseil et n'a point été au-devant des difficultés que cette substitution peut soulever. Il faut rechercher quelles sont, parmi les règles autrefois applicables à la chambre du conseil, celles que le juge d'instruction doit maintenir et appliquer encore.

L'article 127 est ainsi conçu: « Aussitôt que la procédure sera terminée, le juge d'instruction la communiquera au procureur impérial, qui devra lui adresser ses réquisitions dans les trois jours au plus tard. Toute l'organisation de la juridiction du juge est dans ce texte.

2047. Notons d'abord que le ministère public ne peut, lorsqu'une instruction est commencée, la porter devant le tribunal correctionnel par voie de citation directe. Le juge a été saisi, et il ne peut appartenir au ministère public de le dessaisir; car un juge légalement saisi d'une affaire ne peut en être dessaisi que

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