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par un acte qui épuise sa juridiction. Cette solution avait été consacrée relativement à la chambre du conseil dans deux espèces distinctes, et la raison de 'décider est la même en ce qui concerne le juge d'instruction.

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Dans la première espèce, l'affaire avait déjà été soumise à la chambre du conseil par le rapport du juge d'instruction, lorsque le ministère public avait cru pouvoir la porter, par voie de citation directe, devant le tribunal correctionnel. La Cour de cassation a jugé qu'il avait commis une violation des règles légales, attendu qu'il est de principe, dans toutes les législations 1° qu'un juge qui a été légalement saisi de la connaissance d'une affaire ne peut plus en être dessaisi que par un acte qui épuise sa juridiction; 2° qu'une partie qui a fait choix de l'une des différentes voies que la loi lui a ouvertes pour l'exercice de son action ne peut plus varier; qu'il suit de là: 1o que, lorsque la chambre du conseil d'un tribunal de première instance a été saisie de la connaissance d'une affaire, en vertu de l'article 127, cette chambre ne peut plus en être dessaisie jusqu'à ce qu'elle ait rendu l'une des ordonnances mentionnées aux articles 228 et suivants; 3° que la partie civile et le ministère public qui, pour l'exercice respectif de leurs actions à raison d'un délit de police correctionnelle, ont d'abord suivi la voie de l'instruction préparatoire, ne peuvent plus abandonner cette voie pour celle de la citation directe du prévenu devant le tribunal correctionnel; qu'il suivrait du système contraire et par parité de raison que les parties publique et civile pourraient aussi dessaisir la cour impériale qui, sur l'opposition à l'ordonnance de la chambre du conseil, serait investie du droit de prononcer sur ladite ordonnance; mais qu'il serait absurde de soumettre ainsi les attributions des cours impériales à l'arbitraire et au caprice des parties; qu'on ne peut donc pas supposer que par les mots dans tous les cas qui se trouvent dans l'article 182, et qui se rapportent au procureur impérial, la loi ait voulu porter atteinte aux principes; que ces mots doivent être entendus en ce sens que le procureur impérial peut citer directement le prévenu devant le tribunal correctionnel, alors même que la partie civile aurait négligé de le poursuivre1».

Dans la deuxième espèce, la chambre du conseil n'avait pas 1 Arr. cass. 18 juin 1812 (J. P., tom. X, p. 183).

encore été appelée à statuer lorsque le ministère public avait saisi le tribunal correctionnel. La Cour de cassation a jugé « que le procureur du roi près le tribunal de Vouziers avait saisi le juge instructeur de ce tribunal, et, par suite, la chambre du conseil, de la connaissance du délit dont Back était inculpé, et qu'un tribunal légalement saisi de la connaissance d'une affaire ne peut en être dessaisi que par un acte qui épuise sa juridiction; qu'il est également de principe qu'une partie qui a fait choix d'une des voies que la loi lui ouvrait pour l'exercice de son action ne peut plus varier; que cependant le procureur du roi, avant que la chambre du conseil eût statué sur la procédure faite par-devant le juge instructeur, a traduit directement Back devant le tribunal de Vouziers, jugeant en matière correctionnelle, et que ce tribunal a prononcé sur cette traduction irrégulière; que, dès lors, le tribunal correctionnel de Charleville, en déclarant nul et irrégulier le jugement du tribunal de Vouziers, a fait une juste application des principes de la matière' ».

Une exception à cette règle avait été introduite par la législation relative à la presse. L'article 1er de la loi du 8 avril 1831 portait « Le ministère public aura la faculté de saisir les cours. d'assises de la connaissance des délits commis par la voie de la presse, ou par les autres moyens de publication énoncés en l'article 1" de la loi du 17 mai 1819, en vertu de citation donnée directement au prévenu. » Cet article ne faisait qu'étendre à la juridiction de la cour d'assises une forme de procédure réservée jusque-là à la juridiction criminelle. Mais l'article 24 de la loi du 9 septembre 1835 et l'article 16 de la loi du 27 juillet 1849 avaient autorisé l'emploi de cette forme, même après qu'il y avait eu saisie, d'où la Cour de cassation avait induit que la loi, en permettant cumulativement la saisie préalable qui fait immédiatement obstacle à la circulation de l'écrit et la citation directe qui rapproche du délit le jugement et la répression, avait eu pour objet de réunir les avantages de ces deux sortes de procédure, et que, par conséquent, les actes d'instruction qui avaient suivi la saisie n'avaient pas pour effet de priver le ministère public de la faculté de citer directement 2. Le décret du 17 février 1852 a fait cesser cette anomalie: aux termes de l'article 27 de

Arr. cass. 7 juin 1821 (J. P., tom. XVI, p. 658). 2Arr. cass, 1er sept. 1836 (Bull., no 304).

ce décret, les poursuites en matière de presse qui sont portées devant les tribunaux de police correctionnelle ont lieu dans les formes et délais prescrits par le Code d'instruction criminelle. Il faut induire de ce dernier texte que le ministère public, conformément à la règle générale, a le choix, en matière de délits de presse comme en toute autre matière, de requérir la saisie des écrits ou de citer directement le prévenu, et que, dans le cas de saisie, la procédure doit être suivie par voie d'instruction.

2048. Dans quels cas la procédure doit-elle être réputée complète ? Elle doit être considérée comme telle toutes les fois qu'elle est en état de recevoir la décision dont elle est susceptible.

En thèse générale, la procédure est complète lorsqu'elle réunit les éléments nécessaires pour décider s'il y a lieu de prononcer la mise en prévention du prévenu et pour déterminer la juridiction compétente.

Il suit de là que le degré d'instruction où l'affaire doit être parvenue pour que le rapport en soit fait varie suivant la nature de chaque affaire; le Code n'a donc point dù le déterminer'.

S'il s'agit d'un fait correctionnel, dont les éléments sont simples, le juge peut penser qu'il y a lieu de la régler aussitôt après l'interrogatoire du prévenu, lors même que le ministère public aurait requis une instruction'. Il suffit que les renseignements contenus dans la plainte et l'interrogatoire permettent de qualifier le fait et de régler la compétence.

S'il s'agit, au contraire, d'un fait criminel dont l'existence ou les caractères ne soient pas clairement établis, l'instruction, quel que soit le nombre des témoins déjà entendus, doit être continuée jusqu'à ce que tous les indices qui peuvent jeter quelque jour sur l'affaire aient été explorés et tous les témoignages recueillis.

Si le juge ressent des doutes sur sa compétence ratione materia vel persona, il doit immédiatement, et avant tout acte d'instruction, décider la question de compétence.

Enfin, si la poursuite soulève quelque exception de nature à en suspendre le cours, telle que l'exception de chose jugée ou de prescription, le défaut de plainte d'une partie lésée, quand cette plainte est nécessaire, le décès du prévenu, il est clair que le 1 Arr. cass. 1er avril 1813 (J. P., tom. XI, p. 264).

juge d'instruction doit statuer sur cette question préjudicielle avant de procéder à aucun acte d'instruction. La procédure est complète aussitôt qu'il y a lieu de prononcer sur cet incident et qu'elle contient les pièces nécessaires à sa décision.

Au reste, cette règle est la seule qui lie le juge d'instruction. La loi n'a point fixé le délai dans lequel il doit, dans chaque affaire, rendre son ordonnance. Et elle ne pouvait le fixer, puisque chaque instruction s'abrége ou se prolonge, à raison de circonstances qu'il est impossible de prévoir et de régler. En général, il doit communiquer une affaire aussitôt qu'elle est complète; tout délai serait préjudiciable soit au prévenu, s'il est détenu, soit à l'intérêt général, qui veut la prompte expédition des affaires criminelles. En matière de délits de presse, l'article 11 de la loi du 26 mai 1819 exigeait expressément que l'instruction fût close dans les huit jours de la notification de la saisie. Il y a néanmoins quelques cas où le juge doit attendre l'expiration d'un certain délai tel est le cas, par exemple, dans une prévention de coups ou blessures, où le fait incriminé a occasionné une incapacité de travail personnel; il est nécessaire, pour que ce fait soit qualifié ou pour connaître la peine applicable, que la durée et le caractère de l'incapacité soient constatés.

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La communication doit-elle être suspendue lorsque la poursuite comprend plusieurs prévenus qui ont été placés en état de détention et que l'instruction complète à l'égard des uns ne l'est pas à l'égard des autres? Si l'instruction a relevé à l'égard de tous les prévenus des indices de culpabilité, s'il y a lieu de présumer qu'ils devront tous être mis en jugement, le juge doit nécessairement attendre que la procédure soit complète vis-à-vis des uns et des autres, car cette procédure est indivisible; il n'est pas possible d'en séparer les éléments sans altérer la vérité des faits, d'en disperser les agents sans rendre plus incertaine la part de chacun d'eux dans l'action. (Voy. n° 1686.) Mais s'il n'existe des charges qu'à l'égard de quelques prévenus, rien ne s'oppose à ce que le juge d'instruction, sans attendre que l'instruction soit complète en ce qui concerne ceux-ci, rende son ordonnance à l'égard des autres; car il serait injuste de garder plus longtemps en état de détention des prévenus contre lesquels aucune charge n'existe, et cette mesure n'aurait aucun objet, puisqu'ils n'appartiennent pas à la procédure et que les en éla

guer ce n'est pas la diviser. La chambre d'accusation de la cour de Toulouse a adopté cette distinction en déclarant « que le défaut de complément de l'instruction à l'égard de quelques-uns des prévenus ne s'oppose pas à ce que la cour statue sur le sort de chacun des individus soumis à la prévention qui peuvent se trouver dans le cas d'être d'ores et déjà mis en liberté et à l'égard desquels rien n'indique possibilité de charges nouvelles 1».

2049. L'article 61 du Code d'instruction criminelle prescrit au juge d'instruction de ne faire aucun acte d'instruction qu'il n'ait donné communication de la procédure au procureur impérial; et l'article 127 ajoute qu'il la lui communiquera aussitôt qu'elle sera terminée. Cette communication est faite par une ordonnance de soit communiqué, qui doit indiquer qu'elle a pour objet de mettre le ministère public à même de prendre ses conclusions, tant sur la prévention que sur le règlement de la compétence.

Il résulte de ces textes que c'est au juge d'instruction qu'il appartient d'apprécier si l'instruction est complète, si elle est terminée. Et en effet, chargé de diriger cette instruction et d'en recueillir tous les éléments, il peut seul décider si de nouvelles investigations sont possibles, si elles auraient un résultat utile. Le ministère public conserve d'ailleurs le droit soit de requérir un supplément d'information, soit de former opposition aux ordonnances qui ne se seraient pas arrêtées à ses réquisitions. Ainsi, lorsque, sur la communication que lui a faite le juge d'instruction, le ministère public, au lieu de prendre des conclusions au fond, se borne à requérir que l'instruction soit continuée, le juge demeure en général le maître ou de continuer l'instruction, ou de statuer au fond. Il a satisfait au vœu de la loi par la communication; il n'est point absolument tenu de déférer aux conclusions de la partie publique *.

2050. La communication de la procédure que le juge d'instruction est tenu de donner au procureur impérial lorsqu'elle est terminée a pour but de mettre ce magistrat à même de prendre

1 Toulouse, ch. d'acc., 6 sept. 1841 (J. P., 41, 2, 730), et conf. Duverger, n. 510.

2 Conf. Mangin, tom. II, p. 42; Arr. cass. 1er avril 1813 et 25 sept. 1824, cités suprà no 2047.

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