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compétente pour statuer sur l'instruction, puisque cette instruetion est pendante devant un autre tribunal, et qu'aux termes des articles 100 et 101 du Code d'instruction criminelle, le procureur impérial de l'arrondissement où le prévenu a été trouvé ne fait qu'assurer l'exécution des actes de la première procédure 1.

§ III. Examen de la recevabilité de l'action.

2063. Après avoir reconnu sa compétence, le juge d'instruction doit examiner si l'action dont il est saisi est recevable.

Si cette action n'était pas recevable, en effet, que servirait de faire l'appréciation des indices et des preuves sur lesquels elle est fondée? Que servirait de la renvoyer devant une juridiction qui ne pourrait que déclarer ou qu'elle n'existe pas encore, ou qu'elle a cessé d'exister? Il importe donc que cette déclaration soit faite in limine litis, puisqu'une poursuite qui ne peut avoir aucun résultat est évidemment inutile.

Cette question appartient donc au juge d'instruction par cela seul qu'elle est préliminaire à la procédure et qu'elle ne pourrait attendre sans dommage pour l'inculpé le jugement d'une autre juridiction. Elle lui appartient encore, parce que, chargé d'examiner s'il y a lieu de continuer la poursuite, il a nécessairement le droit de statuer sur toutes les exceptions qui tendent à en suspendre le cours. Sans doute sa décision sur ce point peut avoir de graves conséquences. Mais, d'une part, les ordonnances du juge, en ce qui concerne les exceptions de la défense, n'acquièrent pas force de chose jugée contre le prévenu; il peut les reproduire devant les juges du fond (voy. no 1031); et d'une autre part, ces ordonnances peuvent être attaquées par la voie de l'opposition.

2064. L'action peut être non recevable, soit à raison de causes qui la suspendent quant à présent, soit à raison de causes qui doivent en faire prononcer l'extinction.

Elle peut être suspendue, en premier lieu, par le défaut de plainte de la partie lésée, dans les cas où cette plainte est une condition nécessaire de la poursuite. (Voy n° 732.) Il est clair que, dans cette première hypothèse, l'action n'est pas encore ouverte, 1 Voy, notre tome IV, no 1976.

elle ne peut l'être qu'au moment où la plainte est déposée; le juge doit donc jusque-là la déclarer non recevable.

Elle peut être suspendue, en second lieu, lorsque la poursuite est subordonnée au jugement d'une question préjudicielle. Il importe de rappeler ici une distinction, que nous avons déjà posée (voy. no 826), entre les questions qui sont préjudicielles à l'action et celles qui sont préjudicielles au jugement seulement.

Les questions qui sont préjudicielles à l'action, telles que les questions d'état, par exemple, n'emportent pas seulement un simple sursis au jugement, elles élèvent contre tout acte de poursuite une fin de non-recevoir insurmontable: l'action criminelle ne peut commencer qu'après que la question a été jugée. (Voy. n° 837 et suiv.) Il suit de là que le juge d'instruction, dès qu'il reconnaît que la poursuite des crimes de faux ou de suppression d'état suppose la solution de la question d'état, doit déclarer cette poursuite quant à présent non recevable et ordonner la mise en liberté du prévenu, s'il a été arrêté.

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2065. Mais il n'en est point ainsi en ce qui concerne les questions qui sont préjudicielles non point à l'action, mais au jugement lui-même telles sont, en matière de violation de contrat, de destruction de titre, et en général de délits contre la propriété, l'existence du contrat, du titre prétendu détruit, du droit de propriété. La question de savoir si la convention préexistait au fait de violation ou de destruction, si le terrain usurpé appartenait à l'inculpé, ne fait aucun obstacle à ce que l'action soit commencée; elle élève seulement dans le cours de la poursuite un incident qu'il est nécessaire d'apprécier pour constater si l'inculpé est coupable ou ne l'est pas, s'il a commis un délit ou seulement usé de son droit. De là il faut conclure que le juge d'instruction ne doit point s'arrêter devant des questions qui ne sont que des moyens de défense qui préjugent le fond; il n'appartient qu'au juge du fond de les examiner et de les juger. Elles n'apportent aucune entrave à la poursuite et par conséquent il y a lieu de lui laisser suivre son cours, comme si elles ne devaient pas être soulevées. Et, d'ailleurs, quelle pourrait être la fonction du juge en statuant sur ces exceptions? Il ne pourrait, d'abord, que surseoir à prononcer, puisqu'elles n'ont pas pour objet de contester 1 Conf. Carnot, tom. II, p. 195; Mangin, tom. II, p. 23.

l'acte incriminé, mais seulement le caractère criminel de cet acte. Il serait donc nécessaire qu'il fixât un délai pour produire la preuve de l'exception, qu'il appréciât lui-même les éléments de cette preuve, et qu'il déclarât l'inculpé, à défaut de cette production, déchu du droit de la faire. Or, il est évident que cette procédure est, aussi bien que la décision elle-même, étrangère aux attributions du juge d'instruction, qui peut constater une exception dont les éléments font partie de la procédure, mais qui ne peut ordonner la vérification d'une exception dont les éléments sont en dehors du dossier et ne peuvent être réunis que par une autre procédure.

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La jurisprudence a confirmé cette doctrine. Une cour d'assises avait ordonné la mise en arrestation de plusieurs témoins prévenus d'avoir fait une fausse déposition dans les débats relatifs à une accusation de meurtre, et avait ordonné le renvoi de l'affaire à la prochaine session. La procédure sur le faux témoignage ayant été instruite en vertu de cet arrêt, la chambre d'accusation, au lieu de statuer sur la prévention, ordonna le sursis du procès jusqu'à ce que la cour d'assises eût prononcé sur l'accusation principale du meurtre. Cet arrêt a été cassé « attendu qu'il résulte des dispositions du Code d'instruction criminelle que, dans toutes les affaires qui leur sont soumises et dont l'instruction est complète, les chambres d'accusation doivent, de suite et immédiatement, statuer sur la prévention et sur le règlement de la compétence; qu'ainsi elles ne peuvent ordonner le sursis du procès sans méconnaître les règles de leur juridiction. » Dans une autre espèce, où la chambre d'accusation avait également sursis à statuer dans une prévention de banqueroute frauduleuse jusqu'à ce qu'il eût été définitivement prononcé sur l'état de faillite du prévenu, la Cour de cassation a encore annulé cette décision: « attendu que, d'après les dispositions des articles 221, 228, 229, 230 et 231 du Code d'instruction criminelle, les chambres d'accusation devant lesquelles un prévenu est renvoyé par une ordonnance de chambre du conseil sont tenues de le mettre en liberté si elles n'aperçoivent aucune trace d'un délit prévu par la loi, ou si elles ne trouvent pas d'indices suffisants de culpabilité, ou de prononcer son renvoi, soit à la cour d'assises, soit au tribunal de police correctionnelle, soit au tribunal 1 Cass. 20 mai 1813 (J. P., tom. II, p. 392).

de simple police, selon que les faits dénoncés sont qualifiés crimes, délits ou contraventions par la loi; ou d'ordonner, si elles ne se jugent pas suffisamment instruites, des informations nouvelles et des apports de pièces; que, dans l'espèce, un agent de change a été poursuivi à la requête du ministère public devant le juge d'instruction et par suite renvoyé à la chambre d'accusation comme prévenu d'être en état de faillite; que, pour obéir aux dispositions des articles cités, cette chambre devait ou déclarer qu'il n'y avait pas lieu à suivre contre le prévenu, ou le renvoyer devant la cour ou le tribunal compétent, ou ordonner une plus ample instruction; qu'au lieu de rendre une de ces décisions, elle a sursis à statuer jusqu'à ce qu'il eût été définitivement prononcé par le tribunal de commerce sur le fait de la faillite ou que le jugement par défaut de ce tribunal eût acquis l'autorité de la chose jugée; que, par ce sursis, la chambre d'accusation a méconnu les dispositions de la loi '. » Il est inutile de faire remarquer que ces deux arrêts s'appliquent à la chambre du conseil aussi bien qu'à la chambre d'accusation, puisque les attributions de ces deux juridictions sont les mêmes. en ce qui concerne le règlement de la prévention. Mais, dans une troisième espèce, une ordonnance de la chambre du conseil avait renvoyé un prévenu devant le tribunal correctionnel, sous la prévention du délit de dénonciation calomnieuse. A l'audience, la défense demanda qu'il fût sursis jusqu'à la décision de l'autorité compétente relative à la vérité ou à la fausseté des faits dénoncés, et le tribunal avait rejeté cette exception par le motif que l'ordonnance de la chambre du conseil avait décidé que les imputations étaient dénuées de fondement. Ce jugement, confirmé sur l'appel, a été cassé : « attendu que la chambre du conseil, en instruisant uniquement contre les auteurs de la dénonciation, et en se bornant à constater à leur charge l'existence d'indices de culpabilité, n'avait eu ni le pouvoir ni la volonté de statuer préjudiciellement sur la réalité des faits dénoncés, ce qui d'ailleurs n'aurait pu avoir pour effet de lier le tribunal correctionnel, et moins encore d'autoriser ce tribunal à improuver ou à sanctionner une appréciation de cette nature qui était en dehors de ses attributions. » Il résulte de ce dernier arrêt que le juge

1 Cass. 30 janv. 1824 (J. P., tom. XVIII, p. 407).

2 Cass. 28 nov. 1851 (Bull,, no 499).

d'instruction ne peut prononcer sur les questions préjudicielles qui se rattachent, non point à l'existence de l'action, mais à la culpabilité de l'agent.

2066. L'action peut, en troisième lieu, être suspendue en raison de la qualité de l'inculpé, lorsqu'elle lui permet d'invoquer la garantie politique ou administrative. (Voy. n° 854.) Dès que cette qualité est constatée, le juge doit déclarer la poursuite, quant à présent, non recevable; car, jusqu'à ce qu'elle ait été autorisée, l'action ne peut régulièrement commencer son cours. Le juge ne pourrait, lors même qu'il n'apercevrait aucune charge dans la procédure, déclarer immédiatement qu'il n'y a lieu à suivre. (Voy. n° 934.) Car cette déclaration suppose le devoir d'apprécier les charges, et il ne peut procéder à cette appréciation, puisqu'il ne peut prononcer la mise en prévention. Toutefois, il serait compétent pour examiner, avant d'admettre l'exception, si celle exception est suffisamment justifiée; si, par exemple, l'inculpé peut revendiquer le titre d'agent du gouvernement, si le fait incriminé a été commis en dehors des fonctions ou dans leur exercice, s'il est relatif ou étranger à ces fonctions; car, s'il n'appartient qu'à l'autorité administrative de décider si l'autorisation doit être accordée, il n'appartient qu'à l'autorité judiciaire de déclarer si cette autorisation est nécessaire et s'il y a lieu de la solliciter. (Voy. no 936.)

2067. Lorsque l'action est non-seulement suspendue, mais réellement éteinte par l'effet d'une fin de non-recevoir telle que le décès du prévenu, l'exception de la chose jugée, la prescription ou l'amnistie, il y a lieu, à plus forte raison, de la déclarer immédiatement dénuée de fondement. La compétence du juge d'instruction ne peut donc, dans cette dernière hypothèse, rencontrer aucune difficulté. La Cour de cassation a jugé, en conséquence, par un premier arrêt : « que la prescription est un moyen péremptoire pour faire cesser toute poursuite à raison d'un crime; d'où il suit que la cour chargée de prononcer sur la mise en accusation est nécessairement compétente pour statuer sur le mérite de la prescription '; » et par un second arrêt : « que la prescription en matière de crime, de délit et de contravention, 1 Cass. 8 nov. 1811 (J. P., tom. IX, p. 683).

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