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temps les François, et peut-être même (car qu'estce qui seroit assez absurde pour être invraisemblable?) flatter les Anglois. Mais, après un peu de réflexion, on s'aperçoit que cette explication ne suffit pas; il est donc plus simple de regarder la tirade impériale comme un de ces échappatoires par lesquels un prophète démasqué qui ne veut avouer son embarras, et ne sait pourtant pas le cacher, essaie de se donner l'air d'une sagesse mystérieuse et d'un sublime sang-froid.

2.

Sicette nouvelle levée de trois cent mille hommes doit être fournie au-delà des deux cent quatrevingt mille demandés par le décret du 11 octobre, et rien n'autorise à en douter, le nombre total des hommes levés en France pour le service militaire dans le courant d'une seule année, ne se monte pas à moins d'un million cent quarante mille, dont la moitié au moins a déjà été détruite, dispersée ou emmenée en captivité, et est, en un mot, perdue pour la France.

Seroit-il possible que la nation françoise fût tellement aveuglée ou plongée dans la servitude, qu'à la lecture de décrets si extraordinaires elle gardât le silence? N'est-il pas probable que de bouche en bouche circulera la question: « Pour

quel but ces immenses sacrifices? D'où viennent les dangers imminens qui exigent de pareilles mesures de défense? Tous les souverains de l'Europe, et avec eux tous les peuples européens, ont ils été subitement saisis de la fureur des conquêtes? ou veulent-ils se venger sur nous de tout le mal que nous avons été obligés par notre tyran de leur faire ? ou bien veut-on que nous versions notre dernier sang et que nous épuisious nos dernières ressources pour nous soustraire à une paix honteuse par laquelle on voudroit nous couvrir d'ignominie ou nous entraîner à notre perte?»

A ces questions, les hommes sensés et instruits répondront : « Rien de tout cela! Ceux qu'on veut faire passer pour nos ennemis n'ont pas pris les armes pour subjuguer les autres, pour les voler, les tyranniser; mais ils les ont prises pour ne pas être plus long-temps foules, pillés, tyrannisés; ils combattent pour leur propre indépendance: c'est le grand but de leurs efforts. Qu'est-ce qui pourroit les induire à tendre à la domination sur leurs voisins, en renonçant à leurs principes, en exposant leur entreprise an plus iminent danger? L'esprit de vengeance ne peut pas être non plus le mobile de leurs actions. Qu'avons-nous été, si ce n'est leurs confrères en malheurs? L'op

pression et la misère, que nous répandions à chacun de nos pas, ne retomboient-elles pas doublement sur nos têtes? Et, si la peur nous force à nous taire, ne partageons-nous pas leurs vœux pour être délivrés et pour jouir du repos? Si donc les nouveaux sacrifices qu'on nous demande, si la ruine vers laquelle nous marchons peuvent être justifiés, ce ne pourroit être que par la considération que la paix qu'on veut nous accorder nous plongeroit encore mieux dans l'abime, qu'elle ruineroit notre bien-être, ou violeroit notre honheur.

Mais, continueroient ces mêmes hommes, notre sûreté repose sur notre propre force, sur nos moyens de défense naturels et artificiels, sur notre esprit public, sur notre armée; elle est stable et inébranlable; jamais elle n'a été essentiellement menacée. Des conquêtes, des possessions éloignées, la domination sur des peuples étrangers ne peuvent pas la consolider davantage; sources de gueres sans fin, elles ne peuvent que nous inquié ter, nous affoiblir et nous ébranler. Du jour où la France rentre dans ses limites véritables et légitímes, elle est affermie et invulnérable; elle n'est inférieure en forces à aucune puissance européenne, elle est hors d'atteinte de toute invasion. »

« Notre prospérité est assurée par notre posi

tion géographique, par l'étendue et la fécondité de notre pays, par notre industrie, par nos arts, par le degré de civilisation auquel nous sommes parvenus. Elle avoit été ruinée par une longue suite de guerres sans but; mais la paix, quelles qu'en soient les conditions, pourvu qu'elle ramène les anciens liens de rapport et d'amitié avec tous les peuples voisins, qu'elle ouvre les mers à notre commerce, et qu'elle rende son ancienne activité industrielle au génie de notre nation, nous fera, au bout de peu d'années, et même sous une administration médiocre, oublier, au milieu de notre bonheur renaissant, cette faysse gloire dont on nous berçoit, et cette véritable misère qui nous rendoit si malheureux.

asין

« Quant à notre honneur, comment un traité de paix qui mettroit des bornes à nos injustices lui seroit-il préjudiciable? Si notre gloire militaire veut que nous soyons le seul peuple d'Europe qui sache gagner une bataille, et qu'il n'existe d'autre réputation militaire à côté de la nôtre, elle est éclipsée depuis long-temps. Quelqu'eclatantes que fussent les victoires que nous pourrions encore remporter, on ne nous croira plus invincibles: nos défaites en Espagne, nos retraites de Russic et d'Allemagne, les journées de Salamanque, de Vittoria, de Smolensk et

TOME IV.

de Leipzig ne peuvent être effacées de l'histoire; mais ce qu'il y a dans notre gloire militaire de véritable, de solide et de durable, aucune négociation politique ne pourra nous l'enlever. »

Tel est, n'en doutous pas, le langage de tous les François justes et instruits. Napoléon seul trouveroit-il sa gloire et sa satisfaction dans le malheur du monde et dans la servitude de tous les autres états? 11 dit qu'il ne pourroit pas s'asscoir sur un trône dégradé, ni porter une couronne flétrie. De quel droit veut-il échapper à cette humiliation chimérique, en continuant un ordre de choses qui ne peut exister qu'en dégradant tous les autres trônes et flétrissant toutes les autres couronnes? De quel droit se regarde-t-il. comme déshonoré si on lui fait une demande qu'il regarde comme incompatible avec le pouvoir d'humilies, d'injurier, ou d'anéantir tout ce qui l'en toure?

No CVI.

Extrait du discours prononcé par lord Castlereagh dans la séance du parlement britannique, du 14 novembre 1815.

Je dois rendre compte de l'emploi des sommes qu'à la fin de la dernière session le parlement a si libéralement confiées au gouvernement. On a

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