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conditions économiques de notre époque, que des décrets ne sauraient artificiellement transformer. Le seul résultat a été de contraindre les syndicats à se dissimuler sous une forme légale, ce qui leur permet d'échapper aux prohibitions dont les trusts sont atteints.

En France, les coalitions sont restées sous l'empire de l'article 419 du code pénal de 1810, qui frappe d'une peine d'emprisonnement et d'amende tous ceux qui s'associent pour ne pas vendre les marchandises qu'ils détiennent, ou pour ne les vendre qu'à un certain prix, ou pour opérer la hausse ou la baisse des prix par des moyens frauduleux. Mais, bien que la jurisprudence ait élargi l'application de cette disposition, par une sage interprétation de son texte, elle n'a pas suffi à enrayer le mou

vement.

La Belgique a partiellement renoncé, quant à elle, à cet article du code pénal français. Le code de 1867, en son article 311, ne mentionne plus les coalitions parmi les moyens punissables de provoquer la hausse ou la baisse des valeurs ou marchandises. On a estimé que la prohibition formulée par la loi pénale originaire entravait la liberté du commerce et de l'association, et que la libre concurrence détruirait, plus sûrement que tous les textes, le péril des hausses factices. Mais on doit reconnaître que la confiance du législateur a été déçue. Et si, en Belgique, le mal n'est pas plus grave qu'ailleurs, il n'est pas moindre non plus.

Les conclusions auxquelles M. Babled aboutit, après avoir savamment passé en revue les diverses législations d'Europe et du nouveau monde, nous paraissent, dans leur modération et leur juste milieu, témoigner d'une réelle clairvoyance.

Il constate l'impossibilité pour la libre concurrence d'avoir raison des fortes coalitions industrielles, et en même temps l'impuissance de la loi à les vaincre par des interdictions générales et absolues qui ont, comme les lois américaines, l'inconvénient de ne pas distinguer entre les syndicats de producteurs formés dans un but légitime et ceux formés dans un but d'accaparement et d'agiotage. Il préfère que l'on reconnaisse les syndicats comme associations légales en soi, mais qu'ils soient déclarés responsables de leurs actes, du moment où ils auront pour but non la protection de leurs membres, mais l'oppression d'autrui.

Parmi les mesures préventives, d'ordre économique, il réclame la suppression ou tout au moins l'atténuation des tarifs douaniers et le développement du mouvement coopératif.

On voit par ces brèves considérations, où nous avons tenté de reproduire en raccourci les grandes lignes du livre de M. Babled, l'intérêt qu'il présente tant au point de vue juridique que social. Il est abondamment documenté, d'une méthode bien conçue, d'un style simple, vivant et sévére.

PAUL HYMANS.

28. Le referendum en Suisse, par SIMON DEPLOIGE, avocat; précédé d'une lettre sur le referendum en Belgique, par J. Vanden Heuvel, professeur à l'Université de Louvain. — 1 vol. gr. in-8° de 190 pages. - Bruxelles, Société belge de librairie. 1892.

-

Le referendum suisse a fait l'objet dans cette revue d'une étude intéressante due à l'un de nos collaborateurs, M. Hilty, savant professeur à l'Université de Berne et membre écouté du Conseil national (1).

Le livre de M. Deploige est venu en Belgique à son heure. On sait, en effet, que le cabinet présidé par M. Beernaert a proposé aux Chambres d'introduire dans la Constitution, dont la revision est en voie d'élaboration, le referendum royal ante et post legem. Depuis, en présence d'une opposition presque générale, ce projet a été abandonné. Mais il existe au sein de la Chambre un groupe qui se dispose à le reprendre sous une autre forme, en vue de naturaliser en Belgique le système de l'appel au peuple, tel qu'il fonctionne dans la République helvétique. De là un grand nombre de publications ayant pour but d'analyser à cet égard la Constitution suisse de 1874, d'étudier les origines du referendum, son fonctionnement, sa nature et ses vertus théoriques et pratiques (2).

Le travail de M. Deploige, consciencieux, touffu, puisé directement aux sources, enrichi d'informations recueillies sur place, de la bouche des hommes les plus aptes à fournir un avis éclairé, est certes parmi les plus complets.

M. Deploige commence par décrire l'évolution politique de la Suisse, en remontant jusqu'au berceau de cette antique démocratie. Puis il montre l'organisation actuelle du referendum sur le terrain fédéral et cantonal; il examine ses formes diverses, obligatoire ou facultative; il trace un tableau très net du caractère et de la portée du droit d'initiative populaire, et termine par une revue instructive des principales votations et des opinions régnantes dans le monde politique suisse sur l'institution que l'on rêve d'introduire en Belgique, sous le prétexte d'une similitude, d'ailleurs inexistante, entre la République fédérale et la monarchie belge.

Dans ses conclusions, M. Deploige met bien en lumière le caractère théorique du referendum. Le referendum est essentiellement le contrepied du régime parlementaire. Il réalise sous une forme plus ou moins complète le gouvernement du peuple par le peuple. Il se rattache intimement au système de la législation directe. Il jure avec le systéme représentatif, dont il altérerait la nature, sans en corriger les inconvénients, et avec lequel on ne conçoit point pour lui d'adaptation logique possible.

() T. XXIV, p. 384 et 476.

(*) Qu'il nous soit permis de rappeler que l'auteur de ces lignes a consacré à cet objet deux études parues, l'une dans la Revue de Belgique (1892, p. 83), l'autre dans la Revue sociale et politique (1892, p. 243).

En fait, le referendum est loin d'avoir produit des résultats tels qu'on puisse y voir un remède souverain aux prétendus excès du parlementarisme. Il a paralysé des réformes utiles, et il ne semble pas que lorsqu'il a sanctionné des mesures bienfaisantes et sages, il l'ait fait consciemment et en pleine connaissance de cause, mais bien plutôt sous l'empire des circonstances et des impressions du moment.

Le referendum en Suisse s'explique d'ailleurs par des raisons historiques et sociales qui ne se rencontrent point ailleurs. Le peuple suisse a toujours pratiqué des mœurs et des institutions démocratiques. Dans certains cantons, l'assemblée plénière des citoyens (Landsgemeinde) fonctionne encore en souveraine maîtresse, faisant les lois et élisant les magistrats. La nation a fait son éducation politique dans la commune. L'instruction est générale. La fortune est répartie sans inégalité choquante. Il n'y a pas à côté d'une extrême richesse d'extrême pauvretė. Toutes ces conditions, qui tiennent à la tradition, au passé, au tempérament, à la constitution physique, économique et intellectuelle de la société suisse, facilitent la pratique de la démocratie pure, dont certains types absolus et presque sans alliage se retrouvent dans différents cantons, tels que celui de Zurich, par exemple.

M. Deploige n'a peut-être pas mis suffisamment en relief cet ordre de considérations plus philosophique que politique. Mais son livre a d'assez grands mérites pour que nous n'insistions point sur cette critique. On le lira avec intérêt et on le consultera avec fruit. PAUL HYMANS.

29.

Wegweiser durch die neuere Literatur der Staats- und Rechtswissenschaften. Für die Praxis bearbeitet von OTTO MUEHLBRECHT. 2o éd. In-8°, XXVIII et 764 pages. - Berlin, Puttkammer et Mühlbrecht, librairie des sciences sociales et juridiques. 1893.

La première édition de ce précieux Guide bibliographique a paru en 1886; elle a 446 pages. Au bout de sept ans, une nouvelle édition est devenue nécessaire; plus volumineuse de beaucoup plus d'un tiers, elle contient plus du double d'indications d'ouvrages. Cette publication, vrai monument élevé à la littérature juridique, fait le plus grand honneur à la librairie savante et célèbre qui l'édite, et à son auteur, chef de ladite librairie. On sait que M. Mühlbrecht publie depuis, un quart de siècle une Bibliographie générale, périodique, des sciences politiques et juridiques, dont M. Rolin-Jacquemyns a parlé ici même, en 1870, t. II, p. 339.

Le Guide donne sous environ 48,000 numéros environ 34,000 titres d'ouvrages, publiés non seulement en Allemagne, en Autriche-Hongrie et en Suisse, mais encore en France, en Angleterre et aux États-Unis d'Amérique, en Italie, en Espagne, en Belgique et aux Pays-Bas, en Danemark, en Suéde et en Norvège. M. Mühlbrecht déclare qu'il ne prétend pas être absolument complet; nous pensons qu'il l'est autant

qu'on peut l'être, en ce qui concerne les ouvrages allemands. Quant aux ouvrages en d'autres langues, on ne songera pas à exiger qu'il le soit, même approximativement. Il indique les titres, ainsi que les prix, sous des rubriques ordonnées systématiquement, d'après une classification qui a sa valeur propre. Un aperçu des divisions principales montrera la richesse de l'ouvrage, et aussi comment il se fait que les titres soient fréquemment et sciemment indiqués à double: Jurisprudence, ouvrages généraux; droit romain; droit germanique; droit commercial; procédure civile, organisation judiciaire, faillites, juridiction non contentieuse; droit pénal, procédure pénale, exécution des peines, médecine legale; droit ecclésiastique, droit matrimonial; législations particulières de l'Allemagne; droit public et administratif; paupérisme en Allemagne et à l'étranger; instruction publique en Allemagne et à l'étranger; salubrité publique; moyens de communication (Verkehrswesen), en Allemagne, Amérique, Belgique, Angleterre, France, Hollande, Italie, Autriche-Hongrie, Russie, dans les pays scandinaves, en Suisse; armée et marine; colonies; assurances et caisses d'épargne; sciences politiques, histoire politique; question ouvrière; économie politique; science des finances; statistique; droit des gens; droit américain; droit, belge, droit anglais; droit français; droit italien; droit hollandais; droit luxembourgeois; droit de l'Autriche-Hongrie; droit russe; droit suédois, norvégien, danois; droit suisse; droit espagnol et portugais; droit des États de l'Orient; droit des juifs.

Je ne puis examiner par le menu ces diverses rubriques, mais je constate que les deux dernières procurent à première vue quelques sujets d'étonnement.

Les États de l'Orient dont la littérature juridique est prise en considération ne sont pas seulement la Chine, le Japon et l'Inde, l'Égypte, la Turquie, mais encore la Grèce, la Roumanie, la Serbie et le Montenegro. Cette réunion est arbitraire, à tous les points de vue; elle le serait même si la situation géographique devait l'emporter sur les considérations ethnographiques et sur celles qui ont trait à l'origine et à la substance même du droit.

Sous la rubrique Recht der Juden, droit des juifs, je trouve une méprise incroyable, et même, dans une bibliographie juridique, absolument impardonnable. Entre Benny, The criminal Code of the Jews, London 1880, et Bloch, Das mosaïsche talmudische Erbrecht, Budapest 1890, figure: Beugnot, Assises de Jérusalem, Paris, 1841-1843. Ceci rappelle ce catalogue d'une bibliothèque royale ou nationale, où l'on a mis dans l'histoire romaine un traité sur l'opération césarienne. La date de la célèbre publication du comte Beugnot provoque une remarque. M. Mühlbrecht déclare donner une bibliographie de la littérature juridique récente (Neuere Litteratur). Ce qui n'a qu'une cinquantaine d'années de date est encore relativement récent; il va sans dire

toutefois que les ouvrages de date postérieure doivent prédominer de beaucoup, ce qui est déjà la conséquence naturelle du choix intelligent qu'a fait M. Mühlbrecht. On trouve cependant des ouvrages qui ont plus de cent ans de date. Ainsi : la Literatur des Völkerrechts d'Ompteda, qui est de 1785. Mais alors pourquoi pas le complément de Kamptz, de 1817 ? Voici sans doute l'explication. Le Wegweiser doit servir en même temps de catalogue d'ouvrages de fond, et Kamptz, plus rare encore qu'Ompteda, ne se trouve pas dans le magasin.

Dans un volume aussi riche en indications précises de noms et de chiffres, il est impossible d'éviter les fautes d'impression, lesquelles sont nombreuses, et celles d'inadvertance, dont plusieurs m'ont frappé à première vue. Il serait puéril d'y insister.

Le Wegweiser est dédié à M. de Gneist, « au Nestor de la science juridique et politique allemande ». On n'aurait pu choisir pour cette œuvre si méritoire un plus digne patron que l'éminent jurisconsulte, publiciste et homme d'Etat, doyen d'àge de la faculté de Berlin, où il enseigne avec tant d'autorité depuis plus d'un demi-siècle.

A. RIVIER.

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