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anglaises, la protection des étrangers dans l'Empire ottoman était un droit appartenant à la France; néanmoins, plus tard, on a stipulé que, dans le cas que quelqu'une des puissances chrétiennes n'aurait pas les moyens de faire les frais d'un établissement consulaire, ses sujets pourraient choisir entre la protection des consuls de France et celle des consuls anglais.

Voilà le commencement d'un système de mutualité entre les consulsjuges des États chrétiens, en Orient, que la Porte ottomane regarde aujourd'hui comme un droit acquis aux étrangers et consacré par l'usage, quelle qu'en soit l'origine, et que le Japon a reconnu expressément et a réglé par des traités. Il paraît donc que certains écrivains sont dans l'erreur en représentant cette mutualité comme un empiè tement irrégulier de la part des consuls chrétiens après le xII° siècle, en dehors de toute convention avec la souveraineté locale; mais je suis d'accord avec M. Paternostro, que bien que la juridiction primitive des consuls-juges ne fût étendue dans le sens de la mutualité qu'en vue d'une utilité pratique, celle-ci a continué de nos jours à produire de notables extensions, dont on peut discuter la nécessité et même le bien fondé. Cependant, les extensions sont l'exception, et mon éminent confrère, le professeur F. de Martens, a affirmé que l'organisation actuelle de la juridiction consulaire est défectueuse en général sous beaucoup de rapports, et qu'elle provoque à juste titre les plaintes des populations et des gouvernements des pays où elle existe (1).

D'un autre côté, M. de Martens approuve ces extensions de la juridiction consulaire d'après lesquelles les procès ressortissent au tribunal de la nation du défendeur. « Cette règle », dit-il, offre le seul moyen de trouver un tribunal dont les décisions soient effectivement exécutées. Dans la pratique, il subsiste néanmoins des difficultés. Les cours d'appel ont souvent refusé de confirmer des jugements rendus par les tribunaux de première instance dans les affaires mixtes. C'est pourquoi il serait utile, à défaut d'un accord international, que l'on sanctionnât la règle Actor sequitur forum rei, au moins dans la législation de chaque État. pris séparément. »

On peut imaginer le cas dans lequel une puissance chrétienne aura négligé totalement d'organiser, dans un pays d'Orient, des tribunaux

(1) Traité de droit international, tome II, § 25.

garantissant la bonne exécution de la justice selon les obligations conventionnelles d'un traité d'amitié et de commerce. Dans un tel cas, le gouvernement territorial aura sans doute le droit de dénoncer les autres articles du traité, dans lesquels elle a accordé à la puissance chrétienne l'avantage d'avoir des comptoirs ou un quartier spécial pour ses marchands, ou d'autres faveurs, telles que celle d'un temple pour leur culte.

Grotius a bien dit : Si pars una fœdus violaverit, poterit altera a fædere discedere, nam capita fæderis singula conditonis vim habent. Lib. II, C. XV, et M. de Vattel, en accord avec cette doctrine, a observé « que tout ce qui est compris dans un même traité a donc la force et les conséquences des promesses réciproques, à moins qu'il ne soit formellement excepté : Grotius a dit fort bien que tous les articles du traité ont force de condition, dont le défaut le rend nul». Liv. II, ch. XIII, § 202. Mais la dénonciation du traité n'est pas dans un tel cas obligatoire.

Le gouvernement territorial peut venir à l'aide des sujets négligés de la puissance chrétienne, et leur permettre de recourir aux tribunaux territoriaux à défaut d'une judicature consulaire de leur nation. Si je ne me trompe, le Japon a eu l'occasion depuis peu de se plaindre de la négligence d'une puissance chrétienne, et a accordé fort sagement aux sujets de la puissance en défaut la liberté d'agir par les voies de la justice devant un tribunal local du pays.

De l'autre côté, on peut imaginer un cas opposé, dans lequel une puissance chrétienne, qui a conclu un traité de juridiction avec une puissance de l'extrême Orient, inpirée par cette maxime du moyen âge, que c'est le devoir d'un bon juge d'amplifier sa juridiction, ait outrepassé la mesure ordinaire de la mutualité, et ait autorisé son consul à entendre et à juger des procès dans lesquels ses nationaux sont plaignants et des étrangers défendeurs, au lieu de respecter le principe sur lequel est fondée l'idée primitive de la juridiction consulaire, c'est-à-dire actor sequitur forum rei. Dans un tel cas, on peut demander si la puissance orientale aura le droit de dénoncer des traités avec cette puissance chrétienne, par le motif qu'elle n'a pas accordé à cette puissance la liberté d'entretenir et de juger de tels procès.

La réponse à cette question est évidemment que l'excès de zèle de la puissance chrétienne n'est pas une violation de la foi des traités. Cependant la puissance territoriale aura le droit de protester contre l'exercice d'une juridiction qui passe les bornes des traités, et de refuser de

prêter son aide et la main-forte nécessaire pour donner effet aux sentences du consul étranger.

Après ces deux digressions, il sera convenable de considérer l'état des choses, qui ont donné naissance aux traités du Japon avec des puissances chrétiennes. M. Paternostro est de l'opinion que les faits qui dans l'intention expresse ou tacite des parties contractantes ont été la base des dispositions de ces traités, se sont modifiés d'une telle manière, que les conventions internationales, qui n'ont eu autrefois leur raison d'être que dans ces faits, manquent aujourd'hui de toute base solide. Personne n'est plus digne, comme expert, de la confiance de l'Institut de droit international que M. Paternostro. Ces faits, selon son avis, étaient :

1o le silence ou la grande différence des lois;

2 les lacunes ou la grande différence dans l'organisation judiciaire; 3 l'absence des garanties nécessaires pour protéger les droits d'une des parties contractantes.

Ces faits, à ce qu'il nous assure, sont désormais passés à l'état de simples souvenirs du temps jadis, et il affirme que le Japon serait autorisé rebus sic mutatis à dénoncer ses traités au point de vue du droit international.

Cette dernière question, qui est d'une haute importance pour le Japon, peut être envisagée sous divers points de vue et, en admettant que la grande modification dans l'ordre de choses qui existait à la naissance de certains traités du Japon pourrait bien justifier une revision de plusieurs clauses de ces traités, il est permis de soutenir qu'au point de vue du droit des gens, les traités eux-mêmes ne peuvent être annulés ni modifiés par le seul effet de la volonté du Japon, c'est-à-dire sans l'assentiment des autres parties contractantes. En soutenant cette thèse, je suppose que le Japon se regarde comme déjà admis à participer aux avantages du droit public et du concert européens, et que son gouvernement cherchera à régler sa politique d'une manière qui ne sera pas en désaccord avec ce concert. Mais comment peut-on préciser ce concert? Voilà une question de pratique à laquelle heureusement la réponse n'est pas trop difficile, si nous voulons apprécier sans aucune prévention les leçons qui résultent des relations internationales de nos jours. J'ai en vue les leçons résultant du traité de Paris, du 30 mars 1856, combiné avec celui de Londres du 13 mars 1871.

En parlant du traité de Paris, auquel était annexée une convention entre la Russie et la Porte ottomane, le chevalier ROBERT PHILLIMORE a observé, dans ses Commentaires de droit international, vol. II, p. 77, « qu'on peut avec raison être de l'avis que la convention spéciale entre la Russie et la Porte n'était ni juste ni sage. On ne doit donc pas trouver étrange que la Russie, mécontente de la condition insuffisante de sa flotte dans la mer Noire, suivant cette convention, ait cherché l'occasion de se dégager de la convention par un acte de sa propre volonté, quand heureusement l'Allemagne du Nord a proposé de réunir les plénipotentiaires des puissances signataires du traité de Paris de 1856, et de recommander à leur sérieuse considération le désir du gouvernement impérial de la Russie de voir les stipulations de 1856, relatives à la navigation de la mer Noire, soumises à une revision. Le résultat fut que les plénipotentiaires de ces puissances se réunirent à Londres suivant le désir de la Russie, et que, dans la séance du 17 janvier 1871, le plénipotentiaire de la Russie exposa les vues de son auguste maître en signalant la situation actuelle en Europe, en montrant combien elle était loin de celle qui existait à l'époque du congrès de Paris de 1856, et qu'il serait d'une politique prévoyante et sage de soumettre les stipulations de 1856, relativement à la navigation de la mer Noire, à une revision à laquelle son auguste maître attachait une juste importance dans le double intérêt de la sécurité et de la dignité de son empire.

M. le comte Granville, le plénipotentiaire de la Grande-Bretagne, qui présidait la conférence, fit observer, dès le début de la discussion, que la conférence était réunie dans le but d'examiner les propositions que la Russie désirait faire par rapport à la revision des stipulations du traité de 1856, quant à la neutralisation de la iner Noire, et que c'était là une preuve éclatante que les puissances reconnaissent que c'est un principe essentiel du droit des gens, qu'aucune d'elles ne peut se délier des engagements d'un traité, ni en modifier les stipulations, qu'à la suite de l'assentiment des parties contractantes au moyen d'une entente amicale », et il a invité les plénipotentiaires à signer un protocole ad hoc. Le protocole dont il est question fut alors présenté à la conférence et signé par tous les plénipotentiaires présents, qui décidèrent en outre qu'il serait annexé au protocole général de la séance actuelle, et que dès son arrivée, M. le plénipotentiaire de la France (qui était absent) serait prié d'y ajouter sa signature.

Le protocole spécial, annexé au protocole général de la séance du 17 janvier 1871, est conçu dans la forme et teneur ci-après :

« ANNEXE.

<< Les plénipotentiaires de l'Allemagne du Nord, de l'Autriche-Hongrie, de la Grande-Bretagne, de l'Italie, de la Russie et de la Turquie, réunis aujourd'hui en conférence. reconnaissent que c'est un principe essentiel du droit des gens qu'aucune puissance ne peut se délier des engagements d'un traité, ni en modifier les stipulations, qu'à la suite de l'assentiment des parties contractantes au moyen d'une entente amicale. En foi de quoi, lesdits plénipotentiaires ont signé le présent protocole.

Fait à Londres, ce 17 janvier 1871. »

(Signe) BERNSTORFF, APPONYI, GRANVILLE, CADORNA, BRUNNOW, MUSURUS, BROGLIE (13 mars 1871).

M. Paternostro, en affirmant le droit du Japon à dénoncer ses traités touchant la juridiction des consuls étrangers, à cause des modifications. des faits qui ont été la base de leurs dispositions, a affirmé son opinion que la déclaration du principe du droit des gens dans le protocole cidessus reproduit n'a pas de valeur comme précédent pour le Japon, vu que les conditions actuelles de la conférence de Londres étaient d'un intérêt européen, et on peut dire sans pareil. Je suis d'accord avec l'éminent jurisconsulte dans son appréciation de cette conférence, mais je ne comprends pas sur quel principe de droit il se base en affirmant que le Japon peut se dispenser de l'obligation de respecter le principe du droit des gens reconnu par les signataires du protocole de cette conférence. Je ne puis partager son opinion qu'il y a une telle distinction entre les circonstances de la Russie dans l'an 1871 et les circonstances actuelles du Japon, qu'en admettant qu'il n'était pas convenable pour la Russie de se déclarer dégagée de la convention de 1856 sans un accord préalable avec les autres parties contractantes, un juriste puisse avec raison affirmer que le Japon serait autorisé à dénoncer ses traités existants sans un tel accord, surtout quand on se souvient que parmi les quatorze puissances chrétiennes qui ont conclu des traités avec le Japon touchant la juridiction exterritoriale de leurs consuls, il y en a six qui ont signé le protocole de la conférence de Londres de 1871.

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