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communauté avec la séparation contractuelle? Si la dame de Wargemont se fût bornée, dans son contrat de mariage, à stipuler qu'il n'y aurait pas de communauté entre elle et son mari; si elle n'y eût pas ajouté la réserve expresse du droit de jouir de ses biens, de les administrer, de les gouverner, se seraitelle avisée de prétendre que ses biens ne dussent pas être considérés comme dotaux, et que la jouissance n'en appartînt pas au sieur de Wargemont? Et cependant, par une irréflexion qui frappe l'œil le moins clairvoyant, l'arrêt ne parle que de l'exclusion de la communauté.

» 3o. Quand il aurait été jugé, pour tous les cas indéfiniment, par les arrêts de 1778 et 1779, que le sieur et la dame de Wargemont avaient adopté, en se mariant, la coutume de Bruxelles, serait-ce aujourd'hui une raison pour dire qu'ils tenaient l'un et l'autre de la coutume de Bruxelles, la faculté de révoquer leurs Conventions matrimoniales, par rapport aux biens qu'ils possédaient tous deux en France? Cette question, messieurs, est, une des plus importantes de la cause: elle mérite d'autant plus d'attention, qu'elle n'a encore été agitée dans aucune des instances que l'affaire a parcourues; et vous allez voir que, elle l'eût été, la discussion en aurait infailliblement tourné à l'avantage de la partie qui, en ce moment, est demanderesse en cassation.

si

» Accordons, en effet, que, par leur contrat de mariage, le sieur et la dame de Wargemont se sont non-seulement soumis pure ment et simplement à la coutume de Bruxelles, mais encore réservé la faculté de changer, de commun accord, leurs Conventions matrimoniales: que résultera-t-il de cette hypothese assurément très-gratuite?

» Il en résultera que le sieur et la dame de Wargemont se sont réservé, en se mariant, la faculté de se faire, pendant le mariage, des avantages réciproques. Car, nous l'avons démontré, il y a nécessairement avantage, toutes les fois qu'un époux fait la remise à son époux des gains de survie que lui assure son contrat de mariage dans les biens de celui-ci.

» Or, une pareille réserve pouvait-elle avoir son effet sur des biens situés dans la coutume d'Amiens, c'est-à-dire, dans une coutume qui prohibait toute espèce d'avantages entre mari et femme? Non certainement. Rata quoque habenda non sunt pacta, dit Voët, sur le digeste, liv. 23, tit. 4, no. 20, quibus licentia conjugibus concedere · tur agendi ea quæ in apertam juris statutarii incidunt prohibitionem, veluti ut liceat conjugibus inter se vetitas à lege donationes exer

cere. C'est aussi ce qu'enseignent Rodemburg, de jure quod oritur ex statutorum diversitate, tit. 3, part. 1, chap. 4, no. 5; Abraham de Wesel, de connubiali bonorum societate, no. 112, et tous les auteurs français sans exception. C'est aussi ce qu'ont jugé un arrêt du parlement de Paris, du 27 mars 1575, rapporté par Charondas, Réponses du droit français, liv. 19, chap. 86; un arrêt du grand conseil de Malines, du 14 octobre 1617, rapporté par Dulaury, S. 72; et un arrêt du conseil souverain d'Utrecht, rapporté par Rodemburg, l'un des juges qui avaient coopéré à le rendre, à l'endroit que nous ve nons de citer.

» Et inutile d'objecter que la coutume de Bruxelles permettait les avantages entre mari et femme; inutile de prétendre que le sieur et la dame de Wargemont, en se mariant suivant la coutume de Bruxelles, auraient reçu de cette loi municipale une faculté qui se serait étendue à tous les biens qu'ils pouvaient avoir dans des coutumes prohibitives.

» On sait assez que les dispositions des coutumes qui permettaient ou prohibaient les avantages entre mari et femme, formaient des statuts purement réels, et qu'elles n'avaient en conséquence d'empire que sur les biens situés dans leurs territoires respectifs. Dumoulin, d'Argentrée, Chopin, Boullenois, Voet, Rodemburg, en un mot, tous les auteurs le plus universellement estimés, ont proclamé unanimement cette maxime; et elle a été consacrée par dix arrêts du parlement de Paris, de 1574, de 1609, du 20 mai 1623, de 1663, du 7 janvier 1671, des 3 avril et 13 mai 1762, du 1er. septembre 1780, du 24 janvier 1783 et du 15 mai 1784; par deux arrêts du grand conseil de Malines, du mois de juin 1564 et du 16 janvier 1685; par un arrêt du parlement de Douai, du 25 janvier 1701; et enfin, par un arrêt du parlement de Dijon, du mois de janvier 1621, rapportés par Louet, Vrévin, Boullenois, les nouveaux éditeurs de Denisart, Dulaury, Desjaunaux et Bouvot (1).

» Et de là la conséquence nécessaire que, pour décider si des Conventions matrimoniales relatives à des immeubles, peuvent ou non être changées pendant le mariage, ce n'est pas la loi du domicile matrimonial qu'il faut consulter, mais uniquement celle du lieu où sont situés les immeubles qui font la ma

(1) V. mon Recueil de Questions de droit, aux. mols Avantages entre Epoux,

tière de ces Conventions. Cette conséquence, absolument décisive pour notre espèce, n'a pas échappé à Voet: voici comment il s'explique, sur le digeste, titre de pactis dotalibus, no. 69: In quæstione cujus loci statutum circà pactorum dotalium mutabilitatem aut immutabilitatem spectandum sit, in rebus quidem mobilibus inspicienda videtur lex loci in quo conjuges domicilium habent; in immobilibus verò observandum jus loci illius in quo immobilia sita sunt. Et il cite, comme enseignant la même doctrine, Rodemburg, de statutorum diversitate, tit. 3, part. 1, chap. 2, no. 3, et le recueil intitulé Responsa jurisconsultorum Hollandorum, part. 1, S. 154. » Pothier, nous le savons, suppose, dans son Traité de la communauté, no. 286, que la faculté de s'avantager entre époux, ne dépend que de leur loi domiciliaire; mais ce qu'il dit, d'après cette supposition qu'il n'examine pas, bien loin de détruire notre raisonnement, ne fait que le confirmer de plus en plus. Ecoutons-le lui-même : « La Conven»tion par laquelle les parties promettent de » s'épouser suivant une telle coutume, étant » conçue en termes indéfinis, s'étend à tou»tes les Conventions matrimoniales.... Mais » elle ne donne pas aux parties le droit que » la coutume suivant laquelle elles ont dé> claré vouloir se marier, accorde aux con» joints par mariage, de disposer l'un envers » l'autre, durant le mariage, de certains » biens, lorsque la loi du lieu où est leur do» micile, le leur défend; car cette Conven» tion ne peut pas les soustraire à l'empire » de la loi de leur domicile, ni par consé»quent leur permettre ce que cette loi leur » défend. Suivant ce principe, quoique la >> coutume de Blois permette aux conjoints » par mariage, ayant des enfans, de se don»ner, durant leur mariage, par don mu» tuel, l'usufruit des meubles et conquêts, » des conjoints par mariage domiciliés à Or»léans, quoique mariés selon la coutume de » Blois, ne peuvent pas, s'ils ont des enfans, » se faire ce don, que la coutume d'Orléans » ne leur permet pas de se faire ».

» Ainsi, en faisant abstraction de la réalité du statut d'Amiens qui défendait au sieur de Wargemont de faire la remise à son épouse des droits de survie qu'elle lui avait accordés par contrat de mariage sur la terre de la Ferté-Saint-Riquier, nous dirons, avec Pothier, que du moins le sieur de Wargemont n'a pas pu user, en vertu de son contrat de mariage, de la faculté de faire cette remise à son épouse, relativement à des biens que la loi de leur domicile leur défendait de se don

ner. — Or, quelle était la loi de leur domicile? C'était la coutume d'Amiens, si l'on considère l'époque du mariage; c'était la coutume de Paris, si l'on s'attache à l'époque de la Convention révocatoire dont il s'agit. Donc, dans l'un comme dans l'autre cas, le sieur de Wargemont ne pouvait pas rendre à son épouse des droits qu'elle lui avait donnés par l'acte le plus sacré et le plus inviolable. Donc dans l'un comme dans l'autre cas, la Convention révocatoire dont il s'agit, est radicalement nulle. Donc, dans l'un comme dans l'autre cas, il est impossible de maintenir le jugement qui a confirmé cette Convention.

» Sans doute, la dame de Wargemont aurait pu, par son contrat de mariage, ne pas donner éventuellement au sieur de Wargemont la terre de la Ferté-Saint-Riquier, à titre de part d'enfant; mais en la lui donnant, elle n'a pas pu lui conférer le droit d'en faire à elle-même une arrière donation.Sans doute, elle aurait pu la lui donner, en retenant la faculté de la lui retirer elle-même à volonté : car, en contrat de mariage, on peut donner et retenir. Mais elle n'a pas pu, en la donnant à son mari par contrat de mariage, faire dépendre de la volonté de son mari le sort de la donation qu'elle lui en faisait. Une fois la donation faite et acceptée, le mari ne pouvait plus y renoncer sans avantager sa femme. Et la coutume du domicile des époux, celle même de la situation des biens, étaient là pour dire que la femme ne pouvait pas être avantagée par son mari. — C'est ainsi qu'encore que, par leur contrat de mariage, le mari et la femme puissent stipuler qu'ils ne seront pas communs en meubles et acquêts, ils ne peuvent cependant pas se réserver mutuellement la faculté de convenir, pendant le mariage, que la communauté exclue par leurs pactes nuptiaux, aura lieu s'il leur plaît. » Une pareille réserve est nulle, dit Dumoulin sur l'art. 110 de l'ancienne coutume de Paris; et c'est ainsi qu'en ont décidé en 1550 les jurisconsultes Chartier et plusieurs autres: « Potest, tempore contractús matrimonii, de

rogari vel dari uxori facultas acceptandi » communionem si velit, se tenir à ses Con» ventions; si superstes sit...; sed non potest » vir sibi reservare potestatem de l'appeler à >> la communauté, ut Chartier et alii 1550 ». Et pourquoi une pareille réserve est-elle nulle? C'est parcequ'appeler une femme à la communauté pendant le mariage, après l'en avoir exclue par les Conventions matrimoniales, c'est lui faire un avantage, est adven. tagium; et cet avantage est sans effet, parce-.

qu'il fraude indirectement la prohibition de la coutume, ne per indirectum fiat fraus legi. » D'Argentrée, qui est presque toujours en opposition avec Dumoulin, se trouve cependant d'accord avec lui sur ce point. Il établit, sur l'art. 221 de l'ancienne coutume de Bretagne, glose 3, no. 1, qu'il y aurait avan tage prohibé en faveur de la femme, si, en vertu d'une réserve contenue dans le contrat de mariage, le mari l'admettait, pendant le mariage, à la communauté dont elle a été exclue par cet acte.

» C'est ce qu'enseignent pareillement Bacquet, des Droits de justice, chap. 21, no. 73; Lebrun, de la Communauté, liv. 3, chap. 3, no. 9, et Renusson, dans son traité sur la même matière, chap. 4, no. 12.

» A présent, messieurs, quelle difficulté peut-il rester dans la cause? Quels doutes pourraient encore ombrager, dans vos esprits, l'évidence des moyens qui, de toutes parts et sous tous les rapports, appellent, provoquent, nécessitent la cassation du jugement sur lequel vous avez à prononcer?

»Argumentera-t-on encore des dispositions de l'ordonnance de 1560, sur les transactions? Prétendra-t-on encore que l'acte du 13 juillet 1780, par cela seul qu'il est qualifié de transaction sur procès, doit imposer silence à la réclamation élevée contre celles

de ses clauses qui, à la fois, offensent le droit public en soumettant un Français à la juridiction de tribunaux étrangers, et violent la loi prohibitive des avantages entre mari et femme?

>> Mais l'ordonnance de 1560 n'a qu'un seul objet : c'est, comme elle l'exprime formellement, d'interdire contre les transactions les actions rescisoires qui ne seraient fondées que sur la lésion d'outre-moitié. Elle ne valide pas les transactions qui ne servent que de voile à des pactes illicites; elle ne permet pas de transiger sur les choses que la loi place hors de la sphère des Conventions; elle ne permet pas de renoncer par des transactions, à des droits dont il n'est pas au pouvoir des transigeans de se dépouiller.

» Argumentera-t-on encore de l'arrêt du 8 août 1780, et dira-t-on encore que le sieur de Wargemont n'a jamais attaqué cet arrêt ni par requête civile ni par cassation; qu'ainsi, cet arrêt conserve contre lui et ses héritiers toute son autorité première?

» Mais 1o. cet arrêt ne fait que convertir en jugement conventionnel, les clauses de l'acte du 13 juillet précédent qui sont relatives à son objet ; il ne prononce rien de plus

que ce qui avait été convenu, relativement à son objet, par l'acte du 13 juillet précédent; il ne fait, sans le dire, que copier la partie de l'acte du 13 juillet précédent, sur laquelle il avait été stipulé, par cet acte même, qu'il serait passé un arrêt. En un mot, c'est un simple arrêt d'expédient. — Or, les arrêts d'expédient, lorsqu'ils sont rendus sur des Conventions nulles, en couvrent-ils la nullité? Non certainement : par cela seul qu'ils ne sont que des jugemens conventionnels, ils contractent tous les vices des Conventions auxquelles ils se réfèrent. L'autorité de la justice, disait le ministère public à l'audience du parlement d'Aix, le 23 février 1775 (1), l'autorité de la justice qu'on fait intervenir dans ces Conventions, les rend coactives et C'est ce que nous apprennent Bellus en ses exécutoires, mais n'en détruit pas l'origine. conseils, et d'Argentrée. On peut donc attaquer un arrêt d'expédient, par la même laquelle il a été rendu, c'est-à-dire, par une voie que l'on attaquerait la Convention sur simple demande en nullité (2). Aussi les nouveaux éditeurs de Denisart, au mot Expédient, remarquent-ils que c'était par une singularité particulière au parlement d'Aix, qu'on y avait introduit l'usage de n'admettre de réclamation contre un arrêt d'expédient, que par la voie de la requête civile.

rendre l'écho pur et simple de l'acte du 13 » Si l'arrêt du 8 août 1780, au lieu de se juillet, l'avait expressément rappelé et homologué, bien sûrement il suffirait, pour le faire tomber, de faire tomber l'acte du 13 gentrée sur l'art. 265 de l'ancienne coutume juillet lui-même.-C'est ce qu'enseigne d'Arde Bretagne, chap. 13, no. 28: cùm lites logari solent in curiis, tamen non propterea transactionibus finiuntur, dit-il, etsi homoregrediuntur in contentiosas; ideòque cùm homologationem allegare, quæ nihil addit ad rescindatur ex causis juris, nihil profuerit vim transactionis, ET EADEM OPERA RESCINDITUR, NEC MAJORE NEGOTIO........; quæ valdè notanda sunt nec omnibus obvia, et tamen utilissima ad usum et frequentia. Ergò ex illá causá cognitionis applicatione illud evenit, ut judex idem aut alius meliùs informatus et melioribus de causis ipse suum decretum revocet. C'est aussi ce que vous avez jugé le

(1) Journal du parlement de Provence, tome 1, page 16. V. encore le Traité des intérêts de le Camus d'Houlouvre, page 149.

(2) V. mon Recueil de Questions de droit, au mot Appel, §. 1, n. 4, 5 et 6.

2 nivóse an 9, au rapport de M. Barris et sur nos conclusions. Les sieurs Renard et le Normand demandaient la cassation d'un arrêt de la cour d'appel de Caen du 11 messidor an 8, confirmatif d'un jugement du tribunal civil du département du Calvados, qui avait déclaré nul, comme contraire au sénatus-consulte velleien, un acte de cautionnement souscrit par la veuve et par la fille Paysant, et homologué par un jugement du tribunal de commerce de Caen du 2 frimaire an 6; ils soutenaient que la veuve et la fille Paysant n'ayant jamais attaqué ce jugement d'homologation, la cour d'appel de Caen n'avait pas pu annuler leur acte de cautionnement, sans contrevenir à l'autorité de la chose jugée; et ils concluaient en conséquence à ce que l'arrêt de la cour d'appel de Caen fût casse, comme violateur de l'art. 5 du titre 27 de l'ordonnance de 1667. Mais par l'arrêt cité, vous avez rejeté leur demande, « attendu » (ce sont vos propres expressions) que le »jugement du tribunal de commerce de Caen, » du 6 frimaire an 6, n'a fait qu'ordonner » l'exécution d'un acte de cautionnement » convenu entre les parties; que ce juge. »ment, purement de forme, ne contient » point de disposition judiciaire; que l'exé>>cution qu'il a ordonnée, a été essentielle. »ment subordonnée à la validité de l'acte à » laquelle elle se référait, et sur laquelle il » n'avait point été contesté devant le tribu»nal; que cet acte de cautionnement ayant » été attaqué devant les tribunaux ordinai»res, par le bénéfice de la restitution et par » application du sénatus-consulte velléien, » et ayant été annulé par ces tribunaux sur » ces exceptions, les jugemens d'annulation » ont porté sur une contestation qui n'avait » point été agitée au tribunal de commerce, » et qui avait été élevée en temps utile; » que, dès lors, ces jugemens n'ont pu être » en contradiction avec l'autorité de la chose » jugée ».

» Or, qu'a fait de plus l'arrêt du 8 août 1780, que d'homologuer la partie de l'acte du 13 juillet précédent, dont il n'est que la copie littérale? S'il n'a pas exprimé qu'il l'homologuait, l'en a-t-il moins homologué réellement? Qu'importe le nom, quand on trouve la chose? Et des-là, n'est-il pas évident que le sieur de Wargemont n'a pas eu plus besoin d'attaquer cet arrêt par requête civile ou en cassation, que la veuve et la fille Paysant n'ont eu besoin d'attaquer par appel le jugement du tribunal de commerce de Caen, qui avait homologué l'acte par lequel l'une et l'autre s'étaient rendues cautions? N'est-il

pas évident que le sieur de Wargemont a suffisamment attaqué cet arrêt, en demandant, par sa requête d'opposition à l'enregis trement des lettres-patentes du 29 novembre, que ces lettres-patentes fussent déclarées nulles, ainsi que tout ce qui les avait précédées et

suivies ?

» Et par-là, pour le dire en passant, se trouve complètement justifiée la partie des réquisitions du commissaire du gouvernement près le tribunal de Seine et Marne, qui tendaient à faire recevoir ce magistrat opposant à l'arrêt du 8 août 1780. En concluant ainsi, à l'exemple du commissaire national près le tribunal du sixième arrondissement de Paris, lors du jugement du 28 floréal an 2, le commissaire du gouvernement n'intentait pas une action de son propre chef : il ne faisait que présenter sous un nouveau jour la demande du sieur de Wargemont en nullité de tout ce qui avait précédé et suivi les lettres-patentes; il ne faisait que développer le germe des conclusions que le sieur de Wargemont prenait virtuellement par cette demande. Et c'est ce qu'a parfaitement expliqué le jugement du tribunal du troisième arrondissement de Paris du 8 floréal an 3, lorsque, pour écarter le moyen de requête civile que le sieur Depestre prétendait tirer de ce que, dans le jugement du 23 floréal an 2, le commissaire national avait violé, par son opposition personnelle à l'arrêt du 8 août 1780, l'art. 2 du titre 8 de la loi du 24 août 1790, il a dit que l'opposition du commissaire national à l'arrêt du 8 août 1780, n'était qu'une suite de l'opposition formée par Wargemont à l'arrêt d'enregistrement des lettres-patentes, et de sa demande en nullité, tant desdites lettres-patentes, que tout ce qui avait précédé et s'en était ensuivi.- Nous avons d'ailleurs un exemple assez récent de réquisitions faites dans de semblables circonstances par le ministère public, et qui ont été accueillies par un arrêt dont la cassation a été vainement provoquée sous ce prétexte.

Le sieur Spiess était appelant devant la cour d'appel de Caen, d'un jugement du tribunal civil du département du Calvados qui déclarait nulle une donation que la demoiselle d'Avrilly lui avait faite en l'épousant le 11 juin 1788, dans un temps où, prêtre et religieux, il était inhabile à se marier. Sur cet appel, les sieurs d'Avrilly et Labérardière, au profit desquels avait été rendu ce juge, ment, se bornaient à soutenir, comme ils l'avaient fait en première instance, que l'incapacité du sieur Spiess de contracter un mariage légitime, devait faire annuler la do

nation; et ils concluaient simplement au bien jugé. Mais le procureur général de la cour d'appel de Caen crut devoir aller plus loin : il requit l'annulation du mariage du sieur Spiess; et elle fut prononcée sur ses conclusions qualifiées d'office, en même temps que fut confirmé, sur celles des sieurs d'Avrilly et Labérardière, le jugement dont le sieur Spiess était appelant. Le sieur Spiess se pourvut en cassation; et, entre autres moyens, il prétendit que la cour d'appel de Caen avait con. trevenu, en accueillant les réquisitions du procureur général, et à l'art. 2 du titre 8 de la loi du 24 août 1790, qui interdit toute action directe au ministère public, et à l'art. 7 de la loi du 3 brumaire an 2, qui prohibe en cause d'appel toute demande qui n'a pas frappé l'oreille du premier juge. — La cause portée à l'audience de la cour, nous avons observé qu'il était impossible de se dissimuler, à la lecture de l'arrêt attaqué, que la cour d'appel de Caen n'eût eu l'intention de faire ce que lui défendaient et l'art. 2 du tit. 8 de la loi du 24 août 1790, et l'art. 7 de la loi du 3 brumaire an 2; que tout annonçait, dans son arrêt, qu'elle avait considéré les réquisitions du ministère public comme une demande additionnelle aux conclusions des sieurs d'Avrilly et Labérardière; que tout y annonçait, par conséquent, qu'en statuant sur ces réquisitions, elle avait cru statuer sur une demande dont elle ne pouvait pas s'occuper, et parcequ'elle n'avait pas été présentée aux premiers juges, et parcequ'elle ne l'avait pas été par les parties privées qu'elle intéressait. «Mais (avons-nous ajoute), il ne s'a> git pas ici de savoir ce qu'a voulu faire » le tribunal d'appel, il s'agit de savoir ce » qu'il a fait réellement. Si, tout en croyant » agir contre la loi, il a agi réellement selon » son vœu; si, tout en croyant ne statuer » que sur les conclusions du ministère pu

รา

blic, il a réellement statué sur les con»clusions des citoyens d'Avrilly et Labérar» dière, nous pourrons bien blâmer son in» tention, mais nous serons forcés de respec» ter son ouvrage. Or, dans cette cause, » quel était, devant les premiers juges, le » role des citoyens d'Avrilly et Labérar» dière? Ils étaient défendeurs. — Et que » disaient-ils par leur défense? Ils disaient » que le citoyen Spiess avait été, par sa qua»lité de religieux profes, incapable de con»tracter le mariage du 11 juin 1788. Ils con» cluaient donc implicitement à la nullité de » ce mariage; et ces conclusions implicites » devaient avoir pour eux le même effet que » des conclusions expresses. D'un autre

» côté, les jugemens rendus en première ins»tance avaient expressément pris pour base » de leur décision, l'incapacité du citoyen

Speiss à l'époque de son prétendu mariage » du 11 juin 1788; ils avaient donc considéré ce » mariage comme nul; ils n'avaient donc an» nulé la donation contractuelle, que parce» qu'ils avaient jugé qu'elle n'avait pas été » suivie d'un mariage légal. — D'après cela, » qu'a fait le commissaire du gouvernement » près le tribunal d'appel, en requérant l'an» nullation de ce mariage? Il n'a fait que » répéter en termes exprés les conclusions » qu'avaient prises en termes équipollens les » sieurs d'Avrilly et Labérardière. — Et qu'a » fait le tribunal d'appel, en adoptant les » réquisitions du commissaire du gouverne» ment? Il n'a fait que déclarer en termes » exprés, ce que les premiers juges avaient » déclaré en termes équipollens. Il n'y a » donc eu à cet égard, ni excès de pouvoir » de la part du commissaire du gouverne» ment, ni de la part du tribunal d'appel, » contravention à l'art. 7 de la loi du 3 bru» maire an 2; et par-là tombe le premier » moyen de cassation du citoyen Spiess »>. →→ Effectivement, messieurs, ce premier moyen fut rejeté de toutes voix par la section civile; et l'arrêt attaqué par le sieur Spiess ne fut cassé le 12 prairial an 11, que sur un autre moyen, tiré du fond de la cause. — Or, la conduite que le procureur général de la cour d'appel de Caen, avait tenue dans cette espèce, le commissaire du gouvernement près le tribunal civil de Seine et Marne l'a tenue précisément dans la notre : comme lui, il n'a fait que répéter en d'autres termes, il n'a fait que présenter sous la forme d'une opposition d'office, la demande en nullité qu'une partie privée avait formée pour son intérêt personnel. Il a donc, comme lui, respecté les bornes dans lesquelles la loi circonscrivait l'exercice de son ministère. Les juges du tribunal civil de Seine et Marne n'avaient donc pas même de prétexte plausible pour se dispenser de faire droit sur ses réquisitions.

» 2o. Quand nous accorderions à l'arrêt d'expédient du8 août 1780, une autorité qu'il n'a évidemment pas; quand nous supposerions que cet arrêt, faute d'avoir été attaqué par requête civile ou cassation, a continue de faire la loi au sieur de Wargemont et à ses héritiers, serait-ce une raison capable de justifier la disposition du jugement attaqué, qui déclare le sieur de Wargemont non-recevable dans sa demande en exécution de son contrat de mariage? Pour que ce jugement eût pu prononcer ainsi d'après l'arrêt du 8 août 1780,

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