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veur du défendeur la restante dette, dont ci-après ;

» Déclare tenu le défendeur à relever le demandeur pour toute somme due au suppléant Vernetti, aux termes de la convention portée par l'acte du 21 octobre 1808, Buffa, notaire, et à payer en sa décharge et jusqu'à l'échéance du délai y convenu au profit du demandeur, les intérêts échus et à échoir audit suppléant Vernetti; le tout, sous déduction desdits 1000 fr. en cas de remission et restitution dudit billet à ordre;

» Assigne le demandeur à justifier des paiemens et de la légitimité de sa créance, pour les sommes ci-après, 1o. au remplaçant Vernetti, celle de 750 fr.; 2o. au notaire Buffa, celle de 84 fr. 40 cent.; 3o. à la préfecture pour papier et expédition de l'acte de remplacement, la somme de 3 fr. 75 cent.; 4°. pour autres menus frais, celle de 60 fr.;

les rece

» Réserve au défendeur la preuve contraire, pour le cas d'enquêtes; le juge de paix de Castellamonte est commis pour voir dépens compensés pour les points décidés; réservé les autres en fin de cause ».

Le sieur Zerboi appelle de ce jugement, et dans cette instance, comme dans la première, les deux parties, supposant toujours l'obligation du 27 avril 1807 licite et valable, persistent à soutenir, l'une qu'elle doit être restreinte à la levée ordinaire qui a eu lieu en exécution du décret du 18 du même mois, l'autre qu'elle doit être étendue à la levée extraordinaire qui a été ordonnée par le sénatus-consulte du 10 septembre 1808.

La cause portée à l'audience de la cour de Turin et plaidée contradictoirement, arrêt qui ordonne d'office qu'il en sera communiqué au ministère public.

Le ministère public est en conséquence entendu, et requiert, « pour l'intérêt de la »loi et du gouvernement, qu'il plaise à la » cour mettre à néant l'appel et ce dont est » appel; et statuant par jugement nouveau, » déclarer nul et de nul effet la convention » suivie entre l'avocat Zerboi et le prêtre » Jean-Baptiste Bertinato, en vertu de l'acte » sous seing-privé du 27 avril 1807, et ordon»ner conséquemment la restitution, au pro» fit dudit Bertinato, de la somme de 1000 » francs, avec le paghero (billet), dont aux » actes». En conséquence, arrêt du 3 janvier 1810, ainsi conçu :

« En droit, il est question de savoir si les conventions consignées dans l'écriture du 27 avril 1807, sont ou non réprouvées par la loi; et en conséquence, si les parties en peuvent, de part et d'autre, réclamer l'exécution

et les dommages-intérêts contre celle qui sera déclarée contrevenante?

» La cour, considérant que, si rien ne s'oppose à ce que les Conscrits paient à leurs remplaçans une indemnité, il ne s'ensuit pas que le service militaire puisse être un objet de spéculation pour des tiers, qui n'y ont point de rapport, mais dans le seul but d'en faire un gain aux dépens des Conscrits et des remplaçans; que la convention du 27 avril 1807, dont il s'agit, présente vraiment une opération qui tient à cette spéculation; et le sieur Zerboi, par les faits qu'il a soutenus en cette instance, dans l'écriture du 11, signifiée le 13 novembre dernier, a ouvertement avoué de s'être adonné à cette sorte de marche, parcequ'il avait engagé de jeunes hommes à se tenir à ses ordres, pour remplacer les Conscrits qu'il leur aurait assignés; que cette convention a eu lieu avant le tirage de la Conscription de l'an 1808, à laquelle appartenait Dominique Bertinato, et que de cette manière le sieur Zerboi avait tâché de gagner la somme de 2000 fr., même dans le cas où le numéro que Bertinato aurait tiré, n'eût été appelé à former le contingent d'activité ni de réserve; qu'il y a donc, dans ce contrat, un trafic entre des parens d'un Conscrit, et un particulier qui n'y figure que comme un fournisseur de remplaçans au service militaire, on y voit encore un contrat aléatoire, d'une espèce que le Code civil ne connaissait point; que le gain que le sieur Zerboi a voulu se procurer, ne pourrait être envisagé que comme le prix de ses sollicitudes qui, aux yeux du gouvernement, dans l'intérêt du service militaire, ne sont que des manœuvres illicites, contraires à l'ordre public et très-préjudiciables à ceux des Conscrits qui sont dans la nécessité d'avoir des remplaçans; car, il faut le dire, que les mesures auxquelles doivent recourir ceux qui cherchent de tirer un gain du remplacement des Conscrits, présentent un vrai monopole dans ce genre; que ce fut, certes, dans ces vues, que le ministre-directeur-général de la Conscription, dans son instruction du 11 février 1808, à l'art. 121, tit. 8, a donné ses dispositions, et il a fait les défenses y désignées; et s'il eût pu douter un instant que cette sorte de marché eût l'assistance de la loi, il n'aurait point pris de son chef les mesures renfermées en l'art. 121 de son instruction, lesquelles ne doivent être envisagées que comme déclaratives; c'est aux grands principes qui règlent les conventions en general, qu'à défaut d'une loi particulière, il faut les rattacher; que, comme donc la loi

improuve toute convention illicite, et qui est contraire à l'ordre public, c'est en vain que les parties invoquent la loi, pour qu'elle intervienne, par l'organe du juge, à en donner l'exécution; qu'il n'importe que les moyens des parties ne portent point la nullité de leur convention; car ce vice est d'une nature que leur consentement ne peut couvrir; c'est du devoir du juge de suppléer à ce qui tient simplement au droit, il n'est pas forcé de marcher sur la ligne des principes invoqués par les parties; que le vice de cette convention ne permet pas d'adjuger à l'intimé sa demande en entier, il est juste que la somme de 1000 fr. qu'il a payée au sieur Zerboi, le 6 mai 1807, lui soit remboursée avec les intéréts au taux commun, à compter du jour sus· dit, et que le billet à ordre pour 1000 fr., en date du 17 septembre 1807, lui soit restitué; » Par ces motifs, la cour met l'appellation et ce dont est appel, au néant; et, par nouveau jugement, sans s'arrêter aux plus amples demandes et oppositions des parties, déclare le sieur Zerboi tenu de restituer au prêtre Bertinato la somme de 1000 fr., et de lui en payer les intérêts au taux légal, depuis le 6 mai 1807; dit en outre, être, le sieur Zerboi, tenu de restituer au prêtre Bertinato, le billet d'obligation, que celui-ci lui a remis, en date du 17 septembre 1807, pour la somme de 1000 francs ».

Le sieur Zerboi se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

<<< Les moyens de cassation qui vous sont proposés dans cette affaire (ai-je dit à l'audience de la section des requêtes, le 12 décembre 1810), présentent à votre examen trois questions: la première, si, par la disposition de l'arrêt attaqué qui déclare nulle, sur les seules réquisitions du ministère public, une convention que les parties n'avaient arguée de nullité, ni en première instance, ni en cause d'appel, la cour de Turin a, ou n'a pas, dans la forme, violé l'art. 2 du tit. 8 de la loi du 24 août 1790 et l'art. 464 du Code de procédure; la seconde, si, par la même disposition, cette cour a, ou n'a pas, au fond, violé les art. 1108 et 1964 du Code civil, et faussement appliqué l'art. 1133 du même Code; la troisième, si, en condamnant le sieur Zerboi aux intérêts de la somme de 1000 francs à compter du jour où il l'avait indûment reçue, elle a, ou n'a pas, violé l'art. 1153 du même Code, et commis un excès de pouvoir.

» La première de ces questions paraît d'abord ne pouvoir être résolue qu'en faveur du sieur Zerboi.

» D'une part, en effet, suivant l'art. 2 du TOME VI.'

tit. 8 de la loi du 24 août 1790, les officiers du ministère public exercent ce ministère au civil, non par voie d'action, mais seulement par celle de réquisition dans les procès dont les juges sont saisis; et de là il suit que le procureur général de la cour de Turin pouvait bien requérir qu'en faisant droit sur les demandes formées devant elle par les sieurs Zerboi et Bertinato, il y fût statué de telle ou telle manière ; mais qu'il ne pouvait pas former lui-même des demandes auxquelles les parties n'avaient pas pensé, ou dont elles avaient cru devoir s'abstenir. Or, ni le sieur Zerboi, ni le sieur Bertinato n'avaient conclu, devant la cour de Turin, à l'annullation de l'acte du 27 avril 1807. Ils s'étaient au contraire accordés l'un et l'autre à le regarder comme obligatoire; et ils n'avaient été divisés que sur le plus ou moins d'étendue que l'on devait donner à l'obligation qu'ils supposaient également en résulter; c'est donc de son propre chef, c'est donc par des conclusions qui n'appartiennent qu'à lui, que le procureur général a requis l'annullation de cet acte, et c'est ce que l'arrêt attaqué constate lui-même de la manière la plus précise. L'arrêt attaqué semblerait donc violer ouvertement l'art. 2 du tit. 8 de la loi du 27 août 1790.

» D'un autre côté, de ce qu'en première instance, le sieur Bertinato n'avait pas demandé la nullité de l'acte du 27 avril 1807, et de ce que le tribunal civil d'Yvrée, en ne lui adjugeant que sa demande, n'avait pas déclaré cet acte nul, il paraît, à la première vue, s'ensuivre nécessairement deux choses; l'une, que la nullité de l'acte du 27 avril 1807 ne pouvait plus être demandée par le sieur Bertinato devant la cour d'appel; l'autre, que la cour d'appel ne pouvait pas prononcer cette nullité, quand même elle lui eût été demandée directement par le sieur Bertinato; car, aux termes de l'art. 464 du Code de pro. cédure, qui n'est, à cet égard, que l'écho de l'art. 7 de la loi du 3 brumaire an 2, il ne peut être formé, en cause d'appel, aucune nouvelle demande.

» Mais si, de ce premier aperçu, nous passons à un sérieux examen des conséquences auxquelles nous conduirait le système du demandeur en cassation, nous reconnaitrons bientôt que ce système blesse à la fois la raison et l'esprit de la loi.

» Supposons que, sur l'assignation en paiement d'une dette de jeu, les deux parties reconnaissent, devant le juge, que la dette est légitime en soi; qu'il n'y ait de difficulté, entre elles, que sur le point de savoir si le

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demandeur en a reçu, ou non, le paiement; et qu'en conséquence, le défendeur se borne à conclure à ce qu'attendu qu'il l'a payée, le demandeur soit débouté des fins de son assig. nation: est-ce que le juge ne pourra pas, sans entrer dans l'examen du paiement ou du nonpaiement de la prétendue dette, déclarer qu'elle n'a jamais existé aux yeux de la loi, et au lieu de débouter le demandeur, comme déjà payé, le déclarer non-recevable, comme n'ayant jamais eu d'action?

"

»Supposons qu'une femme dont un homme aura acheté les honteuses faveurs par un billet portant promesse de les lui payer une certaine somme d'argent, soit assez éhontée pour former en justice une action fondée sur ce billet même, et que le signataire de ce billet, au lieu d'en demander expressément la nullité, se borne à soutenir qu'il l'a précédem. ment acquitté; est-ce que le juge ne pourra pas déclarer le billet nul, et la femme nonrecevable?

» Eh! Comment pourrait-on, dans l'une et l'autre hypothèse, forcer la conscience du juge à reconnaître, pour valables et licites, des obligations qu'elle lui montrerait comme nulles et criminelles? Comment pourrait-on lui faire un reproche d'avoir refusé de consacrer, par un jugement solennel, des actes attentatoires aux bonnes mœurs et à l'ordre public? Et s'il est vrai, comme l'établit l'art. 6 du Code civil, qu'on ne peut déroger, par conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public ou les bonnes mœurs, comment deux parties plaidantes pourraient, elles, par leur acquiescement mutuel à une convention réprouvée par les mœurs ou par l'ordre public, contraindre le juge à supposer cette convention valable, et à en régler les effets, comme si elle l'était réellement ?

des

» Non, messieurs, ce n'est là ni l'objet de l'art. 2 du tit. 8 de la loi du 24 août 1790, ni l'esprit de l'art. 464 du Code de procé dure.

» Dans toute affaire qui se traite en justice, il faut bien distinguer les demandes formées par les parties, d'avec les moyens qu'elles emploient pour les faire accueillir.

»Les demandes ne peuvent être suppléées ni par le juge ni par le ministère public. Mais les moyens, lorsqu'ils sortent du texte même des lois, peuvent et doivent l'être par l'un comme par l'autre.

moyen de droit dans lequel il aurait pu se retrancher, déclarer la dette nulle et le demandeur sans action.

» Ainsi, quoique, pour repousser la demande en paiement d'un billet causé pour un commerce illicite entre un homme et une femme, le défendeur soutienne seulement qu'il en a déjà payé le montant, les juges peuvent, sans s'arrêter à la quittance qu'il représente ou à l'offre qu'il fait de la représenter, déclarer le billet nul et la demanderesse non-recevable.

>> Et pourquoi, dans notre espèce, la cour de Turin n'aurait-elle pas pu, en supposant la convention du 27 avril 1807, contraire à l'ordre public, la déclarer également nulle, et régler les droits des parties, comme si cette convention n'avait jamais existé?

» A-t-elle, par cette manière de prononcer, violé la loi qui lui défendait, ainsi qu'au ministère public, de suppléer aux demandes des parties? Non, car elle a statué sur les demandes que les parties avaient formées respectivement devant elle, et elle n'a statué que sur ces demandes. Elle a statué sur la demande du sieur Bertinato en paiement d'une somme de 4000 francs, en la réduisant à 1000 francs. Elle a statué sur la demande du sieur Zerboi en paiement du billet de 1000 francs, du 17 sept. 1807, en le condamnant à restituer ce billet, et par conséquent en le déboutant de cette demande. Et elle n'a pas statué sur autre chose; elle n'a pas même, en termes exprès, déclaré nulle la convention du 27 avril 1810; elle l'a seulement considérée comme telle dans ses motifs; et certes elle n'a fait en cela qu'user d'un pouvoir légitime; parlons plus juste: elle n'a fait en cela que remplir le devoir qui lui était imposé par la loi, de suppléer un moyen de droit que les parties avaient omis dans leurs défenses.

» A-t-elle, par cette manière de prononcer violé la loi qui lui défendait d'admettre, en cause d'appel, aucune nouvelle demande? Non, car elle n'a statué que sur les demandes qui avaient été formées devant les premiers juges. Seulement, pour y statuer suivant le vœu qu'elle a cru lire dans la loi, elle a employé un motif auquel les premiers juges n'avaient pas pensé, c'est-à-dire, qu'elle n'a fait que ce qu'elle pouvait et devait faire, que ce que font tous les jours les tribunaux d'appel.

» Ainsi, quoique, pour se soustraire au » Mais, au fond, est-il bien vrai que la paiement d'une dette de jeu, le défendeur convention du 27 avril 1810 soit illicite ? et soutienne seulement qu'il l'a précédemment en la jugeant nulle, la cour de Turin n'a-telle acquittée, et qu'il en offre ou en rapporte la pas fait une fausse application de l'art. preuve, les juges peuvent, en suppléant le 1133, n'a-t-elle pas violé les art. 1108 et 1964

du Code civil? C'est la deuxième question que nous avons à examiner.

» L'art. 1108, vous le savez, reconnaît et proclame la validité des conventions qui réunissent ces quatre conditions essentielles : le consentement de la partie qui s'oblige, la capacité de contracter, un objet certain qui forme la matière de l'engagement, une cause licite dans l'obligation.

» L'art. 1964 définit le contrat aléatoire. « Une convention dont les effets, quant aux >> avantages et aux pertes, soit pour toutes les >> parties, soit pour l'une ou plusieurs d'en» tr'elles, dépendent d'un événement incer»tain »; et il en donne pour exemple le contrat d'assurance, le prêt à grosse aventure, le jeu et le pari, le contrat de rente viagère.

» Enfin l'art. 1133 déclare que la cause d'une obligation « est illicite, quand elle est » contraire aux bonnes mœurs ou à l'ordre » public ».

»Tels sont les élémens du deuxième moyen de cassation du demandeur.

» Et il est hors de doute que ce moyen doit triompher, si l'on ne peut pas considerer comme illicite la cause de la convention du 27 avril 1807; car cette convention était l'ouvrage du consentement libre des deux parties; les deux parties étaient également capables de s'obliger; et un objet certain (le rempla cement éventuel d'un Conscrit appartenant réellement à la classe de 1808) formait la matière des engagemens qu'elles ont pris l'une envers l'autre par cette convention. Si donc, à ces trois premières conditions essentielles, la convention du 27 avril 1807 réunissait celle d'avoir une cause licite, il ne lui manquait rien pour être valable; et la cour de Turin n'aurait pu la déclarer nulle, sans violer l'art. 1108 du Code civil.

» Notre deuxième question se réduit donc à ce seul point: la cause de la convention du 27 avril 1807 était-elle licite ou ne l'était-elle pas?

» Et d'abord il est certain que, pour la juger illicite, la cour de Turin s'est mal à propos fondée sur l'art. 1964 du Code civil. Cet article, il est vrai, ne met pas l'obligation éventuelle de remplacer un Conscrit moyennant une somme déterminée, au nombre des exemples qu'il donne du contrat aléatoire; mais les exemples qu'il donne du contrat aléatoire, ne sont pas exclusifs; et c'est ce que font entendre très-clairement les mots tels sont, qui en précèdent la nomenclature. On ne peut donc pas regarder la cause d'une pareille obligation comme prohibée par

la loi.

» Mais si cette cause n'est pas prohibée par la loi, n'est-elle pas du moins contraire aux bonnes mœurs ou à l'ordre public?

» Aux bonnes mœurs, il est évident que

non.

» A l'ordre public, il faut distinguer. » La loi autorisant les remplacemens de Conscrits, autorise nécessairement aussi toute convention par laquelle un jeune homme s'engage lui-même envers un Conscrit ou ses parens, à le remplacer de sa personne, dans le cas où le sort l'appellerait au service militaire. Ainsi, rien de contraire à l'ordre public dans une convention de cette nature.

Mais s'agit-il d'une entreprise de remplacemens? S'agit-il de conventions par lesquelles un particulier s'engage à fournir des remplaçans aux Conscrits, et à les tenir tous prêts à marcher au premier signal? S'agit-il, en un mot, d'une spéculation faite d'un côté, sur la crainte des Conscrits, d'être désignés par le sort pour le service militaire; de l'autre, sur l'espérance qu'ont leurs suppléans éventuels de n'être jamais dans le cas de les remplacer effectivement? Alors, la chose change de caractère.

» L'ordre public est compromis, en ce que, pour se ménager des sacrifices plus considérables de la part des Conscrits, l'entrepreneur de remplacemens ne manque jamais de leur exagérer les fatigues et les dangers du service auquel ils peuvent être appelés; et que les impressions produites par ces exagérations, agissant sur une grande masse, ne peuvent avoir que des résultats funestes au recrutement de l'armée.

» L'ordre public est encore compromis en ce que, pour se procurer des remplaçans au meilleur marché possible, l'entrepreneur ne leur assure qu'une somme modique pour prix de leur seul engagement à se tenir prêts à marcher, et ne s'oblige de leur payer, en cas qu'ils marchent en effet, une autre somme qui est toujours d'autant moins forte, que ces remplaçans éventuels ont plus de chance de ne l'être jamais que de nom; en sorte que, le cas du remplacement effectif arrivant, les remplaçans n'ayant point touché le véritable prix du service auquel ils sont assujettis pour d'autres, éprouvent des regrets qui bientôt amènent le dégoût et multiplient les désertions.

» Aussi le gouvernement s'est-il ouvertement prononcé contre ces spéculations par l'organe du ministre d'état, directeur général des revues et de la Conscription militaire. Témoin l'art. 121 de l'instruction adressée par cet administrateur, le 11 février 1808,

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aux préfets de tous les départemens : « Il a » existé dans plusieurs départemens (y est-il dit), des agences, bureaux ou associations » qui s'immisçaient directement ou indirec»tement, soit dans la réforme, soit dans le » remplacement des Conscrits. Ces établisse» mens ont été supprimés partout où ils ont » été découverts, comme étant ou pouvant » devenir des foyers d'intrigues et de spécu»lations illicites. S'il en subsiste encore d'an» ciens, ou s'il s'en forme de nouveaux, les » préfets devront, non seulement ne pas les » tolérer un instant, mais même faire pour» suivre, pour cause d'escroquerie, tout in>>dividu qui en serait membre, ou qui y » aurait un intérêt. Les poursuites les plus ac»tives devront enfin étre dirigées contre toute » personne ou toute réunion de personnes, » qui se sera placée comme intermédiaire en»tre les Conscrits et le conseil de recrute»ment ou entre les Conscrits et les rempla» cans (1) ».

» Reste notre troisième question, celle de savoir si, en condamnant le sieur Zerboi à la restitution des 1000 francs qu'il avait reçus du sieur Bertinato, le 6 mai 1807, la cour de Turin a pu, en même temps, le condamner aux intérêts de cette somme depuis la même époque, et 'si, par-là, elle n'a pas tout à la fois commis un exces de pouvoir et viole

l'art. 1153 du Code civil.

» Qu'elle ait commis un excès de pouvoir, c'est ce qui résulte, suivant le sieur Zerboi, de ce que le sieur Bertinato n'avait conclu pas à ces intérêts.

» Mais 1o. si le fait était vrai, quelle en serait la juste conséquence? C'est que l'arrêt attaqué aurait jugé ultrà petita; c'est qu'il y aurait lieu contre cet arrêt à l'ouverture de requête civile indiquée par le no. 4 de l'art. 480 du Code de procédure; c'est que le recours en cassation ne serait pas ouvert contre cet arrêt.

» 2o. Il n'est pas exact de dire que le sieur Bertinato n'avait pas conclu aux intérêts que lui adjuge l'arrêt attaqué.

» A la vérité, par son exploit d'ajournement devant le tribunal de première instance, il avait simplement conclu à la restitution des 2000 francs reçus par le sieur Zerboi, pour remplacer Dominique Bertinato, son neveu, Conscrit de 1808; et il n'avait point,

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à cet égard, demandé expressément des intérêts; mais il avait, par le même exploit, conclu en outre au paiement de 2000 francs de dommages causés par l'inexécution de son obligation du 22 avril 1807. Et il pouvait très-bien être censé avoir compris dans ses dommages, la perte qu'il avait éprouvée par la privation de la somme qu'il avait comptée, le 6 mai 1807, au sieur Zerboi, ou, en d'autres termes, les intérêts de cette somme à compter du jour où le sieur Zerboi l'avait touchée.

>> Ce qui d'ailleurs tranche là-dessus toute difficulté, c'est qu'à l'audience du tribunal civil d'Yvrée, le sieur Bertinato a conclu à ce que le défendeur füt condamné au paiement en sa faveur de la somme de 4000 francs ET ACCESSOIRES, avec frais et dépens; car on ne peut nier que, par ces mots et accessoires, il n'ait entendu, entre autres choses, les intérêts de la somme dont il réclamait la restitution à la charge du sieur Zerboi.

» Ainsi, non-seulement le reproche que fait ici le sieur Zerboi à la cour de Turin, d'avoir plus adjugé au sieur Bertinato qu'il n'avait demandé, n'est pas recevable dans la forme, mais il n'est même pas fondé en soi.

» Y a-t-il plus de justesse dans le reproche que fait le sieur Zerboi à la cour de Turin,

d'avoir violé l'art. 1153 du Code civil?

toires ne sont dus que du jour de la demande; » Suivant cet article, les intérêts moramais cet article lui-même ajoute : excepté dans cas où la loi les fait courir de plein droit.

» Or, le cas dans lequel se sont trouves les sieurs Zerboi et Bertinato, relativement à la somme de 1000 francs, que le premier a été jugé avoir reçue indûment du second, n'est-il pas du nombre de ceux où la loi fait courir de plein droit les intérêts moratoires?

» Écoutons les art. 1376 et 1378 du Code civil: «< celui qui reçoit par erreur ou sciem»ment, ce qui ne lui est pas dû, s'oblige à » le restituer à celui de qui il l'a indûment » reçu. S'il y a eu mauvaise foi de la part de » celui qui a reçu, il est tenu de restituer, » tant le capital que les intérêts ou fruits, du » jour du paiement ».

»Si donc le sieur Zerboi a reçu de mauvaise foi la somme de 1000 francs qu'il est condamné à restituer, ou, ce qui est la même chose, s'il l'a reçue, comme le dit l'art. 1376, sciemment, c'est-à-dire, sachant qu'elle ne lui était pas due légitimement, nul doute qu'il n'en doive les intérêts à compter du jour où il l'a touchée.

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