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Il ne saurait être question d'exposer, dans les quelques pages qui suivent, la situation faite à la Suisse dans le domaine économique par la guerre qui sévit en Europe depuis quinze mois. Le pays le plus industriel de l'Europe avec la Belgique devait ressentir les effets de la conflagration européenne à un degré d'autant plus fort qu'il dépend presque entièrement de l'étranger pour la matière première de ses industries et, dans une mesure très large, pour son alimentation. En outre, plus du 56 % des échanges commerciaux extérieurs de la Suisse, représentant une valeur de 1908 millions de francs (chiffre de 1913), concerne ses quatre voisins aujourd'hui engagés dans l'effroyable lutte. Son commerce avec le reste du monde ne peut s'effectuer qu'à travers des frontières hérissées de soldats, fermées ou entr'ouvertes au gré d'autorités militaires ne s'inspirant que des besoins immédiats de la guerre, Quels que soient leur destination ou leur provenance, les produits échangés sont d'ailleurs soumis à des formalités, à des exigences administratives et fiscales, à des conditions de transport et à des risques précédemment ignorés. Les belligérants ne reconnaissent les droits des neutres que dans la mesure compatible avec leurs propres intérêts, réels ou prétendus. La correspondance des neutres est violée, leurs télégrammes sont arrêtés, leurs plis chargés et envois d'argent séquestrés. La suspicion a remplacé la confiance sur les ruines du commerce international. L'industrie, paralysée par l'absence de matières premières, de commandes ou de bras s'efforce de s'adapter aux besoins et aux exigences de la situation actuelle, ce qui est impossible dans certains domaines. C'est ainsi que, abstraction faite de quelques centres privilégiés, notre industrie hôtelière reste dans l'impuissance et attend des jours meilleurs pour se récupérer des pertes énormes de deux saisons nulles après deux saisons mauvaises, et pour songer à renter, dans une faible mesure, le capital de 1140 millions de francs environ, investi dans ses entreprises. 1)

La fermeture des Bourses, l'arrêt presque complet des opérations financières et des transactions de titres, le séquestre dans les Etats belligérants de grands établissements industriels ou de banques, la confiscation des biens d'entreprises placées sous une direction internationale, les interdictions d'exportation, l'exigence de compensations pour les produits dont l'exportation est autorisée, – tout cela et mille autres complications donnent une idée des difficultés au milieu desquelles notre petit pays a dû se débattre depuis le début de la guerre. A ces difficultés se sont ajoutées celles qui devaient résulter nécessairement de la mobilisation de notre armée et de l'occupation de nos frontières.

Il a fallu faire face à tout cela par des mesures parfois improvisées d'une heure à l'autre, sous l'em

1) On ne saurait trop répéter que l'industrie hôtelière suisse est bien loin de donner les profits dont parlent souvent ceux qui ne sont pas renseignés.

Le dernier rapport de l'Union suisse du Commerce et de l'Industrie constate que le produit net a été en 1912 de 61,7 millions sur un capital d'établissement de 1136 millions, ce qui représente, déduction faite d'un intérêt de 41%2% du capital, un bénéfice de 83 centimes sur 100 francs pour le travail du propriétaire et de sa famille.

pire d'un état de nécessité qui n'admettait aucun délai: «Primum vivere, deinde philosophari ! >>

C'est en face de cet état de nécessité que les mandataires du peuple suisse ont accordé au Conseil fédéral les pleins pouvoirs qu'il exerce depuis le 3 août 1914 dans tous les domaines : la collection de ses arrêtés constituera un jour une source de renseignements précieuse pour l'étude de la vie économique, politique et sociale de la Suisse dans la tourmente de la guerre universelle.

Le commerce extérieur de la Suisse atteignait avant la guerre, en 1913, une valeur de 3296 millions de francs, dont 1919 pour nos importations et 1377 pour nos exportations. Jamais le chiffre de ces dernières ne s'était élevé si haut. Nos importations avaient diminué de quelque 60 millions comparativement à 1912, mais l'on peut dire que, d'une manière générale, le développement industriel et commercial de la Suisse était à son apogée au moment où se produisit l'épouvantable catastrophe. Notre commerce spécial dépassait 850 francs par tête de population en 1913, dont 495 francs pour l'importation et 355 francs pour l'exportation. La même proportion eût porté à 57 milliards de francs la valeur du commerce extérieur allemand qui n'a pas atteint en réalité plus de 25 milliards en 1913.

De nos importations totales de cette même année l'Allemagne nous a fourni presqu’un tiers exactement 32,87 % (630,8 millions) à peine moins que nos trois autres voisins ensemble (France : 347,9 millions = 18,13 %; Autriche-Hongrie : 108,4 millions = 5,65 %; Italie : 207 millions 10,79 %).

L'Allemagne a participé pour 22,21 % à nos exportations de 1913 (305,6 millions). A elle seule, elle accapare le 27,54 % de notre commerce extérieur. La participation de la France dépasse à peine la moitié de ce chiffre (18,13 % à l'importation; 10,26 % à l'exportation). L'Italie et l'Autriche-Hongrie suivent de loin, avec 10,79 % à l'importation et 6,48 % à l'exportation pour la première, et 5,65 % à l'importation et 5,69 % à l'exportation pour la seconde.

En dehors de ses quatre voisins, la Suisse avait, avant la guerre, un commerce très étendu avec l'Empire britannique dont les importations en Suisse dépassaient 185 millions de francs (112 millions pour la Grande-Bretagne; 26,3 pour l'Egypte; 12 pour les Indes; 19,8 pour le Canada; 13,6 pour l'Australie). Mais l'Empire britannique était avant tout un excellent, le meilleur client de la Suisse, puisque ses achats totaux dépassaient 316 millions de francs (23 % de nos exportations totales), dont 236 millions pour la métropole, 6,4 pour l’Egypte, 22,7 pour les Indes, 31 pour le Canada, 17,4 pour l'Australie.

Les principaux fournisseurs de la Suisse en Europe étaient, après les grands Etats déjà nommés, la Russie (71 millions), la Belgique (35 millions), l'Espagne (29 millions), les Pays-Bas (25 millions), et enfin la Roumanie (15 millions). Ces mêmes pays achetaient à la Suisse, la Russie pour plus de 58 millions de ses produits, la Belgique pour 28 millions, l’Espagne pour 304/2 millions, les Pays-Bas pour 114/2, la Roumanie pour 8 millions. 1)

1) Il y aura lieu d'examiner, après la guerre, si, en dehors de certaines conventions politiques que les Etats neutres pourraient conclure pour se garantir réciproquement leur indépendance et leur neutralité, il n'y aurait pas intérêt pour la Suisse à conclure avec d'autres petits Etats tels que la Hors d'Europe, il faut mentionner en première ligne les Etats-Unis qui ont vendu à la Suisse en 1913 pour 118 millions de francs de leurs produits, en échange desquels nous leur avons envoyé pour 136 millions des nôtres.

Parmi les autres pays d'outre-mer, la République Argentine et le Brésil avaient une place en vue dans notre commerce extérieur. Nos achats et nos ventes au Brésil se compensaient presque exactement avec environ 20 millions de francs. L'Argentine nous vendait pour 37 millions de francs dont 31 millions de céréales et nous achetait pour près de 30 millions des produits de nos industries dont 9. millions de broderies et de soieries et une dizaine de millions d'horlogerie et de machines.

Le Japon et la Chine nous envoyaient pour 31% millions de produits (soie brute, déchets, tissus de soie, tresses de paille, thé, etc.). Nos ventes dans ces pays ne dépassaient guère la moitié de ce chiffre et se composaient essentiellement de machines, d'horlogerie, de couleurs d'aniline, d'indigo artificiel, etc.

Il a été rappelé au début que la Suisse dépend entièrement de l'étranger pour la matière première de ses industries et, dans une large mesure, pour son alimentation. Il n'est donc point surprenant que, sur une importation totale de 1919 millions de francs, plus des deux tiers concernent des denrées alimentaires (600 millions en chiffre rond)^) et des matières premières (685 millions).

Belgique, les Pays-Bas et d'autres des conventions douanières tendant à affranchir dans la mesure du possible les petits pays de la dépendance économique dans laquelle ils se trouvent de plus en plus vis-à-vis de leurs grands voisins.

^) Nous avons importé pour 243 millions de francs de

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