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On trouvera enfin dans la « Feuille fédérale » la collection complète des quelque 130 arrêtés rendus par le Conseil fédéral depuis le 3 août 1914 en vertu de ses pleins pouvoirs, arrêtés reflétant les besoins et les nécessités de notre vie économique, et dans la « Feuille officielle suisse du Commerce » les principales décisions (moratoires, interdictions d'exportation, etc.) des Etats étrangers intéressant nos rapports économiques avec ces Etats.

L'un des gros soucis de nos autorités fédérales après celui de la défense de nos frontières contre tout envahisseur et celui de l'approvisionnement du pays en denrées alimentaires et en matières premières pour nos industries, a été la question financière qui n'est pas encore résolue et dont il vaut peut-être mieux ne pas chercher la solution définitive dans l'agitation et en présence des inconnues de l'heure actuelle.

Au mois d'août 1914 la Confédération avait des disponibilités pour environ 40 millions de francs, abstraction faite de divers fonds destinés à l'armée mais auxquels il ne peut être touché que si la Suisse entre en guerre. A ces 40 millions sont venus s'ajouter successivement les 30 et 50 millions des deux premiers emprunts fédéraux 5 % pour la mobilisation, les 75 millions 5 % de l'emprunt conclu à New-York par l'intermédiaire de la maison G. Pictet & Co à Genève pour nos achats de blé américain et les 100 millions du 3e emprunt (41⁄2 %) pour la mobilisation. Cela fait au total 255 millions de dettes nouvelles auxquels il faut ajouter la dette consolidée antérieure (réduite à 145 millions par les amortissements), une dette flottante de 56 millions (bons du trésor) et le déficit de l'administration fédérale en 1914, de 221⁄2 millions.

La dette de la Confédération, sans les chemins defer fédéraux, s'élève ainsi au mois d'août 1915 à près de 480 millions de francs, dont 400 millions d'emprunts consolidés. 1) Et nul ne sait aujourd'hui combien de temps va durer encore l'occupation de nos frontières ni combien nous coûtera finalement la mobilisation de nos troupes, abstraction faite des conséquences indirectes de la guerre sur nos finances et de l'éventualité de la participation de l'armée suisse à la lutte européenne. Rien de plus naturel dès lors que la décision unanime des autorités fédérales et du peuple suisse (votation fédérale du 6 juin 1915) de prélever un impôt direct destiné à faire face à une partie des dépenses occasionnées par la guerre. Le produit de cet impôt dont les cantons doivent bénéficier dans la proportion de 20 % est estimé à environ 65 millions. 2) Il est évident que les 52 millions qu'en retirera la Confédération ne sauraient suffire pour faire face à une situation financière qui, bien avant la guerre, laissait déjà beaucoup à désirer. Les événements récents ont prouvé combien ceux-là étaient dans le vrai qui, depuis de longues années, mettaient en garde les autorités fédérales contre le maintien d'un régime financier dont toutes les recettes étaient basées sur un développement normal et constant du trafic (douanes, postes, télégraphes) et qui exposait la Confédération à voir tarir en même temps toutes ses sources de revenus à un moment où ses dépenses, en raison même de la crise du trafic et des événements qui l'auraient provo

1) La dette consolidée et la dette flottante des C. F. F. représentent actuellement un total de 1595 millions de francs.

2) Voir «Annuaire financier suisse» 1915: « Die Finanzmassnahmen des Bundes zur Herstellung des finanziellen Gleichgewichtes» par le Prof. Dr J. Steiger.

quée, se trouveraient augmentées dans une proportion énorme.

Il s'agit donc, pour le moment, de faire face aux dépenses immédiates de la mobilisation et, plus tard, d'asseoir les finances fédérales sur une base plus large et moins précaire. Le peuple suisse se rend parfaitement compte de ce double besoin et il est prêt à faire, le moment venu, les sacrifices qu'exigera l'avenir du pays. On peut à cet égard établir des calculs dont le résultat variera beaucoup suivant les bases adoptées. Mais il ressort à l'évidence des chiffres indiqués plus haut qu'il faut, d'ores et déjà, prévoir une augmentation de dépenses de notre ménage fédéral d'au moins 35 à 40 millions de francs, dont 5 millions pour les besoins que nous appellerons normaux, et le reste pour le service et l'amortissement de la dette fédérale (sans les C. F. F.). Le Conseil fédéral paraît avoir renoncé, heureusement, à l'idée de demander au rendement des douanes tout ou partie de ce supplément considérable de dépenses, ce qui eût correspondu à la pratique antérieure. Après avoir atteint en 1912 leur maximum de 851⁄2 millions, nos recettes douanières ont baissé de 22 millions de francs en 1914 et il est probable qu'elles n'atteindront pas 60 millions pour l'année courante. Sans se laisser aller à un optimisme exagéré, on peut prévoir qu'après la conclusion de la paix, une reprise énergique et continue des affaires permettra à ces recettes de remonter rapidement à leur niveau antérieur et de le dépasser. Mais nous ne savons pas quelle direction prendront les relations commerciales de demain et il serait de la plus haute imprudence de nous lier les bras au point de vue de notre politique douanière en escomptant jusqu'au dernier million le rendement fiscal de nos importations.

C'est au monopole du tabac, à un impôt sur la bière et à un remaniement de la taxe militaire que le Conseil fédéral semble vouloir recourir pour obtenir le supplément de recettes nécessaire au ménage de la Confédération. Il est peut-être fâcheux qu'on persiste en haut lieu à vouloir doter la Suisse de ce nouveau monopole, auquel le sentiment populaire reste opposé malgré les arguments invoqués par ses partisans et qui reviennent à dire que seul le monopole du tabac peut procurer au pays, conjointement avec d'autres impôts nouveaux, les millions dont il a besoin actuellement.

Les adversaires du monopole ne sont pas de cet avis. Ils reconnaissent que le monopole est le moyen le plus commode pour trouver ces millions: il suffit d'un tour de vis pour augmenter les recettes. Mais le peuple suisse recule devant ce nouveau monopole même dans la situation financière que lui vaut la guerre européenne. Peut-on lui reprocher de se rappeler les expériences qu'il a faites avec le monopole de l'alcool et avec cette autre entreprise étatiste qu'on a appelé la « nationalisation» de nos chemins de fer, qui devait affranchir financièrement nos voies ferrées vis-à-vis de l'étranger et qui a augmenté notre dette nationale de 1 milliard 600 millions de francs? A-t-il tort de constater la faillite des promesses faites à divers points de vue à la veille du vote sur le monopole de l'assurance-accidents? Ou le peuple suisse fait-il fausse route en manifestant sa crainte de voir le fonctionnarisme s'installer chaque année dans quelque nouveau domaine de notre petit pays?

La discussion publique de ces questions sera fort intéressante. Elles méritaient d'être rappelées à cette place puisque de leur solution dépendra en partie le

développement ultérieur de notre avenir économique et politique. Le côté financier de cet avenir est peutêtre moins sombre qu'il ne paraît à première vue, car le peuple suisse a montré qu'il est prêt à y faire face. Son opposition au monopole du tabac, qui s'est manifestée dans les milieux les plus divers de notre population, ne permet pas de conclure à la même opposition contre les impôts (tabac, bière, alcool, taxe militaire, etc.) devenus nécessaires pour compenser les dépenses nouvelles et pour empêcher l'aggravation de l'impôt douanier.

Il importe assez peu, somme toute, que les difficultés de toute nature en présence desquelles nous a placés la guerre européenne soient momentanément résolues de telle manière ou de telle autre. Il faut aller au plus pressé et l'on ne peut pas toujours, dans ces conditions, éviter les erreurs. Ce qui importe, c'est que les mesures prises sous la pression des circonstances les mesures financières comme les autres n'exercent pas une influence fâcheuse sur le développement ultérieur de nos affaires politiques et économiques. Les pleins pouvoirs confiés au Conseil fédéral au mois d'août 1914 et les mesures restrictives prises par les Etats belligérants en ce qui concerne l'approvisionnement de la Suisse, ont eu pour effet de créer un état de choses qui n'est peut-être pas sans danger à cet égard. Après le monopole des céréales sont venus ceux du riz, du pétrole, du sucre et d'autres, monopoles éphémères, de droit ou de fait, dont l'administration est placée entre les mains de quelques personnes ou d'une seule; ces personnes traitent avec les fournisseurs étrangers et avec les consommateurs suisses en dehors des conditions dans lesquelles se

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