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en général gratuits; leur œuvre les appauvrit. Certes les établissements publics n'ont pas pour unique ressource la générosité privée. Leurs services ayant un caractère nécessaire et rentrant dans les attributions ordinaires de l'Etat ou de la commune, la loi a dû pourvoir à leur fonctionnement par des moyens réguliers et certains. Pourtant ces services concourant au bien-être des hommes ou à leur élévation intellectuelle, des libéralités sont fréquemment faites. par des philanthropes pour en favoriser le développement. Ces ressources, pour n'être pas nécessaires, n'en sont pas moins parfois très importantes et très utiles. Ainsi les bureaux de bienfaisance et les hospices qui, à la rigueur, pourraient fonctionner au moyen des taxes et des subventions allouées par les conseils généraux ou municipaux, acquièrent des moyens d'action infiniment supérieurs, grâce aux ressources que mettent à leur disposition des personnes charitables.

Les libéralités privées doivent au contraire, à elles seules, composer le patrimoine des établissements d'utilité publique. Fondés par des sacrifices volontaires. en vue d'une œuvre à accomplir, d'une cause à défendre, ils doivent subsister et se développer par la générosité de particuliers qui y sont dévoués. Ces libéralités se font en général par testament, car de cette façon elles se concilient avec le désir naturel à chacun de ne pas se dépouiller de son vivant.

CHAPITRE II

CAPACITÉ DES PERSONNES MORALES DE RECEVOIR
PAR TESTAMENT

Le texte fondamental en notre matière est l'art. 910 du Code civil: « Les dispositions entre-vifs ou par testament, au profit des hospices, des pauvres d'une commune, ou d'établissements d'utilité publique, n'auront leur effet qu'autant qu'elles seront autorisées par une ordonnance royale ».

Ce texte paraît bien supposer que la disposition s'adresse à un établissement existant, c'est-à-dire légalement reconnu comme personne morale. Mais à quelle époque exactement faut-il que cette reconnaissance ait eu lieu? à celle de la confection du testament, à celle du décès, ou même seulement à une époque ultérieure, celle où il s'agit d'exécuter le legs? C'est là une question délicate qui a donné lieu à bien des controverses, et qu'il nous faut examiner avec soin.

Tout d'abord il me paraît certain qu'on ne doit pas exiger la personnalité dès le moment où la disposition a été faite.

Le contraire a été soutenu, notamment dans un arrêt de rejet du 27 novembre 1848 (D. P., 1848, 1, p. 225). Je lis dans cet arrêt « La capacité, soit pour donner, soit pour recevoir, doit exister et au moment de la confection du testament, et au moment de l'ouverture de la succession >>.

La Cour invoque la règle catonienne. D'après cette règle, si, à supposer le testateur mort immédiatement après la confection du testament, le legs aurait été nul, il ne peut devenir valable tractu temporis et reste nul. C'est dire que, pour qu'un legs soit efficace, il faut qu'à l'origine il ait pu valoir en supposant le décès survenu aussitôt après cette confection. Cela implique l'existence et la capacité du légataire à cette époque. Donc, dans notre espèce, il faut que la reconnaissance ait été accordée à l'établissement lorsque le testateur dispose à son profit.

La règle catonienne a été à bon droit critiquée comme arbitraire et illogique. Elle considère comme devant produire immédiatement son effet une disposition faite pour le décès du testateur et qui ne devra s'exécuter qu'à cette époque. Notre Code civil a-t-il entendu consacrer cette ancienne règle romaine?

Consultons les ouvrages qui ont le plus inspiré les

rédacteurs du Code civil; nous les voyons combattre la règle catonienne. Domat et Ricard l'attaquent comme arbitraire (Domat, Lois civiles, liv. I, tit. I, sect. 11, n° 31, note, p. 344; Ricard, Donations, t. I, p. 209, n° 829 et 830). Pothier la traite de subtilité (Introduction au titre XVI de la Coutume d'Orléans, u° 41. Voyez encore Merlin, Répertoire au mot légataire, § 3, no 1; Toullier, t. III, 1, p. 57, n° 90; Grenier, t. I, p. 630, n° 140; Troplong, t. I, p. 154, n° 435 et 436 ; Aubry et Rau, t. V, p. 154, note 9, § 650).

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Il est assez naturel de croire que le législateur a entendu suivre la doctrine générale rapportée par ces auteurs, parmi lesquels se trouve Pothier, son guide ordinaire. Il n'est guère probable qu'il ait voulu mettre en vigueur une disposition si critiquée par des écrivains ayant toute sa confiance. Si telle avait été son intention il n'aurait pas manqué de l'exprimer formelle

ment.

Voyous les textes. L'art. 895 me paraît contredire la règle catonienne. « Le testament est un acte par lequel le testateur dispose, pour le temps où il n'existera plus, de tout ou partie de ses biens, et qu'il peut révoquer. » C'est dire que le testament est fait pour l'époque de la mort et qu'il n'aura d'effet qu'à ce jour. Jusque-là il n'est qu'un simple projet qui ne regarde que le testateur, et dont celui-ci est souverain maître. Donc, lors de la confection du testament, aucun

droit n'est ouvert au profit du légataire. Pourquoi dès lors exiger sa capacité? Puisqu'il n'y a rien à recevoir, pourquoi demander la capacité de recevoir?

A l'appui de la thèse de l'arrêt précité (D. P., 48, 1, 225), on présente l'argument suivant. Supposons que Primus veuille faire une donation à Secundus et que les parties ne se trouvent pas en présence. Primus ne pourra faire alors qu'une offre de donation. La donation ne sera accomplie et parfaite que plus tard, lorsque Secundus aura accepté l'offre.

A quelle époque Secundus, le donataire, doit-il être capable? Bien entendu, il doit l'être au moment où il accepte l'offre, mais il faut aussi qu'il l'ait été au moment même de cette offre.

Or, le testament contient aussi une offre de libéralité au profit des légataires, offre dont l'acceptation est retardée jusqu'au décès, mais qui n'en est pas moins faite lors de sa rédaction.

Dès lors, on doit par analogie appliquer la décision précédente, c'est-à-dire exiger la capacité du légataire au moment de la confection du testament.

Le raisonnement précédent prend pour point de départ une proposition très contestée. Le plus généralement même on se contente de la capacité du donataire au moment de l'acceptation.

Mais, en tenant pour vraie cette proposition douteuse, on ne saurait en tirer la conclusion qu'on prétend.

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