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C'est d'ailleurs ce qui résulte, à la lettre, du texte de l'ordonnance: « L'institution d'héritier faite par testament ne pourra valoir, en aucun cas, si celui ou ceux au profit de qui elle aura été faite n'étaient ni nés ni conçus lors du décès du testateur. »><

<«< En aucun cas, » cela paraît bien comprendre même le cas où l'institution est conditionnelle.

On objectait que le droit de l'hérédité ne s'ouvre pour l'institué qu'à l'arrivée de la condition, et que la capacité de recevoir à cette époque doit suffire. D'Aguesseau, dans la lettre précitée, fait remarquer que l'hérédité ne doit pas rester un instant sans maître, qu'elle doit passer sans interruption du testateur à l'institué. Ce résultat exige tout d'abord que l'acquisition de l'hérédité, qui s'opère lors de l'arrivée de la condition, soit réputée avoir lieu au décès; c'est l'effet delarétroactivité de la condition; mais il faut, en second lieu, que l'institué soit capable lors du décès; pour cela, il est nécessaire que l'enfant soit bien réellement conçu au décès. La rétroactivité de la condition ne saurait faire considérer un enfant comme conçu, alors qu'il ne l'est pas. Dès lors, conclut d'Aguesseau, la transmission héréditaire ne pouvant, dans l'espèce, s'opérer dès le décès, on doit regarder l'institution comme caduque.

Notre Code civil, dans l'art. 906, a adopté la solution de l'ordonnance avec son caractère absolu. Que la disposition soit pure et simple ou conditionnelle, peu

importe; il faut que l'enfant soit conçu au décès. Or, notons que dans l'art. 906 il s'agit des dispositions testamentaires en général, et non pas seulement des institutions d'héritier ou des legs universels. Ainsi, ea résumé, dans la doctrine du Code civil, quand un legs, même particulier, est fait sous condition, bien que le droit au legs ne s'ouvre qu'à l'arrivée de la condition, la capacité est requise au décès

L'objection n'est rien moins que décisive. Je reconnais qu'un legs particulier fait sous condition à un enfant à naître n'est valable que si l'enfant est conçu au décès. Mais c'est là une décision anormale qui est probablement le résultat d'une inadvertance du législateur, et qui, par suite, ne saurait servir de base à un argument d'analogie. En effet, cette décision se concevait très bien pour l'institution d'héritier, d'après le motif donné par d'Aguesseau. Il fallait, à l'époque du décès, une tête capable sur laquelle pussent passer immédiatement, et sans interruption, les droits du tes

tateur.

Cette explication serait encore de mise aujourd'hui au cas de legs universel fait sous condition à un enfant à naître, alors qu'il n'y a pas de réservataires, et que par conséquent la saisine doit appartenir au légataire.

Mais, si l'on suppose un legs particulier, la saisine appartient à l'héritier du jour du décès (art. 724), et cela suffit à assurer la transmission immédiate de la totalité de l'hérédité. Dès lors, le motif donné par

d'Aguesseau pour expliquer la nécessité de la conception au décès ne s'applique plus, et l'on aurait dû s'attacher uniquement au principe, qu'il suffit d'être capable de recevoir au moment où le droit s'ouvre.

La solution du Code, dans notre espèce, présente donc une exception aux principes, et on n'en aperçoit pas la raison; il y a là une véritable bizarrerie. Les rédacteurs de l'art. 906 ont reproduit la solution de l'ordonnance, sans remarquer qu'ils élargissaient beaucoup l'hypothèse qu'elle prévoyait. Cette solution, logique, juridique en ce qui concernait l'institution d'héritier, choque les principes quand on l'applique aux legs particuliers. Ceci posé, l'interprétation par analogie n'est pas admissible. On doit limiter les décisions exceptionnelles au cas prévu.

Puis donc qu'il n'y a pas pour le cas de legs conditionnel adressé à un établissement de disposition semblable à l'art. 906, nous devons dire que, conformément aux principes, il suffira que cet établissement soit reconnu à l'arrivée de la condition.

Cependant si le legs est universel et qu'il n'y ait pas de réservataires, comme l'établissement doit avoir la saisine dès le décès, il faudra qu'il soit reconnu à cette époque.

Certains jurisconsultes, favorables aux établissements reconnus seulement après le décès, admettent qu'ils ne peuvent pas recevoir de legs, mais ils prétendent qu'ils peuvent recueillir des libéralités testamen

taires faites sous forme de charge et de fidéicommis (1).

Supposons, par exemple, qu'un legs soit fait par Primus à Secundus dans l'intérêt de Tertius. A quelles conditions cette disposition sera-t-elle valable? Il faudra, ainsi que nous l'avons dit plus haut, que le légataire soit capable au moment du décès. Mais pour le fideicommissaire, dit-on, aucun principe n'exige qu'il soit capable dès cette époque. Il suffira qu'il existe et soit capable lors de l'exécution volontaire ou forcée de la charge.

Même solution si le testateur, sans instituer de légataire, imposait à son héritier, une charge au profit d'un tiers. Il suffirait que celui-ci fût capable lors de l'exécution.

Revenant à notre hypothèse, il faut dire, d'après ces jurisconsultes, que si le testateur a grevé un légataire ou son héritier d'une charge en faveur d'un établissement non reconnu au décès, la charge ne deviendra pas caduque à raison de l'incapacité de l'établissement lors du décès, puisqu'elle ne constitue pas un legs. Seulement son exécution sera différée jusqu'à la reconnaissance.

(1) Voir dans le sens de la validité de la charge: CoinDelisle, Donations, p. 97, art. 986, n° 6; Demolombe, t. XVIII, n° 583 et 590. Dans le sens de la nullité, Bayle-Mouillard sur Grenier, t. 1, p. 475, note b du n° 99. Note de Bertauld dans le recueil de Dalloz, D. P., 1869, 2, 225.

Il faut aller plus loin. Si le testateur a disposé sous cette forme: « Je laisse telle somme à tel établissement» et que celui-ci ne soit pas reconnu au décès, on regardera cette disposition non comme un legs, mais comme une charge imposée aux héritiers, qui s'exécutera quand l'établissement sera reconnu. Cette interprétation est naturelle, car pour les testaments, comme pour les conventions, quand une clause est susceptible de deux sens, on doit préférer celui qui lui fait sortir effet, à celui avec lequel elle n'en produirait

aucun.

Si donc, en envisageant la disposition comme legs, elle serait caduque, tandis que comme fidéicommis, elle serait efficace, on devra lui donner cette dernière signification.

Est-ce à dire, continue-t-on, qu'une disposition faite au profit d'un établissement non reconnu au décès ne sera jamais définitivement caduque à ce moment? Cela pourra arriver. Il en sera ainsi quand le testateur aura dit: «Je lègue à tel établissement » ; un tel legs sera définitivement nul dès le décès, comme s'adressant au néant, mais il dépendra du testateur, en évitant ce mot léguer », de sauver sa disposition d'une caducité immédiate et définitive.

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En admettant ce système, la règle qui exige la capacité du légataire au décès peut être très facilement éludée. Au lieu de disposer sous forme de legs, on imposera une charge à l'héritier au profit de celui

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