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CHAPITRE II.

MARIAGE ET ADOPTION DU PRÊTRE.

L'engagement dans les ordres sacrés forme-t-il un empêchement au mariage, et, s'il en forme un, est-il dirimant, est-il seulement prohibitif? Cette question a soulevé beaucoup de controverses tant dans la doctrine que dans la jurisprudence, aussi passerons-nous en revue tous les arguments que l'on a fait valoir dans les diverses opinions émises à ce sujet, nous réservant d'adopter la théorie qui nous paraît la plus conforme à l'état actuel de notre législation et aux tendances de nos mœurs.

Si nous nous reportons à l'ancien droit, il est certain que, d'après une jurisprudence invariable et constante, basée sur les décisions des Conciles de Trente et de Latran, les Parlements ont toujours considéré l'engagement dans les ordres sacrés comme un empêchement prohibitif et dirimant au mariage.

Le droit intermédiaire, au contraire, en opérant la séparation de l'Église et de l'État, ne reconnaissait plus le mariage que comme un contrat civil et rejetait l'empêchement tiré de la prêtrise. Les ministres du culte furent assimilés aux autres citoyens et le caractère d'ecclésias

tique ne constitua plus contre eux un obstacle au mariage. Il est dit, en effet, dans la loi du 7 août 1792 (article 6): « Les religieux et religieuses, les ci-devant << ecclésiastiques catholiques pensionnés, ainsi que les << ministres du culte salariés par la nation, qui se marient, <«< conservent leurs pensions et traitements. » L'évêque du département de Seine-et-Oise, ayant refusé l'institution canonique à un vicaire, sous prétexte qu'il était marié, celui-ci réclama devant la Convention qui, le 17 décembre 1792, passa à l'ordre du jour par le motif que tout citoyen peut se pourvoir devant les tribunaux contre la violation de la loi. Le 19 juillet 1793, la même assemblée saisie d'une réclamation du citoyen Blanc Poupirac, curé de Coudray, district de Corbeil, passa à l'ordre du jour motivé sur ce qu'aucune loi ne peut priver du traitement les ministres du culte qui se marient, et renvoya au ministre de la justice pour faire exécuter les lois et poursuivre les troubles et actes arbitraires de la commune de Coudray, relativement au mariage dudit Blanc Poupirac. Un décret du même jour suivit ainsi conçu : « La Convention nationale décrète que les évêques qui << apporteront soit directement soit indirectement quel<«< que obstacle au mariage des prêtres, seront déportés «<et remplacés. » Enfin la loi du 12 août 1793 vint encore fortifier les mesures déjà prises pour assurer aux prêtres la faculté de se marier. Il y est dit : « Toute << destitution d'un ministre du culte catholique qui aurait <«< pour cause le mariage des individus qui y sont attachés, << demeure annulée, et le prêtre qui en est l'objet pourra reprendre ou continuer ses fonctions (articles 1 et 2) 1. »

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1 Miron, Séparation du pouvoir temporel et spirituel, pag. 357 et suiv.

Ainsi, pendant la période révolutionnaire, le mariage civil des prêtres a non seulement été toléré, mais il a même été protégé et encouragé. Aussi est-on unanime à reconnaître que ces mariages faits dans ces temps troublés sont inattaquables. C'est ce qu'a décidé la Cour de cassation dans quelques arrêts, entre autres dans un arrêt du 16 octobre 1809. C'était ce que Portalis, ministre de la justice, écrivait à l'empereur, le 28 prairial an XIII, au sujet des prêtres qui avaient contracté mariage pendant cette période, sans avoir repris de fonctions ecclésiastiques : « On a fermé les yeux sur les mariages <«< civils contractés par des prêtres pendant la Révolution. « On a pensé qu'il fallait être indulgent pour des actes << que le délire avait inspirés dans un temps de fermen«tation et de trouble. M. le cardinal-légat a même été « autorisé par Sa Sainteté à réconcilier avec l'Église tous <«<les prêtres qui se seront rendus coupables de cette << espèce d'apostasie. » Pour ceux donc qui se sont mariés à cette époque, aucun doute, leur mariage est complètement valable.

En 1801, le premier Consul signait avec la Cour de Rome un concordat rétablissant en France la religion et les dogmes catholiques. Les prêtres qui se sont soumis à ce concordat, et depuis, ceux qui ont été nommés, peuvent-ils se marier valablement? Voilà la question si controversée que nous allons examiner. Pour la raisonner et la discuter, nous ferons abstraction des croyances catholiques qui doivent être mises de côté quand il s'agit de l'interprétation de la loi civile. Pour l'Église, en se mariant, le prêtre commet une infraction très grave aux règles ecclésiastiques, il abdique le sacerdoce, manque à tous ses serments et à tous ses vœux, et mérite tous les

châtiments spirituels qui sont en usage dans son sein. Mais ces considérations nous devons les négliger, et nous plaçant au point de vue purement civil, demandons-nous d'abord si dans l'état actuel de notre législation on peut annuler un mariage sur le motif que l'époux a reçu les ordres sacrés.

Nous ne le croyons pas; car, ni dans le concordat de l'an IX, ni dans la loi du 18 germinal an X, cet empêchement n'est expressément indiqué; la doctrine du droit intermédiaire n'était donc pas changée. En faveur de notre opinion, nous avons les paroles du rapporteur de ces deux lois. Portalis, dans son discours sur l'organisation des cultes, s'exprimait ainsi : « D'autre part, pour les <«< ministres que nous conservons et à qui le célibat est or<< donné par les règles ecclésiastiques, la défense qui leur <«< est faite du mariage par ces règlements n'est point con<< sacrée comme empêchement dirimant dans l'ordre civil; «<leur mariage, s'ils en contractaient un, ne serait point << nul aux yeux des lois politiques et civiles, et les enfants qui en naîtraient seraient légitimes. Ils continueraient à (( jouir de leurs droits de famille et de cité, mais ils se<< raient tenus de s'abstenir de l'exercice du sacerdoce. >>

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Le législateur de 1804 aurait-il donc changé cet état de choses? Loin de nous cette pensée, car d'abord nulle part dans le Code civil nous ne trouvons mentionné cet empêchement, nous ne pouvons donc le présumer; cependant le Code civil règle tout ce qui concerne le mariage, énumère les qualités et les conditions requises pour pouvoir contracter mariage; il indique les empêchements reconnus par la loi; il n'y est aucunement parlé de l'engagement dans les ordres sacrés. Le Code ne le considère donc pas comme un empêchement dirimant.

De plus, l'article 7 de la loi du 3 ventôse an XII, abroge les lois, coutumes et règlements dans toutes les matières qui font l'objet du Code civil; sont donc abrogées en tant que de besoin toutes les anciennes lois contenant des empêchements au mariage autres que ceux qui se trouvent dans ledit Code. Enfin, le principe du droit intermédiaire, cité par nous plus haut : « La loi ne consi<«< dère le mariage que comme contrat civil, » n'a jamais été abrogé; il est au contraire la base de la théorie du mariage dans notre législation. C'est d'ailleurs ce qu'a reconnu Portalis, l'un des rédacteurs du Code : « La <«< puissance civile, dit-il dans son Exposé des motifs au Corps législatif, la puissance civile étant seule en droit « de veiller sur la validité du contrat civil de mariage, <«<l'engagement dans les ordres sacrés, qui, dans l'an«< cienne jurisprudence, était un empêchement dirimant, << ne l'est plus. >>

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Ajoutons enfin que la loi civile n'ouvre aucune action en nullité en raison de la violation de la défense établie par la loi religieuse, et ne donne à qui que ce soit le droit d'attaquer les mariages contractés au mépris de cette défense. Et, comme le dit M. Laurent (tom. II, pag. 480), << nous conclurons avec Merlin que l'empêchement au mariage résultant de la prêtrise n'existe plus, et qu'il ne <«< faut qu'un mot pour le prouver, c'est que le Code ne << parle pas de cet empêchement, et que, d'après l'article 7 « de la loi du 30 ventôse an XII, son silence vaut abroga<«<tion de l'ancienne jurisprudence. » C'est d'ailleurs ce que vient de décider de nos jours la Cour d'Amiens, sous la présidence de son premier président M. Dauphin, dans un arrêt fortement motivé, en date du 30 janvier 1886, que nous ne pouvons nous empêcher de citer ici en en

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