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<< leurs fonctions ou de leurs qualités, soit à un ou plu<< sieurs membres de l'une des deux Chambres, soit à un «fonctionnaire public, soit enfin à un ministre de la «< religion de l'État, ou de l'une des religions dont l'éta<«<blissement est reconnu en France, sera punie..... »

Et tout récemment encore, la loi du 29 juillet 1881, sur la liberté de la presse, article 31 : « Sera punie de la <«< même peine la diffamation commise par les mêmes <«< moyens, à raison de leurs fonctions ou qualités, envers <«< un ou plusieurs membres du ministère, un ou plusieurs << membres de l'une ou l'autre Chambre, un fonctionnaire. <«< public, un dépositaire ou agent de l'autorité publique, <«< un ministre des cultes salariés par l'État..... » Dans ces hypothèses, la loi n'assimile-t-elle pas complètement les ecclésiastiques à des fonctionnaires publics?

Ce fut d'ailleurs l'opinion de nombreux prêtres qui se cachaient derrière cette qualité pour se couvrir de la protection de l'article 75 de la constitution de l'an VIII. Ce fut aussi l'avis du Conseil d'État, qui, dans un arrêt en date du 1er novembre 1838, considère le succursaliste comme fonctionnaire public, et le condamne à payer à ce titre l'impôt des portes et des fenêtres pour le logement gratuit qu'il reçoit dans le presbytère, conformément à la loi du 21 avril 1832, sur les finances. A cet arrêt viennent se joindre un arrêt du Conseil d'État du 23 avril 1818, un arrêt de la cour royale de Rouen du 17 octobre 1828, et deux arrêts de la cour de cassation, en date des 25 août 1827 et 28 mars 1828, qui tous exigent l'autorisation du Conseil d'État pour poursuivre, devant les tribunaux répressifs, des prêtres coupables de délits dans l'exercice de leur fonctions.

Dans la doctrine enfin, quelques auteurs admettent

cette opinion; M. Serrigny, dans son Traité de droit public (tom. II, pag. 186), dit en effet : « Le pouvoir social ne <«< consiste pas seulement à juger, combattre et adminis<< trer; le sacerdoce ou le ministère religieux est l'une << des plus évidentes fonctions de la société. »

M. Vivien (Études administratives, pag. 48), cherchant quels sont les fonctionnaires publics, s'exprime ainsi : <«< Trois branches du service de l'État se présentent les << premières, et appellent d'abord l'attention par la gran« deur des besoins sociaux auxquels elles correspondent, « par une organisation régulière et par une destination. «< précise. Nous voulons parler du clergé, de la magistra<«<ture et de l'université..... Le clergé compose en France « un corps public, rétribué par le Trésor, exerçant ses << fonctions, en vertu d'une délégation directe ou indirecte « de l'autorité civile. >>

Telle est en peu de mots la théorie qui reconnaît aux ecclésiastiques la qualité de fonctionnaire public. Malgré la force des arguments invoqués pour la soutenir, malgré l'autorité et la compétence des auteurs qui en sont les défenseurs, nous ne croyons pas devoir nous ranger à cette doctrine et admettre que le prêtre catholique soit un fonctionnaire public.

Nous ne saurions nier qu'au point de vue religieux, le prêtre comme l'évêque ne puisse être considéré comme un fonctionnaire ecclésiastique. Il est, en effet, soumis à l'autorité de ses supérieurs, il est passible de certaines peines disciplinaires pour les infractions qu'il commet dans l'exercice de ses fonctions. Sa signature est bien entourée de certaines garanties, et les écrits qu'il dresse sont soumis à certaines règles dont le but est d'en assurer l'authenticité. Mais tout cela ne dépasse pas le seuil de

l'église. En matière ecclésiastique, les actes du curé font foi; mais il n'en est pas de même en matière civile. Sauf de très rares exceptions sur lesquelles nous aurons à nous expliquer plus loin, l'État n'ajoute foi à aucun de leurs actes; il ne leur confie aucune mission politique, ne les charge d'aucune fonction administrative; qui plus est, il leur défend sous des peines sévères de s'immiscer aux actes de l'administration. Ainsi donc, quelle que soit leur dignité, les ministres du culte ne remplissent pas de fonctions publiques, dans la véritable acception du mot; car leurs attributions toutes spirituelles ne rentrent dans celles ni du pouvoir exécutif, ni du pouvoir judiciaire; elles ne sauraient être politiques, elles ne sauraient être sous la dépendance de tel gouvernement plutôt que de tel autre.

Fonctionnaire dans l'ordre religieux, le prêtre ne peut l'être dans l'ordre politique. Ce serait, en effet, violer les principes élémentaires de toutes nos constitutions en matière religieuse, la liberté de conscience et la liberté des cultes, consacrées dans les articles organiques de la loi de l'an X. Si, en effet, le prêtre était fonctionnaire public, il pourrait recevoir des ordres directs du Chef de l'État, et devrait y obtempérer, comme le préfet doit obéir aux ordres de ses supérieurs; dès lors, l'État pourrait s'immiscer dans le dogme, légiférer et décréter en matière religieuse, et établir ainsi une religion d'État. C'est ce que nous avons eu sous l'Ancien Régime, nous connaissons les malheurs que ce despotisme a amenés. C'est aussi ce qui a donné naissance à la loi du 10 novembre 1814 sur le repos du dimanche, et à la loi sur le sacrilège, si opposées à la liberté de conscience. Les essais qui ont été faits de ce système suffisent pour nous le

faire rejeter. N'est-ce pas d'ailleurs se mettre en contradiction formelle avec les principes de 1789, avec l'idéemère de nos constitutions : « Chacun exerce son culte avec une même liberté »? L'État ne saurait donc avoir de doctrines religieuses.

Celles que le prêtre professe, il ne les tient pas de l'État; la mission qu'il exerce de les développer et d'en instruire les populations, ce n'est pas l'État qui la lui a confiée. L'État peut bien, il est vrai, réglementer l'exercice du culte, permettre ou interdire certaines cérémonies extérieures, mais de là à légiférer en matière religieuse, à imposer sa doctrine aux consciences, il y a tout un monde; la religion que professe le prêtre ne saurait être la religion de l'État, et son ministre ne saurait être un agent du Gouvernement.

S'il en était autrement, il faudrait dire également que les ministres des autres cultes reconnus par l'État sont des fonctionnaires publics. On arriverait ainsi à faire professer à l'État plusieurs doctrines différentes, je dirai même plus, se contredisant souvent l'une l'autre; et on serait conduit à cette absurdité qu'un agent du Gouvernement serait chargé de dire à une partie de la nation, par exemple, que le Christ est Dieu, et qu'un autre agent du même Gouvernement serait également chargé de dire à une autre partie du même peuple, que le même Christ est un imposteur, ce qui est absolument inadmissible.

Et que l'on ne vienne pas argumenter de ce que le prêtre est salarié par l'État! Est-ce une raison parce que l'État paie une indemnité aux membres du clergé à cause des biens qui lui ont été confisqués pendant les temps profondément troublés de la Révolution, pour reconnaître la qualité de fonctionnaires publics à ceux qu'il dédom

mage ainsi souvent bien médiocrement? Alors même que l'on considérerait l'argent alloué par l'État au prêtre catholique, comme étant le salaire proprement dit de ses fonctions, faudrait-il en conclure que celui-ci est un fonctionnaire public? Nos députés, nos sénateurs sont salariés; et cependant l'on ne doit pas, du moins nous le pensons, leur reconnaître le caractère d'agents d'un Gouvernement, dont ils commentent et discutent les actes, et que bien souvent même ils forcent à capituler, je dirai plus, à se retirer devant leurs votes? Tout fonctionnaire public est-il donc salarié? Cette proposition n'est pas plus exacte que la précédente. Je n'en veux pour exemple que celui qui nous a servi de modèle dans le cours de notre discussion. Les fonctions de maire sont essentiellement gratuites (article 74 de la loi du 5 avril 1884), et cependant on ne peut lui contester la qualité de fonctionnaire public. Le salaire n'est donc pas un critérium dans l'étude de cette question. Il en est de même du serment; nous voyons, en effet, les avocats prêter un serment; l'idée néanmoins ne viendra à personne de les considérer comme délégués du pouvoir. Quant à l'autorisation exigée du Gouvernement pour la nomination des prêtres, nous ne voyons là qu'une mesure de sûreté prise par l'État, dans le but d'empêcher l'exercice des cultes de tomber entre des mains ennemies de notre pays, mais ne modifiant en rien la situation des titulaires.

En ce qui concerne les textes des lois qu'on nous oppose, et dont nos adversaires se font une arme contre nous, ils ne sauraient, selon nous, rien prouver dans cette discussion. Car il faudrait alors dire que le juré ou le témoin dont ils protègent également la personnalité est un agent du Gouvernement. Remercions seulement le

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