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est légitime, car il rentre dans une des circonstances où il est permis par le législateur (procédé pouvant compromettre l'honneur des citoyens ou troubler arbitrairement leur conscience); remarquons toutefois que la déclaration d'abus n'a pour effet que de faire tomber l'inculpation pesant sur l'individu ou de faire disparaître la disposition contraire à l'ordre public. Nous n'en citerons comme exemple que le refus éventuel de l'évêque de Châlons, en 1843, d'administrer les sacrements aux élèves de l'Université; dernièrement aussi, le 28 avril 1883, le Conseil d'État a déclaré qu'il y avait abus dans la menace de refus éventuel de sacrements, adressée par un évêque aux instituteurs, aux élèves et à leurs parents, pour le cas où des livres condamnés par la congrégation de l'Index seraient admis dans les écoles, et dans le cas où l'enseignement serait imprégné de cet esprit, cette menace étant de nature à troubler arbitrairement la conscience de ceux auxquels elle s'adresse.

Mais en dehors de ces cas excessivement rares, et que le Conseil d'État doit éviter avec le plus grand soin d'étendre et de multiplier, il faut reconnaître à l'ecclésiastique le droit de déterminer les personnes qui satisfont aux conditions exigées par l'Église dont il est le ministre; car, il ne doit son ministère qu'à ceux qui font partie de sa communion, et non à ceux qui se sont mis dans le cas d'être retranchés du sein de l'Église. Cette décision. purement morale ne porte aucune atteinte à l'honneur et à la considération des personnes. Celui qui, en rejetant les croyances de l'Église, en refusant de participer à ses cérémonies, a répudié la qualité de catholique, celui-là ne peut en réclamer les bénéfices, ni se considérer comme déshonoré pour ne plus figurer dans une

société dont il s'est lui-même détaché1. Ce sont là de purs motifs de conscience et de religion, dans lesquels le Gouvernement ne doit pas et ne peut pas entrer, sans violer la liberté des cultes; laissons-en donc l'appréciation aux prêtres, tout en reconnaissant, bien entendu, le droit pour les fidèles de recourir à leurs supérieurs hiérarchiques dans l'ordre spirituel, pour redresser leurs décisions.

Une difficulté très grande s'est élevée au sujet du refus de sépulture ecclésiastique. Les canons excluent du sein de l'Église les personnes non chrétiennes, les hérétiques, les excommuniés, les suicidés et les duellistes. Il est donc du devoir des prêtres de refuser les cérémonies religieuses aux cadavres des personnes rentrant dans ces catégories.

Mais le décret du 23 prairial an XII portait, dans son article 19, les dispositions suivantes : « Lorsque le mi«nistre d'un culte, sous quelque prétexte que ce soit, << se permettra de refuser son ministère pour l'inhuma«<tion d'un corps, l'autorité civile soit d'office, soit sur « la réquisition de la famille, commettra un autre mi<«<nistre du même culte pour y remplir les fonctions. << Dans tous les cas, l'autorité civile est chargée de faire « porter, présenter, déposer et inhumer le corps. »

Cet article a fait naître de nombreuses discussions qu'envenimaient la passion et la politique. Il a même été jugé très sévèrement par la doctrine. « Nous ne << parlerons pas ici, dit M. Cormenin, de ce décret in

Miron, Séparation du temporel et du spirituel, pag. 238.

2 Voir M. Gaudry, tom. I, pag. 205; Affre, Administration temporelle des paroisses, pag. 629, note 2; Lesenne, Condition politiqu des prêtres, pag. 268.

«sensé du 23 prairial an XII, qui veut que l'autorité (( civile commette d'office, mais sans contrainte toute<< fois, un autre ministre du culte. Qu'est-ce, en effet, « que ce prêtre automate, qui arrive au premier coup « de sifflet de l'autorité civile, et qui prie par commis«<sion? Étrange contradiction! Vivants, nous refusons << d'entrer dans le temple de Dieu; et, morts, il faut « que notre cadavre en enfonce les portes pour y rece<< voir les bénédictions empressées de ses ministres'.

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Ainsi donc, selon cet article, le maire, en cas de refus du curé de procéder à la cérémonie funéraire, devait en désigner un autre; mais celui-ci n'était pas plus obligé que le premier, à remplir ses fonctions; presque toujours même, il refusait, estimant que les motifs allégués par son confrère ne lui permettaient pas d'agir. Le maire se trouvait alors avoir les mains liées et ne pouvait le forcer, l'article n'indiquant aucune sanction pénale. S'élevait un conflit entre l'autorité ecclésiastique et l'autorité municipale, d'autant plus scandaleux et d'autant plus pénible qu'il amenait presque toujours des haines et des dissentiments violents parmi les populations.

Une autre difficulté surgissait également à propos du mot présenter mis dans cet article. Les uns voulaient que le maire se présentât avec le corps à la porte de l'église et sommât le prêtre d'avoir à faire les cérémonies funèbres. Il devait ensuite se retirer devant le refus formel du clergé. C'était l'opinion personnelle de M. Dupin. « La loi de l'an X elle-même, article 50, dit que «<les curés ne dépendent que de leurs évêques pour les << fonctions spirituelles, déclare-t-il dans le réquisitoire

1 Droit administratif, tom. I, pag. 339 et suiv.

<«< qu'il a prononcé à propos de l'affaire Boyer; aussi «< voyons-nous qu'on ne peut leur enjoindre de prier <«< pour un mort. On peut seulement faire ouvrir les << portes de l'église, parce que la loi le permet, et y faire (( présenter le corps, parce que c'est un fait matériel; << mais, du reste, rien n'oblige le prêtre à sortir du sanc<«<tuaire, et à prononcer des paroles sacrées. » Cette manière d'agir était très malheureuse, elle donnait naissance à un scandale énorme, peu en rapport avec le caractère de la triste cérémonie.

D'autres, allant plus loin, voulaient que le maire fit ouvrir les portes de l'église, déposer le corps au pied du sanctuaire, célébrer les cérémonies et prononcer les paroles sacrées, même en l'absence du prêtre. La chose s'est produite à la mort de mademoiselle Raucourt, célèbre actrice tragique. Le clergé de Saint-Roch ayant refusé de recevoir son corps dans le chœur, on alluma des cierges et on psalmodia les prières funèbres (1815). C'était alors la violation complète du lieu saint; car, dans une pareille occasion, personne ne pouvait répondre de la police et de la décence. Le maire avait bien, de par les lois municipales, le droit de prendre les mesures nécessaires pour maintenir l'ordre. Il devenait ainsi l'arbitre et le juge de la convenance ou de l'inconvenance des actes faits dans le sanctuaire. N'était-ce pas directement violer l'article 9 de la loi du 18 germinal an X, qui ordonne que le culte catholique soit exercé sous la direction des curés dans leurs paroisses?

D'autres, enfin, ne voyaient dans l'article 19 du décret du 23 prairial an XII que le droit donné aux maires de prendre les mesures nécessaires pour faire inhumer convenablement le corps du défunt. Tel était l'avis du Gou

vernement, qui, dans une circulaire ministérielle, déclare: « L'article 19 du décret du 23 prairial an XII ne saurait << recevoir ni interprétation ni exécution contraire aux <«<lois fondamentales, à la destination et à l'indépendance réciproque des deux puissances que les lois ont éta« blies1. »

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Cette question n'offre plus actuellement qu'un intérêt historique. Car la disposition législative qui était la source de cette discussion se trouve abrogée par l'article unique de la loi du 15 novembre 1881, et remplacée par l'article 97 de la loi du 5 avril 1884 sur l'organisation municipale. Le maire est en effet chargé par cet article..... « 7° de « régler le mode de transport des personnes décédées, «<les inhumations et exhumations, le maintien du bon << ordre et de la décence dans les cimetières, sans qu'il << soit permis d'établir des distinctions ou des prescrip«<tions particulières, à raison des croyances ou du culte « du défunt, ou des circonstances qui ont accompagné

<< sa mort. »

Aussi devons-nous actuellement reconnaître que le curé est en droit de refuser les sacrements et son ministère à toute personne qui, selon lui, ne remplit pas les conditions exigées par les canons de l'Église, sauf le recours aux supérieurs ecclésiastiques donné à celui qui croit à une erreur dans l'interprétation ou l'application desdits canons, et l'appel comme d'abus, pour les cas où les motifs allégués par les ministres du culte seraient de nature à compromettre l'ordre public, ou à porter atteinte à l'honneur et à la considération des particuliers.

1 Voyez M. Batbie, Droit public et administratif, tom. II, no 286.

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