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CHAPITRE PREMIER.

Les pierres d'attente historiques de la Constitution internationale de la Belgique.

Indépendance, Neutralité, Garantie: scrutons l'histoire du peuple belge à ce triple point de vue et essayons de dégager la lumière qui en jaillit.

$ 1. INDÉPENDANCE.

La pierre d'attente historique de notre indépendance nationale, je la trouve dans la résistance absolue du peuple belge à toute assimilation étrangère. S'il est un fait rendu lumineux par l'ensemble de notre histoire, c'est que la Belgique, à quelque régime qu'on la soumette, n'est pas matière définitivement assimilable par d'autres États. «De l'aveu même des ennemis de la Révolution, écrivait J.-B. Nothomb, les Belges ont un caractère particulier et indélébile qu'on retrouve également sous la grossièreté des temps barbares, dans l'enthousiasme des Croisades et de la lutte communale, dans l'aisance de la prospérité industrielle et parmi les raffinements de la civilisation. L'histoire les présente comme inconciliables avec d'autres nations (1). »

(1) NOTHOMB, Essai historique et politique sur la Révolution belge, 4 éd., chap. XXI, p. 356.

1.

La formation et la conservation du caractère national.

La formation du caractère national propre au peuple belge est le résultat de la communion séculaire en notre pays des deux éléments germanique et gallo-romain, sous une action particulièrement pénétrante de l'esprit et des institutions du christianisme, et sous l'influence des nombreux facteurs matériels et moraux, naturels et accidentels, qui concourent dans le monde à la différenciation des sociétés politiques. La conservation de ce caractère est le fruit de la vigilante énergie de nos populations à sauvegarder la meilleure part de leur vie publique et privée en lui donnant cette forme intangible: les coutumes et franchises d'un peuple libre.

Chose remarquable! A la différence de tant de pays où la puissance des institutions politiques a engendré en quelque sorte l'unité nationale, la formation du peuple a précédé chez nous l'éclosion de l'État. Et après l'établissement d'une certaine unité politique, ce qui est demeuré au premier plan dans notre pays, ce n'est pas une autorité centrale façonnant à son image la société, c'est la nation vivant de sa vie autonome et gardant, avec ses mœurs héréditaires, le double trésor de ses croyances religieuses et de ses libertés. Voyez passer dans notre histoire la galerie des princes qui ont gouverné la Belgique, comtes, ducs, archiducs, rois, empereurs avant de nous régir, ils se sont tous inclinés devant la majesté de nos lois traditionnelles. Et cela

n'a pas été une formalité vaine. Lorsqu'ils ont essayé d'altérer le mos majorum et de faire trop grande violence au «< sens du pays », les Belges, encore que d'un loyalisme très endurant, les ont fort durement, cruellement parfois, rappelés au respect de leur antique autonomie. Certes, il est peu de peuples qui, dans des conditions aussi défavorables au point de vue géographique, ethnologique et politique, aient maintenu avec plus de ténacité leur individualité foncière, gage d'une définitive émancipation. Et il n'en est guère qui, au sein de vicissitudes plus longues et plus douloureuses, ait mieux mérité de posséder ce bien par excellence des nations : la paix dans l'indépendance.

En possession stable aujourd'hui de ce double bienfait, sans méconnaître la part prise à ce résultat par la diplomatie moderne, il n'est pas sans importance pour nous de constater, l'histoire à la main, que notre lignée nationale remonte un peu plus haut que la Conférence de Londres. Affermie sur toutes ses bases essentielles et marquée d'une trempe ineffaçable par la civilisation carolingienne, territorialement parquée dans la démarcation lotharingienne, la nationalité belge, avivée plutôt que déprimée par de multiples épreuves, a rayonné socialement durant l'époque si bien symbolisée par notre Godefroid de Bouillon, pour s'unifier politiquement sous la main des ducs de Bourgogne. Et depuis lors jusqu'à l'époque de la Révolution française, c'est sur un sol indépendant qu'elle s'est développée sans solution de continuité.

2.

L'individualité politique

et la personnalité internationale du pays.

Notre histoire ne constate pas seulement chez nos ancêtres le tempérament d'un peuple qui veut et sait rester lui-même à travers les siècles et sous toutes les dominations. Lorsqu'on brise l'enveloppe des systèmes inventés par les savants pour parquer les institutions, lorsqu'on va au fond des choses et que l'on atteint la réalité de la vie publique dans notre ancienne Belgique, on se trouve, dès l'ère bourguignonne, en présence de principautés diverses mais sœurs, groupées autour d'un foyer où la nationalité belge, élaborée de longue main, cimentée par l'unité de culture intellectuelle et morale comme par une certaine solidarité économique, consolidée par la possession commune de nombreux privilèges, dotée d'institutions organiques centrales et d'une législation édictale visant l'ensemble du pays, fortifiée de bonne heure par l'institution d'États Généraux, apparaît non seulement comme possédant en fait une véritable continuité de vie, mais encore comme juridiquement constituée dans des conditions qui assurent l'individualité politique et la personnalité internationale du pays.

Pour mettre ce point en pleine lumière, il convient de porter successivement notre attention sur la notion de l'État dans sa claire et ferme essence juridique, et sur la forme en laquelle s'est historiquement individualisée chez nous cette essence.

Il n'y a point d'État sans la réunion de ces trois éléments un territoire, une population groupée dans l'ordre de la vie publique, un gouvernement régulateur

en chef de cette vie en vue de quelque bien commun. Et ce sont précisément les combinaisons auxquelles peut donner lieu l'aménagement organique de ces trois facteurs soit entre eux soit dans leurs rapports communs avec les autres organismes de même nature, qui donnent aux États une physionomie juridique propre au double point de vue national et international. Dans leur économie interne, ces combinaisons comportent tous les accommodements compatibles avec l'existence, sous quelque forme et à quelque degré, d'une certaine centralisation gouvernementale. Dans leur rayonnement externe, elles admettent toutes les modalités conciliables avec l'existence de personnalités internationales distinctes. La vivante richesse des formes de la vie sociale déborde facilement les classifications théoriques trop étroites. Il convient de se rappeler que les institutions sont faites pour régir les hommes et non les hommes pour être catalogués dans les institutions: hominum causâ omne jus constitutum esse (1); non ex regula jus sumatur sed ex jure quod est regula fiat (2).

Envisagé dans sa constitution intime, le type d'organisation politique formé par nos anciennes provinces se présente à nous comme un «< État de principautés >> composé de petites souverainetés groupées successivement sous une hégémonie commune, et dont la centralisation gouvernementale, ramenée en principe à la convergence dans un seul chef de la variété des pouvoirs possédés

(1) HermogénieN, L. 2. De statu hominum, 1, 5. (2) PAUL, L. 1, De Re J., 50, 17.

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