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neutralité, dessein qui peut susciter des défiances plus ou moins accentuées, des préparatifs de sauvegarde contre une violation appréhendée, mais enfin qui n'actualise pas au point de vue formellement juridique une rupture de la neutralité.

La différence doit être maintenue, non pour donner au neutre à titre permanent pleine carrière de prendre, avant l'échéance, des attitudes que la prévoyance lui commande de ne pas prendre, ou pour l'exonérer des responsabilités positives de l'avenir, mais pour conserver aux situations juridiques leur vérité et pour prévenir les conséquences que l'on pourrait tirer, sans raison suffisante, de la méconnaissance de ces situations.

Nous allons précisément mettre ce point en lumière en étudiant distinctement, après le système des obligations qui tempèrent l'exercice de la souveraineté, le système des précautions qui entourent cet exercice.

SECTION II.

Le système des précautions inhérentes à l'exercice de la souveraineté dans le pacte international belge. La neutralité et le temps de paix.

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Dans le régime spécial constitué par le pacte international belge, comme en général dans tout système de la neutralité permanente, il importe souverainement de distinguer les prestations exigibles en elles-mêmes et pour elles-mêmes, et les précautions à prendre en vue d'être à même de faire face, le cas échéant, à ces prestations.

La neutralité est une relation de paix en temps de guerre et avec des belligérants. Elle ne se conçoit point sans le concours de ces deux éléments: une lutte armée limitée à quelques puissances, un ordre de relations

pacifiques entre les États demeurés étrangers à cette lutte et les États qui s'y trouvent engagés. Lorsque toutes les nations sont en paix, la neutralité et le cortège de règles constitutives de son status juridique ne peuvent exister, par la raison que la donnée même qui sert de support à leur existence fait défaut, à savoir un état de belligérance.

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Ce qui est vrai, c'est que l'on peut s'engager en temps de paix à pratiquer la neutralité en temps de guerre. C'est ainsi qu'à côté d'une neutralité occasionnellement adoptée dans le flagrant d'un conflit armé et pour ce conflit, on peut distinguer une neutralité anticipativement stipulée en vue d'une guerre ou même de toute guerre dans l'avenir.

$ 1.

LES STIPULATIONS DE NEUTRALITÉ ET LEUR PORTÉE
JURIDIQUE.

Remarquons bien la portée juridique de pareilles stipulations. L'existence de la neutralité et son régime demeurent liés à l'éventualité de la guerre. On convient simplement que tel État suivra en cas de guerre telle ligne de conduite. En d'autres termes, on s'engage actuellement à faire, le cas échéant, une prestation déterminée. De telles stipulations ont l'avantage de placer sous le sceau d'un engagement immédiat une attitude éventuelle celle de la neutralité. Mais elles ne créent manifestement pas un régime de neutralité en temps de paix. Moins encore transportent-elles dans la paix des exigences liées par leur nature à l'état de belligérance.

Il n'existe pas, il ne peut exister de neutralité en temps de paix.

Les stipulations de neutralité, consistant proprement dans l'engagement actuel de fournir une prestation éventuelle subordonnée au cas de guerre, ne donnent point naissance par elles-mêmes à un système de prestations juridiques exigibles en temps de paix.

Juridiquement, il ne peut davantage y avoir, en temps de paix, une violation réelle de la neutralité, par ce motif qu'on ne peut violer un régime qui n'est pas arrivé à l'existence.

Tout cela est et demeure vrai, sans qu'il y ait lieu de distinguer si la stipulation de neutralité vise l'observance éventuelle de ce régime pour une guerre déterminée ou applique la même observance à toute guerre à venir. La série plus ou moins complète de cas prévus dans la stipulation ne peut changer, à ce point de vue, la nature même du contrat.

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Est-ce à dire qu'il ne puisse y avoir et qu'il n'y ait en effet en temps de paix, pour les États engagés dans une stipulation de neutralité spéciale ou générale, aucune mesure de précaution à prendre en vue de se trouver à même de pratiquer, le cas de guerre échéant, le régime de la neutralité? Nullement, mais ceci est tout autre chose. Ces mesures n'appartiennent pas de leur nature au système des éléments strictement exigibles de la stipulation de neutralité. Par cette stipulation, les parties conviennent de la prestation d'une attitude déterminée - l'attitude pacigérante pour une catégorie d'éventualités en perspective les conflits armés. Prester cette attitude le cas échéant, voilà ce qui est in solutione et ce qui devient, l'éventualité se produisant, exigible

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comme tel. Les mesures à prendre en vue de se trouver à même de faire face, au moment donné, à cette prestation sont l'affaire personnelle du neutre. Elles appartiennent à ce que l'on peut appeler la prophylaxie de la neutralité.

Elles ont généralement le caractère de conseils de prudence: elles tendent à ne pas rendre difficile au neutre l'accomplissement, au moment voulu, de ses obligations juridiques.

Elles peuvent revêtir le caractère de devoirs de prévoyance en tant qu'elles détournent le neutre de certaines situations ou de certains engagements dont l'existence peut compromettre et dont la persistance rendrait, le cas échéant, impossible l'accomplissement de ces mêmes obligations.

On conçoit des hypothèses où le neutre, durant la paix, faillirait d'une manière plus ou moins grave aux mesures prophylactiques dont nous parlons. Le neutre peut ainsi susciter des défiances et justifier chez ses co-contractants des préparatifs de sauvegarde en rapport avec des éventualités devenues menaçantes. On conçoit encore des hypothèses extrêmes, quoique invraisemblables, où le neutre prendrait durant la paix une attitude équivalente en quelque sorte à une dénonciation de la convention de neutralité. Mais ces situations diverses sont distinctes au point de vue du droit et ne doivent pas être confondues avec le fait de la violation actuelle et réelle de la neutralité. La comptabilité juridique, si l'on peut s'exprimer ainsi, n'est pas la même dans ces différents cas. Ce dont il faut se garder, c'est d'ériger des mesures préparatoires ou prévisionnelles en vue de prestations à fournir éventuellement, en obligations juridiques exigibles avant même l'éventualité qui

peut donner naissance à ces prestations. Il ne faut pas ouvrir la porte à l'arbitraire sous prétexte d'infractions virtuelles à la neutralité.

Pareil procédé serait non seulement contraire au droit, mais plein de dangers. Il pourrait en effet aboutir à placer une grande partie de la vie internationale et même nationale du neutre sous une sorte de haute surveillance exercée par ses co-contractants. Ceux-ci pourraient intervenir sous prétexte que la neutralité permanente est violée durant la paix. S'ils sont plusieurs, ils pourraient formuler des exigences unilatérales, même divergentes, même contradictoires. Et le conflit sur de prétendues obligations internationales qui ne s'actualisent qu'en temps de guerre pourrait, en pleine paix, allumer une guerre générale.

Il ne s'agit pas ici d'exonérer les neutres de toute responsabilité quant à toutes les licences qu'ils pourraient se permettre en temps de paix. Il ne s'agit pas davantage d'affranchir les petits États de cette déférence sans servilisme qu'ils ne peuvent manquer d'avoir, dans leurs comportements, pour leurs « grands frères ».

Il s'agit de distinguer le droit de la politique et de ne pas confondre des obligations exigibles par elles-mêmes et pour elles-mêmes lorsque s'actualise une éventualité déterminée, avec des précautions qui n'ont point ce caractère. L'histoire prouve d'ailleurs, au point de vue des résultats pratiques, que les progrès dans l'affermissement du status juridique des neutres comme dans la loyale politique de la neutralité sont mieux assurés par la vigilance des petits États pacifiques à se sauvegarder eux-mêmes, que sous des tutelles plus ou moins absorbantes.

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