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Anvers comme centre d'opération. L'importance stratégique de la ligne de la Meuse n'était pas complètement méconnue; mais la concentration devant Anvers de toutes nos forces mobiles dans une position latérale à l'envahisseur, et dans une attitude expectante, était préconisée comme de nature à répondre le mieux à nos intérêts. L'honorable M. Frère-Orban demeurait fidèle à ce point de vue lorsqu'il disait en 1887 :

Quand l'un de nos grands voisins passerait par la Belgique pour attaquer l'autre, notre armée serait toujours mieux placée dans une position d'attente et latéralement à la marche de l'envahisseur, là où elle pourrait à volonté accepter ou éviter la lutte, que déployée transversalement à la marche de l'envahisseur, où elle serait obligée de combattre quand même, dans de bonnes ou de fâcheuses conditions militaires et contrairement à nos intérêts politiques. Dans le cas d'une double invasion, ajoutait-il, la stratégie comme la politique nous conseille de tenir notre armée le plus longtemps possible à l'écart, de l'établir dans une position latérale menaçante, d'où elle puisse agir offensivement ou rester sur la défense, ou courir sus à celui des envahisseurs qui serait le moins favorable ou le plus dangereux pour notre indépendance nationale.

Cette manière de voir, critiquée au point de vue stratégique comme au point de vue de l'observation de notre neutralité, n'a point prévalu. Les événements de 1870 ont montré que la Belgique pouvait être amenée à remplir autrement sa mission à la frontière et à s'opposer aux opérations militaires des belligérants tendant soit à forcer le passage, soit à se servir du territoire comme point d'appui stratégique. L'importance qu'il y avait à fortifier, à cet effet, la ligne de la Meuse apparaissait considérable. Elle avait été mise en lumière, dès 1882, par le général

Brialmont, dans son Étude sur la situation militaire de la Belgique. Travaux de la Meuse. Elle donna lieu, en 1887, à des propositions positives, développées au sein des Chambres par MM. Beernaert, chef du Cabinet, et le général Pontus, Ministre de la Guerre, et adoptées par la Législature. L'honorable Ministre de la Guerre a résumé comme suit, à la Chambre des Représentants, le caractère et la portée de ces propositions :

Le Gouvernement propose aujourd'hui de doter Liége et Namur de défenses qui, tout en répondant aux besoins de la situation, soient à hauteur des exigences tactiques et des progrès techniques les plus récents.

Ces propositions consistent:

A construire en ces deux points de véritables têtes de pont, assez vastes pour permettre éventuellement à nos troupes de campagne de manoeuvrer sur les deux rives; assez profondes pour mettre les villes qu'elles enceignent à l'abri du feu ennemi;

A choisir, à cet effet, comme emplacement des ouvrages, des points dominants ayant des vues étendues et une action efficace sur les lignes ferrées et autres voies importantes qui aboutissent au fleuve;

A adapter enfin à ce dispositif général des types nouveaux, mettant à l'abri des plus puissants projectiles le matériel, les défenseurs et les magasins; types consistant en forts ou batteries à coupoles, très puissants comme effet, quoique de dimensions réduites, et dont l'ensemble n'exige pour sa défense qu'un matériel restreint et un effectif équivalent à celui que réclamerait la défense des citadelles existantes.

Lorsque ces têtes de pont seront constituées, le rôle de l'armée de campagne se trouvera singulièrement facilité et agrandi.

Aujourd'hui, avec notre unique pivot stratégique d'Anvers, l'armée pourrait être paralysée dans ses mouvements.

Avec de bonnes têtes de pont sur la Meuse, au contraire, notre échiquier stratégique se développe; nous affirmons, en outre, devant l'Europe notre volonté, ferme et résolue, de tenir closes les portes qui permettraient aux armées voisines de faire passer leurs lignes d'opération par la Belgique et de transformer encore une fois nos riches et fertiles plaines en champs de bataille.

Les têtes de pont de Liége et de Namur se composent d'un certain nombre de forts (12 à Liége et 9 à Namur) élevés à une distance de 6,000 mètres environ des agglomérations. La ligne de défense, jalonnée par ces ouvrages, distants entre eux de 3,500 à 6,000 mètres pour quelques-uns, a un développement de 46 kilomètres (plus de 9 lieues) à Liége et de 36 kilomètres (plus de 7 lieues) à Namur. Chacun des forts constitue un point d'appui susceptible d'opposer à un coup de main une sérieuse résistance. Dans le choix des emplacements, on s'est principalement occupé de l'action aux grandes distances sur les principales voies de communication.

La Commission militaire a adopté, dans sa séance du 16 avril 1901, la résolution suivante : « Les places de Liége et de Namur répondent au rôle stratégique en vue duquel elles ont été créées. »>

VI. Les fortifications de la Meuse étaient à peine érigées qu'une sixième période de développement des plans de défense du pays, ouverte depuis longtemps, s'accentua assez vivement. Elle se caractérise, dans l'intention de ses initiateurs, par ce trait la complète appropriation de l'armée modifiée dans son mode de recrutement et étendue dans sa composition, aux exigences de notre échiquier stratégique définitif.

A la campagne entreprise dans cet ordre en faveur du

service personnel préconisé au point de vue militaire et au point de vue social, soit sous la forme de service généralisé, soit comme mesure d'application aux résultats de la conscription ou tirage au sort, a répondu une campagne en faveur du volontariat réorganisé, développé et rémunéré. La question de la diminution du temps de service actif est en même temps entrée dans la voie des solutions reconnues nécessaires.

Dans ces conditions, le Gouvernement a estimé qu'il y avait lieu, conformément à divers précédents, de soumettre à une Commission mixte, composée d'officiers de l'armée et de membres du Parlement, l'examen des questions relatives à la situation militaire du pays. Constituée par arrêté royal du 10 novembre 1900, cette Commission termina ses débats le 30 avril 1901. A la suite de la publication de ses travaux et de diverses propositions émanées de l'initiative parlementaire, le Gouvernement a déposé un projet de loi, aujourd'hui adopté par la Législature, et dont nous allons indiquer les traits principaux.

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La loi du 21 mars 1902, élaborée par M. le généralmajor Cousebant d'Alkemade, Ministre de la Guerre, et par M. de Trooz, Ministre de l'Intérieur, consacre le régime suivant :

A la base du système de recrutement, établissement du volontariat rémunéré et favorisé au point de vue de la collation éventuelle de multiples emplois de l'État;

A titre supplétif, conscription, avec faculté de remplacement par l'État, sous la forme de volontariat avec

primes, conservée à concurrence du contingent annuel (15,500 hommes), mais réductible jusqu'à élimination de ce mode de recrutement, suivant certains rendements du volontariat;

Terme du service militaire légalement fixé à 13 années, dont 8 ans dans l'armée active suivis de 5 ans dans la réserve;

Renforcement des cadres inférieurs par le volontariat et les rengagements rémunérés;

Temps de présence des miliciens sous les drapeaux réduit à 20 mois pour l'infanterie, à 22 mois pour l'artillerie de forteresse et le génie, à 28 mois pour l'artillerie montée et le train, à 36 mois pour la cavalerie. Durée du service actif des volontaires : 5 à 3 ans, suivant l'âge d'engagement (de 16 à 35 ans et jusqu'à 40 ans pour ceux qui ont déjà servi);

Autorisation de soumettre les congédiés appartenant à l'armée active et à la réserve, à une revue par année, de rappeler les classes de l'armée active dans des circonstances spéciales et toutes autres classes en cas de guerre ou lorsque le territoire est menacé;

Compensation donnée aux effectifs de paix - affectés du chef de la réduction du service actif et posés comme devant être maintenus à leur chiffre actuel (42,800 hommes) — à l'aide d'une adjonction de 1,800 volontaires au contingent de 13,300 hommes, sans décharge de ce dernier, et grâce à la substitution à concurrence de 1,800 hommes - d'employés civils militarisés, aux nombreux militaires « embusqués »>;

Effectifs de guerre portés à environ 180,000 hommes, abstraction faite des forces disponibles de la garde civique réorganisée (plus de 40,000 hommes) et de la

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