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A la même date, le Ministre des Affaires étrangères envoyait à nos agents diplomatiques une circulaire insistant sur la même ligne de conduite. Le Gouvernement belge, ayant pris le 2 mars la résolution de reconnaître le Gouvernement provisoire de la République française moyennant un acte de réciprocité du Gouvernement provisoire envers la Belgique neutre et indépendante, obtenait le 5 mars une déclaration constatant l'assurance donnée à la Belgique, « comme premier gage de la continuation des bons rapports avec la France », « du respect profond, inviolable du Gouvernement français pour l'indépendance et la nationalité belge et pour la neutralité que les traités ont solennellement garantie à la Belgique ».

Nous avons déjà rappelé précédemment l'attitude particulièrement amicale des Pays-Bas à l'égard de la Belgique, en des circonstances qui allaient s'aggravant (1).

La seconde période de la Révolution de 1848 parut en effet révéler des dispositions moins favorables à l'égard de notre pays. L'expédition de Risquons-Tout, peu sérieuse en elle-même, était significative comme indication de certaines menées chez nos voisins. Les inquiétudes du moment donnèrent lieu à de sérieux échanges de vues entre plusieurs grandes Puissances, et nos agents diplomatiques recueillirent à cette occasion des témoignages non douteux du sentiment des gouvernements concernant le caractère obligatoire de la garantie et la volonté, concertée au besoin, non seulement de pourvoir à une solide assistance de la Belgique contre l'agression d'une Puissance étrangère, mais d'assurer l'intégrité territoriale

(1) Voyez supra, p. 374.

définitive de l'État ainsi défendu. Peu de temps après, la victoire du général Cavaignac et son avènement à la Présidence marquaient le retour de relations plus amicales avec notre pays.

La Belgique sortit de la grande secousse révolutionnaire de 1848 avec un surcroît notable de considération et de force. Tandis que les vieilles monarchies tremblaient sur leurs bases séculaires, elle restait calme, solide, inébranlable. L'effet de cette attitude au dehors fut immense. De ce jour date notre émancipation morale: l'Europe cessa de nous considérer comme une simple dépendance de la France. Le Roi Léopold gagna auprès de la plupart des Cours une influence dont il sut faire un noble et patriotique usage. En Angleterre, les torys rivalisèrent dès lors avec les wighs en démonstrations d'amitié envers le peuple belge. L'Allemagne se mit à examiner avec sympathie nos institutions, à apprécier les ressources de notre neutralité.

La Russie même n'échappa point à ce sentiment général Jusqu'à cette époque, l'empereur Nicolas n'avait pas accrédité de représentant à Bruxelles... L'année 1848 mit un terme à cette froideur... Les relations diplomatiques entre les deux Etats n'ont pas cessé depuis ce moment d'être cordiales, et en plus d'une circonstance la Belgique a trouvé chez la grande Puissance du Nord un appui efficace (1).

Troisième phase: La résistance aux entraînements

compromettants pour la neutralité.

Les événements qui se rattachent à la guerre d'Orient créèrent à la Belgique de nouveaux devoirs en ce qui concerne le maintien de sa Constitution internationale.

(1) SYLVAIN VAN DE WEYER, Histoire des relations extérieures de la Belgique depuis 1850 (PATRIA BELGICA, t. II).

Ce fut au mois de janvier 1854 que le Gouvernement belge notifia officiellement l'attitude qu'il entendait observer devant la guerre qui commençait.

Jamais le principe de cette politique ne fut défini avec plus de force, jamais les conséquences n'en furent déduites avec plus de rigueur que dans cette circonstance. On s'interdit même toute intervention morale, toute manifestation. d'une tendance exclusive. Nous agissions ainsi d'accord avec la France et l'Angleterre ; nous évitions toute réclamation de la Russie et voyions les Etats secondaires de l'Allemagne, les Pays-Bas eux-mêmes, appuyer leur neutralité de choix sur notre neutralité de droit. La Belgique devenait ainsi le centre d'un groupe d'États qui tendaient à circonscrire et limiter le champ de la lutte. Mais en cela même elle répudiait toute idée de propagande. Notre conduite. était mieux que l'effet d'un droit pour nous comme pour la Suisse, elle était l'expression d'un devoir, d'une obligation internationale prévue et sanctionnée par les Puissances. Notre abstention n'était ni un exemple ni un argument: elle était un fait européen qui ne devait surprendre per

sonne...

La situation favorable ainsi créée resta sans altération jusqu'au moment où la Sardaigne se détermina à accéder à l'alliance anglo-française (11 janvier 1855). Un cominencement de pression fut exercé alors sur les Etats secondaires, notamment sur la Belgique on désirait la voir sortir de la neutralité et suivre l'exemple du Piémont dans une lutte dont l'enjeu était, aux yeux des Puissances alliées, l'équilibre européen, c'est-à-dire un intérêt commun à toutes les nations. Le Gouvernement belge déclina énergiquement tout engagement de cette nature: la neutralité était, suivant lui, une obligation supérieure, qui dominait toute autre considération. Il fit comprendre ses vues à Paris comme à Londres, et l'on s'abstint de toute proposition directe ten

dant à nous associer à la lutte. Le 16 février 1855, M. de Brouckere, interpellé à ce sujet, expliqua sa politique et la fit approuver par la Chambre. Un homme d'Etat justement considéré, M. Lebeau, prononça à cette occasion un discours toujours digne d'être médité. De part et d'autre, au bane du Gouvernement comme au sein de la Législature, on fut amené à accentuer, à cette époque, le caractère défensif, militaire au besoin, de la neutralité belge. Notre position, du reste, ne tarda pas à être mieux appréciée au dehors. En Angleterre, où l'idée d'une coopération de la Belgique à la guerre avait été assez populaire, on revint bientôt à d'autres sentiments dont M. Disraeli se fit, le 8 juin 1855, l'organe à la Chambre des Communes. « Jamais, dit-il, la Belgique n'a été plus qu'en ce moment intimement liée au système politique général. » La justification de cette thèse était aussi celle de notre attitude politique (1).

Nous avons signalé les questions délicates que peut soulever la reconnaissance soit de nouveaux États, soit de la qualité de belligérant. Lors de la guerre de la sécession américaine, alors que plusieurs Puissances manifestaient leur résolution de demeurer neutres entre « les parties belligérantes » ou « contendantes », la Belgique qui avait adhéré aux principes formulés au Congrès de Paris, le 16 avril 1856, se borna à prendre des mesures d'exécution dans cet ordre, sans qualifier, dans la déclaration insérée au Moniteur belge du 25 juin 1861, les parties en lutte et même sans les mentionner. Cette attitude comparativement réservée fut très appréciée par les États du Nord.

Dans une autre circonstance, survenue un peu plus tard, à l'occasion des notes du 10 avril 1865 remises par

(1) SYLVAIN VAN DE WEYER, loc. cit.

l'Angleterre, la France et l'Autriche au Cabinet russe concernant les affaires de Pologne, la Belgique fut invitée par diverses Puissances à joindre ses démarches aux leurs. C'était un hommage rendu à la considération dont le pays jouissait au dehors, mais cet hommage ne laissait pas d'être embarrassant. La Belgique s'abstint de faire des représentations et d'adhérer à la note des autres Puissances. Elle fit pourtant une démarche occasionnelle, mais s'en acquitta avec une si sage réserve et un tact si parfait qu'elle répondit au vœu des autres Puissances sans porter le moindre ombrage au Cabinet de SaintPétersbourg.

A ce sujet, Lord Palmerston, sans méconnaître la prudence qui s'imposait à l'État neutre, estima que cette prudence ne devait pas aller, en toute circonstance, jusqu'au désintéressement des affaires européennes et des questions de paix générale. Mais il reconnut que la Belgique était seule juge de l'attitude à prendre en l'occurrence.

Rappelons ici le témoignage solennel rendu à notre pays lors de la Conférence de Berlin de 1885. Interprète d'un sentiment unanime, M. le comte de Launay, plénipotentiaire d'Italie, s'est exprimé en ces termes dans la mémorable séance du 25 février :

Dans les circonstances les plus graves, la Belgique a su remplir avec fidélité et dignité les devoirs prescrits par sa neutralité.

Quatrième phase: La résistance aux attractions et aux pressions compromettantes pour l'indépendance

Le Congrès de Paris de 1856 devait porter à l'apogée la puissance de Napoléon III sans débarrasser l'Empire des conspirations intérieures et des attentats révolution

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