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naires. Ces menées, dont quelques-unes furent tramées par des Français sur notre territoire, ont été le point de départ de pressions diverses exercées sur notre Gouvernement et dirigées dans des voies qui n'étaient pas sans danger pour notre indépendance.

Nous avons indiqué précédemment les circonstances qui amenèrent la Belgique à remanier deux fois sa législation pénale, en 1852 et en 1856, en vue de donner satisfaction à des réclamations du Gouvernement français. Nous avons également rappelé les conditions dans lesquelles la Belgique, fortement prise à partie, un instant, au Congrès de 1856, répondit par le « jamais »> de M. le vicomte Vilain XIIII à des tendances menaçantes pour notre régime constitutionnel et pour notre autonomie nationale (1).

Les efforts faits par notre peuple pour améliorer son système défensif furent représentés comme des actes de défiance, pendant que la faiblesse relative du pays était considérée par moments comme sujette à caution. Menace et séduction semblèrent alterner dans la politique suivie à notre égard. La célèbre dépêche de M. Thouvenel au comte de Persigny, en date du 19 mars 1860, désavouant toute intention d'agrandissement vers le Khin et déclarant que la France, abritée au nord par la neutralité de la Belgique, n'avait plus de ce côté aucune espèce de garantie à réclamer, parut, il est vrai, éclaircir l'horizon. Mais lorsque fut établie l'unité italienne, Napoléon tourna de nouveau ses regards des Alpes vers le Rhin. Cependant la Belgique, par les démonstrations nationales aussi

(1) Voyez supra, pp. 454 et 456.

vives qu'unanimes d'un peuple décidé à demeurer luimême, s'efforçait de prévenir les tendances à une politique de convoitise. Par le grand acte international du rachat du péage de l'Escaut, nous affranchissions des vieilles servitudes, pour le bien commun de tous les États maritimes du globe, notre grand fleuve international. Et les Puissances, de leur côté, en signant le Traité du 16 juillet 1863, avaient renouvelé solennellement les garanties de notre indépendance.

Vainement notre diplomatie, tout en gardant les réserves attachées à notre situation spéciale et à notre mission propre dans l'ordre international, accédait aux propositions de Congrès européen, caressées avec quelque illusion par le Gouvernement impérial. Il devenait de plus en plus manifeste que l'on entendait un peu différemment, de part et d'autre, la condition première des bons rapports internationaux. Dès avant la guerre austro-prussienne de 1866, et surtout après l'issue de la crise germanique qui engendra l'unité allemande, l'empereur Napoléon s'engagea dans une série de procédés, les uns assez patents, tels que les réclamations de compensations territoriales et la circulaire-manifeste du marquis de la Valette du 16 septembre 1866, formulant la théorie de la convergence des petits États vers les grandes agglomérations, les autres tortueux, comme les menées relatives aux cessions de chemins de fer, les autres encore ténébreux, tels que les négociations Benedetti, où la diplomatie française devait marcher de déception en déception jusqu'à la catastrophe qui fit sombrer l'établissement impérial.

La Belgique ne dériva point, et un quart de siècle après le célèbre discours royal de 1840, S. M. Léopold II, dans

le discours du trône de 1866, pouvait prononcer en toute justice ces paroles où se traduisait la pensée nationale:

Au milieu des graves événements qui ont troublé une grande partie de l'Europe, la Belgique est demeurée calme, confiante et pénétrée des droits et des devoirs d'une neutralité qu'elle maintiendra, dans l'avenir comme dans le passé, sincère, loyale et forte.

Cinquième phase: Le règlement organique du fonctionnement de la garantie dans la guerre survenue entre garants limitrophes et les mesures d'application du régime des neutres en rapport avec cette guerre.

Les traités anglo-français et anglo-germanique de 1870 marquent une date remarquable dans l'histoire de la jurisprudence appliquée à notre Constitution internationale en une matière importante: la garantie.

Nous avons étudié précédemment la genèse et la portée de ces traités et nous avons en même temps signalé les erreurs d'appréciation auxquelles ils ont donné lieu. Nous n'avons donc plus qu'à marquer ici leur place dans notre aperçu historique (1).

Il n'est guère de conflit armé qui ait contribué plus que la guerre franco-allemande à l'élaboration du droit des neutres, principalement en ce qui concerne les rapports sur terre entre belligérants et non-belligérants. Les trois États neutres à titre permanent, la Belgique, la Suisse et le grand-duché de Luxembourg, étaient limitrophes des États en guerre. La plupart des problèmes posés par les événements, éclairés par la pratique et les conventions,

(1) Voyez supra, p. 287.

concernent d'une manière générale tous les États neutres : asile accordé sur le territoire aux soldats des belligérants, passage d'enrôlés étrangers, transport de blessés, rétention du matériel de chemin de fer provenant d'États neutres, communications postales et télégraphiques, liberté du commerce des armes, rapports des ressortissants neutres avec l'occupation guerrière, rapports entre les diplomates neutres et les Puissances belligérantes, etc. L'ajustement du droit des neutres aux droits des belligérants ne se fit point à tous ces égards sans contestations et sans certaines récriminations parfois bien outrées à l'égard des petits États. L'inviolabilité du territoire d'États neutres à titre permanent fut mise en question. Après la bataille de Sedan, le projet de faire traverser par l'armée vaincue la zone frontière pour gagner le département du Nord, paraît avoir été délibéré dans l'état-major français. Cette même éventualité fut l'objet d'une déclaration de l'autre belligérant au Gouvernement anglais, se réservant de pénétrer, dans cette hypothèse, sur le sol belge. Sur quoi le ministre de Belgique fit observer que la question soulevée ne pouvait en tout cas se poser que <«< si la Belgique se trouvait, sur le point où la violation de notre territoire aurait eu lieu, impuissante à faire respecter par ses propres forces ses droits d'Etat neutre ». Le passage ne fut point tenté et les groupes isolés de soldats débandés qui pénétrèrent en Belgique furent, sans emploi de la force, désarmés et internés conformément aux instructions adressées au commandant en chef des troupes belges à la date du 27 août 1870 par le Ministre de la Guerre.

Sixième phase: Les sollicitudes nouvelles pour l'accomplissement des devoirs inhérents à notre Constitution internationale et l'usage plus complet de nos droits de nation indépendante.

Les événements de la guerre de 1870 avaient éveillé l'attention du pays sur les conditions dans lesquelles celui-ci pouvait être appelé à sauvegarder à la frontière l'inviolabilité de son territoire. Ils avaient mis en lumière l'importance qu'il y avait à fortifier la ligne de la Meuse à ce point de vue. Nous avons signalé les sacrifices que s'est imposés la Belgique en vue d'une adaptation mieux entendue de notre échiquier stratégique et de notre armée à la défense de notre indépendance et de notre neutralité (1).

Parallèlement à l'organisation de moyens plus parfaits en vue de l'accomplissement scrupuleux de nos devoirs internationaux, se sont développés chez nous une conscience plus pleine et une entente pratique plus large de notre droit de peuple indépendant et pacifique.

La vieille conception de la neutralité négative, fondée sur des maximes de compression et d'effacement des États pacifiques, a pàli devant la conception du pacigérat positif fondé sur le principe de paix commune et d'égale souveraineté. Toutes les constructions échafaudées pour créer des barrières artificielles aux légitimes expansions des neutres à titre permanent croulent sous la poussée des idées et des faits.

Institution d'ordre et de paix appropriée au maintien

(1) Voyez supra, pp. 414, 422 et 426.

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