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progrès, ou elle tombe en décadence. Celle qui est plus perfectionnée fait nécessairement pencher la balance en faveur du pays qui la possède, puisqu'en lui donnant le moyen de vendre à plus bas prix, elle lui assure la préférence dans les marchés.

Le gouvernement français est l'un des ¡premiers de ceux qui ont eu l'idée d'amener, par des prohibitions ou des droits, le dévelop pement des manufactures et du commerce. Colbert recourut particulièrement à ce moyen, étant entraîné par les sollicitations et les sophismes des fabricants et des marchands qui, dans les questions compliquées d'administration, ne voient ordinairement que le côté qui leur est favorable, et trouvent toujours sage une mesure qui leur est profitable, lors même qu'elle nuit aux intérêts de la masse d'une nation. S'il est vrai que ses opérations à cet égard n'aient point tourné constamment à l'avantage de sa patrie, il l'est aussi que des écrivains les lui ont reprochées avec trop d'amertume, et qu'elles ont été moins funestes qu'ils ne le disent. Ils auraient été plus équitables, s'ils avaient fait attention que le mal avait été beaucoup atténué par des décisions exceptionnelles, Colbert ayant permis, dans toutes les circonstances, l'introduction dans le royaume de machines propres à simplifier le travail, des matières servant à la fabrication, et des tissus étrangers que les manufacturiers pouvaient imiter. Il ne s'est ja mais refusé non plus à faire modifier les règlements en vigueur pour des branches d'industrie, et les ordonnances sur les corps de marchands et d'artisans, toutes les fois que la nécessité lui en a été démontrée; de sorte qu'il ne faut adopter qu'avec défiance les opi nions émises sur son administration; opinions presque toujours dictées par un esprit de déni grement, ou par une exagération d'admiration que repousse l'impartialité de l'histoire. Dans les deux derniers siècles, un régime prohibitif presque absolu a servi de base au système manufacturier et commercial adopté par les Anglais. Ils l'avaient exagéré au point qu'excepté les denrées et les matières qu'ils ne recueillent point sur leur territoire, il n'était plus possible aux étrangers de leur faire des ventes un peu importantes de marchandises. Le commerce de la France eut particulièrement à se plaindre de l'esprit baineux et jaloux qui avait dicté les dispositions de leur tarif. Ou ils avaient prohibé la presque universalité des produits de son

agriculture et de ses fabriques; ou, s'ils avaient autorisé l'importation de quelquesuns de ces produits, ils ne l'avaient fait qu'après les avoir grevés de droits quelquefois plus considérables que ceux qui étaient exigés des autres nations; ce qui lui était la possibilité d'entrer en concurrence avec elles. Les immenses richesses qu'ils avaient acquises firent bientôt dominer en Europe l'opinion qu'ils les devaient au régime prohibitif; ce qui porta les autres États à recourir à ce régime, comme un moyen de rendre florissant le commerce de leurs peuples.

S'il est vrai qu'il ait contribué à procurer aux Anglais la situation brillante où ils se trouvent, en leur permettant de repousser les marchandises de l'étranger, lorsque, dans la plupart des circonstances, il recevait les leurs, il est encore qu'il n'a pas seul amené leur prospérité. Une direction sage imprimée aux esprits, la forme de leur vernement, une protection spéciale accordée aux hommes industrieux, un grand respect pour la propriété et la liberté individuelle, l'ordre dans l'administration, un bon système de crédit public, des traités avantageux avec les puissances étrangères, tous ces moyens ont aussi concouru à la créer.

gou

Après leur avoir été utile, le système prohibitif finit, dans les dernières années du dix-huitième siècle; par réagir contre eux. Les nations de l'Europe, usant de représailles, n'admirent plus alors la presque universalité de leurs marchandises, ou, si elles consentirent à en recevoir encore, elles ne prirent ce parti qu'après les avoir grevées de droits équivalant souvent à une prohibition. Une résolution semblable devait amener une grande diminution dans le commerce qu'ils font avec le continent, et ce fut ce qui arriva. Sentant combien elle est contraire à leurs intérêts, plusieurs de leurs hommes d'État examinèrent s'il serait possible de la faire changer, et cet examen les convainquit qu'on n'obtiendrait ce résultat qu'en ouvrant des négociations avec les gouvernements de l'Europe pour les engager à prononcer la destruction du système prohibitif, de manière que les marchés des uns et des autres ne seraient plus fermés à aucun peuple. M. Baring, l'un des plus riches commerçants de Londres, soumit, en 1815, cette idée à la chambre des communes, et il paraitrait qu'elle eut l'assentiment de sa nation; car le parlement, dans sa session de 1823, adopta un bill qui en est la consé

quence, et par lequel il déclara qu'à l'avenir la Grande-Bretagne recevrait, sous la seule condition de la réciprocité, en franchise de droits, les produits de l'industrie des étrangers qui feraient jouir celle de l'Angleterre du même avantage.

Ce bill est certes un acte mémorable et d'une nature bien étrange. D'une part, il constate les inconvénients qui résultent d'un système prohibitif exagéré; de l'autre, il dément ce qu'on a imprimé plusieurs fois en France, que les économistes étaient regardés par le gouvernement anglais comme des idéologues, dont les opinions ne méritent aucune attention, puisque, dans la circonstance, il a réalisé une de leurs théories. Quoi qu'il en soit, il est douteux que notre continent accède à la proposition qui lui a été faite. Son industrie n'est pas assez avancée pour soutenir la concurrence de celle des Anglais, qui est parvenue à un haut degré de perfection. Elle courrait donc la chance d'être ruinée, s'il admettait franches de droits leurs marchandises, qu'un intérêt moins élevé de l'argent et des moyens plus prompts et plus économiques de fabrication rendent souvent moins chères que les siennes. Il obtiendrait, il est vrai, une sorte de compensation par la libre admission de ses céréales; mais elles sont exceptées formellement par des bills, qui n'en permettent l'entrée que dans les années de disette, et lorsque les leurs se vendent à un prix très-élevé. La proposition n'est donc qu'un leurre pour induire en erreur ; elle n'a donc qu'une apparence de générosité, puisque son adoption donnerait à la Grande-Bretagne des avantages qui ne seraient point balancés par des concessions équivalentes.

Le régime prohibitif est principalement adopté pour les produits des manufactures, et si des peuples en tirent encore de l'étranger, c'est qu'ils ne les fabriquent point. Les soins des gouvernements de l'Europe étant dirigés vers les moyens de procurer à leurs pays les branches d'industrie qui leur manquent, il arrivera un jour que les habitants de cette partie du monde n'auront plus entre eux de commerce eu objets manufacturés, et que tout se bornera à des ventes de matières premières et dé denrées inhérentes aux différentes contrées, qu'il faudra bien acheter de ceux à qui elles auront été données par la nature, puisqu'ils en seront seuls propriétaires, Cette direction, donnée aux esprits, contribuera-t-elle au bonheur des

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hommes ? C'est ce qui est douteux. Le commerce en marchandises manufacturées donne lieu à des relations continuelles entre les peuples; ce qui tend à les unir par les liens très-forts de l'intérêt et de l'estime. Celui des matières premières et des denrées est, en général, borné. Ne nécessitant pas des communications aussi fréquentes, la civilisation et les lumières ne peuvent que perdre à ce qu'il soit le principal. Sous ce point de vue, il ne serait pas étonnant que le régime prohibitif devint le principe d'un grand mal. Il peut encore, quand il est trop absolu, amener la ruine des branches de commerce, et c'est ce qui est arrivé aux Anglais dans le seizième siècle (1).

Alors ils vendaient une immense quantité de draps à l'Allemagne, à la France, à la Pologne, à la Flandre, à la Suède et au Danemarck. Ne connaissant qu'imparfaitement les procédés qui donnent de l'éclat aux tissus de ce genre, ils en expédiaient la plus grande partie à l'étranger, pour y recevoir l'apprêt et la teinture; ce qui procurait aux pays qui effectuaient ces deux mains d'oeuvre un profit annuel d'environ un million sterling (24 à 25 millions de francs). Le gouvernement anglais crut qu'il pourrait le leur enlever, en ne permettant des envois à l'extérieur qu'après que la marchandise aurait été fabriquée et teinte par des fabricants de sa nation. Dans cette vue, il défendit la sortie des draps blancs et non foulés. Il ne tarda pas à se repentir de cette mesure qu'une avidité mal entendue lui avait fait prendre. Les Flamands et les Allemands, indignés de ce qu'il avait voulu les priver de bénéfices beaucoup moins considérables que les profits faits par les Anglais, cherchèrent le moyen de parer au malheur dont ils étaient menacés, et ce moyen, ils le trouvèrent dans la prohibition des draps qui auraient reçu la totalité des préparations qu'ils nécessitent pour servir à la consommation; ce qui, dans un intervalle de temps très-court, réduisit l'exportation à un point tel qu'au lieu de deux cent mille pièces expédiées chaque année, cette exportation ne fut plus que de soixante mille. Il fallut que le gouvernement anglais revînt sur ses pas; mais un coup funeste avait été porté. Malgré l'abrogation de la mesure prise, le commerce des draps blancs et non foulés ne reprit point l'importance qu'il avait aupara

(1) Quaterly-Review, année 1826.

vant, plusieurs des peuples avec lesquels l'Angleterre le faisait s'étant ultérieurement occupés du soin de créer des établissements pour les fabriquer. De ce fait, on est donc fondé à soutenir que le régime prohibitif cause quelquefois la ruine de branches d'industrie, et que les avantages résultant du commerce que les nations font entre elles ne durent qu'autant qu'ils sont à peu près balancés.

L'enquête ordonnée, en 1824, par la chambre des communes du parlement d'Angleterre, au sujet de l'industrie de la France et de celle des autres États de l'Europe, contient un fait non moins décisif dans la question. Elle parle souvent des machines employées dans les manufactures, et dont les lois anglaises défendent l'exportation. Malgré cette défense, l'étranger auquel elles sont nécessaires trouve le moyen de se les procurer, et il arrive à ce résultat, en les faisant expédier à l'extérieur, ou en parties détachées, ou dans un état non achevé de construction. Dénaturées ainsi, il n'est plus possible aux préposés de l'administration des douanes de connaître l'usage qu'on veut en faire, et, par suite, de les arrêter à la frontière. Lorsqu'elles sont parvenues au lieu de leur destination, les acquéreurs en rassemblent les parties, ou leur donnent le fini qui leur manque pour servir dans les ateliers. Les lois qui en prohibent l'exportation sont donc facilement éludées; elle ne servent qu'à gêner l'industrie, sans produire les effets qu'en attendent les partisans du régime prohibitif.

Après avoir procuré la connaissance de ce fait, le travail de la commission d'enquête en apprend un autre non moins curieux c'est que la défense d'exporter a fait perdre à l'Angleterre une branche importante de commerce extérieur, étant cause que les étrangers ont formé des établissements pour construire les machines dont ils ont besoin, événement qui, suivant M. Gallowai, l'un des mécaniciens de Londres interrogés par la commission d'enquête, n'aurait point eu lieu, s'ils n'avaient été forcés par cette défense à chercher les moyens de s'affranchir des frais et des retards qu'entraîne la sortie d'une marchandise prohibée. Il lui paraît que, dans une situation différente, ils n'auraient pas été intéressés, ou qu'ils ne l'auraient été que faiblement, à créer une industrie pour les produits de laquelle ils ne pouvaient rivaliser avec ses compatriotes

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qui, indépendamment de l'avantage de posséder des ateliers depuis long-temps en activité, avaient encore celui du bas prix des matières que nécessite la fabrication des machines.

Les documents fournis par le travail de la commission d'enquête méritent une attention particulière, étant d'un grand poids pour la solution de la question des avantages ou des inconvénients du système prohibitif. Or trouve encore dans ce travail un aveu satisfaisant pour notre nation : c'est que, dans la construction des machines, nous n'avons rien à envier à l'Angleterre, nos fabricants l'ayant portée à un haut degré de perfection.

Il n'est pas vrai qu'il faille dans toutes les circonstances fermer l'entrée d'un pays aux marchandises des étrangers: Il importe souvent de la permettre, afin d'empêcher par la concurrence que les commerçants et les manufacturiers n'exigent des prix exagérés. Ainsi, au lieu de prononcer des prohibitions, les gouvernements feraient mieux d'établir des droits qui, tout en donnant à leurs ma ́nufactures l'avantage sur celles des autres peuples, ne seraient pas néanmoins assez considérables pour délivrer ceux qui les exploitent de l'appréhension d'une rivalité. Ce parti produirait encore le bon effet de maintenir, par l'émulation, la perfection des fabrications et d'empêcher la contrebande, qui, malgré la surveillance la plus active des douanes, a constamment lieu, toutes les fois qu'il y a des profits à la faire; témoins les cotons filés. Au moment où nous écrivons, en 1830, il est connu de la France entière que ses établissements n'en produisant pas dans des numéros assez élevés pour la fabrication des mousselines superfines, les manufactures de Saint-Quentin et de Tarare tirent de l'Angleterre ceux dont elles ont besoin. Dans la circonstance, les fraudeurs mettent donc en défaut la vigilance des préposés de l'administration des douanes.

La contrebande cause des maux de plusieurs sortes. Elle nuit d'abord aux intérêts des hommes industrieux qu'elle prive d'une partie du débouché de leurs marchandises, et ensuite à ceux de l'État, qui ne touche point les droits dus pour les objets dont l'introduction est permise. Enfin, elle détruit la morale publique, en accoutumant les habitants des localités où elle s'effectue, à méconnaître l'autorité des lois. Beaucoup d'entre eux, après avoir abandonné des travaux

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réguliers, dans l'exercice desquels ils trou- ce serait en changer les éléments et ruiner vaient des moyens honorables de subvenir ceux qui les ont faites, ou qui ont fourni à leurs besoins, sont transformés en crimi- les capitaux qu'elles ont nécessités. nels qu'il devient quelquefois nécessaire de punir des plus grands supplices; ce qui n'ar riverait point, si leur cupidité n'était vivement excitée par la perspective des profits que procure l'introduction des marchandises prohibées, ou grevées de droits trop élevés. On a dit depuis long-temps que la meilleure prohibition était celle qu'amenait naturellement le bas prix des objets à vendre. Il est évident que lorsqu'un peuple jouit de cet avantage, l'étranger ne peut songer à faire des versements frauduleux, puisqu'ils ne lui seraient point profitables. C'est ce que le ministère anglais a remarqué dans la discussion qu'à fait naître la révision du tarif des douanes de la Grande-Bretagne, dont le parlement s'est occupé dans les années qui viennent de s'écouler. Il a encore répondu à des manufacturiers qui lui avaient adressé des réclamations au sujet de cette révision, qu'en leur donnant, par les droits mis en remplacement du système prohibitif, un avantage de 30, de 20 et même de 10 pour cent, comme on l'a fait dans la presque universalité des cas, ils jouissaient d'une faveur qui suffisait pour les défendre contre la rivalité des autres nations. Il est certain que les branches d'industrie dónt cet avantage n'assurerait point la prospérité seraient peu utiles au pays qui les exploiterait, et qu'alors elles ne mériteraient aucun intérêt, ou n'en mériteraient qu'un bien faible.

Lorsqu'on lit les tarifs des douanes des diffé rentes nations de l'Europe, et qu'on voit combien est longue l'énumération des marchandises qu'ils prohibent, on est tenté de croire qu'ils ont été dictés par la ferme persuasion qu'un peuple peut toujours vendre sans acheter. Pour reconnaitre que cette opinion est une erreur, il suffit de réfléchir que si les avantages commerciaux étaient tous au profit d'un pays, la ruine de ceux avec lesquels il aurait des relations d'affaires serait certaine; ce qui détruirait par suite les éléments du commerce entre eux. Quoi qu'il en soit, dans le cas où des gouvernements jugeraient utile de délivrer les opérations des négociants de toutes les entraves, la prudence leur commande de ne le faire qu'en prenant des précautions pour ne pas bouleverser les fortunes. Une foule d'entreprises et de spéculations ont été exécutées d'après les prohibitions existantes. Ouvrir subitement les barrières,

Des remarques sur les effets produits par le régime prohibitif, conduisent naturellement à parler du système continental, qui de nos jours a fait un si grand bruit dans le monde, et dont ce régime fut l'élément principal. On a nommé ainsi des mesures prises, en 1806 et 1807, pour expulser les Anglais de l'Europe, et nuire à leur navigation et à leur commerce. Elles furent imaginées par l'empereur Napoléon, comme un moyen de se venger de la furie avec laquelle ils lui faisaient la guerre. Ils ne s'étaient point bornés, après avoir rompu le traité d'Amiens®, à confisquer ceux des navires de sa nation qui, sur la foi de la paix, se trouvaient dans leurs ports, ou qui étaient disséminés dans les différentes mers du globe; ils avaient encore pris à leur solde des individus qui promettaient d'exciter des troubles dans l'intérieur de la France, et les peuples disposés à accepter de l'argent pour joindre leurs armées aux leurs. Enfin, au mépris des sentiments de philanthropie qui, dans les guerres les plus acharnées, avaient jusqu'alors animé les habitants de l'Europe, leur gouvernement avait défendu à leurs négociants de vendre à ceux de ce royaume du quinquina et d'autres drogues nécessaires dans le traitement de plusieurs maladies. Mais ce fut dans les mesures prises au sujet du commerce des neutres avec la nation française, que leur animosité éclata particulièrement. Après avoir proclamé en état de blocus les mers et l'embouchure des rivières voisines de ses possessions et de celles de ses alliés, ils prescrivirent aux commandants de leurs escadres de forcer les navires de tous les peuples, sans distinction de pavillon, à se rendre daus leurs ports, pour y subir une visite et payer une taxe, qui était un impôt sur la navigation du monde entier.

Un abus aussi révoltant de la force excita une indignation universelle; mais les puissances neutres n'ayant point les flottes nécessaires pour faire respecter leur indépendance, il fallut qu'elles se résignassent à subir l'avanie qu'il établissait. L'empereur Napoléon crut que, sans s'avilir, la nation française ne pouvait conserver des relations avec celles qui se soumettraient à une tyrannie qui foulait aux pieds les droits les plus sacrés des peuples. De là, une suite de mesures qui ajoutèrent beaucoup à la vio

lence de celles qui étaient déjà en vigueur. Il avait ordonné auparavant l'arrestation des Anglais qui se trouvaient dans le royaume, et prohibé la presque universalité des produits des manufactures de leur nation. Il fit alors rechercher, chez les particuliers soupçonnés de faire la contrebande, ceux de ces produits qui avaient été introduits en fraude, en prescrivant de les détruire par le feu, s'ils étaient de nature à être brûlés. Ce qui fut exécuté dans plusieurs villes, bien que ce brûlement anéantit quelquefois des valeurs fort importantes. Enfin, il déclara jusqu'à ce qui la Grande-Bretagne fût revevenue aux usages consacrés par la civilisation-européenne, les bâtiments des neutres qui se seraient conformés à l'ordre qu'elle avait donné, seraient, par le fait seul de la visite d'un vaisseau anglais, d'un voyage en Angleterre, ou le paiement d'une taxe, réputés dénationalisés ; qu'ils perdraient ainsi la garantie de leur pavillon, et seraient de bonne et valable prise ( voyez PRISE EN MER).

que,

Dans des écrits, on a blàmé avec amertune la mesure en vertu de laquelle les Anglais qui voyageaient en France furent arrêtés et constitués prisonniers. Mais cette mesure, que nous sommes loin d'approuver, est moins odieuse que celle par laquelle un gouvernement, avant d'avoir notifié une déclaration de guerre, s'empare des navires qui, sur la foi d'une paix sont venus avec des cargaisons dans ses ports, ou naviguent dans des mers lointaines. La confiscation de ces navires et l'arrestation de leurs équipages sont un véritable guet-à-pens, une infâme violation de la confiance publique, et frappent particulièrement une classe d'hommes presque toujours étrangers aux querelles des souverains, celle des cemmerçants, ruinés ainsi par un détestable mépris de la justice et des traités les plus solennels. Lorsque le gouvernement anglais veut faire la guerre à un peuple, il recourt toujours à cette piraterie, après avoir eu soin d'avertir ceux des bâtiments de sa nation qui se trouvent hors de ses ports de se tenir sur leurs gardes, pour ne pas être saisis par voie de représailles. On ne saurait trop crier contre cet abominable usage, qui est un reste de barbarie, honteux pour les nations qui le prennent pour règle de conduite. Elles s'honoreraient beaucoup si elles l'abandonnaient, en ne commençant les hostilités qu'après un délai fixé dans un manifeste.

Quoiqu'il en soit des actes des gouvernements anglais et français pendant les guerres de la révolution, l'anéantissement du commerce maritime de la France devait être amené par l'esprit de haine qui les avait dictés, et ce fut ce qui arriva. Si elle parvint à vendre à l'extérieur une quantité de vins et d'eaux-de-vie à peu près égale à celle qu'elle lui fournissait avant la création du système continental, ce fut en recourant à des moyens dispendieux et hérissés de difficultés. Ce système la plaça encore dans une situation qui, dans l'origine, fut pénible pour beaucoup de ses habitants, l'ayant forcée par les prohibitions et les communications par mer, ou à ne plus consommer les marchandises provenant des manufactures anglaises qu'elle consommait auparavant, ou à les fabriquer elle-même. Son gouvernement ne négligea rien pour obtenir le dernier de ces résultats. Grâce à de nombreux encouragements qu'il accorda, et au zèle d'hommes ingénieux, excité par la perspective d'énormes profits à faire, elle eut bientôt des ateliers qui lui fournirent la presque universalité des objets dont elle avait besoin.

Si, pendant la durée du système continental, le commerce maritime de la France, fut à peu près nul, il n'en fut pas de même de celui qu'elle fait sur terre. Il devint trèsflorissant, surtout en marchandises manufacturées. Des succès militaires presque incroyables l'avaient mise en situation d'imposer ses volontés à la plupart des puissances continentales, et elle en profita pour réaliser en grande partie le projet, conçu par son gouvernement, d'anéantir le commerce des Anglais avec ces puissances; ce qui lui permit d'approvisionner les marchés étrangers d'un grand nombre d'objets qu'ils leur fournissaient auparavant. Ses ventes en cotonnades au seul royaume d'Italie qui n'était composé que de la Lombardie, de l'État de Venise, des duchés de Mantoue et de Modène, des territoires des villes d'Ancône, de Bologne et de Ferrare, s'élevaient annuellement à environ vingt millions (1). Cette prospérité ne fut point particulière aux manufactures de tissus de ce genre; elle s'étendit encore à celles d'autres produits;

de

(1) Le reste de l'Italie proprement dite, ou faisait partie du royaume de Naples, ou avait été incorporé à la France, désignée alors par la dénomination d'empire français.

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