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sent de cruauté envers les hommes qui lui portaient ombrage. M. Chénier, père des deux poètes de ce nom, a dit de Raghib « qu'il était un des Turks les plus éclairés de son temps, et celui peut-être qui écrivait le mieux. » Avide des connaissances étrangères, il voulut avoir en langue turque une histoire de la Chine, qui ne fut achevée qu'après sa mort. On a de ce vézyr des mélanges en langue arabe : ce sont des dissertations théologiques et philosophiques; un recueil de poésies; un choix de mots remarquables et de sentences; un recueil de lettres sur des sujets diplomatiques et administratifs. Il fut le fondateur, à Constantinople, de la bibliothèque qui porte son nom.

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* RAGOTZKY, ou plus exactement RACOCZI (FRANÇOIS LEOPOLD), prince de Transylvanie, né en 1676, fut élevé à la cour de Vienne, où plus tard il réclama une partie des biens que l'on avait enlevés à sa maison. Cette démarche le fit enfermer dans le château de Neustad, d'où il parvint à sortir quelque temps après, déguisé en dragon. Réfugié parmi les mécontents de Hongrie, qui le nommèrent leur chef, il se distingua par son courage; mais, lorsque la Hongrie eut fait la paix avec l'empereur, Ragotzky, qui avait été proscrit et condamné à mort par la cour de Vienne depuis son invasion, se retira d'abord en France et ensuite à Constantinople, où il fut traité avec honneur et de grands égards. Il mourut dans une retraite qu'il s'était choisie à Rodosto, sur les bords de la mer de Marmara, le 8 avril 1733. On a publié, sous le nom de Ragotzky, un ouvrage apocryphe intitulé: Testament politique et moral du prince Ragotzky. Ce prince avait composé plusieurs ouvrages, entre autres, des Méditations sur l'Ecriture Sainte, et des Confessions, qu'il cite plusieurs fois dans les Mémoires qui ont été publiés par l'abbé Brenner, dans l'Histoire des révolutions de Hongrie. RAGOTZKY (François), fils de Georges II, prince de Transylvanie, mort à Makovitz en 1676, est le véritable auteur de l'Officium Ragotzianum, qui est en usage dans presque toute la Hongrie.

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RAGUENET (FRANÇOIS), littérateur estimable, né à Rouen vers 1660, embrassa F'état ecclésiastique, devint précepteur des neveux du cardinal de Bouillon, et mourut, à ce que l'on croit, en 1722. Outre deux discours envoyés au concours de l'Académie française, et dont l'un lui obtint le prix en

1687, on a de lui : Histoire d'Olivier Cromwell, Paris, 1691, in-4o, ou 2 vol. in-12; des Monuments de Rome, ou Description des plus beaux ouvrages de peinture, de sculpture et d'architecture, qui se voient à Rome et aux environs, avec des observations, Paris, 1700; Amsterdam, 1701 . in 12. Cet ouvrage valut à l'auteur des lettres de citoyen romain; mais il fut moins heureux dans son Parallèle des Français avec les Italiens, dans la musique et dans les opéras, qu'il publia en 1702, in-12. Cet ouvrage fut vivement critiqué, et souleva contre l'abbé Raguenet tous les partisans du chant français. * RAGUET (Gilles-Bernard), littérateur, né à Namur en 1668, vint fort jeune à Paris, embrassa l'état ecclésiastique, devint prieur d'Argenteuil, fut employé, par le cardinal de Fleury, à l'éducation de Louis XV, obtint ensuite la place de directeur spirituel de la Compagnie des Indes, et mourut à Paris en 1748. On a de lui: Histoire des contestations sur la Diplomatique de dom Mabillon, Paris, 1708, in-12; et une traduction de la Nouvelle-Atlantide de Bacon, 1702, in-12.

* RAHN (JEAN-RODOLPHE), bourgmestre de Zurich en 1644, est connu par un ouvrage qui fut traduit en français, sous le titre de Discours véritable sur l'état des trois ligues communes des Grisons, 1621, in-4o, dont il a paru un extrait. RAHN (JeanHenri), né à Zurich en 1622, fut bailli de Kybourg, et mourut dans sa patrie en 1676. On a de lui en allemand, un Traité d'algèbre, Zurich, 1659, in-4o. Jean-Henri RAHN, fils du précédent, historiographe et biographe, né à Zurich en 1646, mort en 1708, fut employé à diverses missions et autres affaires d État, et chargé du soin de la bibliothèque publique de sa patrie. On a de lui : une Histoire (abrégée) de la Suisse, en allemand, Zurich, 1690, in-8°, et plusieurs autres ouvrages manuscrits, conservés dans la bibliothèque de Zurich, parmi lesquels on distingue une Biologia historicohelvetica, renfermant les notices de deux cent huit auteurs. - Jean-Henri RAHN, médecin de Zurich et membre du grand conseil de cette ville, né en 1709, mort en 1786, a laissé : Dissert, de arcano tartari, sive terrá foliatá tartari, Leyde, 1733, in-4o, etc. Un autre Jean-Henri RAHN, aussi médecin, de la même famille que les précédents, né en 1749 à Zurich, fut nommé professeur de physique au gymnase de cette ville, devint,

en 1782, l'un des fondateurs de l'Institut inédico-chirurgical, et eut part à plusieurs autres établissements du même genre. Créé comte-palatin par l'électeur Charles-Théodore, il fut député à l'assemblée nationale helvétique en 1799, et mourut en 1812, lais sant plusieurs ouvrages de médecine, la plu part écrits en allemand. Jean-Conrad RAHN, médecin, aussi de Zurich, né en 1737, mort en 1788 dans la même ville, y avait été élu membre du grand conseil. Outre des traductions allemandes de quelques opuscules de David Macbride, et divers mémoires insérés dans la collection de ceux de la Société d'histoire naturelle de Zurich, on a de lui: Dissert. de aquis mineralibus fabariensibus, seu piperinis, Leyde, 1757, in-4o. RAHN (Jean-Henri-Guillaume), jurisconsulté-assesseur à un collège de l'université d'Helmstadt, né à Walbeck en 1766, mort en 1807, a laissé quelques ouvrages de jurisprudence, écrits en allemand.

* RAI ( JEAN). Voyez RAY.

* RAIDEL (GEORGES-MARTIN), bibliographe, né à Nuremberg en 1702, embrassa l'état ecclésiastique, et consacra sa vie à des recherches savantes. Il aurait pu rendre de grands services aux sciences et à la littérature, s'il n'eût été enlevé par une mort prématurée en 1741.

RAIMOND (SAINT), né en 1175 au château de Penafort, en Catalogne, d'une famille ancienne et illustre, fit des progrès si rapides dans les sciences, qu'à vingt ans il fut en état d'ouvrir un cours gratuit de philosophie. S'étant rendu en Italie pour se perfectionner dans la connaissance du droit, il fut reçu docteur à 1 université de Bologne, et fut pourvu d'une chaire qu'il remplit avec distinction. De retour en Catalogne, Raimond fut élevé successivement aux premières dignités du chapitre de Barcelone, prit ensuite la résolution de s'ensevelir dans un cloitre, et entra dans l'ordre des frères-prêcheurs en 1222, huit mois après la mort de saint Dominique. On le chargea de composer un recueil des cas de conscience pour l'in struction des confesseurs. Il devint général de son ordre en 1238, se démit de cette place, deux ans après, pour reprendre ses travaux évangeliques, et mourut à Barcelone en 1275, dans sa centième année. Saint Raimond a contribué à l'établissement de l'inquisition dans l'Aragon et dans les provinces méridionales de la France; mais il prenait, dit-on, le soin de ne placer dans

les tribunaux du Saint-Office que des hommes connus par leurs lumières et leur charité. L'Église célèbre sa fête le 23 janvier. Le recueil des Décrétales, compilé par saint Raimond, fut imprimé pour la première fois à Mayence, en 1473, in-fol. On a en outre de lui une Summa de pœnitentid et matrimonio, souvent réimprimée dans le 16 siècle. * RAIMOND. Voyez RAYMOND.

* RAIMOND (JEAN-ARNAULD), membre de l'Institut, architecte, né à Toulouse le 9 avril 1742, mort en 1811, passa huit an nées en Italie pour y étudier les chefs-d'œuvre de son art. Il a donné beaucoup de plans; mais il y en a eu peu d'exécutés, et il n'a pt. achever, selon son désir, un seul ouvrage qui pût donner une idée de son talent. Il fut chargé de la construction des maisons royales de Saint-Cloud, Meudon, Saint-Germain, etc.

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RAIMOND D'AGILES, chanoine de l'église cathédrale de Pui, suivit en 1096, à la première croisade, son évêque, le célèbre Adhémar, et devint, pendant l'expédition, chapelain de Raymond, comte de Toulouse. li a écrit une histoire de la croisade, inti tulée : Raimundi de Agiles Historia Francorum qui ceperunt Therusalem, qui a été insérée dans le Gesta Dei per Francos. On ignore le lieu et l'époque de sa mort.

* RAIMONDI (MARC-ANTOINE), célèbre graveur italien, né à Bologne en 1488, reçut les leçons de F. Francia, et commença par contrefaire les estampes d'Albert Durer avec tant d'adresse, qu'on prenait ses copies pour des originaux. Étant venu à Rome, il y connut Raphael, qui, charmé de ses grandes dispositions, le chargea de graver un sujet de Lucrèce, et ensuite ses plus beaux ouvrages. Après le sac de Rome (en 1527), auquel il eut le bonheur d'échapper, il faillit perdre la vie, pour avoir gravé, d'après Jules Romain, les estampes obscènes qui accompagnaient les sonnets de l'Arétin, et Clément VII ne lui fit grâce qu'en considération de son talent. Marc-Antoine Raimondi mourut en 1546, assassiné, suivant Malvasia. La haute réputation de Raphael, qui, dit-on, retouchait souvent les planches de Raimondi, contribua beaucoup à la vogue que ce graveur a obtenue, et au prix excessif que l'on met encore à ses ouvrages; mais il ne peut être regardé comme un modèle à suivre. On ne trouve daus ses planches aucune variété de style, aucune entente du clair-obscur. En général il est sec, et n'offre

point ce goût délicat qui caractérise un graveur habile. Toutefois il faut reconnaitre en lui la précision du trait et la correction du dessin.

* RAIMONDI (ANNIBAL), mathématicien du 16e siècle, né à Vérone, mort en 1597, publia, à l'âge de 84 ans, un traité del Flusso e Riflusso del Venise, mare, 1589; et, quelque temps après, Discorso della trepidazione delle stelle fisse. On a encore de lui: paterne Reprensioni a' medicirazionali, et dell antica e onorata scienza di Normandia, ossia onomanzia, Venise, 1549. Il existe de ce dernier ouvrage une traduction française.

* RAIMONDI (JEAN BAPTISTE), l'un des premiers orientalistes du 16 siècle, né à Crémone vers l'an 1540, passa plusieurs années en Asie, où il acquit une connaissance approfondie de l'arabe, de l'arménien, du syriaque et de l'hébreu. De retour en Italie, il fut chargé, par le cardinal Ferdinand de Médicis, de la direction d'un vaste atelier de typographie orientale, qui a été comme le berceau de la célèbre imprimerie de la Propagande. Raimondi ne borna pas ses soins à la surveillance de cet établissement. Il mit en ordre tous les livres orientaux re

cueillis dans le Levant pour le pape. Il s'occupa long-temps de l'exécution d'une polyglotte plus complète que celles d'Alcala et d'Anvers ; mais les fonds ayant manqué pour cette entreprise, Raimondi abandonna ce projet, qui devait, plus tard, recevoir son accomplissement en France. Par le conseil du cardinal Duperron, Raimondi consacra les dernières années de sa vie à la confection d'une grammaire arabe, qu'il dédia, en 1610, au pape Paul V, et qui fut très-répandue dans le Levant. On ignore l'époque de la mort de cet orientaliste.

* RAINSSANT (PIERRE), savant numismate, né à Reims en 1640, étudia d'abord la médecine avec beaucoup de succès. La découverte d'une urne remplie de médailles détermina ensuite son goût pour la numismatique, sans lui faire négliger sa profession première, qu'il vint exercer à Paris. Ses connaissances le firent nommer directeur du Cabinet des médailles du roi, et il fut admis l'un des premiers à l'Académie des inscriptions et belles-lettres. Se promenant un jour dans le parc de Versailles, il tomba par accident dans une pièce d'eau, et s'y noya en 1689.

* RAIS ou RAIZ (GILLES DE LAVAL, maréchal DE). Voyez LAVAL.

RAISON. (Philosophie, psychologie.) Les sources de nos premieres connaissances sont les sens, la raison, la conscience; celles de

nos connaissances dérivées sout l'abstraction, le raisonnement, l'analogie, l'induction. Chacune de ces sources ayant dominé tour à tour dans les doctrines philosophiques, nous en avons vu naître, au mot LoGIQUE, diverses méthodes, telles que la logique empirique d'Épicure et de ses disciples; les méthodes à priori de Platon, de Leibnitz, de Kant; l'analyse psychologique. de Descartes, de Fichte, de Schelling; la dialectique des anciens et celle des scolastiques; le raisonnement analogique de Socrate, et le raisonnement inductif de Bacon. Nous avons reconnu la légitimité de chacune de ces méthodes dans ses limites; nous ne leur avons reproché que leur tendance à ramener la diversité des phénomènes à une unité systématique, à les envisager sous un point de vue exclusif; mais nous insisterons d'une manière plus spéciale sur ce point, dans un article où nous allons considérer la raison dans ses principes, dans ses formes et dans l'échelle de ses applications.

Le mot raison, formé du mot latin ratio, signifie premièrement rapport, perception de rapport ou jugement, le même nom servant à désigner la faculté et son objet ; il signifie ensuite le rapport d'un jugement à un jugement antérieur, et la faculté que nous avons de conclure l'un de l'autre. La raison peut aussi être considérée dans les choses comme harmonie des êtres, comme principe ou comme fin de leur existence (voyez CAUSE). Dans les sciences, c'est le pouvoir de découvrir ce principe ou cette fin; dans la philosophie, ce sont des principes universels, les jugements primitifs et antérieurs auxquels nous rapportons tous les autres. Le raisonnement est l'opération on la fonction par laquelle la raison communique aux jugements particuliers la vérité contenue dans les jugements primitifs. Si la vérité du raisonnement n'était appuyée sur des prémisses certaines et incontestables par elles-mêmes, ou sur des prémisses qui ont leur fondement sur d'autres qui les éclairent de leur propre lumière, nos jugements, n'ayant tous qu'une vérité relative et conditionnelle, remonteraient de l'un à l'autre, sans trouver un point fixe où ils pussent s'arrêter. Il y a donc, dans les profondeurs

de notre âme, une raison naturelle qui sert d'appui au raisonnement ; il en est une autre empirique ou acquise que nous devons à l'abstraction, par laquelle l'entendement forme les genres et les espèces. La première fonction de la raison est de recueillir ces notions artificielles, ainsi que les notions primitives; la seconde, d'en déduire les notions particulières, ou les jugements qui y sont contenus. Deux ordres de vérités, opposées l'une à l'autre, servent donc de prémisses au raisonnement synthétique des vérités absolues, nécessaires, universelles, et des vérités relatives, variables et générales; celles-ci formées sur les éléments mobiles et fugitifs de l'expérience; celles-là unies à notre constitution intellectuelle, intimes aux formes de nos pensées, et immuables comme ces formes.

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La philosophie qui s'applique au développement de la raison, l'a presque toujours opposée à l'expérience. On ne peut pénétrer, en effet, dans la pensée humaine, on ne peut en constater les différents caractères, et supposer que les perceptions des sens, et les combinaisons que nous en faisons par le langage, en représentent tous les modes, toutes les vues. Cette origine est peu conforme à la nature de certaines idées, auxquelles nous ne pouvons en assigner aucune réelle; elle est peu conforme à l'indépendance où nous paraît être le moi intelligent du monde extérieur, et à la dépendance où il est de ses jugements propres; et il nous semble que c'est renfermer la philosophie dans une bien étroite enceinte, que de la borner à montrer comment les sens et le langage instruisent et forment la raison. Sans doute les sens et le langage, étant les canaux d'un grand nombre d'idées, peuvent lui apporter de nombreux matériaux; mais sans les principes rationnels qui les dominent, nous représenteraient-ils autre chose qu'un automatisme intellectuel. Serait-ce dans ce fonds tout animal que nous découvririons les idées premières et démonstratives des sciences, et l'idée nécessaire de l'être absolu, immuable, universel? Comment se révélerait à nous la raison qui préside à l'ordre de l'univers, si parmi les attributs de notre raison n'étaient l'immutabilité et la constance ? Les formes originelles de la pensée ont toujours été placées au premier rang des méditations philosophiques par les esprits qui, peu contents d'une vue superficielle de l'homme, se sont appliqués

à l'étudier plus profondément. Platon nous montre ces formes comme les types éternels des choses; Aristote, comme des espèces intelligibles qui se détachent des objets par un acte de l'entendement ; Kant, comme des manières de concevoir et de juger inhérentes à nos facultés; Fichte, comme des modes du moi individuel ; Schelling, commes des modes du moi absolu. Kant conserve le parallélisme de la raison et de l'expérience; mais Platon refuse à celle-ci toute vérité, et ne lui laisse que la vraisemblance; Fichte en fait une création de la raison; Schelling trouve l'une et l'autre dans l'unité universelle. Toutefois, la conscience nous atteste la dualité des sens et de la raison, et ne nous atteste point l'unité individuelle ou universelle.

Comparée aux autres facultés, la raison ne peut être confondue avec aucune, et elle les éclaire toutes; elle garantit la vérité des jugements, elle recueille les notions générales formées par l'entendement, et en déduit les jugements particuliers qu'elles renferment; elle prescrit à l'imagination d'associer et de combiner les éléments fournis par la sensibilité ou par l'entendement d'une manière vraisemblable. Réciproquement toutes les facultés concourent à son usage; par la mémoire, elle opère sur les choses passées ; par le jugement, elle sépare les faits constants des faits accidentels; par l'entendement, elle généralise ceux-là et les convertit en lois; par l'imagination, elle pare la vérité, ou cherche à l'aborder au moyen des hypothèses et des conjectures; de l'analogie que lui offrent les événements passés avec les événements présents, elle infère les événements futurs; comme de la corrélation de deux idées, elle en infère une troisième. Ainsi, par le raisonnement abstrait et inductif, l'homme embrasse le cours de la vie entière, juge les circonstances probables où il peut se trouver, se propose un but, et règle ses actions de la manière la plus propre à l'atteindre.

Tout être chargé par la nature de pourvoir à sa conservation, a la faculté de discerner ce qui lui est utile ou nuisible, d'accepter l'un et de rejeter l'autre. Ce discernement ou cette raison plus ou moins enveloppée dans la sensibilité, et remarquable dans la sagacité des sens, reçoit le nom d'instinct; détermination aveugle, mais qui ne l'est pas au même degré dans toutes les espèces. Plus celles-ci s'éloignent de l'homme comme les

moyens de la vie ; elles n'en sont pas la fin. S'il n'était soutenu dans ses travaux par le sentiment du mérite qui nourrit son cœur, par celui de l'honneur qui l'ennoblit, par celui de la gloire qui l'élève ; s'il n'avait pas une imagination faite pour sentir le beau, une intelligence pour saisir le vrai, il toucherait au but par son organisation ; il ne le verrait pas s'éloigner par les efforts mêmes qu'il fait pour l'atteindre. Content d'une in

bien-être et celui de sa postérité, il pe chercherait point dans les perspectives ae l'avenir ce qui orne la vie, ce qui l'honore, ce qui lui donne du prix et de la grandeur.

insectes, plus leurs mouvements paraissent brusques, nécessités, impulsifs; moins elles montrent de choix et de délibération, et plus elles semblent appartenir à cette raison uni verselle qui met en rapport les différents corps de la nature ; plus, au contraire, elles se rapprochent de l'homme, moins leurs actes paraissent brusques et déterminés, plus elles donnent de signes d'examen, de délibération et d'analogie avec les habitudes de notre raison. Aussi ce n'est pas par l'industrie qui lui garantirait sa sureté, son telligence de la sagacité des sens que nous sommes supérieurs aux animaux ; si la raison humaine conserve son nom, si elle entre dans la définition de l'homme, c'est, au contraire, parce qu'elle en est plus indépendante, parce qu'elle n'en reçoit point de ses jugements, qu'elle n'y est point contenue tout entière. Ce n'est point aussi la parole qui donne à l'homme sa prééminence et sa dignité. La parole donnerait plus de développement et d'étendue à ses facultés ; mais elle n'en changerait pas la nature; elle multiplierait nos idées dérivées de la sensibilité ; elle ne nous tirerait pas de la vie sensuelle. L'animal jouit de mémoire, de jugement, d'une intelligence acquise par l'expérience, d'une sorte d'imagination, d'un certain raisonnement et d'induction ; mais tout cela se termine aux soins de sa conservation et de la propagation de son espèce. Ses jugements n'étant formés que sur l'expérience, sont variables comme elle, et fugitifs. S'il manifeste des affections qui ne paraissent pas toutes physiques, c'est dans la société de l'homme, et par une certaine imitation; dépourvu de signes, du langage, il n'a point d'idées générales, il ne fait point de raisonnements abstraits; il connait le bon et l'utile : l'homme connaît le vrai, le juste, l'honnête et le beau. Il aime ces types immuables, comme motifs de ses actions; il les recherche, comme objets de sa curiosité et de son imagination; il s'y attache au péril de son être matériel et périssable. La première direction de la raison la porte sans doute à l'utile, puisque, avant tout, elle doit suppléer à notre nudité, à notre faiblesse ; nous garan⚫ tir de l'intempérie des cléments; nous apprendre à repousser les attaques des animaux malfaisants, nous prémunir contre les nécessités de la vie, procurer notre bien-être et celui de ceux qui nous sont confiés : tel est le but de la prudence. Or, la prudence ne renferme point toute la raison. Les conquêtes de l'homme sur la nature sont les

Tome 19.

De la sphère intellectuelle où nous venons de nous élever, si nous descendons dans l'ordre moral, le contraste de l'homme et de l'animal n'est pas moins remarquable. La loi de l'animal est d'obéir à ses penchants, celle de l'homme est souvent d'y résister; celui-ci trouve dans sa raison un contre-poids à ses passions, il y trouve la force qu'il exerce sur lui-même ; celui là, poussé et maîtrisé par ses appétits, n'a rien en lui qui serve de frein, que la satiété de ses appétits mêmes. Pour l'un, l'utile est souvent opposé au juste, l'honnête à l'agréable, et le beau et le vrai le plus souvent hors du réel; pour l'autre, le juste est nécessairement dans l'utile, le vrai dans l'utile réel, le beau dans l'utile agréable. La raison de l'animal est individuelle et se rapporte tout entière à lui; la raison de l'homme est sociale et se partage entre lui et ses semblables. De la naissent une multitude de positions où la raison se place pour éclairer notre conduite, et nous dicter les devoirs qui y sont relatifs. Il ne suffit pas, pour rencontrer le bien, que le cœur soit droit, l'âme exempte de vices, et affranchie de toute servitude. La droiture de la conscience, sans les lumières de la raison, peut être même une source d'égarements; mais, d'une part, la raison morale n'est pas faite pour éclairer. dans une région solitaire, de pures intelligences; elle n'agit point sur la volonté, et ne dirige point ses actes sans se mêler au sentiment. Le juste, le vrai, le beau moral brillent d'une lumière pure dans la théorie, parce que l'analyse les sépare de ce qui leur est étranger; mais en pénétrant dans notre cœur, celte pureté se ternit, et la raison pratique n'est plus qu'un alliage des divers principes de justice, de bienveillance, d'intérêt, d'amour-propre z

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