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Certaines prépositions s'unissent si étroitement à leur complément, qu'elles finissent par ne plus faire qu'un mot avec lui; de là l'adverbe. (Voyez ce mot.) BOUILLET. PRÉROGATIVE. ( Politique. ) L'absence d'un dictionnaire politique est la première cause des discussions parlementaires et des troubles civils. Pour définir les choses, on emploie des mots qui, n'étant point définis eux-mêmes, ne permettent ni de s'entendre ni de se rapprocher. C'est le malheur des peuples qui portent dans une espèce de gouvernement la langue d'un gouvernement différent.

Dans les États constitutionnels, on nomme prérogative les droits et les honneurs que le peuple a octroyés au monarque ou que le prince s'est réservés par la constitution du pays.

Dans les monarchies absolues, la prérogative est, dit-on, le droit de régner par une volonté autocratique. Cette définition est absurde et fausse : les prêtres d'Égypte, les prophètes de Judée, le dalaï-lama, le pape, le muphti réfrènent la volonté du prince au nom de la volonté des Dieux; le college des prêtres, les sanhédrins, les sénats, les assemblées d'États, les parlements imposent des bornes à ce despotisme sans limites; les prétoriens, les strélitz, les janissaires, les émeutes algériennes, les insurrections, les révolutions brisent par une secousse sanglante cette omnipotence irrésistible. Il n'existe donc pas de prérogative absolue. Lorsqu'elle s'établit comme un fait, c'est l'ouvrage de la force ou de la ruse; et lorsqu'à son tour le peuple est le plus fin ou le plus fort, l'usurpation cesse et le droit renait.

Dans les républiques, nul magistrat ne peut affecter de prérogative; ces priviléges sont exclusifs de la liberté qui caractérise ces États. Cicéron fut loué par le sénat pour avoir sauvé la patrie en réprimant la conjuration de Catilina, et condamné par le peuple, pour l'avoir sauvée en outrepassant les droits du consulat et les priviléges du caveant consules.

Si le pays possède une constitution, toutes les prérogatives sont connues et limitées sous le nom de libertés publiques, le peuple possède la sienne; sous le nom de priviléges, les corps de l'État possèdent les leurs.

En France, la Charte a fait la part de chacun. Pouvait elle la mieux faire? Là n'est pas la question; les parts sont faites, il suf

fit. La prérogative royale a des priviléges immenses; mais les uns sont nécessaires à la stabilité sans laquelle il n'est ni ordre ni paix, et les autres ne deviendront hostiles que par une abusive interprétation.

L'inviolabilité est la première de ces prérogatives et place nos rois au-dessus des monarques absolus: avec elle, Louis-le-Débonnaire n'eût pas craiut le jugement des évêques, Henri III la sainte-ligue, Henri IV les bulles du pape, Louis XIV la fronde et les barricades, Louis XVI les clubs populaires.

D'où provient l'inviolabilité? Est-ce d'un droit préexistant et divin? La finesse jésuitique est encore assez bêtement maladroite pouroser le prétendre. L'inviolabilité royale nait de la responsabilité ministérielle qui, faisant tourner la culpabilité, le soupçon même du prince au ministre, indique le scul auteur des calamités que l'opinion puisse flétrir, que la chambre des députés puisse accuser, que la chambre des pairs puisse juger et punir. On s'est plaint de la presse et de quelques paroles hostiles dont le blâme pouvait, dit-on, planer sur le monarque : la faute est grave; mais jusqu'à ce jour nous n'avons pas eu un seul ministre qui comptat assez sur sa force ou sur sa loyauté pour rendre la couronne parfaitement inviolable en proposant une loi sur la responsabilité. Et toutefois l'inviolabilité ne peut constitutionnellement exister qu'où la responsabilité ministérielle existe légalement.

Le droit d'assembler et de dissoudre les chambres, de nommer les pairs et le président des députés; l'initiative qui permet de ne présenter que les lois qu'on désire, la sanction qui autorise à rejeter celles qu'on ne veut pas; ces priviléges, le budjet excepté, seule prérogative réelle qui reste aux mandataires de la nation, font que le monarque est, sauf le conseil des chambres, le véritable législateur du pays.

Le droit de paix et de guerre, les traités de commerce, la diplomatie donnent au prince constitutionnel autant de dignité et plus de force qu'à l'autocratie même : ce n'est pas ici la volonté capricieuse et isolée d'un souverain qui parle aux puissances étrangères, c'est un prince exprimant l'unanime volonté de sa nation.

La nomination à toutes les places de l'ordre judiciaire qui, malgré l'inamovibilité et par le malheureux système d'avancement, place sous l'influence du pouvoir, non-seu

lement le droit de dispenser la justice, mais cette tendance à trouver des culpabilités po litiques dans tout ce qui n'est pas soumis au jury.

La nomination à tous les emplois, la dis-. tribution de toutes les faveurs, de toutes les récompenses qui permettent au prince de disposer des trésors de l'État, de payer tous les services, de punir par l'oubli toutes les inimitiés, et de s'entourer de cette haute domesticité de flatteurs, servitude brillante et mobile qui semble faire partie des meubles, des statues, des tentures du palais, dont elle augmente le luxe sans en accroître la force et la majesté.

Le droit de faire grâce qui, réparant ces crimes des magistrats qu'on appelle des erreurs, ou ces erreurs des lois qu'on nomme juste sévérité, environne le monarque d'une majesté religieuse, le fait apparaître au sommet de la hiérarchie sociale comme une providence vivante, laisse monter vers le trône les pleurs et la prière pour en faire descendre la miséricorde ou l'équité.

Ces prérogatives de la royauté constitutionnelle sont immenses; elles constituent complètement la monarchie absolue, moins l'arbitraire. La postérité dira combien devaient être stupides ces ministres qui depuis 1814 n'ont pu gouverner avec une si vaste latitude de priviléges, et qui pendant seize ans n'ont pu se tenir debout avec la Charte sans s'appuyer sur la terreur, la corruption et la vénalité.

Pour résister à la prérogative royale, les chambres seraient sans force : l'initiative et la sanction réduisent le droit de discuter à la permission de conseiller. L'accusation des ministres serait dans leurs mains une arme salutaire; mais les ministres ne veulent pas de responsabilité ils aiment mieux compromettre l'État que leur personne, et jusqu'à l'existence de cette loi, le budget sera l'unique planche de salut des libertés publiques.

Ici deux prérogatives sout en présence: la couronne demande de l'argent pour faire, et la chambre refuse la somme demandée, parce qu'elle ne veut pas qu'il soit fait. Toute la politique rentre alors dans le budjet. Le prince veut, et la chambre qui ne peut con trôler sa volonté souveraine, refuse l'impôt sans lequel la volonté du prince doit être sans objet.

Ainsi partout où la prérogative paraît, elle suscite nécessairement une résistance, c'est

à-dire l'apparition d'une prérogative ombrageuse et rivale. Dans les pays constitutionnels, cette résistance s'appelle opposition. Presque toujours elle est sans danger. Le roi agit dans la sphère de sa prérogative constitutionnelle, la représentation nationale résiste dans le cercle de ses priviléges constitutionnels : alors cette opposition, souvent plus sage, plus prévoyante, plus amie des libertés et du pouvoir que la couronne même, ne peut jamais, fût-elle inconvenante dans ses écarts, hostile dans ses prétentions, troubler en rien l'ordre établi. La Charte est l'arbitre commun, le juge suprême de ces rivalités l'opinion, reine absolue dans les pays libres, fait divorce avec toute résistance capable de porter atteinte aux intérêts généraux; et l'opposition parlementaire, privée de l'appui de l'opinion publique, n'est rien, absolument rien.

Toutefois cette prérogative contre l'opposition peut, en dénaturant le gouvernement représentatif, produire de funestes résultats. Lorsqu'une imprévoyance fatale livre à un intérêt spécial la défense de la prérogative, l'opposition est contrainte, pour sauver la liberté, d'accepter la protection de l'intérêt contraire, quel qu'il puisse être. Des deux côtés, on se bat sur le terrain de la constitution et contre la constitution. Toute sauvegarde constitutionnelle disparaît dans cette arene. Protectrice d'un parti, la royauté finit par ne paraitre qu'un parti; et l'opposition, devenue parti à son tour, lutte corps à corps avec la puissance même. C'est ainsi que le jésuitisme et la cour de Jacques II perdirent la dynastie des Stuarts; c'est ainsi que le jésuitisme et l'émigration compromirent pendant quelque temps la restauration française. Hors ce cas unique où la monarchie se dépouille de son inviolabilité pour en revêtir quelques ambitieux perturbateurs, et descend pour leur compte dans la région des tempêtes, les discussions constitutionnelles, quelque véhémentes qu'elles puissent être, ne compromettront jamais l'existence des pouvoirs créés par la constitution.

Mais une charte quelconque craint toujours d'oublier quelque prévision, et ne manque jamais de créer une prérogative dictatoriale pour les cas imprévus. Tel est l'article 14 de la Charte. Comme la cour et les jésuites ont voulu confisquer la Charte tout entière au profit de l'article 14, la nation s'est effrayée de cette disposition constitutionnelle. Elle est cependant d'une haute

sagesse. Un profond penseur, qui certes ne pèche point par déférence pour la monarchie, Locke, a très-sagement dit : « Il est des choses que le souverain n'a pu prévoir, et les lois doivent quelquefois céder au prince, ou plutôt à la loi fondamentale qui veut, avant tout, que la société soit conservée. » Le salut de la patrie peut en effet exiger qu'on ne recoure pas à une assemblée législative, toujours difficile à rénnir, lente à délibérer, et perdant en paroles le temps destiné aux actions. Les amimones, les éphores, les dictateurs, les censeurs, les inquisiteurs étaient investis de cette dictature non illégale, mais supra-légale. Dans la monarchie, une dictature supérieure au monarque ne peut se concevoir, et détruirait toute l'harmonie sociale; lui seul peut être investi de cette immense mais passagère prérogative. Voilà l'article 14 de la Charte.

Si le prince use de sa dictature dans l'intérêt public, l'État est sauvé; et cette perturbation momentanée des éléments constitutionnels est l'instrument salutaire qui ramène l'ordre constitutionnel et permanent. Mais que doit-il arriver si, par quelque coup d'État, le monarque use de la dictature pour porter atteinte aux libertés publiques? Ecoutons encore le sage Locke : « Le peuple, en vertu d'une loi qui préexiste et prédomine, a le droit, lorsqu'il n'y a point d'appel sur la terre, d'examiner s'il y a juste sujet d'en appeler au ciel ; et pour recouvrer son droit originaire, il en app elle au glaive et prend Dieu pour juge entre le prince et lui. » Ainsi, la prérogative constitutionnelle fait naître une résistance inoffensive qui s'appelle opposition; la prérogative dictatoriale suscite une résistance perturbatrice qui se nomme insurrection.

Locke, qui a tant et si bien vu, n'avait pas assez creusé les profondeurs du gouver nement représentatif. L'article 14 de la Charte est nécessaire; s'il est dangereux, c'est qu'il est incomplet. Toute mesure dictatoriale prise dans l'intervalle des sessions devrait, par le seul fait de son existence, entrainer l'accusation des ministres; et les travaux parlementaires ne pourraient s'ouvrir qu'après une condamnation ou un bill d'indemnité. Cette loi simple et loyale placerait la prérogative au-dessus des émeutes populaires.

Lorsque les princes n'ont pas de prérogalive constitutionnelle, les peuples ne sauraient avoir de résistance légitimée. Mais Tome 19.

quand les Anglais laissèrent à leurs rois le droit de pourvoir dans certains cas au bien public, sans règlement et sans lois, ils établirent un tribunal de vingt-cinq barons chargés de défendre, par tous les moyens possibles, la liberté publique contre cette prérogative illimitée qu'ils venaient d'établir. Quand les Polonais craignirent la prérogative, ils organisèrent leurs rokkos. Des deux parts tout était arbitraire, violence, désordre public: mais toujours et partout, dans cette lutte intestine, la prérogative est vaincue et la résistance triomphe. Cela doit être ainsi, elle a la liberté pour objet et le peuple pour appui.

Comme on le voit, une prérogative trop étendue appelle pour contre-poids une résistance illimité. On ne saurait organiser un despotisme constitutionnel sans constituer en même temps une révolte légale. Alors l'insurrection est un droit pour tous, un devoir pour les grands citoyens; c'est la seule résistance possible et réelle. Mais quand l'épée est l'unique droit de pétition, de doléances, de remontrances, le peuple est placé dans la terrible alternative de périr ou de recourir au glaive.

Les despotes cependant ne règnent pas, en général, par une autorité constitutionnellement sanctionnée. La violence, la ruse et le temps font plus de tyrans que la volonté des peuples. La prérogative paraît alors sans contre-poids, et la résistance criminelle. C'est le terrain des factions, des conspirations, des ligues, des émeutes. Ces résistances irritent le pouvoir, même lorsqu'il en triomphe : elles múrissent toutefois l'esprit des peuples ; et lorsque la masse est lasse du joug, le joug est brisé : une révolution, résistance suprême, s'accomplit, et toute prérogative disparaît devant elle. L'histoire des princes d'Orient, celle des monarques du Nord avant que l'autocratie, assouplie par la civilisation, eût perdu son arbitraire cruauté, sont un véritable martyrologe royal. La France est célèbre par son amour pour ses rois n'oublions pas cependant les Valois cédant le trône aux Bourbons par l'assassinat de Henri III, Henri IV et le poignard de Châtel et le couteau de Ravaillac; Louis XIII luttant sans cesse contre des rébellions sans cesse renaissantes; Louis XIV sans asile dans son royaume, son testament cassé et son cercueil couvert de malédic tions; la régence et la conjuration de Cellamare, et les conspirations des princes légi

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timés; Louis XV et Damiens, Louis XVI et les déplorables malheurs de sa famille. Je sais tous les anathèmes lancés contre ces complots qui menacent les souverains absolus; mais il ne faut pas oublier aussi cette résistance qui, tantôt vigilante, muette et masquée, tantôt audacieuse, à découvert et tonnante, veille éternellement le fer à la main auprès de leurs prérogatives illimitées. L'Europe est monarchique depuis des siècles, et cependant les coups d'État contre ce peu qui reste de libertés au peuple ont été constamment flétris; les Jefferyes, les Laubardemont, les Vani sont en horreur ; et cependant la puissance n'a jamais pu flétrir ses victimes, même justement condamnées. Ces grands perturbateurs de l'ordre monarchique tirent de leur crime même je ne sais quelle illustration protectrice de leur mémoire; les Russel, les Sidney, les Padilla, les d'Armagnac, les Biron, les de Thou, les Montmorency ont revêtu le crime qui les traînait à la mort d'une gloire nouvelle et d'une impérissable renommée. Les coups d'État qui veulent accroître la prérogative soulèvent contre eux toutes les passions généreuses. Les crimes d'État qui veulent la restreindre obtiennent l'honneur et l'assentiment des siècles pour eux, un arrêt est un assassinat; l'échafaud, un autel; le supplice, un martyre.

Je sais tout ce qu'on peut dire contre la prérogative et contre la résistance; mais celle-là est nécessaire, et celle-ci, fût-elle injuste, est inévitable. Où le prince et le peuple ne trouvent plus dans les lois d'arbitre commun, toute agression entraîne la guerre.

Je sais enfin que les rois méprisent assez ces droits de résistance; il sont absurdes en effet. Le peuple est-il le plus faible? Le droit de résistance se change en crime de rébellion. Est-il le plus fort? Le crime de rébellion devient droit de résistance. Qui donc jugera entre le prince et le peuple? « C'est la force, dit Locke; c'est Dieu que Jephté prit pour juge. » Mais le glaive peutil être l'arbitre de l'état social? N'a-t-il pas été institué précisément pour éviter cet état de violence? Si l'ordre et la paix furent son principe, la guerre peut-elle être sa fin?

Nous verrons à l'article SOUVERAINETÉ que toutes les immunités des monarchies européennes dérivent des priviléges démocratiques que les empereurs usurpèrent sur le peuple romain. Cette imitation de l'empire est venue compliquer encore la question. La

prérogative est personnelle au monarque; les ministres, pour éluder toute responsabilité, tâchent de s'envelopper aussi de prérogatives. Les princes les admettent volontiers au partage de leur inviolabilité ; les uns par ruse, pour rejeter sur eux l'odieux de leur règne : ainsi fit Tibère pour Séjan; les autres par faiblesse et pour s'épargner l'embarras de régner. Arcadius et Honorius proclamèrent leurs ministres parties intégrantes du corps de l'empereur. Le parlement déclare que Richelieu est une partie. de Louis XIII; après avoir décrété Mazarin, il le revêt de l'inviolabilité royale. Calonne écrit à Louis XVI de publier qu'il avait dilapidé le trésor par ses ordres, pour que l'adhésion du roi écarte toute responsabilité. Il faut peu s'occuper de ces querelles dans la monarchie absolue : les émeutes, les insurrections, les révolutions en font justice. C'est à faire au glaive : la raison n'y peut rien.

Mais dans les monarchies constitutionnelles, état d'ordre et de paix, les ministres ont la même soif d'irresponsabilité. Oubliant que l'inviolabilité royale ne peut être où la responsabilité ministérielle n'est pas, ils veulent s'envelopper des immunités monarchiques, et porter dans l'état représentatif les maximes contestées même dans les gouvernements absolus. Les princes pensent, en général, que toute limite répugne à leur puissance. Il est peu de Théopompes et d'Antonins; peu qui puissent croire qu'on ne doit travailler à la gloire et au bonheur de l'État qu'avec une main légale et légitime; et presque tous, enclins à substituer leur volonté propre à la volonté de la loi, se laissent séduire à ces flatteries ministérielles. Elles coûtèrent la vie à Charles Ier, le trône à Jacques II, la vie à Gustave III, le trône à Gustave-Adolphe. A la restauration française, M. Decazes voulut aussi que le ministère fit partie de la royauté, et jouit de ses prérogatives; les tribunaux adoptèrent ces maximes absurdes et condam nèrent un jeune écrivain : mais dès que le ministre s'aperçut qu'il ne pouvait établir l'irresponsabilité ministérielle sans détruire l'inviolabilité royale, il abandonna la loi d'Arcadius et les prétentions de Richelieu; elles furent reprises par M. de Villèle ; M. de Polignac heurte à toutes les cours royales de France pour les faire accueillir; on n'a pu rien écrire contre son pauvre ministère, que toute expression blessant sa malencontreuse vanité ne fût un outrage

direct à la dignité royale. Les tribunaux ont en général une sagesse plus prévoyante; malgré la loquacité furibonde du ministère public, les magistrats ont vu que les ministres ne pouvaient passer rois, sans que les rois dégradés tombassent ministres; que la responsabilité était déplacée, que l'inviolabilité était remise en question, et que la prérogative ne serait nulle part, précisément parce qu'on voulait la placer partout. Nous le répétons, la prérogative constitutionnelle est un bien, et l'opposition qu'elle suscite ne saurait être un danger. La prérogative supra-légale, vaguement prévue, plutôt que sagement definie par l'article 14 de la Charte, peut, en l'absence des chambres et dans un temps de calamités publiques, devenir nécessaire. Mais son apparition, quelque éphémère qu'elle soit, suscitera plus de périls qu'elle n'en saura dissiper. L'unique moyen d'écarter ce qu'elle a d'hostile pour la liberté, de dangereux pour le pouvoir, est de déclarer d'avance les ministres qui en feront usage en état réel de prévention, jusqu'au moment où le pouvoir législatif reconnaissant qu'ils ont usé de la prérogative dans l'intérêt général, les réhabilite par un bill d'indemnité. C'est ainsi que le sénat romain avait le droit de faire et d'exécuter certains règlements pendant un an, époque à laquelle le peuple les approuvait ou les annulait; c'est ainsi seulement qu'on peut rentrer dans la loi, après en être sorti pour obéir à la loi première du salut de la patrie.

La loi a fondé les sociétés; seule elle peut les rendre durables; seule elle est tout, tout le reste n'est rien: si la prérogative est légitime, inviolable, sacrée, c'est que par la volonté de la loi, cette prérogative même est une loi vivante.

PAGÈS.

PRESCRIPTION. (Législation.) On peut définir la prescription un moyen d'acquérir ou de se libérer, sans être tenu de produire un titre établissant la propriété ou la libération, et par le seul effet de la possession pendant un laps de temps déterminé.

La prescription est d'ordinaire peu favorable; et cependant les jurisconsultes l'appellent la patrone du genre humain. Ces deux idées contradictoires sont pourtant faciles à concilier.

Dans une foule de circonstances particulières, la prescription est accueillie avec peu de faveur, parce qu'elle sert à repousser des réclamations légitimes, et peut devenir

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ainsi l'auxiliaire de la mauvaise foi mais en général, l'usage de la prescription peut être utile, en ce qu'elle consolide des droits sanctionnés par le temps, et qu'il serait quelquefois difficile de justifier par des titres. Au moyen de la prescription, les propriétés ne sont pas trop long-tems incertaines puisque l'ancien possesseur est considéré comme légitime propriétaire.

Nous indiquerons les caractères et les effets de la prescription, d'abord en matière civile, ensuite en matière criminelle.

Considérée comme moyen d'acquérir, la prescription peut s'appliquer aux immeubles, comme aux objets mobiliers, mais jamais aux choses qui ne sont pas dans le commerce.

Pour servir de base à la prescription, la possession doit être continue, publique, non interrompue, et à titre de propriétaire : des actes de pure faculté ou de simple tolérance ne peuvent fonder ni possession ni prescription.

La prescription peut être interrompue naturellement, par la privation de jouissance de la chose pendant plus d'un an ; ou civilement, par l'effet d'une citation en justice, d'une saisie ou d'un commandement, signifié à celui qu'on veut empêcher de prescrire.

Ces règles sont communes à toutes les espèces de prescriptions. Voici quelques règles spéciales aux divers objets sur lesquels la prescription peut avoir lieu.

En matière d'immeubles, on admet deux sortes de prescriptions, savoir: la prescription de dix ans entre présents, et de vingt ans entre absents, lorsque le possesseur a acquis l'immeuble de bonne foi, et par juste titre, de celui qu'il croyait en être le propriétaire; et la prescription de trente ans, en faveur de celui qui a possédé l'immeuble pendant cet intervalle, quoiqu'il ne puisse produire de titre à l'appui de sa possession.

Relativement aux meubles, la possession vaut titre dans des circonstances ordinaires; de telle sorte que celui qui possède un objet mobilier peut s'en prétendre propriétaire, sans être tenu de produire un titre, ni de prouver que sa possession se serait prolongée pendant un laps de temps plus ou moins considérable.

Toutefois, lorsque la dépossession du véritable propriétaire a eu lieu à son insu ou contre sa volonté, c'est-à-dire, lorsqu'il s'agit d'un objet perdu ou volé, il peut le ré

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