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tionnellement ministérielle, et qu'il faut tème représentatif de cette immense partie des ministres d'une profonde stupidité et d'une déloyauté parfaite pour rencontrer une opposition considérable dans nos assemblées délibératives.

On peut dire que, si les patentés étaient exclus du vote, et si la révolution n'avait point démembré les fortunes mobilières, la noblesse seule formerait la classe électorale; et la monarchie constitutionnelle de la restauration priverait de toute participation au pouvoir ce peuple de citoyens qui, sous le titre bizarre de tiers-état, entraient pour les deux tiers dans les États-généraux de la monarchie absolue de l'ancien régime.

La loi du double vote, qui donne deux voix et deux collèges aux plus imposés, est encore une preuve vivante de la terreur qu'inspire la démocratie.

Le citoyen ne peut intervenir dans les affaires publiques que par le droit de pétition; ou, pour mieux dire, ce droit même est illusoire, puisque les pétitions sont écartées lorsqu'elles ont pour but l'intérêt général, et qu'il n'en est bruit que lorsqu'elles réclament le redressement de quelque tort privé. Nous avons même vu traiter de séditieuses ces pétitions collectives où les habitants d'un village et d'un hameau se plaignaient ensemble de griefs qui les blessaient tous également.

La cité même n'a qu'un seul moyen d'intervenir dans ses propres affaires; c'est l'opinion publique, cette reine du monde, dont les gouvernements représentatifs proscrivirent l'autorité. De 1790 à 1814, sa puissance fut étouffée dans les bras de fer de l'anarchie et du despotisme. Rallumé par la restauration, ce flambeau vint éclairer l'Europe d'une lumière inattendue. Placée en dehors du gouvernement représentatif même, la liberté de la presse, honorée de l'inimitié persécutrice de toute autorité, flagellée des arrêts de la magistrature, outragée des plus odieuses insultes du ministère, la liberté de la presse a été accueillie, protégée, adorée de tous les peuples qui la regardent comme l'unique et puissant rempart de la civilisation moderne. Née de l'opinion qu'elle suscite à son tour, populaire parce qu'elle est l'expression des besoins du peuple, la presse, écho de toutes les plaintes, de tous les désirs, de toutes les espérances, de toutes les frayeurs ; la presse est malheureusement placée en dehors de tous les gouvernements. Elle forme seule le sys

du peuple qui ne participe point à la représentation. De là provient la plus grande calamité de l'époque actuelle. L'abus des finances dans le pouvoir, l'abus de la presse dans le peuple bouleverseront incontestablement toutes les formes de gouvernement maintenant en vigueur. Ceci sort de notre sujet, mais nous conduit à remarquer que le gouvernement représentatif a pour objet d'écarter les masses: c'est là son imprévoyance et son malheur ; il n'a pas eu l'ha bileté de les échelonner derrière, et il est effrayé de les trouver en face! Il a eu l'orgueil de les répudier pour auxiliaires, et il est effrayé de les avoir pour ennemis !

La monarchie représentative est pousséc vers l'aristocratie; par un aveugle instinct, elle ne voit pas que là seulement est l'écueil du pouvoir du monarque. Le sénat, la pairie ne peuvent rien contre le peu qui reste de liberiés démocratiques. La chambre élective a toujours le budget, et le budget suffit pour em pêcher la prescription de ses prérogatives. C'est contre le pouvoir royal que la pairie est usurpatrice; sous prétexte de le secourir, elle le dépouille. Le roi n'était que l'instrument des seigneurs polonais instrument honoré tant qu'il était servile, brisé dès qu'il devenait dominateur. « Nous sommes » autant que vous, et nous pouvons plus » que vous,» disaient à leur prince les seigneurs d'Aragon. La pairie anglaise dépouilla Charles Ier; et ce prince, privé de ses prérogatives par la noblesse, tombe sans force au milieu des fureurs populaires. C'est elle encore qui livra au prince d'Orange le trône de Jacques II. C'est elle enfin qui, usurpant toutes les immunités de la couronne, règne aujourd'hui sur la GrandeBretagne. Ce sont les chapeaux et non les bonnets qui brisèrent si souvent le sceptre de Suède. Ce sont les Guelfes et non les Gibelins qui livrèrent à l'empereur toutes les souverainetés de l'Italie. Qui pourrait faire la part de la noblesse de France dans les infortunes de Louis XVI ?

La pairie a, pour ainsi dire, un instinct d'usurpation. Si la constitution la place dans la nécessité de respecter à la fois les immunités du peuple et les prérogatives du trône, elle se refuse à l'établissement du système représentatif; voyez le royaume de Wurtemberg; voyez les inimitiés nobiliaires et sacerdotales soulevées par les constitutions de Madrid, de Lisbonne, de Naples

et de Turin ; voyez les obstacles qui s'opposent à son introduction dans l'Allemagne; voyez les injures dout on l'accable en France depuis 1814. et la ligne courbe de M. de Ferrand, et la marche rétrogade et tortueuse de M. de Villèle, et M. de Polignac regardant en arrière, et n'osant aller à ce qu'il regarde.

Les dépositaires du pouvoir pensent que dans le gouvernement représentatif il est possible d'établir entre le peuple et le prince un gouvernement ministériel. Mais pour aider les ministres à dépouiller à-la-fois le prince et le peuple, une majorité quelconque voudra toujours partager leurs dépouilles, se constituer en oligarchie et gouverner par elle-même. Le maire du palais voulut aussi administrer par les grands vassaux ; et les grands vassaux, après avoir constitué le gouvernement ministériel, se partagerent en grands fiefs le territoire; ensuite ils aidèrent le maire à chasser le roi, et l'on ne vit plus alors ni monarque ni sujets. C'est le gouvernement ministériel qui, groupant autour du trône l'oligarchie de l'Angleterre, a fait du roi un grand pensionnaire, et fait vivre le bas peuple de ces petites pensions connues sous le nom de taxe des pauvres.

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Il est une autre espèce de gouvernement ministériel celle-ci consiste à s'appuyer tantôt sur un parti, tantót sur un autre; misérable jeu de bascule dont l'Angleterre a essayé aussi long temps qu'elle l'a pu, et passant tour à tour des wighs aux torys, présentait une versatilité de principes qui à tout ce qu'il a d'immoral dans un pays insulaire, ajouterait tous les perils dont un défaut de système environne les nations continentales. Ce Walpole, qu'on appela le père du despotisme, et qui n'était que le père de la corruption; ce Walpole, qui connaissait le prix de tous les hommes, parce qu'en effet il en avait acheté un grand nom bre, n'ajouta rien aux prérogatives royales. Seulement il apprit aux hommes qui cherchent à se vendre, à s'ameuter autour des ministres qui veulent les acheter; et cette avidité corrompue qui va chercher la faveur corruptrice, peut bien prolonger l'existence ministérielle d'un homme, mais ne saurait constituer un système de gouvernement du rable.

La France, imitatrice par instinct, posséda plusieurs singes de Walpole, caressant tourà-tour les royalistes qui ne voulaient pas de charte, et ceux qui l'adoptaient; les bona

partistes qui se pliaient à tous les systèmes, moins la dynastie des Bourbons; les constitutionnels qui voulaient le trône avec la liberté, et les républicains qui voulaient la liberté sans le trône. Les amis qu'ils avaient caressés la veille, devenaient, on ne sait pourquoi, leurs ennemis du lendemain. Si leurs alliés du moment ne formaient pas une majorité complète, ils cherchaient vite parmi leurs adversaires quelques plates vénalités, et n'arrivaient à celles qui coûtent cher qu'après avoir épuisé le bon marché; car les voix que ne connait pas la tribune, se comptent également au scrutin.

Je le demande à tout homme de bonne foi, qu'a produit ce système de bascule, et qu'a-t-il établi? Si j'en excepte la corruption, qui s'est assise sur une large base, que voit-on autour de nous de stable et de fixe? Sait-on ce que veut le pouvoir, ce que désire le peuple? Quelle théorie conduit celui-là? quelles espérances conçoit celui-ci ? La charte même, pacte fondamental, n'estelle pas chaque jour menacée dans son essence? Les uns ne veulent-ils pas usurper la liberté au nom de la prérogative? Par un juste retour, les autres ne voudront-ils pas confisquer la charte au profit de la liberté ? Dans les assemblées démocratiques d'Athènes, a-t-on jamais parlé d'exhéréder les magistrats? Dans le sénat romain, a-t-on opiné pour déshériter le peuple? Lorsque, à Londres, à Paris, à Stockholm, en Hollande, en Suisse, on mit aux prises les diverses utopies politiques, les révolutions suivirent ces débats. Lorsque l'on examine l'utilité, l'opportunité, la légitimité du pacte fondamental, le doute suit l'examen, la foi politique disparait, et les bouleversements suivent le doute. Au hasard de ces cataclismes, on dispute sur l'existence sociale, comme dans nos écoles métaphysiques sur une fantastique subtilité. Ce n'est pas ainsi que les peuples se gouvernent, que l'ordre s'établit, que la paix se fonde. Après dix ans de république, quinze ans d'empire, seize de restauration, nous voilà revenus aux espérances, aux craintes, aux tâtonnements de 1789; et nous joûtons d'esprit et de vanité sur ce terrain, sans nous souvenir de ces quarante ans de conflagration qui l'ont bouleversé, de ces foudres qui, tombant sur tous les partis, en frappèrent toutes les sommités. Débris échappés à tant de naufrages, nous appelons encore les tempètes avec l'aveugle sécurité de ceux qui

n'ont jamais quitté le port. Nous avons vu des ministères, œuvres du mensonge et de l'incapacité, descendre au métier de faussaire dans les listes d'électeurs, se vanter de ces fraudes électorales, qui sortaient du scrutin le nom de candidats qu'on n'y avait point déposé ; nous avons vu des ordonnan ces motivées sur le scandale des élections, sur l'impunité des sentences de la magistra ture; nous avons vu des journaux, payés par des ministres, proclamer que la royauté ne pouvait plus marcher dans les entraves parlementaires, et qu'il importait d'en finir avec le système représentatif. D'où vient cette aveugle et ombrageuse turbulence? De quelques chétifs démêlés entre les ministres et la majorité. On ne voit pas qu'au delà même d'une représentation, qui n'intéresse guère que cent inille familles, il existe trente-deux millions de Français, dont on ne compte ni la voix, ni le vote, ni les répugnances, ni les désirs, et dont l'opinion sera d'un effroyable poids, si jamais elle entre dans la balance. On ne voit pas que notre forme de gouvernement est éminemment aristocratique : noblesse d'épée, de robe ou de sole, ricos hombres ou possidenti, chapeaux, guelfes ou tory's, peu importe; c'est toujours trente deux millions de citoyens gouvernés par cent mille familles, et déshérités de toute participation au gouvernement. La féodalité de Charlemagne et de Hugues Capet ne se réduisait pas à un aussi petit nombre, et la noblesse de Henri IV et de Louis XIV ne livrait pas la France à une aussi faible minorité.

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L'aristocratie représentative a chez nous un vice qui m'effraie pouvoir ou liberté, elle ne peut rien ni pour l'un ni pour l'au tre. Il faut en déduire d'abord tout ce qu'on peut appeler noblesse, et celle qui a repris ses titres, et celle qui a conservé les siens, et celle à qui on en donne chaque jour : ces vains titres, privés de droits réels et de priviléges honorifiques, ne sont plus que des sobriquets ridicules par leur contraste de néant et de vanité, fâcheux parce qu'ils luttent sans moyens de défense contre cette fièvre d'égalité, maladie épidémique des États où la civilisation est très-avancée. Il ne reste que la pairie, haute et nécessaire magistrature, sans laquelle tout balancement de pouvoir est difficile et périlleux. Mais, dans un pays d'amour-propre et de vanterie, que peut être une pairie qu'il faut pensionner pour qu'elle puisse vivre? Que Tome 19.

peuvent des pairs que nous avons vus sortir par soixante et soixante seize des bancs muets de la chambre élective et des fauteuils asservis des salons ministériels? Quelles sont leurs racines? quel est leur pouvoir ? quelle peut être leur influence d'illustration, de richesse, de popularité ? Je sais ce qu'est la chambre haute d'Angleterre : elle chassa la maison des Stuarts; elle appela la maison d'Orange, elle gouverne la Grande-Bretagne, elle règne sur ses colonies, elle possède les deux tiers du territoire, et la moitié des capitaux du monde sont devenus sa propriété. De là son ascendant sur le prince et le peuple. Mais, en France, que peuvent nos pairs sur la cour qui les fait vivre, sur la nation qui ne les connaît pas? Créée par des ministres qui cherchaient des majorités, ouverte à tous les ambitieux que leur incapacité fait tomber du ministère, la pairie constitue un moyen de gouvernement ministériel; mais elle est loin encore de ce que devrait être l'aristocratie dans un gouvernement représentatif, assez populaire pour préserver la monarchie des attaques de la démocratie, assez puissante pour préserver le peuple de usurpations de la cour.

Mais si les uns exagèrent les anxiétés du pouvoir, les autres prennent à tâche de grossir les craintes de la liberté. Au-dessus des journaux, des pamphlets et des chambres, plane une puissance inconnue : c'est la nécessité nationale, qui, comme le fatum de l'antiquité, se rit des querelles et des prétentions des grands et des petits dieux. N'en déplaise à Montesquieu, le gouvernement représentatif n'est pas né dans les forêts de la Germanie, comme un gui sur un chène d'outre-Rhin ; n'en déplaise à nos ánglomanes, cette création ne fut pas conquise par l'épée séditieuse des barons d'outreManche. A la chute de la servitude et de la féodalité, ce gouvernement s'établit comme le résultat nécessaire de la nature des choses, comme la nécessité, la fatalité de l'époque. Pour lutter contre les seigneurs, les rois eurent besoin d'une armée permanente et d'argent pour la payer. Pour soutenir la même tutte, les peuples ne purent se passer de . chefs, d'ordre et de force. Il fallait aux uns des impôts, aux autres des libertés : de là les assemblées délibératives. De l'impossibilité de réunir tout un peuple pour délibėrer, naquirent l'élection et la représentation. Les rois, les peuples n'y firent rieu : tout se créa de soi-même, et la force de

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choses a tout fait. Le peuple octroyait l'im pôt, que le monarque recevait avec gratitude: le monarque octroyait la liberté, que le peuple acceptait avec reconnaissance.

De nos jours, la nécessité de faire respecter le pouvoir royal à l'intérieur et à l'étranger, établit la nécessité d'une armée immense. Le luxe des cours et l'avidité des courtisans établissent la nécessité d'énormes richesses; ces nécessités à leur tour créent la nécessité de l'impôt et de l'emprunt. Or, ces nécessités ne peuvent être satisfaites sans le concours de la nation; donc le gouvernement représentatif est la fatalité de l'époque nul ne peut s'y soustraire; peuple ou prince, usurpation ou légitimité, il faut s'y résigner ou mourir. L'alternative est fatale.

Ce n'est pas certes qu'à une époque de paix et de prospérité, le gouvernement ne puisse briser ces entraves parlementaires; inais l'usurpation ne saurait être de longue durée du moment où le bien-être disparaitrait, où la tranquillité serait troublée au dedans et au dehors, que ferait le roi d'Angleterre avec ses vingt milliards de dette et ses quinze cents millions d'impôt? le roi de France avec son milliard d'impôt et ses sept milliards d'emprunt? Qui ne pourrait prophétiser Fissue de cette crise? La GrandeBretagne, où l'aristocratic, domine puissante et compacte, passerait à l'état de Venise après le serrar di consiglio. La France, où, par la nature des choses, les propriétés sont très-morcelées, les illustrations trèséparpillées; où la dignité des uns, la position des autres, la vanité de tous, rejettent ou ridiculisent toujours les supériorités factices et souvent les supériorités réelles, ne retournerait pas certes à la démocratie populacière de Robespierre, l'épreuve en est faite mais le système républicain des États-Unis, leur gouvernement à bon marché, leur liberté politique, leur égalité légale, leur prospérité croissante, qui déjà trouvent des admirateurs et des évangélistes, finiraient par prêter à la nation l'appui protecteur de leur garantie. Cette lutte, commencée par la monarchie, finirait contre la monarchie; et comme il est impossible de croire à la folie ou à la cécité des princes, il est intempestif d'effrayer les peuples de terreurs sans cause, par la seule raison qu'elles sont sans objet.

Ce n'est pas que le ministère ne puisse imaginer quelque mode d'obtenir l'impôt

avec des formes moins hostiles au pouvoir, moins favorables à la liberté. Les Girondins, pour détruire la centralisation du despotisme populaire, imaginèrent le fédéralisme; ils voulaient établir, sur six ou sept points du pays, des centres de résistance. C'était renouveler au profit du peuple ces grands fiefs que la féodalité avait créés au profit de l'oligarchie. Si les Girondins eussent possédé une activité égale à leur génie, la république une et indivisible aurait cessé d'exister; et la France, partagée en petits états républicains, ayant leurs assemblées délibératives, leur vote de l'impôt, leur milice, eût, comme les états de l'union américaine, vu tomber sans effort l'effroyable dictature dont Robespierre s'était investi. Mais qu'un ministère royaliste, trouvant la royauté établie une et indivisible; imagine de détruire l'unité, de diviser les pouvoirs, d'établir des centres d'hostilité et des centres de puissance où un fonctionnaire délégué, alter-ego du prince, fantôme de sa puissance, viendrait, comme une ombre de monarchie, lutter dans des assemblées dont les membres, placés au milieu de leur pays, entourés des individus sur lesquels s'exerce leur influence, représentans de toutes les impressions locales, de toutes les individualités, ne pourraient trouver de pouvoir qui pût faire équilibre avec eux, cette idée bizarre, quel que fût le ministre qui la conçût, perdrait infailliblement la monarchie. Les députés, plus avares au milieu de localités nécessiteuses, ne voteraient l'impôt qu'avec une indigente parcimonie; leur hostilité morale, appuyée sur la force physique du pays, en deviendrait plus redoutable ; et la monarchie qui, entourée de sa majesté, de ses corruptrices séductions, de ses armées et de ses finances, éprouve quelque gêne pour résister à une seule opposition éloignée de tout appui ; cette monarchie se divisant pour lutter dans cinq ou six assemblées différentes et éloignées, contre une représentation dont elle aurait accru l'influence et l'autorité, verrait bientôt des états usurpateurs se partager ses dépouilles, et des fiefs populaires succéder aux fiefs de la féodalité.

Dans l'état actuel, trente millions d'individus ne participent à la représentation que par leurs doléances qu'expriment les pétitions et par leur opinion exprimée par la presse: or, dans l'état de défaveur où se trouve la liberté de la presse et le droit de

pétition, on peut dire que ces citoyens sont exhérédés.

Il y a mieux : parmi les cent mille familles électorales qui concourent réellemen! au gouvernement représentatif, la plupart appartiennent à l'opposition; et quelle que soit la couleur, quelle que soit même la nuance des opinions, on peut dire aussi que tout ce qui est au dehors de ces majorités factices créées par les scandales électoraux, ne participe en rien au système du gouver

nement.

On peut dire encore que le gouvernement représentatif, tel qu'il est organisé, n'exprime nécessairement ni l'opinion de la nation, ni l'opinion des familles électorales. Il faut donc laisser de côté toute appréciation de principes, se refuser de les appliquer à un ordre de choses qui les repousse, et les coordonner sans acception de lieux et de temps.

Dans tout système représentatif, la source et la légitimité des pouvoirs vient de l'élection.

Ce gouvernement étant une image de la république dénaturée au profit de la monarchie, doit étendre l'élection autant que l'exige la liberté, et s'arrêter seulement là où pourraient commencer les périls du pouvoir.

L'élection doit être vraie et complète; c'est par là seulement qu'elle peut être l'expression réelle de la volonté des élec

teurs.

Le système électoral doit embrasser autant que possible la totalité des citoyens; c'est par là qu'il est l'expression des vœux de la nation.

On voit déjà qu'il est impossible de concevoir un système électif sans embrasser le pays tout entier.

Mais il est possible, et dans les grands pays il est indispensable d'échelonner le gouvernement représentatif et d'établir une hiérarchie électorale, sans créer des priviléges aristocratiques, même sans trop blesser l'égalité républicaine.

Ici le système électoral s'agrandit, et il embrasse toutes les autorités où le peuple a besoin de faire entendre sa voix, parce qu'on y discute ses intérêts.

Ainsi, en adoptant le cens non comme mode nécessaire, mais comme un moyen facile d'établir les catégories électorales, on peut échelonner ainsi le système : tel impôt déterminé forme la classe des électeurs qui

concourent à la nomination des sénateurs, dans les pays où la pairie est éligible; un cens moins fort indique les électeurs de la chambre des communes; un cens moins considérable encore constitue les électeurs des conseils de département; on diminue l'impôt pour les assemblées d'arrondissement; on l'amoindrit encore pour les réunions cantonnales ; et l'on parvient enfin, dans les élections des municipalités, à une taxe tellement chétive que presque tous les possesseurs de terre se trouvent citoyens, presque tous électeurs, presque tous membres d'un gouvernement représentatif qui, n'étant plus alors un système de défiance et d'exclusion, devient très-réellement l'expression de l'opinion publique, de la volonté nationale, donne à la loi une sanction universelle, et au prince une force véritablement composée de toutes les forces du pays.

Les catégories d'éligibilité s'échelonnent dans le même ordre, et de telle manière que l'électeur de l'assemblée supérieure est éligible dans toutes celles qui suivent.

Or, par ce système ou tel autre analogue, car c'est un exemple et non un type que nous avons offert, le gouvernement représentatif s'enracine dans la nation; il vit sans qu'on puisse calculer ni sa vitalité ni șa durée. Hors de là, n'intéressant personne à son existence, personne ne s'intéresse à lui. Lorsqu'il a besoin d'un appui, il appelle le peuple, et le peuple ne répond pas à l'appel; lorsqu'on le cherche lui-même au milieu du péril, on regarde, et on ne le voit plus. Napoléon, maître de l'Europe, a reculé depuis le Tage jusqu'aux Pyrénées, de la Moscowa jusqu'au Rhin, de toutes les frontières de son empire jusqu'au palais de Fontainebleau, où il est tombé captif. Que fit cette France pour l'homme qui depuis quinze ans la fanatisait d'orgueil et la rassasiait de gloire? Quelques mois après sa chute, cet empereur, retombé capitaine, traverse seul la France, et la légitimité disparait devant l'épée d'un soldat. Que fit encore la France pour cette famille de rois qu'elle venait d'accueillir avec tant d'allégresse et d'amour? que fit-elle enfin pour le guerrier qui n'a pas le bonheur de mourir à Waterloo, qui abandonne son empire en fugitif, et va mourir sur un rocher désert dans la lente et cruelle agonie d'un grand homme qui croit survivre à tout, même à la gloire? Le pays est demeuré tranquille au milieu de ces grandes catastrophes; il voyait bien

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