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hommes d'alors; mais le souvenir de leur existence s'est conservé par tradition dans les dragons chinois, japonais, siamois, ou même de la Grèce, tels peut-être que l'hydre de Lerne. Quant au dragon des Hespérides et celui de la Toison-d'or qui vemissaient des flammes, nous avons autrefois tenté de prouver qu'on y pouvait reconnaitre l'allégorie de ces volcans, dont les ravages furent si considérables autour du berceau de l'espèce humaine, quand les feux et les vagues semblaient lutter pour donner à la surface de la terre les formes sous lesquelles on la voit demeurer à peu près consolidée. Entre les reptiles actuellement vivants, nous avons, dans les volumes précédents du présent ouvrage, choisi, pour donner une idée particulière des mœurs de la classe entière, quelques genres remarquables, tels que les caméléons, les crapauds, les crocodiles, les dragons, etc. Nous devons ajouter que les grenouilles, très-voisines des salamandres dans l'ordre naturel, que les serpents qui ne sont guère que des lézards sans pattes, que ces lézards, si communs sur nos vieux murs, et que nous regardons comme si rapprochés des serpents; enfin, que les tortues, en apparence si différentes de tous les autres animaux par la maison portative que leur donne la nature, sont des reptiles tout aussi bien que les dragons, les caméléons et les crocodiles ; et nous renverrons pour leur histoire aux traités spéciaux, dont il suffit de citer quelques-uns, savoir Les diverses éditions du Systema naturæ, de Linnée; le Règne animal de M. Cuvier; l'Histoire des quadrupèdes ovipares et serpents, par Lacepède'; l'Encyclopédie méthodique, par Bonnatterre ; Dandrie, dans le Buffon de Sonnini; Séba, Merrem, Brongniart, Oppel; notre Résumé d'Erpétologie, chez Roret, etc.

BORY DE ST.-VINCENT.

RÉPUBLIQUE. (Politique.) Les hommes se sont tour à tour lassés de ces gouvernements simples connus sous le nom de monarchie, d'aristocratie, de démocratic : leur tendance perpétuelle et leur grande facilité à se changer en despotisme, en oligarchie, en ochlocratie, en a fait dans tout l'univers le plus terrible fléau du genre humain. On chercha long-temps une forme de souveraineté qui pût mettre les peuples à l'abri de la monarchie, dont le pouvoir n'a pour guide qu'une arbitraire volonté; de l'aristocratie qui augmente le despotisme Tome 19.

en multipliant les despotes; de la démocratie, qui à force d'admettre des gouvernants, n'est plus un gouvernement ; et la république vint consoler le genre humain.

C'est un mélange des trois formes de gouvernement simple. Cette forme mixte est la seule à qui les anciens donnèrent le nom de république. Platon refuse ce titre à la démocratie même pour l'accorder au gouvernement mixte de Crète et de Lacédémone.

Autant les gouvernements simples qui constituent les éléments de la république peuvent éprouver de combinaisons entre eux, autant les gouvernements mixtes peuvent revêtir de formes. Autant de sortes d'influences un de ces éléments simples peut exercer sur les autres, autant les gouvernements mixtes peuvent éprouver de modifications; et l'on peut toujours parvenir à un point où ils sont complétement redevenus un gouvernement simple. La république de Gênes n'était qu'une démocratie; celle de Venise, une aristocratie; celle de France, la démocratie de Robespierre, l'aristocratie du consulat, la monarchie de l'empire.

Dans toute république, le souverain (pou. voir législatif) est séparé du prince (pouvoir exécutif); aussi n'y saurait-on apercevoir de despotisme. Quelquefois le prince exerce sur le souverain une si grande influence, que sa volonté est toujours revêtue du titre de loi, et alors on n'y peut trouver de liberté. Ainsi un gouvernement n'est pas libéral parce qu'il est républicain, mais parce que les éléments qui le composent sont combinés de manière à ce qu'aucun ne prédomine. Sa bonté ne résulte pas de la plura lité des principes qui le constituent, mais de leur sage pondération qui seule peut établir l'équilibre, l'ordre et l'harmonie.

Chacun des corps du souverain devrait avoir une puissance égale, afin que chacun des corps de la société fút également protégé. Là seulement est la stabilité, le bonheur et la liberté. Cet équilibre parfait est rare on le trouve à peine à la naissance des institutions. L'élément le plus hardi devient bientôt usurpateur; il accroît son autorité de toute celle qu'il enlève aux autres; et plus il prédomine, plus la forme mixte se rapproche de la forme simple où ce principe possède seul le pouvoir. Ainsi le prince, le sénat et le peuple, ont toujours à Rome composé le souverain. Cependant chacun de ces corps ayant été prédominant à son

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tour, cette république était monarchique sous les rois et sous les premiers consuls qui avaient hérité de toute la puissance royale; elle devint aristocratique lorsque le sénat se fut arrogé la plupart des prérogatives du consulat; démocratique enfin, lorsque le peuple eut créé des tribuns et enlevé aux patriciens le droit de jugement. De même à Venise démocratie avant la clôture du conseil, monarchie sous les priviléges du dogat, aristocratie quand le sénat gouverne le peuple, oligarchie quand le conseil gouverne le sénat, despotisme sous le conseil des dix, tyrannie sous les inquisiteurs d'état.

Le souverain se compose de la réunion des éléments qui constituent les gouvernements simples (le peuple, l'aristocratie, le monarque ) : il peut donc admettre deux ou trois principes. Lorsque chaque corps de l'État forme un des corps du souverain, tous pouvant également défendre leurs intérêts, les classes de la société sont toutes également protégées.

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Les membres du pouvoir législatif ne sont rien par eux-mêmes leur volonté seule est le souverain; le souverain, c'est la loi. Comme la loi est l'expression de la volonté des divers corps qui composent le législateur, pour que la loi soit une, il faut que ces volontés diverses soient unanimes. De cette unanimité résulte l'unité de la loi, ou pour mieux dire la loi même.

Acte du souverain tout entier, la loi est supérieure à chacun des corps du souverain. Si l'un d'eux lui refusait sa part d'obéissance, il ne pourrait en exiger sa part de protection. Les lois ne peuvent être la sauvegarde de ceux qui les violent.

Tous les corps qui composent le souverain sont égaux; car la volonté de chacun est également nécessaire. Ils sont également indépendants, car ils ont une égale liberté de volonté. Ils sont également inviolables, car du moment où une responsabilité quelconque peserait sur un des éléments législatifs, la république cesserait d'exister.

L'égalité, l'indépendance, l'inviolabilité sont les prérogatives des corps seuls. Les personnes qui les composent ne sont rien par elles mêmes, et les membres séparés des assemblées démocratiques ou aristocratiques ne peuvent invoquer ces grands priviléges. Ils sont inhérents, il est vrai, à la personne du monarque; cet être moral, désigné sous le titre d'élément monarchique, est con

stamment confondu en un seul être physique appelé monarque, et il est impossible de séparer l'individu des droits qu'il possède.

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Quelques publicistes pensent que l'assemblée démocratique est supérieure aux autres : ils se fondent sur la souveraineté du peuple, et s'appuient sur les sentences rendues contre les rois de Sparte, sur les jugements du peuple romain cassant les arrêts du sénat, sur la puissance des tribuns, le pouvoir des diétines de Pologne, des états particuliers des diverses provinces de l'Union américaine, enfin sur les violences des réunions populaires des républiques d'Italie. Écartons ce qui crée le droit par le fait que reste-t-il? La souveraineté du peuple. Mais si cette souveraineté résidait constamment dans le peuple, après qu'il en a partagé l'exercice, l'assemblée démocratique pourrait modifier ou détruire chaque jour le système social, et toute forme du gouvernement deviendrait impossible. Il est des écrivains qui vont plus loin encore, et qui, portant dans le gouver ment représentatif ce principe du gouvernement démocratique qui ne convient pas même au gouvernement républicain, partent des arrêts des assemblées parlementaires contre Charles Ier, Jacques II et Louis XVI, et donnent aux députés du peuple autant de droits qu'ils en attribuent au peuple même; effroyable monstruosité politique qui livrerait le monarque, le sénat héréditaire ou inamovible, même les minorités de la chambre élective, au caprice, à la haine, à l'ambition d'une majorité ! C'est par là que ces rois, la chambre des pairs d'Angleterre, les Girondins ont péri. Le crime peut devenir plus odieux encore; cette majorité qu'on prend pour le peuple, s'attribue le pouvoir constituant; elle livre l'Angleterre à Cromwell, la France à Robespierre, elle inaugure Bonaparte, elle couronne Napoléon, elle proscrit l'empereur, elle donne le sceptre à son fils, elle le transporte aux Bourbons, le leur enlève et le leur rend encore. Guidée par des espérances coupables ou une honteuse lâcheté, elle met l'empire à l'encan, livre les nations au joug qu'elles rejettent, aux discordes qu'elles redoutent, et les traine du despotisme à l'anarchie

Il est aussi des publicistes qui croient à la supériorité du corps aristocratique : ils n'oublient ni ces arrêts du sénat proscrivant les empereurs, ni là diète de Pologne pros

crivant les rois, ni le sénat de Carthage raissait devant une heureuse fiction. On a proscrivant Annibal, ni ces doges assassi- séparé le prince des ministres, et créé la nés par les sénateurs vénitiens, ni les po- responsabilité (voyez ce mot). De ce modestats massacrés par la noblesse. Les faits ment, le monarque, toujours inviolable, sont exacts. Que font-ils au sophisme? Ils devient, dans la personne de ses agents, établissent le droit par le fait; méthode fa- passible des peines que la loi prononce; de cile pour établir tout ce qu'on veut. Qui ne ce moment, la loi règne, et règne seule. voit qu'ici la supériorité appartient à la force? Le poignard des soldats du prétoire, la flèche des Strelitz, le cimeterre des janis saires, le couteau de Ravaillac, le poison des jésuites, accomplirent aussi de grandes destinées. Ira-t-on du fait au droit, pour légitimer la supériorité du glaive ou du poison?

Il en est enfin qui établissent la prééminence du corps monarchique. Le souverain, disent-ils, n'est que momentanément assemblé; le monarque est constamment revêtu du même pouvoir. Sophisme absurde, puis que le monarque prend, quitte et reprend sa puissance législative au même instant que les autres corps du souverain. S'il règne sans cesse, c'est en qualité de prince investi du pouvoir exécutif : car si l'on n'a pas toujours besoin de lois nouvelles, il faut que les lois existantes soient toujours exécutées. Tous les priviléges de la monarchie dans les républiques, droit de paix, de guerre, de grâce, de réunir, de proroger, de dissoudre les assemblées, lui sont octroyés par la constitution, et forment, ainsi que nous l'avons déjà vu, les préroga. tives de la royauté.

Tous les corps qui concourent à la puissance législative, sont donc égaux entre eux : reine des rois, la loi est l'unique souveraine des républiques. Ainsi le peuple n'a rien à craindre de ces lois qui assujettissent ceux qui les font, et les membres du souverain n'ont rien à redouter d'un peuple dont ils partagent l'obéissance.

Ici s'offre une difficulté nouvelle. Le monarque, comme corps du souverain, est su jet à la loi à laquelle il participe; mais il n'a point de supérieur légitime dans l'État, et nul ne peut lui demander compte de son obéissance. Le monarque, comme prince ou pouvoir exécutif, est sujet du souverain; il lui est inférieur, subordonné. Mais tous ces attributs, réunis dans le même être physique, sont inséparables, et la monarchie est ainsi hors de toute juridiction, hors de tout contrôle. Par là les gouvernés n'auraient aucune sauvegarde contre le gouvernement, si celte funeste réalité ne dispa

La liberté n'a rien à craindre des autres corps du souverain, lorsque leur égalité est constitutionnellement reconnue. Ils ne peu vent être perpétuellement assemblés : leur permanence les porterait à usurper les droits du gouvernement, après avoir rempli les devoirs de la souveraineté. La puissance législative et le pouvoir exécutif tomberaient alors dans les mêmes mains, et le despotisme serait établi. Véritables citoyens, souverains et sujets tour à tour, ce qu'ils font pour autrui, il le font pour eux-mêmes : soit que la loi émane de tous pour s'appliquer à tous, soit qu'elle parte de la majo rité pour s'appliquer à la minorité, l'intérêt publique est toujours la garantie de l'intérêt individuel. Si, comme législateurs, ils proclamaient des lois injustes, comme citoyens, ils seraient contraints de pâtir de leur propre injustice. Nul ne faillit jusquelà on n'aggrave pas un joug qu'on doit porter soi-même.

Les droits de chacune des assemblées politiques, le mode et l'époque de sa convocation, la durée de ses séances, la manière de proposer, de discuter, de voter la loi; les prérogatives des corps, les priviléges des membres, sont réglés par la consti tution. De là dérive le degré de liberté ou de servitude; de là viennent ces différentes formes de république, qui peuvent aller d'une démocratie presque complète, comme aux États-Unis, à une aristocratie compacte, comme à Berne.

Le bonheur des républiques sagement pondérées est la suite nécessaire de cette forme de gouvernement: toutes les lois exigeant l'assentiment de tous, aucune loi ne peut préjudicier à aucun. Les corps n'out rien à redouter les uns des autres; ils se protégent avec une puissance égale, je veux dire leur propre volonté, qu'aucune autre volonté n'a le droit d'asservir. Si l'un d'eux ne peut améliorer sa position, parce qu'il a besoin de la volonté des autres, cette position ne peut empirer, parce que, pour la rendre pire, on a besoin de sa propre volonté.

Le grand vice des gouvernements simples

est le besoin d'accaparer au profit du pouvoir les prérogatives qui restent à la liberté. Ce vice, moins intense et moins dangereux, se retrouve aussi dans les républiques : le monarque y tend sans cesse à usurper toutes les volontés et toutes les forces; l'aristocratie, paisible et n'opposant qu'une force d'inertie, oblige par son inaction même les autres pouvoirs à accroître ses priviléges et ses richesses; la démocratie accorde au gou vernement le moins possible, afin qu'il soit obligé de faire beaucoup avec peu. Restreindre le pouvoir, n'est-ce pas accroître la liberté ?

Au premier aspect, cette divergence sem. ble contraire à tout concert; et cependant l'harmonie résulte de cette opposition. Comme chacun veut gagner, et que nul ne veut perdre; comme, pour que l'un ne trouve point de profit, il suffit que les autres ne veuillent point endurer de dommage, les intérêts de chaque corps se choquent et se détruisent pour faire place à l'intérêt général. La constitution demeure stable et ferme, non parce qu'on la respecte, mais parce qu'on la tire en sens opposé avec des forces égales. Pour que ces volontés diverses puissent devenir lois de l'État, il faut qu'elles perdent ce qu'elles ont de contraire, et qu'elles s'identifient pour faire place à une volonté unanime. Or, comment peuvent-elles coïncider? Ne faut-il pas que chaque volonté particulière renonce à ce qu'elle a d'exclusif pour prendre un but utile à l'État tout entier?

Le grand objet des républiques est de contraindre la volonté de chaque corps du souverain à se détruire elle-même pour se confondre dans une volonté nationale. Il faut pour cela qu'elles se trouvent balancées par une volonté égale et contraire, et que la puissance ne puisse naître que de ces volontés opposées, fondues dans une volonté unanime. Par cette heureuse combinaison du pouvoir, la loi ne peut avoir d'objet que le bien public; par elle, l'harmonie des corps du souverain résulte de leur opposition, et leur paix continue de leur guerre perpétuelle.

Si l'un des corps du souverain détruit à son profit ce balancement du pouvoir, la république est menacée, la paix troublée et l'ordre détruit. Quand les décemvirs usurpèrent une partie de la puissance du peuple et de celle du sénat, il fallut la révolte suscitée par le meurtre de Virginie pour réta

blir l'équilibre. Lorsque Tarquin augmenta les prérogatives de la monarchie, il fallut la révolte provoquée par le meurtre de Lucrèce, pour que le poids de la royauté fût plus léger dans la balance. Les consuls étaient des rois sous un autre nom : le sénat leur enleva la plupart de leurs priviléges. Le sénat à son tour voulut hériter des immunités de la monarchie : il fallut des tribuns, des rébellions et du sang pour conserver les libertés populaires. Plus tard, dans des jours de gloire et de corruption, Marius assujettit le sénat au peuple; Sylla, le peuple au sénat; Octave, le sénat et le peuple au despotisme. Mais où était alors la république? La force et la ruse dictaient la loi, et l'obéissance n'était plus d'obligation, mais de nécessité. La liberté dérive du droit de tous les corps de l'État d'assister au souverain, et d'y dėfendre leurs immunités avec une puissance égale. Otez ce droit à l'un, il n'a plus le pouvoir nécessaire à sa défense, il n'est plus membre du souverain; il est sujet. L'opposition seule peut maintenir l'harmonie. La balance est en équilibre, parce que chaque corps est placé dans chaque bassin avec un poids égal. Diminuez l'un, le levier penche du côté opposé; enlevez celui-ci, celui-là emporte toute la puissance.

Ainsi que nous l'avons dit, la volonté particulière de chacun des corps du souverain a pour but d'affecter les droits du souverain tout entier, et de changer la forme du gouvernement. Si les divers corps ne mettent en œuvre que leur puissance morale, leur lutte ne peut être naisible; ct les forces étant égales de tout côté, elle doit toujours être infructueuse. Si le corps agresseur s'appuie sur une force physique quelconque, la légitimité cesse, l'usurpation commence, et la république disparaît.

En général, l'élément monarchique chargé du pouvoir exécutif, et dont les fonctions sont permanentes, tend avec plus de persévérance vers l'usurpation. Sa volonte une, secrète et constante; la possibilité d'intimider, d'acheter, de corrompre, semblent lui promettre quelque succès. Sa force n'étant jamais supérieure à celle du peuple, Tartifice et la corruption sont ses armes favorites armes lentes, il est vrai, mais puissantes par leur lenteur même, lorsqu'elles sont maniées avec cette dissimulation qu'on appelle prudence. Toutefois cette tendance n'est pas sans péril: elle fit chasser, dans l'intervalle d'un siècle, tous les rois de la

Grèce; elle coûta le trône aux décemvirs, aux Tarquins, à César, à Charles Ier, à Jacques II, à Gustave, à Napoléon.

Dans les républiques monarchiques, la force de l'aristocratie est passive, inerte et ordinairement subordonnée au prince. Elective, elle est utile au monarque; héréditaire, à la monarchie celle-là tient au prince et tombe avec lui; celle-ci, à la forme du gouvernement et ne finit qu'avec elle. Les pairs de l'Angleterre ne prirent aucun intérêt à Jacques II, parce que la pairie n'était pas attachée au roi, mais au trone, et que le trône n'était pas menacé. Quand l'aristocratic est en présence du pouvoir populaire seul, elle finit par absorber la puissance; disséminée par des mains plus nombreuses, la corruption est semée jusque dans les der nières classes des citoyens : voyez Carthage, Venise et Berne.

La force est l'apanage de l'élément démocratique ; il n'a ni cette patience qui attend, ni cette sagesse qui dirige : chacune de ses usurpations est signalée par une révolte; toutes sont promptes et violentes. Elles appartiennent à ces peuples à qui un territoire resserré permet de se réunir au premier cri, et de combattre comme un seul homme; à ces nations corrompues qui, fatiguées de l'empire des lois, tentent de secouer le joug légitime des autres corps de l'État.

L'influence de l'un des corps du souverain peut dériver de l'usurpation ou de la constitution même qui lui a donné trop de puis sance. Plus un corps est nombreux, plus il y a d'inégalité entre les membres qui le composent, et plus il est facile de le diviser et de le corrompre ainsi la démocratie doit être corrompue la première. Plus un corps est indivisible, possesseur de forces et de richesses superflues, et plus il doit être corrupteur ainsi la monarchie doit usurper avec plus de facilité ; et comme l'une n'usurpe qu'à mesure que l'autre se corrompt, on peut dire que les envahissements du monarque sont en raison directe de la dépravation du peuple, et que l'un ne gagne en pouvoir qu'autant que l'autre perd en

vertu.

Mais que l'usurpation ait une source constitutionnelle ou arbitraire, il importe peu, quoique l'une soit légitime et l'autre criminelle. Si le peuple s'est attribué peu de liberté, sa vertu n'en pouvait supporter davantage. S'il la laisse usurper, c'est qu'il n'a pas la vertu de la défendre. La force est

dans ses mains, et il a toujours la puissance de changer la forme de l'État, dès qu'il en

a la volonté. La liberté trouve invinciblement à se faire jour quand le peuple est digne d'elle; quand il l'aime assez pour la chercher à travers les périls, et pour ne pas lui préférer un esclavage tranquille. Les publicistes, ennemis de la servitude, déclament avec violence contre les usurpations des princes; s'ils creusaient plus profondément dans le cœur humain, ils verraient naître l'esclavage de la corruption des peuples. Quand les citoyens vendent leur voix aux sénateurs, quand les sénateurs vendent leur conscience au prince, que tous veulent commander, qu'aucun ne veut obéir; que la corruption se livre en un demi-siècle à Marius, à Sylla, à Catilina, à Crassus, à Pompée, à César, à Octave, à Lépide, à Antoine, que peut la haute vertu de Caton, le sublime courage de Brutus? Que feraient l'immoralité publique, l'égoïsme général dans une licence sans frein? Tibère, le fourbe, l'odieux Tibère, n'est-il pas alors un bienfait pour le genre humain? Que pouvaient la véhémente éloquence de Démosthène, l'austère patriotisme de Phocion sur ces Athéniens dégénérés qui vendaient la patrie à Philippe, qui la vendaient à Alexandre, qui la vendaient à tous les soldats de ce conquérant devenus roi à sa mort? Qui ne voit qu'alors la république n'existait plus; qu'au milieu de tous les vices effrénés, la main qui les contient et les enchaîne est encore un bonheur?

Toutefois, dans leur désordre même, les républiques sont préférables à tous les gouvernements simples; les révolutions s'y accomplissent avec moins d'excès et de violence; elles sont plutôt l'ouvrage de l'opinion que de l'action, d'une force morale que d'une force physique, de la tête que du bras.

Cette vitalité des républiques, ce principe qui dirige chacun des corps du souverain, qui le pousse hors de ses limites, fait qu'une usurpation plus ou moins marquée est partout établie, et que les républiques se distinguent bien moins par la participation de tous au pouvoir, que par la prédominance de quelques-uns. Ce qui suit va prouver cette vérité.

La république peut admettre deux ou trois éléments; nous nous occuperons d'abord des États mixtes à deux principes. Le défaut d'un corps intermédiaire place ces États dans la nécessité d'une grande modé

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