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ration. Ils ne peuvent convenir qu'à ceux qui éprouvent le besoin d'un gouvernement plus que l'ambition de gouverner. Tant que les citoyens conservent leurs mœurs, ils veulent conserver leurs lois; l'amour de la patrie, cette vertu conservatrice des jeunes nations, éteint leurs dissensions devant un péril public. Le peuple est libre, tant que la liberté fait son unique affaire; il est esclave, quand le moi l'emporte sur la patrie. L'époque où les deux corps du souverain, en présence l'un de l'autre, n'usent de leurs droits que pour briser les entraves de leurs devoirs, arrive sitôt que la liberté n'y peut être stable et ferme.

Monarchie démocratique. Les plus anciens États commencèrent ainsi. Temps heureux où les peuples avaient assez d'énergie pour s'imposer des lois, et assez de prudence pour s'y soumettre! Les livres de Moïse, d'Hésiode et d'Homère, les plus anciens manuscrits de l'Orient, les plus vieilles traditions du nouvel hémisphère, nous offrent les premières peuplades élisant un chef, un patriarche, un juge, un général, un père, un roi ; car la royauté était réellement alors une puissance paternelle, et mon père le ròi était le titre d'honneur et d'amour dont les premières majestés eurent le bonheur d'être saluées. Patriarche vénéré d'une grande famille, le chef la gouvernait, parce qu'elle voulait être gouvernée; et, pour conserver son indépendance, le peuple avait assez de vertu pour porter l'obéissance dans la liberté. Les mœurs qu'exige ce gouvernement sont hors de notre portée. L'histoire même de ces règnes si doux, si paisibles, ne peut que blesser les ambitions orgueilleuses et mesquines de nos siècles corrompus; et cet âge d'or de la politique ne peut plus servir d'exemple ou de règle.

Il offre cependant un grand modèle de ce que peut la puissance usurpatrice de la monarchie. Nul ne voudrait aujourd'hui d'une royauté isolée de toute force, privée de tout trésor, et placée face à face avec le peuple. Tout prince se croirait perdu, s'il n'était protégé par une aristocratie, une armée, des finances corruptrices; mais telle est la force envahissante du principe monarchique, que ces rois, qui n'avaient d'appui que le peuple, parvinrent en peu de temps à dévorer toutes les libertés populaires. La Grèce, pleine de monarques au temps d'Homère, était peuplée de républiques à l'époque de Sophocle; toutes les villes, si l'on

en croit Aristote, furent forcées de se soulever pour chasser ces pères des nations qui s'étaient érigés en tyrans.

L'occident de l'Europe commença par ces heureuses royautés. A l'époque où ces peuples ravagèrent l'empire, ils offraient encore l'image d'une obéissance volontaire et d'un commandement avoué. Huns, Vandales, Francs, Bourguignons, Goths, Visigoths, Lombards, Normands, tous avaient des chefs élus à qui ils obéissaient avec ardeur, mais selon leurs désirs. On peut appliquer à tous ces peuples ce que Tacite a dit d'un seul : De minoribus rebus principes consultant, de majoribus omnes..... Si displicuit sententia fremitu aspernantur; sin placuit, frameas concutiunt. Et toutefois, partout cette royauté élective usurpa l'héré dité, et partout ce pouvoir tempéré envahit le despotisme. Ce despotisme à son tour souleva toutes les haines et fit place à la féodalité. A des époques plus rapprochées, toutes ces hordes de Tatars qui dévastèrent l'Asie-Mineure, la Perse, la Chine et l'Hindoustan, étaient guidées par des chefs que le peuple avait élus, qu'il suivait par le seul effet de sa volonté, et des monarchies démo cratiques allèrent reconstituer tous les despotismes de l'Orient.

Aristocratie démocratique. Athènes, Carthage, Venise, la Suisse, nous présentent à leur naissance l'image parfaite d'un État aristo-démocratique. La loi était l'ouvrage du peuple et d'un sénat électif; les plus vénérables sénateurs étaient élus pour l'exécuter.

Il est difficile de rendre ce gouvernement durable, tant il exige de modération dans les deux corps de l'État. Si le peuple n'a pas assez de vertu pour comprendre qu'il n'est libre et fort que par l'obéissance, si le sénat est assez riche pour corrompre, si les plébéiens s'établissent seuls juges des princes, si les patriciens usurpent le droit exclusif des jugements privés, la liberté n'est plus.

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Ce gouvernement peut se détendre ou se resserrer il se détend lorsque le peuple envahit le pouvoir exécutif. La volonté souveraine, tiraillée par des forces divisées, perd l'unité, la force et le droit ainsi périrent les constitutions d'Athènes, de toutes les républiques d'Italie et des petits cantons suisses. Il se resserre lorsque le sénat, se déclarant héréditaire, affecte la puissance législative. La volonté souveraine jointe alors

à la force, devient plus active et plus éner. gique contre les libertés : ainsi périrent les immunités populaires à Carthage, à Venise et dans les cantons aristocratiques de l'Helvétie.

Le premier malheur arrive quand le peuple, en perdant ses mœurs républicaines, conserve son esprit de liberté, que sa corruption doit nécessairement changer en esprit d'indépendance. Alors toute loi qui tend à le conserver selon la fin de son institution est despotique; tout pouvoir qui peut faire équilibre avec le sien, est tyrannique; cette anarchie qu'on encense sous le titre de souveraineté du peuple en permanence, est née de la corruption.

Le second suit toujours ces belles époques historiques où les citoyens, fiers de leur commerce, de leur luxe, de leurs richesses, oublient la cité pour donner à la fortune le temps qu'ils consacraient jadis à la liberté. Le pouvoir alors tombe des mains du peu. ple; il est recueilli par le sénat, et la république disparait, par la raison toute simple qu'il n'y avait plus de républicains.

Voilà pourquoi Carthage, Athènes, Florence, Gênes, Pise, Pistoïe, ont vu leur liberté périr par les mains du peuple ; voilà pourquoi Venise a vu son indépendance absorbée par le sénat, et pourquoi la Suisse marche vers une fin aussi déplorable. Tous ces peuples étaient également corrompus; mais les premiers, idolâtres de liberté ou de licence, ne regardaient la servitude qu'avec mépris. Entourés d'États despotiques, leur mépris pour les esclaves étrangers, les préserva de l'esclavage intérieur. Athènes fait périr Phocion, Carthage veut livrer Annibal, les républiques italiennes multiplient les tortures contre les Guelfes, en haine des formes aristocratiques. Les autres peuples, entourés de monarchies d'où ils tiraient leurs richesses, se corrompirent à leur exemple. Venise leur demandait de l'or, la Suisse leur donne ses soldats ànourrir; et c'est déjà se façonner des fers domestiques que se familiariser avec les fers étrangers.

Cette petite république de Genève, la seule peut-être où la religion ait fondé la liberté, subsiste, protégée par l'esprit de résistance dont Calvin l'imprégna; et la cité de Rousseau pourrait longuement encore jouir de sa liberté, si de petites coteries aristocratiques ne s'opposaient au rétablissement d'un équilibre entre les conseils

qui pût rendre à chacun ses immunités premières. Je n'ai rien à dire de cette chétive république de Saint-Marin, que ne put troubler cet Albéroni, qui avait bouleversé l'Espagne de pareils Élats, qui vivent de tolérance, ne sauraient servir de règle.

Monarchie aristocratique. Les despotisme est un effroyable gouvernement qui remplace la loi par la force; l'oligarchie, pire que le despotisme, a le funeste malheur de multiplier les despotes. Qu'est donc un peuple asservi à ce double joug; et que dire du gouvernement féodal, monstre politique qui eût épouvanté l'humanité dans des siècles moins stupides que ceux qui le virent naître? Nous n'avons rien à ajouter à ce que nous avons dit à l'article FÉODALITÉ. Observons seulement que, pour se délivrer de cette monstruosité, la Suède a recours à là guerre civile ; le Danemarck, au pouvoir absolu; la Suisse, à la révolte; la Hollande et la Flandre, à l'insurrection; l'Angleterre, la France, la Hongrie, la Bohême, l'Espagne même et le Portugal, à ces discordes intestines, dont les Guelfes et les Gibelins ont laissé le long et funeste modèle.

Partout ces fidèles qui suivaient les rois pour leur part du butin, ces leudes qui obéissaient pour obtenir leur part des bénéfices, ces vassaux devenus seigneurs de leurs fiefs, se hâtèrent de fausser leur foi, et de ne relever que de Dieu et de leur épée. Par

tout ils voulurent lutter contre la monarchie qui les absorba, et qui partout devint absolue lorsqu'elle ne fut plus pressée dans les étreintes féodales. En Allemagne, les possesseurs des grands fiefs se liguèrent entre eux, ne s'isolèrent pas du peuple, n'établirent pas l'esclavage civil, adoucirent même l'esclavage politique. Par là, les empereurs se trouvèrent constamment dans leur dépen dance, et ces fiefs devinrent des royaumes.

En Angleterre, les hauts barons se liguèrent avec le peuple; il réparèrent la défaite de Harold; ils éludèrent le despotisme de Guillaume; ils prirent l'épée contre le roi Jean. Ce prince ayant frappé trop fort sur l'esclavage, en fit jaillir la liberté.

Lorsqu'on veut se rendre compte de l'état moderne des nations de l'Europe, il faut chercher quelle main a terrassé l'hydre féodale et hérité de ses ruines.

Il faut remarquer que la féodalité renverse la république : elle succède aux Champs-deMars et de Mai, à la Constitution gothique d'Italie et d'Espagne, dont Martinez Marina

vient de réunir les lambeaux, aux fors d'Aragon, que Llorente a colligés. A son tour, la féodalité succombe pour faire place aux gouvernements représentatifs. Les nations parcourent un cercle; elles reviennent sans cesse au point de départ.

Dans les républiques où la monarchie, l'aristocratie et la démocratie se partagent la souveraineté, l'état de guerre est moins imminent; mais la prédominance de l'un des principes est également marquée.

Démocratie prédominante. Le sénat et le peuple romain s'aperçurent que la puissance royale, dont les consuls avaient hérité, dévorait les priviléges du patriciat et les libertés de la nation; le consulat fut démem bré, la prédominance monarchique disparut. Le peuple fut assez aveugle pour remettre au sénat toutes les prérogatives royales. Alors l'aristocratie prédomina; et les Romains, effrayés de n'avoir que changé de maîtres, en appelèrent à la révolte. Pour les apaiser, on leur députa un vieux consulaire, le premier qui eût obtenu les honneurs du triomphe, honorable citoyen qui vécut dans la gloire et qui mourut dans l'indigence, tellement vénéré, qu'à sa mort le peuple s'imposa volontairement pour fournir à sa pompe funèbre et à l'entretien de sa famille. Les rhéteurs vantent chaque jour, dans les écoles, l'éloquence et l'apologue d'Agrippa calmant les dissensions romaines. Un publiciste n'y voit que les concessions arrachées au sénat par la violence. Toutes les dettes furent éteintes, le tribunat fut créé, le mont où la révolte avait éclaté reçut le titre de sacré, les lois qui avaient organisé le tribunat furent nommées sacrées, la personne des tribuns fut déclarée sacrée. Le peuple emporta la balance, la démocratie fut prédominante; et, devenue la plus forte, c'est elle qui imprimait la vie et le mouvement au corps politique. Le malheur des Romains naquit de ces violences qui firent tour à tour triompher les trois corps de l'État. Ils s'affermirent par des victoires, et non par de paisibles conventions. De là, ce défaut d'équilibre, ces guerres intestines, ces révoltes, ces ruses pour agran. dir ou détruire la liberté. Rome cût péri, si la guerre, but unique de cette grande nation, n'avait contraint les discordes domestiques de céder au besoin d'attaquer ou de repousser les ennemis extérieurs.

Rome nous a prouvé qu'à la naissance des États, lorsque les mœurs sont dans leur

force native, l'élément démocratique peut être prédominant sans danger; il sent qu'il a les vertus du commandement et de l'obéissance, et il ne cherche à bien commander que pour pouvoir mieux obéir; il excelle à choisir ses magistrats, il sait estimer ses adversaires ; et cette série de grands hommes que les Romains élevèrent au consulat en est la preuve évidente. Même lorsqu'il se défend des usurpations de ses adversaires, il a toujours, dans le feu de ses dissensions, respecté la forme du gouvernement, tant que la morale politique conserva sa sève et sa vigueur.

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Mais lorsque les richesses introduisent la corruption, que les priviléges personnels font naitre l'inégalité, le peuple qui perd sa liberté cherche une compensation dans la licence. Ne pouvant compter sur la perpétuité de son bonheur, il accepte tout changement quelconque dans son état, et se livre à tous les ambitieux dont l'audace veut troubler le pays. Il est impossible que le temps n'amène point la corruption on a voulu la conjurer par des lois; mais que peuvent des lois contre la corruption, lorsqu'elles sont à la merci de citoyens corrompus ? De là, quelques publicistes ont pensé qu'il fallait enlever au peuple les immunités qu'il tient de la nature, les libertés que lui assure l'état social. Insensés, qui veulent interdire au peuple l'entrée au souverain, lorsque la souveraineté n'a été créée que pour son bonheur, lorsqu'elle ne peut exister légitimement sans sa participation!

La démocratie prédomine dans cette belle république formée par l'Union américaine. C'est elle qui s'oppose à la centralisation des pouvoirs; c'est elle qui assure à la liberté cette terre hospitalière. Sans doute aussi, et le jour n'en est pas éloigné, elle causera la scission des états lointains et des provinces pauvres, qui préféreront leur indépendance populaire à l'ascendant qu'exercerait l'aristocratie financière des villes maritimes, et l'aristocratie gouvernementale des grandes villes de l'intérieur. Née sans les priviléges du sacerdoce et de la féodalité, cette république eût pu conserver longuement ses immuuités démocratiques : cependant, formée de citoyens de la vicille Europe, ayant ses mœurs et ses habitudes, elle vit à sa naissance les soldats républicains chercher, par l'hérédité de l'ordre de Cincinnatus, à fonder le patriciat. Mais le courageux Jefferson, mais ce Samuel Adams,

si justement nommé le Caton de l'Amérique, et surtout la prévoyante circonspection du sage Washington renversèrent toutes les espérances. Ce que la volonté n'a pu faire, le temps le fera; et si l'on accroit les prérogatives de la présidence, ce temps viendra avec moins de lenteur.

Aristocratie prédominante. Elle se divise et se corrompt comme le peuple, et n'a pas comme lui cette force physique toujours prompte à défendre les droits que la constitution lui garantit. Elle tend au despotisme comme le monarque, et, comme lui, n'a point celte volonté une, indivisible, incorruptible, cette autorité que l'armée et les finances prêtent au prince. Sa destinée est d'être auxiliaire dans les républiques, et de se rallier au plus faible pour résister au plus fort. Le monarque veut-il envahir le pouvoir absolu? l'aristocratie, craignant de voir son patriciat se changer en noblesse et ses droits politiques en titres vains, se réunit au peuple et lui prête son contre-poids salutaire. Le peuple devient-il usurpateur? l'aristocratie se ligue avec la royauté pour écarter cette égalité démocratique qui réduit la noblesse à rien.

Lors de l'éphémère proclamation des constitutions de Naplės, d'Espagne, de Portugal, un grand nombre de membres des cortès firent consulter quelques publicistes français sur l'utilité d'une chambre héréditaire. Les uns craignant les usurpations sans cesse croissantes de la pairie anglaise ; les immenses propriétés territoriales de la grandesse et du sacerdoce d'Espagne; l'influence d'un clergé dont le fanatisme incrédule maîtrise une nation superstitieuse; la difficulté de reculer assez les priviléges pour faire place aux libertés; l'impossibilité de donner à la monarchie assez d'ascendant pour résister à une domination aristocratique établie dès long-temps, considérèrent une chambre de pairs comme inutile et nuisible. Les autres se déterminaient par des vues actuelles qui, sans être d'une haute portée, n'en étaient pas moins d'un grand intérêt, et Lanjuinais leur donna l'autorité de son nom et de la publicité. Mais la plupart de ceux qui partagèrent son avis partaient d'un principe plus fixe et plus élevé dont, à l'article Révolution, nous ferons l'application à l'Assemblée constituante. Il faut ici se borner à remarquer qu'un corps intermédiaire, intéressé, par sa conservation privée, à la conservation générale, peut seul forcer les

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querelles parlementaires à ne pas dégénérer en guerres intestines, et empêcher les forces morales de se transformer en forces physiques.

En Pologne, où les seigneurs étaient peuple et où le peuple n'était rien, diètes et diétines n'étaient que des réunions tumultueuses où le palatin menaçait du glaive, l'évêque de l'excommunication, où la parole s'appuyait sur la violence, et les prétentions de chacun sur le trouble public.

Ce n'est certes pas que j'ignore la tendance de l'aristocratie à devenir prédominante. En absorbant tous les emplois, les patriciens deviennent les exécuteurs des ordres légaux, et par suite pouvoir exécutif et gouvernement. L'histoire de toutes les monarchies féodales atteste cette vérité, dont l'Angleterre offre la preuve vivante : c'est ainsi que le sénat de Sparte, de Rome et de Suède, réduisirent la royauté à une mesquine magistrature. Pour réfréner le peuple, l'aristocratie imagine partout une autorité supérieure à la loi même les éphores, les dictateurs, les inquisiteurs d'état, les grands justiciers, les tribunaux secrets, les cours vhémiques, ont bien moins pour objet le salut de la patrie que la sûreté des sénateurs, la haine et la crainte de la démocratie. Qu'on se rappelle l'effroi du sénat romain, lorsqu'un consul plébéien put être appelé à la dictature.

L'aristocratie se dévore elle-même pour craindre moins ses propres divisions : l'oligarchie lui convient, comme plus active, plus compacte, plus rapprochée de l'unité : toute la noblesse de Venise avait concentré sa force dans le conseil des dix; les trente mille Spartiates étaient réduits à sept cents citoyens ayant voix délibérative dans l'assemblée à l'époque d'Agis; encore sur ce nombre six cents étaient privés de toute propriété, et cent individus étaient les uniques maîtres de tout le territoire de Lacédémone. Ce jeune prince veut accroître le nombre des citoyens et des possesseurs de terres; l'aristocratie se soulève. Agis est étranglé dans un cachot, et sa mère Agésistrate est massacrée sur le corps de son fils; et son aïeule Archidamie meurt d'un horrible supplice entre leurs deux cadavres, en s'écriant: «Omon fils! c'est l'amour de la patrie qui nous a perdus ; puisse notre mort être utile à la liberté de Sparte! » On voit par là jusqu'où l'aristocratie porte la constance

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de ses envahissements et la cruauté de ses vengeances.

Toutefois dans l'ordre habituel, pressée entre le monarque et le peuple, est-elle moins disposée à attaquer qu'à se défendre, à conquérir un pouvoir nouveau qu'à conserver ses vieux priviléges, à sortir du cercle qu'à y ramener les autres éléments. Amie de l'ordre, parce qu'elle est trop faible pour gagner au désordre, elle se borne à maintenir la constitution, à détourner toutes les violations, à faire respecter les lois d'où elle tire son existence. Aussi, dans les républiques, l'aristocratie est-elle considérée comme dépositaire de toutes les prérogatives et des antiques traditions; et, sans prendre garde à la nécessité qui la contraint à être modé rée, on lui tient compte de sa modération. Il est possible, dans une riche monarchie, que la corruption des sénateurs finisse par corrompre le sénat; que l'intérêt des individus détruise l'intérêt du corps: ce vice nait de l'hérédité des patriciens ; il disparaît devant un patriciat éligible..

Monarchie prédominante. La présence de la monarchie dans la république effarouche aujourd'hui tous les esprits; ils pensent qu'elle ne peut constituer seule un des corps du souverain sans que la cité soit asservie. La jeune génération surtout qui n'a point vu les atrocités démocratiques de 1793, la pusillanimité corrompue et corruptiice de léphémère et vénale aristocratie du directoire et des conseils, attribue ses espérances trompées et ses craintes qu'elle s'exagère à la seule présence de la royauté. Un enchainement de destinées fatales semble, depuis la chute de Napoléon, justifier cette répuguance. La liberté promise à tous les peuples, et tout le Nord encore asservi; ces constitutions conquises à Madrid, à Lisbonne, à Naples, à Turin, et tous les rois Jigués pour conjurer ces météores d'indépendance; les troubles excités, alimentés dans les républiques de l'Amérique-Sud pour rendre la liberté comptable du désordre quy trame le despotisme; cette Grèce qui veut être, en sûreté, religieuse et libre, et qui, après avoir levé l'ancre au nom de la liberté, voit cet antique vaisseau du premier état civilisé, échouer à l'écueil de la monarchie; ces divisions helvétiques où la démocratie des petits cantons lutte également contre l'aristocratie suisse, et les monarques de l'extériçur; ces chartes accordées comme des utopies à quelques royaumes

d'outre-Rhin, et les citoyens traités de révoltés lorsqu'ils en sollicitent l'application réelle; cette multitude de congrès liberticides; ces dragonnades contre ce qu'on ap pelle radicalisme, libéralisme, tolérantisme, comme si la langue usuelle n'avait pas assez d'injures contre les amis et les défenseurs du pays; ce retrait opéré avec finesse de droits solennels qu'on crut octroyés avec loyauté; les Pays-Bas considérant leurs chambres comme des conseils ministériels ; des écrivains stipendiés par le pouvoir, controversant chaque jour la nécessité d'engloutir le régime parlementaire dans l'abime de la prérogative; la France ayant déjà perdu l'égalité du vote entre les électeurs, le jury dans les délits de la presse, la garde nationale, les institutions des départements et des communes; enfin l'énormité des impôts, la multiplicité des emplois, la quotité des salaires : cette esquisse d'un tableau qui demanderait un pinceau plus sûr et des couleurs plus sombres, jette la défiance dans toutes les ames; et dans cette anxiété pubiique, la jeunesse, avec la candeur et l'effervescence de son âge, passe rapidement du soupçon à l'alarme, et de la crainte à la haine.

Mais enlever la monarchie, c'est détendre les ressorts du gouvernement; c'est lui faire perdre son activité; c'est affaiblir la nation. Placer, par une volonté unanime, toutes les forces dans les mains d'une volonté unique, n'est-ce pas les réunir, les augmenter par leur union, rendre leur direction plus facile, leur action plus sûre et plus prompte, leur énergie plus salutaire? N'est-ce pas empêcher les divisions d'un corps à plusieurs têtes, qui perd à parler le temps destiné à agir; qui se divise dans le péril, au moment où le salut ne peut naître que du concert? Dans les temps de crise, les Romains n'avaient-ils pas un dictateur? Dans la guerre, le consul n'était-il pas un monarque? Les États Unis, où les républicains accordèrent si peu aux fédéralistes, où ils revendiquaient dans toute son intégrité la liberté religieuse, politique et civile, n'ontils pas conservé la monarchie sous le titre de présidence ?

Les monarchies actuelles sont également administrées, également aguerries, également fortes: diviser la puissance de l'État en haine de la monarchie, en présence d'ennemis constamment armés, c'est détendre tous les ressorts du gouvernement; et la crainte

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