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celte mine inépuisable de passions. Par tère, afin de pouvoir gouverner avec plus instinct et par nécessité, le monarque veut de prudence et de justice, et non pour le bonheur public. Lorsqu'il crée un minis- abandonner à ce corps le soin et moins tre, il croit l'homme propre au ministère. encore le droit de gouverner par lui-même. Cependant le roi peut se tromper : qui osera Cette organisation n'a que le monarque l'avertir de sa méprise? N'est-ce pas encore pour principe et pour fin. Qu'arriverait-il l'opinion, elle qui seule ne craint rien? cependant, si une loi déclarait le ministère Aussi les ministres cherchent-ils, tantôt par responsable? Ne verrait-on pas surgir autant la ruse, tantôt par la violence, à dénaturer, de discussions, de divisions et de malheurs à asservir l'opinion pour n'en pas être les que si elle l'avait organisé ? Proclamer les victimes. De ce besoin naissent les jour- peines dues aux crimes que le ministère naux, les pamphlets, les livres ministériels, peut commettre, n'est-ce point reconnaître les lois contre la presse, contre les discours, implicitement l'existence politique du miniscontre la liberté des personnes. Mais toute tère? n'est-ce pas atténuer d'autant la puismesure arbitraire complétement inutile à la sance du monarque. La solidarité entre les stabilité du pouvoir royal, n'a pour objet ministres ferait du ministère un véritable que de protéger ou de venger le pouvoir directoire, saperait les fondements de la monarchie, entraînerait infailliblement la ruine de la royauté.

ministériel.

Lorsqu'un très-petit nombre de citoyens participent au système représentatif, il s'établit au-dessus de l'opinion ministérielle, au-dessus de l'opinion représentative, une opinion publique qui se compose des voeux, des espérances, des craintes de toute cette partie de la nation qui est placée en dehors des rouages électoraux. Plus cette majorité est considérable, plus son opinion est imposante. Ne pouvant se protéger par sa volonté comme les députés, les éligibles, les électeurs, elle se défend par la parole. Si jamais la parole lui était interdite, on devrait craindre qu'elle ne se défendit par l'épée; car le droit de défense et le droit de protection de soi-même sont au-dessus de l'ordre légal et de l'ordre politique. Si des révoltes trou blaient l'Angleterre, on se plaindrait de la faiblesse constitutionnelle du ministère qui n'aurait pu les empêcher il serait alors plus juste et plus vrai d'en accuser la marche inconstitutionnelle du ministre qui aurait rendu les révoltes nécessaires.

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L'unique moyen de conjurer ces orages politiques, c'est la responsabilité ministérielle. Mais cette responsabilité doit-elle peser sur le ministère ou sur les ministres? La création d'un conseil a-t-elle créé une unité ministérielle responsable en masse de chaque fait? Cela ne saurait être ainsi : du moment où une loi reconnaîtrait l'existence de l'unité ministérielle, la constitution serait indépendante de la volonté du monarque. La sagesse du prince a voulu seulement que la discussion, qui produit le meilleur conseil, qui indique le meilleur chemin, pénétrât dans le gouvernement, aplanit sa route, assurât sa marche. Le roi a formé le minis

On alléguera sans doute que le roi n'a rien à redouter d'une loi qui, en établissant la responsabilité collective, reconnaîtrait le ministère, et que l'autorité lui reste tout entière, puisqu'il peut d'un mot changer toute l'administration. C'est encore une erreur. Il serait, il est vrai, le maître des administrateurs, mais il ne le serait plus du mode, de la forme de l'administration; il pourrait renvoyer les ministres, mais il ne saurait détruire le ministère reconnu, sanctionné, rendu légal par les trois branches de la législature. L'organisation du ministère, quelle qu'elle puisse être, n'est qu'un réglement de police privée que le roi doit pouvoir établir, modifier, supprimer à son gré. Dans le conseil, il n'existe pas unité réelle, unité d'intention, unité d'esprit. Si l'on y trouve accord de volonté, c'est qu'on ne tient point compte des prétentions discordantes de la minorité. Chaque ministre d'ailleurs possède la suprématie des choses qui forment ses attributions. Or, pour que la peine fût collective, ne faudrait-il pas que le délit fût collectif, et que toutes les affaires fussent traitées au conseil? Pourquoi rendre un ministre responsable d'un fait qu'il ignore, comptable d'un acte auquel il n'a point coopéré, coupable d'un ordre auquel il s'est opposé? Il suffit de punir un seul ministre pervers; pourquoi chasser avec lui des conseillers utiles?

La solidarité entre les ministres rendrait toute responsabilité infructueuse. Un corps moral ne peut offrir qu'une responsabilité morale. Quelle peine, autre que la dissolution, pourrait-on prononcer contre lui? La

peine serait légère; elle en serait prononcée avec plus de légèreté ; et la plus faible accusation serait suivie d'une sentence réprobative. La chambre des pairs tenant dans ses mains l'existence du ministère, usurpe dèslors la moitié de l'autorité royale. Le roi nomme le ministère, la chambre le dissout; le roi choisit ses ministres, la chambre les condamne, et lui interdit l'usage des hommes qu'elle a flétris. Ainsi, en créant une oligar chie ministérielle pour le service du roi, on fait surgir une oligarchie aristocratique, destructive de la royauté.

Qu'on ne dise point que ces inconvénients seront les mêmes, soit que la chambre juge un ministère ou un ministre. Un individu ne peut être accusé que d'un crime; et pour Jui appliquer une peine réelle, il faut savoir s'il a réellement commis l'acte criminel dont il est accusé. Ici tout git dans les faits, tout est matériel. Mais lorsqu'il s'agit seulement de couserver ou de dissoudre un être moral, des preuves, des présomptions morales suffisent: tout est métaphysique, ténébreux, inextricable. Le ministère serait plus rarement accusé des crimes qu'il aurait commis que des espérances qu'il aurait déçues, des intérêts particuliers qu'il aurait froissés, des ambitions qu'il aurait arrêtées. Rarement coupable, il serait toujours victime. Un ministre peut repousser avec avantage l'accusation d'un crime qu'il n'a point commis; mais le ministère qu'on attaquerait par l'opinion ne pourrait jamais la vaincre, puisqu'il ne saurait où la frapper.

Tout ministre est un agent; le ministère serait une puissance. Dans la monarchie, le ministre est l'agent du roi ; l'inviolabilité du commettant fait que la responsabilité retombe sur la tête du mandataire. D'ailleurs, le roi ne peut vouloir le mal; et, par une fiction légale, les états représentatifs posent en principe qu'il ne le veut point: d'où il suit que, si le mal est fait, il ne peut être imputé à celui qui ordonne, et qu'il faut en accuser celui qui agit.

Il faut donc laisser de côté cette solidarité ministérielle qui détruirait la monarchie. Avec elle, je le répète encore, si le roi nomme, la chambre des pairs dissout et peut dissoudre jusqu'à ce qu'elle possède les ministres qu'elle désire; par où le droit de dissoudre entraîne celui de nommer.

Ce n'est d'ailleurs ni le ministère ni les ministres que la chambre des députés accuse, que juge la chambre des pairs. Ce

n'est point contre les hommes que la loi établit des peines, mais seulement contre les faits qu'elle a flétris du nom de crime. Les tribunaux ne vont jamais du coupable au forfait, mais de l'attentat au criminel. S'il en était autrement, le sanctuaire de la justice serait l'antre dévorateur du cyclope. Or, l'acte dénoncé est-il l'ouvrage du ministère entier, de plusieurs ministres, d'un seul? Voilà l'unique problème que la raison puisse proposer.

Qui le résoudra? N'est-ce pas évidemment le tribunal chargé de prononcer sur ces deux questions: ce fait est-il un crime? qui en est l'auteur? Ici les journaux, les brochures, les projets s'évanouissent. Contre le tribunal suprême, viendront se briser toutes ces spéculations qui signalent les coupables avant de connaître les crimes, et qui oublient que le crime seul produit les coupables.

Si les criminels échappent aux publicistes, les délits restent dans le domaine de la théorie, et il importe de faire connaître les degrés qui les séparent, les couleurs qui les signalent.

Je vois dans chaque ministre deux individus distincts: le sujet, et l'agent du roi. Considéré comme sujet, comme simple citoyen, le ministre est homme, susceptible des passions humaines, et capable des crimes qu'elles produisent. Le ministre coupable d'un meurtre, d'un viol, d'un vol, ne peut implorer la responsabilité. Qu'il l'envisage comme un bienfait ou comme une injure, elle ne peut lui servir d'égide. Rejeté par un crime abject dans la classe des citoyens vulgaires, le glaive d'un tribunal ordinaire le frappe sans appareil; et l'appel à des formes solennelles serait un outrage à la justice même, car ces formes sont réservées aux attentats que les dépositaires du pouvoir peuvent seuls commettre, à l'aide de ce pouvoir qui leur est confié. Elles garantissent l'emploi légitime d'une puissance légitime; elles s'aviliraient si on leur faisait précéder le châtiment des forfaits que tout individu peut commettre, lorsque l'infamie et les supplices ne l'épouvantent pas.

Il faut donc définir les délits ministériels: emploi illégal d'une autorité légale. Ces abus du pouvoir, pouvant être plus ou moins criminels, offrent plusieurs séries de délits divers, qui semblent appeler des peines différentes.

La charte ne reconnaît que deux crimes

ministériels, la trahison et la concussion. 5. Ier. Le ministre qui, par de coupables machinations, engage les étrangers à déclarer la guerre à son prince, qui leur livre les portes du royaume, les villes, les ports, les arsenaux, les vaisseaux, les plans de campagne, de fortification; celui qui attente à la personne du roi, à l'autorité royale, à l'ordre de succession au trône, au pouvoir constitutionnel de l'une des trois branches de la législature; celui qui a organisé la guerre civile, celui qui a ordonné des proscriptions religieuses ou politiques, couvertes du voile ténébreux des formes inquisitoriales ou judiciaires; celui qui a détourné à son profit les fonds de l'État : celui-là est évidemment traitre ou concussionnaire. Le cri de la nation entière demande un châtiment égal au crime; et le repos de l'État veut que le ministre laisse par sa chute et sa peine un grand exemple à ses succes

seurs.

Les crimes qu'embrasse la première série consistent dans des faits; les preuves en sont toutes physiques, et comme l'acte a été criminel et volontaire, l'investigation juridique suffit pour le constater. Le ministre accusé est plutôt justiciable que responsable, et la chambre remplit plutôt l'office de juge que les fonctions de jury. Si, en le livrant à la chambre des pairs, on l'assimile au pair de France qui se serait souillé d'une haute trahison, la raison m'en paraît simple: une haute-cour remplirait-elle à son égard l'emploi sévère du juge? Mais le ministre coupable ne s'échapperait-il point dans le dédale des actes ministériels, des raisons politiques, des secrets d'État, où, par faiblesse et par discrétion, des magistrats inférieurs n'oseraient le suivre? Considérera-t-on la hautecour comme une assemblée de jurés? Mais le ministre innocent ne sera-t-il point infailliblement assassiné par des individus qui ne verront dans leur commission que l'ordre de condamner? Si l'on en doute, il faut jeter un coup d'œil sur tous les jugements rendus par les commissions contre les prévenus de crime d'État.

§. II. Si les états représentatifs ont ainsi l'avantage d'arracher le pouvoir à des mains criminelles, et de livrer à une justice solen nelle et nationale les ministres prévaricateurs, ils ne sauraient encore souffrir dans le ministère la faiblesse, l'incurie, l'incptie. Ces vices de l'homme sont des crimes dans un ministre, quand ils entrainent des mal

heurs nationaux que la raison humaine pouvait prévoir et prévenir. Lorsque la responsabilité sera proclamée, on verra, par la seule force des choses, le ministère rejeter toute espèce de médiocrité, et la nullité qui prétendrait à des places éminentes qu'elle ne peut remplir avec dignité, payer son audace par sa chute.

Le ministre a-t-il oublié, en déclarant la guerre, de concilier sa justice et son utilité, de calculer les moyens d'attaque, de défense, d'approvisionnement, de retraite? A-t-il osé signer une paix ruineuse ou déshonorante, sans y être contraint par l'empire de la nécessité?

Le ministre, dans les relations de l'État avec les puissances étrangères, a-t-il, par des traités solennels ou ténébreux, livré une partie du territoire, des forces, du commerce, des libertés ou de l'honneur de la nation?

Le ministre a-t-il, dans ses opérations de finances, trompé la foi des créanciers de l'État, favorisé les fraudes de ses débiteurs, compromis un crédit que la loi lui avait ouvert, créé des emprunts que la loi lui avait interdits, dépensé au-delà des fonds qui lui étaient affectés, détourné de leur destination les sommes qui lui étaient confiées ?

Le ministre a-t-il par des réglements arbitraires prohibitifs, contraires aux franchises, fermé, tari, imposé les sources publiques où l'agriculture, le commerce et l'industrie vont puiser les richesses nationales?

Dans tous ces cas, le ministre est évidemment responsable.

Mais si ces actes peuvent être dictés par la vénalité, la forfaiture, la félonie, ils peuvent aussi être surpris à la faiblesse, à l'erreur, à la négligence. Toujours le mal est égal, la responsabilité est la même ; mais la peine doit être différente, car il n'y a de crime que lorsqu'on a volontairement commis un acte qu'on savait eriminel: Ferreur, l'impéritie, ne constituent que des fautes.

On ne m'objectera point, sans doute, qu'un ministre ni traître, ni concussionnaire, ne peut être mis en jugement ; car la chambre chargée de le juger est seule compétente pour décider la question intentionnelle, et ce n'est qu'après la sentence qu'on pourra savoir si le ministre fut coupable ou trompé.

Observons qu'il résulte de ce que je viens

de dire que les pairs ne sauraient remplir, dans ces cas, la charge de juges, et que, par la nature des choses, ils ne peuvent être que jurés, sans même qu'il soit possible de les en empêcher. Lorsqu'on doit juger de l'intention, on ne peut procéder que par sa conviction intime.

§. III. Ici s'offre un champ nouveau : je veux parler de ces abus d'autorité qui attentent aux diverses prérogatives que la charte a attachées à la qualité de Français, de l'exercice illégal d'un pouvoir illegitime, par lequel on porterait atteinte à la liberté religieuse, politique, civile, à la propriété, au commerce, à l'industrie d'un seul ou de plusieurs individus.

J'ai dit pouvoir illégitime, parce que le ministère est illégitime, dès qu'il sort du cercle que la charte a circonscrit à sa puissance légitime; j'ai dit exercice illégal, parce qu'un acte, fût-il enveloppé de formes légales, est illégal, par cela seul qu'il émane d'un pouvoir illégitime.

Il s'agit ici de délits commis par le ministre, abusant de son pouvoir ministériel, délits qui lui sont propres comme fonctionnaire, puisque seul il occupe le poste où l'on peut se permettre l'arbitraire, en étendant un pouvoir légal jusqu'à une illégale latitude. Ces considérations me font croire que de pareils délits ne sauraient appartenir aux tribunaux ordinaires; que ceux-ci, même en Angleterre, peuvent bien apprécier les dommages portés à un citoyen par un ministre, mais ne sauraient être juges de l'abus de pouvoir dont il se plaint. Ces procès scandaleux seraient journaliers, si l'on pouvait appeler les ministres devant les tribunaux, sans qu'une décision du conseil les livrât à la justice; et tout redressement de tort serait impossible, s'il fallait obtenir une décision préalable. Quelle justice attendre d'ailleurs de juges qui doivent leur nomination à l'accusé, qui peuvent plus tard lui devoir leur avancement, qui attachent leur faveur à l'absoudre, leur disgrace à le condamner? Quel concours espérer contre un ministre d'un ministère public nommé par son bon plaisir, maintenu par sa volonté, destituable par son caprice? Tout recours aux tribunaux serait illusoire. Le crime d'ailleurs est toujours public: il s'agit bien moins de l'outrage reçu par un simple citoyen que du crime né de l'abus d'un pouvoir politique. Des magistrats politiques peuvent donc seuls l'apprécier et le juger.

Il faut envisager le délit ministériel sous un double aspect, ou, pour mieux dire, il faut distinguer dans le même acte deux crimes différents. Si le ministre fait arrêter un citoyen ou démolir sa maison, celui-ci, lésé dans sa personne ou dans ses propriétés, peut réclamer devant les tribunaux des dommages-intérêts. C'est la seule réparation de cette partie du crime qui n'a blessé que des individus encore même pourrait-il ne pas l'obtenir ; car elle ne lui est due que si l'acte dont il se plaint est arbitraire ; et le ministre peut objecter qu'il a fait arrêter un citoyen pour le livrer aux tribunaux, qu'il a démoli une maison par un motif d'utilité publique. Alors il faudra faire qualifier l'acte pour lequel on demande des réparations. Or, qualifier cet acte n'est-ce pas décider si ce ministre a usé ou volontairement abusé de son pouvoir? Mais qu'est-ce que l'abus da pouvoir exécutif dans un gouvernement représentatif? N'est-ce pas évidemment une trahison?

Comment, dira-t-on peut-être, concevoir une trahison qui ne porte aucune atteinte au pouvoir royal ou aux intérêts de l'État? Mais un ministre est-il seulement responsable pour avoir trahi le roi ou la nation? S'il en était ainsi, la nation et le roi pourraient exercer contre lui une action civile, et nous verrions la confiscation renaître. Il faut done rendre au mot trahison sa véritable acception, lui donner même une acception constitutionnelle. Dans les États représentatifs, un ministre ne peut trahir que la constitution, qui est l'unique sauvegarde des prérogatives du roi et du peuple : or, il trabit la loi toutes les fois qu'il la remplace par l'arbitraire, toutes les fois qu'il usurpe contre elle un pouvoir illegitime. Commis envers l'État ou à l'égard des individus, le crime est le même, sinon dans le résultat, do moins dans la cause. Le ministre inégalement criminel est également responsable. S'il en était autrement, quelle garantie aurait-on contre celui qui organiserait une autre Saint-Barthélemi; qui décernerait encore soixante mille lettres de cachet; qui ferait une nouvelle banqueroute? car il n'aurait massacré, emprisonné, volé que de simples citoyens; il ne trahirait ni le roi, dont il aurait peut-être frappé les ennemis secrets ou les amis peu zélés, nil'État, dont il

aurait mis les finances à jour. Quelle sauvegarde auraient les citoyens contre celui qui, de la hauteur du ministère, attenterait

à leur liberté, à leur honneur, à leurs propriétés, à leur industrie? qui ne voit qu'alors la monarchie constitutionnelle ne serait qu'un fantôme, et la charte qu'une loi vaine? Peut-on prétendre sans folie que le roi nous a dit: Je donne à la France ces droits, ces libertés, ces garanties, et je réserve à mes ministres le pouvoir de les violer impunément contre tous les Français? §. IV. J'aborde une série de crimes ministériels dont les règles sont difficiles à poser, en partant des lois existantes et de la politique actuelle. Pour en connaitre l'importance, il faut remonter à leur origine.

L'empire proclama l'inviolabilité de tous les instruments de l'oppression militaire et de toutes les machines de l'arbitraire civil. En conséquence, non les crimes militaires, mais tous les crimes commis par les militaires, furent soumis à des juges d'épée; et par là, la force publique forma un État dans I'État; en conséquence, tous les crimes commis par des fonctionnaires, dans l'exercice de leurs fonctions, ne purent être poursuivis qu'autant qu'il plairait au gouvernement d'en autoriser la poursuite; et par là une seconde armée fut ajoutée à la première.

La charte ne saurait admettre cette invio labilité universelle rejetée par le gouvernement constitutionnel; il faut donc raisonner dans un autre ordre d'idées.

Le fonctionnaire inculpé de forfaiture a agi par lui-même ou en vertu d'un ordre supérieur. Dans les deux cas il est justiciable: mais, dans le premier, le ministre qui refuserait de le livrer à la justice est responsable, car il devient complice; il participe au crime, en soustrayant aux tribunaux celui qui s'est rendu coupable d'actes qu'il était chargé de surveiller ou de réprimer; il attente à la liberté, aux droits des citoyens, à la charte constitutionnelle; il rentre alors dans l'arbitraire, et on doit par conséquent grossir le domaine ministériel de toutes les forfaitures des subalternes dont le ministère s'établirait le défenseur par son activité ou par son inertie.

Dans la seconde hypothèse, le fonctionnaire peut agir en vertu d'ordres supérieurs. Exiger qu'il désobéisse lorsque le crime n'y est pas empreint en lettres de sang, ce serait renverser toute hiérarchic, ce serait ébranler le gouvernement sur sa base la plus solide, l'obéissance. Le subalterne ne doit pas, au hasard de sa place, chercher à tout Tome 19.

dans ce

instant les limites qui circonscrivent le pouvoir de son supérieur. Les ordres sont transmis à l'exécution, et non à l'examen des in. férieurs. Il est des exceptions; mais ces exceptions confirment la règle. « Si le fonctionnaire, dit la loi, justifie qu'il a agi par ordre de ses supérieurs, pour des objets du ressort de ceux-ci, et sur lesquels il leur était dû obéissance hiérarchique, il sera exempt de la peine, laquelle sera, cas, apliquée aux supérieurs qui auront donné l'ordre. » Ainsi le ministre qui a donné l'ordre contraire à la loi, en devient responsable. Sous ce double rapport, les droits reconnus par la charte sont impresciptibles, soit qu'un fonctionnaire y porte atteinte par lui-même ou par un ordre ministériel; et le ministre ne peut encore échapper à la responsabilité qu'en faisant déclarer les employés justiciables.

Nous avons vu que tous les actes coupa. bles que le ministre peut commettre sont compris dans la trahison et la concussion, en prenant ces mots, non dans leur acception la plus étendue, mais dans leur acception constitutionnelle.

Jadis un ministre était responsable envers le roi, et justiciable des commissaires auxquels le monarque ou le nouveau ministre jugeait à propos de le livrer. Le crime dont on chargeait l'accusé s'appelait prévarication. Le ministre était prévaricateur lorsqu'il avait agi ou manqué d'agir avec intention de nuire. On voit déjà le vague renaître, car le crime n'est pas précisé. Les commissaires jugeaient de l'intention du ministre accusé, selon les ordres de son successeur ; et le roi était d'ailleurs le maître de punir la faiblesse et l'impéritic par la disgrâce ou l'exil. Le mot responsabilité est nouveau; il n'est pas encore sorti des spéculations des publicistes; l'application peut seule en faire connaître l'étendue. Cependant il n'est pas vrai qu'il présente en France un sens plus restreint qu'en Angleterre; car, dans les deux États, il doit offrir un sens constitutionnel en France, il est circonscrit dans la trahison et la concussion; les Anglais l'ont aussi resserré dans la haute-trahison et la prévarication ; et on sait jusqu'où ils ont, avec deux mots, étendu la responsabilité.

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Définir ce mot avec exactitude, ce n'est pas aplanir la difficulté, car la responsabilité n'est que la possibilité de traduire le ministre en jugement. C'est le crime pour lequel on peut l'accuser, dont il faudrait donner

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