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Bourbons virent tout consommé. Faits accomplis, ordre établi, lois existantes, honneurs conquis, ils adoptèrent tout, ils promirent de tout maintenir. Quoi de plus simple alors que leur retour? Alors, selon T'heureuse expression de M. le comte d'Artois, « la restauration n'était qu'un Français de plus..

En Angleterre, on n'eût pu la tenter sans violence sous le protectorat d'Olivier Cromwell. Chez nous, Napoléon vivait encore : i! vivait entouré des principes, des intérêts, des hommes de la révolution ; du sacerdoce, qui avait porté la plus basse flatterie sur la chaire de vérité; de l'émigration, qui, transfuge de la légitimité proscrite, formait la brillante domesticité de l'usurpation couronnée; de l'armée, qui voyait, dans le grand capitaine, la plus haute renommée des temps historiques ; il vivait enfin au faite de sa puissance et de sa gloire ; et debout sur le trône, avec son génie et son épée, il fallut l'Europe entière, et l'inclémence des saisons, et la félonie de ses alliés, et la trahison de ses créatures, pour ébranler ce gigantesque pouvoir. Le colosse tombe, et la restauration s'accomplit d'elle-même.

Au premier aspect, les restaurations sem blent même nécessaires. Elles s'offrent à plusieurs comme un moyen unique et facile de légitimer les faits consommés. Nos idées sur la souveraineté sont obscures, et par là même mystérieuses. Les peuples se figurent que les rois contre lesquels une révolution s'élève, la consacrent par leur retour. Pepin, qui sauva la France; Charles-Martel, qui, sauva la chrétienté ; Charlemagne, qui sauva le catholicisme, ne purent qu'à peine désenseigner aux Français les enfants de Clovis. De Robert-le Fort à Hugues-le-Blanc, on essaie en vain de leur désapprendre l'obéis sance qu'ils ont vouée aux Carlovingiens; et l'usurpateur Hugues Capet laisse à ses successeurs soixante ans de révolte. Les peu ples aiment leurs usages, leurs traditions, leur existence coutumière. Les changer, c'est attenter à cette continuité d'habitudes, à cette uniformité de vie qui forment leurs mœurs, leur ètre, leur bonheur. De là cette facilité que trouvent toutes les restaurations, forsque l'exaltation se calme, que la haine se lasse, que la crainte s'apaise, que le besoin de rentrer en soi-même se fait enfin sentir.

Si les fils de Jacques II ne purent jamais remonter sur le trône, c'est que leur père

avait voulu plus qu'une restauration. Les révolutions s'opèrent lorsque l'ordre étabii, devenu intolérable au peuple, le met dans la nécessité de le bouleverser par la violence, et d'établir une forme sociale plus en harmonie avec ses besoins. Jacques II pensa qu'une restauration se composait, non-seulement du rétablissement de la dynastie ex pulsée, mais encore du rétablissement des choses détruites.

Cette seconde tentative prend le nom particulier de contre - révolution. Toujours étrangère, toujours contraire aux intérêts réels de la dynastie restaurée, elle est longtemps convoitée par les classes qui ont souffert de la première catastrophe, et qui veulent reprendre ce qu'elles ont perdu dans la révolution passée, au hasard de perdre encore ce qui leur reste dans une révolution nouvelle.

J'ai dit que les restaurations étaient faciles ; il me reste à prouver que les contrerévolutions sont impossibles; que la pensée en est téméraire, la tentative périll use, l'issue funeste.

Faut-il tenter une contre-révolution, au hasard de susciter une révolution rouvelle? Est-il sage de lutter corps à corps avec les révolutionnaires? « Le nombre en est trop grand, écrit Louis XIV aux Stuarts; il est de la prudence, d'une juste et éclairée politique, de leur persuader qu'on n'a aucun ressentiment du passé, et qu'on l'accepte avec franchise. » Étudiez et respectez la constitution du pays, écrit J.cques II à son fils; un roi n'est jamais en sûreté, si ses sujets ne sont contents. Ne troublez personne dans sa conscience, sa liberté, sa propriété; qu'aucun de vos agents netourmente aucun citoyen. Qui veut toujours monter, finit par s'abimer. » Voilà ce que pensaient des contre révolutions un roi qui les voyait de haut, un prince qui les avait vues de près, et qui était tombé leur victime.

La révolution anglaise avait pour objet la destruction de ce pouvoir absolu donné à Henri VIII pour se soustraire à la tyrannic des papes, de ce despotisme protestant livré à Élisabeth pour se venger du despotisme catholique de Marie, de cet arbitraire jésuitique que les Stuarts avaient apporté d'Écosse. Charles Ier crut posséder de droit divin cette autocratie que l'Angleterre avait laissée à ses aïeux pour l'accomplissement de ses vengeances. Il voulut agir d'après ces principes; il périt sur l'échaufaud, sur le

seuil de son palais, au pied de son trône. Le sort de ses enfants jette un si grand jour sur le sujet qui nous occupe, qu'il est impossible de n'en pas offrir le tableau.

Chassé d'Angleterre par l'assassinat de Charles Ier, d'Espagne et de France par l'ombrageuse fierté de Cromwell, sans asile, presque sans habits et sans pain, Charles II vit arriver à Breda les députés de la GrandeBretagne. Il promit : il eût dû tenir ses promesses pour le propre bonheur des Stuarts; car la prospérité de l'Angleterre s'accomplit sans eux et contre eux, parce que les peuples n'ont pas besoin des rois. Il déclare au parlement qu'il respectera ses priviléges, qu'il se conduira par ses conseils, et que leur union est si nécessaire, que l'un ne peut exister sans l'autre. Il déclare à la nation qu'aucun crime quel qu'il soit, commis contre lui ou contre le roi son père, ne serait porté en justice, et qu'il ne serait fait aucun dommage à aucun Anglais dans sa vie, ses biens ou sa liberté; il promet à la cité de Londres le renouvellement de ses chartes, et de nouveaux priviléges. Ces promesses d'union et d'oubli exaltèrent l'enthousiasme du peuple à un tel degré, qu'il serait impos sible de dire avec quelle ivresse la restauration fut accueillie.

Cette scène théâtrale fut tout le bonheur que les Stuarts donnèrent à leur patrie. Charles composa son conseil des royalistes les plus aigris par les proscriptions et les confiscations; une poignée d'intrigants tourmenta tout un peuple. Les presbytériens furent livrés aux anglicans, les anglicans aux catholiques, les catholiques aux jésuites. L'ordre civil fut également troublé ; républicains, constitutionnels, modérés, royalistes simples, royalistes exaltés, cabale enfin, divisèrent le peuple par catégories. Les vengeances commencèrent; la Convention propose de proscrire, de juger, de confisquer, d'assassiner; Charles accepte tout. Ici finit la restauration, et la contre-révolution commence. On casse l'armée, on forme une garde royale, on convoque un nouveau parlement, et les députés, élus au moment où l'on provoquait l'exaltation des uns, la terreur des autres, portèrent jusqu'au délire la fièvre des vengeances. On crée des crimes pour trouver des coupables; on découvre les conspirations qu'on a faites soi-même. L'acte d'uniformité parut enfin : Charles s'en sert contre les presbytériens; Jacques en préserve les catholiques. On proscrit en masse

cinq mille citoyens ; les assassinats privés s'accumulent, et l'incendie de Londres vient couronner l'œuvre contre-révolutionnaire. Les hommes peuvent éprouver une folie durable, les corps ne sont frappés que de passagères hallucinations. Le parlement voit enfin que, loin de restaurer l'Angleterre, il la bouleverse et la pousse à l'abime; Charles s'indigne, et le proroge. Le besoin d'argent amène une convocation nouvelle; le bill du test est acheté par des subsides. Jacques épouse une catholique ; le parlement s'agite; Charles s'effraie et le proroge. Bientôt il le rappelle. Charles s'aperçoit que les papistes, dont il n'osait seconder toutes les folies, se liguent avec son frère. Les jésuites, qui avaient couvert l'Écosse de pillage et de meurtres, abusent de la protection du pouvoir, et, par la prédication, le confessional, l'espionnage, de sourdes menées, poussent l'Angleterre à la guerre civile. La conspiration des catholiques éclate, les patriotes se vengent à leur tour; Jacques s'épouvante et fuit loin d'Angleterre; les communes proposent le bill d'exclusion; elles obtiennent de la frayeur du roi cette loi célèbre d'habeas corpus, qui à elle seule pouvait consoler de toutes les calamités de la restauration. Étonné de cette conquête, le roi dissout enfin ce parlement qui commença sa carrière avee fureur atroce contre la révolution, et qui la finit avec courage contre la restauration même dont il était enfin désabusé.

Un nouveau parlement s'assemble, il réclame avec force le bill d'exclusion: il est dissous.

Un autre parlement se réunit à Oxford. Charles y vient à la tête d'une armée; les députés, les pairs s'y rendent en armes. Le roi propose d'exclure la personne de son frère; les communes exigent l'exclusion de sa famille. La dissolution est prononcée.

Charles nage alors à pleines voiles dans l'océan de l'arbitraire. Ne pouvant régner par les lois, il tyrannise par le meurtre et la terreur. Il tient à ses gages une horde de faux témoins; Jefferyes systématise les assas sinats juridiques; la cabale, les meurtres extra-légaux ; les prisons s'emcombrent, les échafauds ruissellent; Guthrye, Weir, d'Argyle, précèdent au martyre Baxter, Russel, d'Essex, Sidney. Les plus grands hommes, les plus vertueux citoyens périssent sous le fer des bourreaux. La conspiration de Rye est le prétexte convenu d'une fureur nou

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velle; la charte de la cité de Londres, les chartes des comtés, tous les titres écrits des libertés publiques sont annulés ; les gens de bien sont exclus des fonctions publiques; le sage Locke est chassé de l'université d'Oxford; les emplois sont envahis par l'ignoble ignorance, livrés à une délatrice vénalité. Les colléges proclament la liberté impie et athée, et Charles II meurt catholique!

Jacques lui succède, et la persécution redouble. Argyle fait une descente en Écosse, Monmonth en Angleterre, Jefferyes accroit ses crimes juridiques, le roi convoque le parlement; il ose demander des subsides; les communes refusent; le prince les proroge. Il veut s'attribuer le pouvoir législatif et constituant; la liberté de la presse est détruite ; les jésuites, sous le nom de missionnaires, vont prêcher le droit divin; ils pensent fanatiser les provinces, et ne trompent que quelques imbécilles; ils élèvent des églises, il fondent des couvents, ils s'emparent des écoles. L'arbitraire, livré jadis aux anglicans contre les presbytériens, est commis aux jésuites contre les anglicans. Le despotisme semble près du triomphe; il

touche au cercueil.

Les évêques, l'armée, la flotte, le peuple, murmurent enfin, le trône chancelle. La contre-révolution a tout effrayé, tout compromis, tout frappé; et, pour abattre ce monstre, l'Angleterre éprouve le besoin d'une révolution nouvelle. Jacques va périr comme son père, et le fanatisme de la liberté suivra les traces du fanatisme religieux. L'abime est creusé; les jésuites sont en horreur; le catholicisme est synonyme d'esclavage; les royalistes qui ont causé plus de troubles, versé plus de sang que le parti de Cromwell, sont abhorrés; et la restauration paraît enfin, selon l'expression de Fox, la plus mauvaise de toutes les révolutions.

Heureusement l'épreuve des révolutions était faite. Celles qui se font par la populace, qui compromettent toutes les fortunes, toutes les libertés, toutes les existences, effrayaient les pairs, les communes, le pays. Les citoyens prévoyants qui possédaient une position sociale, quelque richesse, quelque talent, et qui par là semblent à jamais les ôtages et les victimes de tous les désordres, contraints de devenir révolutionnaires par nécessité, furent, pour leur propre salut, fatalement poussés à devancer le peuple, à conjurer ces fureurs qui les eussent engloutis avec la royauté, les jésuites Tome 19.

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La restauration des Stuarts fut une véritable contre-révolution ; les Stuarts disparurent à jamais du trône. La révolution de Guillaume fut une véritable restauration ; elle dure encore. Le prince d'Orange luttait contre un homme; il fut vainqueur; les hommes résistent peu. Jacques luttait contre les choses ; il fut vaincu ; la force des choses est au-dessus de la puissance des rois.

Le temps présent est l'arche du Seigneur; il renverse ce qui le touche. Je ne puis me taire de la restauration française ; je vais me hâter avec elle. L'émigration et les jésuites ont voulu renouveler le règne des derniers Stuarts: en 1814, ils faisaient la restauration de Charles II; en 1815, celle de Jacques II. Nous avons eu nos proscriptions, nos cours prévôtales, nos catégories, nos lois de surveillance, notre censure, nos Brassards, nos Verdets, nos Trestalions, nos Jefferyes, nos conspirations, nos destitutions, nos sociétés secrètes, notre cabale, nos missionnaircs et nos jésuites.

Mais nous avions la charte; et avec elle l'accord de l'empire et de la liberté. Elle seule fait la restauration tout entière; seule, elle élève une barrière que la contre-révolution ne saurait franchir. Par elle, la révolution est un fait accompli.

les

Toutes les tentatives ministérielles, les regrets publics, les espérances cachées, les prédications des jésuites, les affiliations des congréganistes, l'exaltation de quelques vieux émigrés, les calculs de quelques jeunes intrigants, la vénalité de quelques journaux, les sermons de quelques prédicateurs, mandements de quelques évêques, le bavardage de quelques procureurs-généraux, la servilité de quelques fonctionnaires, la lâcheté de quelques députés, l'appui des espions, la docilité des gendarmes, tout se brise contre la charte. Malheur aux Bourbons! malheur à la France! si ce beau monument de sagesse et de prévoyance ne pouvait résister à la contre-révolution! nous verrions aussitôt se grouper tous les symp

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tômes d'une révolution nouvelle ; et le lion rugissant de l'Écriture, quærens quem devoret, apparaîtrait encore à la nation épouvantée.

Ce malheur est loin de nous. Un ministère qui veut gouverner, sans avoir fait l'apprentissage du gouvernement, s'appuie sur des fonctionnaires sans influence, sur une aristocratie sans racines, sur des jésuites sans croyance. Quand ces appuis se briseront dans ses mains, force lui sera de s'appuyer sur ce qui résiste. Il verra que la peur de la contre-révolution a fait plus d'amis à la liberté, que les excès de la révolution ne lui avaient suscité d'adversaires. L'agriculture, le commerce, l'industrie, ne peuvent vivre sans elle; ainsi, la nation entière est libérale. Sans elle, les impôts ne peuvent se payer, le crédit ne peut vivre; ainsi le gouvernement sera contraint d'être libéral. Hors de la pairie, la noblesse n'est rien; elle se rejette dans les trois industries pour tenir à l'aristocratie des richesses, lorsque celle des titres s'éclipse et s'éteint. Hors des libertés gallicanes, le sacerdoce n'est qu'une triste domesticité; le clergé placera les libertés de l'Église sous l'égide des libertés de l'État. Dupuis 1815, calculez les conquêtes de la liberté; l'horreur qu'en avait inspiré 1793 s'est dissipée ; l'obéissance passive que nous avait commandée l'empire a disparu. Les mœurs changent avec les intérêts et les besoins. Les ennemis de la charte qui n'étaient point destitués de sagesse et de prévision, ont déjà vu, ils verront mieux encore, qu'elle seule peut maintenir la sécurité; l'ordre, la paix, la prospérité, nécessaires aux peuples nombreux et civilisés. La seule terreur, terreur vaine, qui règne encore, est celle des contre-révolutions.

Tant que cette crainte se débattra dans le cercle électoral, c'est une affaire de chambres et de colleges; rien n'est à redouter. Les cent mille individus qui prennent part au système représentatif sont trop intéressés au maintien de l'ordre; tout sera querelle de minorités à majorités, murmures de salon, cris de cafés, amertume de pamphlets.

Mais si les colléges, si les chambres s'aveuglaient! Ces corps peuvent-ils vouloir se perdre eux-mêmes? Les chambres des Stuarts furent remarquables, à leur avènement, par le royalisme exalté des uns, l'avide vénalité des autres, le dévouement de tous. Au bruit des vents qui signalaient les orages, une résistance inattendue, universelle, voulut mettre le trône à l'abri des tempêtes. Si l'on abandonna la dynastie, c'est qu'elle ne voulut point reculer devant l'abime. L'ami se perd avec l'ami qui veut se perdre; les grandes assemblées ne bravent les périls qu'avec les rois qui veulent se sauver.

Ce malheur n'est donc pas probable; mais il est possible, et cela suffit pour le prévoir. De la théorie à la réalité l'espace est immense. Qu'arriverait-il alors? Parti du cercle électoral, l'esprit d'hostilité gagnerait les masses populaires. Trente-deux millions d'individus ne pouvant en appeler à leur volonté, en appelleraient à leur force; et la plus effroyable des révolutions serait imminente. S'il en était temps encore, la royauté aurait à décider si elle veut se perdre avec le despotisme, comme Jacques II; ou se sauver avec la liberté, comme les Nassau. Les chambres débattraient dans le mystère s'il faut se sauver avec le pays, ou se perdre avec la contre-révolution. Tel fut l'état du parlement anglais; et le parti qu'il prit, le monde le connaît.

Qu'arriverait-il cependant si la contrerévolution était appuyée par l'étranger? La Suisse, la Hollande, les Pays-Bas, le Portugal ont déjà répondu. Louis XIV, parent, ami, protecteur de Jacques II, le laisse tomber du trône. Les rois de l'Europe laissent périr Louis XVI. Gustave ne sait où reposer son front découronné. Mais les deux invasions de la France! Il faudrait en ôter tout ce qu'il y avait de haine, de crainte de Napoléon, pour savoir au vrai ce qu'il y pouvait avoir d'affection pour les Bourbons. Voyez les conférences de Châtillon.

Au premier aspect, la longanimité des peuples semble favoriser les tentatives des partisans de la contre-révolution. Pourquoi donc en effet, lorsque la contre-révolution lève ses bannières, la révolution ne se hâte

Si des terreurs réelles venaient s'asseoir au foyer domestique, si de sérieuses appréhensions troublaient les intérêts, si le pré-t-elle pas de déployer ses étendards? Croit-on sent menaçait l'avenir, le monde électoral serait en émoi; mais le péril serait encore éloigné. L'énergie des colléges, de la tribune, du scrutin, culbuterait les majorités et le ministère, et l'abime serait comblé.

cependant que cette conflagration universelle soit libre de craintes et de périls Est-il donné aux hommes d'allumer, sans trembler, l'incendie qui les peut consumer? Dévorant ses ennemis et se dévorant elle

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même, la révolution inspire une terreur égale à ses adversaires et à ses défenseurs. C'est un moyen de salut que l'audace n'ose embrasser que lorsque lui manque tout autre espoir de salut. C'est la terreur d'un grand péril qui donne aux peuples le courage de se jeter dans un autre grand péril. C'est pour se sauver d'un danger certain, imminent, que les supériorités sociales se hasardent à déchaîner le Léviathan qui peut les perdre. Ainsi l'enseigne le cœur humain; ainsi le disent les hommes qui ont le plus profondément pénétré dans les entrailles du corps politique. Écoutons le cardinal de Retz: « L'exécration contre un gouvernement ne suffit pas pour amener les révolutions. Il est une période juste avant laquelle c'est folie de les entreprendre. S'il est des feux qui embrasent tout, ce n'est que lors qu ils sont allumés à propos. Écoutons Charles Fox : « C'est lorsque les maux étaient à leur comble, après cinq ans d'une excessive tyrannie, qu'éclata tout-à-coup cette liberté attaquée par la violence, par la ruse, par toute l'adresse du pouvoir. C'est au milieu du découragement général, que l'énergie éclate, et que l'Angleterre se place soudain à une hauteur de liberté où jamais ne parvint aucun peuple. » Écoutons un irrécusable témoin: «Jamais, dit Jacques II, le palais de Withehal n'avait été plus encombré de gens nous assurant de leur fidélité. Ceux qui prodiguaient le plus de serments, prenaient une part plus active aux complots. Ceux qui jurèrent de verser leur sang passèrent les premiers à l'ennemi. Tout m'endormait dans une sécurité trompeuse. Au lever de la toile, je fus étonné, et pris au dépourvu. » Monarque insensé ! il avait oublié les cris du peuple, le bill d'exclusion, sa fuite d'Angleterre, et l'abîme qu'il avait creusé entre le trône et la liberté, entre l'Angleterre protestante et un roi catholique!

C'est ainsi que les révolutions n'éclatent que lorsque la mesure de la patience est comblée. Les prémisses de la contre-révolution sont heureuses : le pouvoir excite, aide, protége, paie; tout succède à souhait. Mais au moment où la contre-révolution se trouve face à face de la révolution qu'elle a excitée, tout est perdu. Le lâche fuit, le fourbe trompe, intrigant trahit, et Jacques II seul avec l'infortune et la honte, traverse en fugitif le royaume qui s'était donné à lui, que tous voulurent lui conserver, que lui

seul a voulu perdre. Et ce prince imbécille, jouet de la cour et des jésuites, averti par quinze ans de murmures, se crut encore pris au dépourvu !

Ainsi il faut distinguer avec soin les restaurations des contre-révolutions qui les suivent pour l'ordinaire. Les restaurations sont souvent faciles, justes, nécessaires. Les contre-révolutions, odieuses et impossibles à la fois, susciteront toujours des révolutions nouvelles. PAGÈS.

RESTAURATION DES TABLEAUX. (Beaux-arts, Technologie.) Outre les accidents qui peuvent en un instant endommager plus ou moins le tableau, l'air et la lumière ont sur la peinture une action puissante qui l'altère plus ou moins promptement, suivant la qualité ou la préparation des couleurs employées, et suivant le lieu où les tableaux sont exposés.

Les vernis qu'on applique sur les tableaux n'ont pas seulement pour résultat de faire ressortir la transparence et l'éclat des couleurs, ils les préservent encore de l'action de certaines émanations qui les altéreraient, si elles se trouvaient en contact immédiat avec elles. Ces vernis doivent être renouvelés de temps en temps, parce qu'ils perdent leur transparence et jaunissent d'autant plus promptement, qu'ils sont exposés dans un lieu plus obscur, et où l'air se renouvelle plus difficilement.

Il résulte de là que la place la plus convenable pour la conservation des tableaux est une salle bien aérée et éclairée par un jour du nord.

Lorsque l'altération du vernis est parvenue au point où il nuit plutôt qu'il ne sert à l'effet du tableau, il faut l'enlever et en remettre un autre, opération assez facile. tant qu'on ne rencontre que des vernis ordinaires composés de mastic dissous dans l'huile volatile de térébenthine; mais quelques peintres ont cru pouvoir employer des vernis huileux, tels que le vernis au copal, et il est très-difficile de les enlever. Dans tous les cas, même lorsqu'il ne s'agit que d'enlever un vernis tendre, il y a des précautions à prendre pour ne pas attaquer les glacis.

Le procédé le plus ordinairement employé pour enlever le vernis, consiste à frotter la surface du tableau avec le bout des doigts, que l'on a préalablement dégraissés avec un peu d'une résine quelconque pulvérisée. Ce frottement réduit aussitôt le vernis en pous

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