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deux formes de répression furent inventées; l'une est le système préventif, l'autre le système pénal.

Un mode quelconque de censure constitue toujours le système préventif.

La censure a pour objet théorique d'empêcher la publication de tout livre contraire à l'intérêt public dans ses rapports avec la religion, les mœurs, les libertés du peuple ou les prérogatives du pouvoir. Son objet réel et pratique est seulement d'imposer silence à tout ce qui pourrait nuire à l'intérêt du gouvernement.

Le système pénal a pour objet spéculatif de punir les délits que la censure devait prévenir. Son objet réel, lorsqu'il est confié aux tribunaux ordinaires, est de condamner ou d'absoudre les écrivains selon que les juges sont les amis ou les adversaires du pouvoir, et de tranformer ainsi, en dépit du pouvoir même, les corps de judicature en puissances politiques, maîtresses de presser à leur gré l'irrésistible levier par lequel tout se soulève dans les États représentatifs. Lorsqu'il est confié à des magistrats spéciaux, le système pénal porte dans la liberté de la presse la capricieuse iniquité des cours prevótales. Si le jury décide, les droits du pays sont conservés; mais le personnel du pouvoir n'en saurait attendre vengeance, quelquefois même justice, lorsqu'il est réprouvé par l'opinion publique et l'intérêt national.

Ainsi la censure limitée par le règlement le plus sage, établie par le prince le plus débonnaire, administrée par les hommes les plus libéraux, la censure n'octroira jamais que le droit d'imprimer ce qui convient au pouvoir.

Qu'est-ce que le pouvoir pour la censure? Ne pensez pas que ce soient les prérogatives du trône ou les libertés publiques, le prince même ou les grands corps politiques dépositaires de l'autorité. nationale. Pour la censure, la puissance réside tout entière dans des hommes et non dans les institutions les censeurs, : les ministres et leurs commis, les courtisanes royales, les catins ministérielles, la cour et les fonctionnaires : voilà tout l'attirail de cette stupide inquisition. Oser dire la vérité sur les Meaupou, les Terray, les Dubarry, voilà le crime qui remplit les bastilles. Les corps politiques ont si de droits à la justice de la censure, que jadis les parlements poursuivaient de leur propre autorité les écriTome 19.

peu

vains qui avec l'approbation des censeurs, insultaient à la religion, aux mœurs, aux lois, à la magistrature; que de nos jours, les chambres ont été contraintes de s'établir arbitres de leur propre dignité insultée par privilége de la police.

Je ne parle pas du prince, quel qu'il puisse être. On connaît le mot de Charles II sur cet homme condamné au pilori pour avoir écrit contre les ministres : « Que n'écrivait>> il contre moi, on l'eût laissé tranquille. » Un monarque n'est jamais individuellement attaqué dans ses propres États: il n'est rien de personnel entre un prince et un écrivain. Les Lorrains insultèrent les Valois, les parlements et les prêtres insultèrent Henri IV, les princes légitimés insultèrent le régent, la révolution insulta Louis XVI. Ici toute censure est sans force, tout se passe de puissance à puissance : le malheureus qui tient la plume est un lâche mercenaire; mais cette plume vénale ou haineuse ne se brise qu'avec l'épée. Si l'insulte au prince vient du dehors, c'est la douane qui doit agir et non la censure. Elle est encore impuissante lorsque l'outrage part des hauteurs politiques, comme lorsque Louis XIV adressa à tous les souverains de l'Europe le libelle intitulé : le Prince d'Orange, nouvel Absalon, nouvel Hérode, nouveau Cromwell, comme lorsque le pape appelait la maison de Bourbon génération bátarde, et que Henri IV répondait : le pape en a menti. La censure est impuissante enfin pour réprimer les excès du pouvoir qui la paie : la calomnie ne connait pas de bornes dans les bulles qui lancent l'anathème, dans les édits d'un ministre contre ses ennemis, des jésuites contre leurs adversaires, des révolutionnaires contre la monarchie, des contre-révolutionnaires contre la liberté ; et du père Garasse au père Duchesne, le dictionnaire des injures n'a pu s'épuiser, si l'on en juge par les formes nouvelles dont l'outrage est encore chaque jour embelli.

Qu'a fait la censure pour la religion? Lisez nos philosophes de Montaigne à Voltaire. Pour les mœurs? Gardez-vous de lire cet amas d'obscénités depuis l'Arétin jusqu'au marquis de Sade. Pour la réputation des citoyens? Toutes les vertus ont été déshonorées depuis Garasse jusqu'à vingt journaux de nos jours.

Dans les États représentatifs, la censure est une honteuse anomalie. La majorité ministérielle proclame par son introduction

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qu'il lui est impossible de gouverner avec la publicité; elle répond à la raison par l'arbitraire; et ne laissant à l'opposition que le silence, elle s'arroge le monopole de la parole, du mensonge et de la calomnie. J'ai vu trois fois le mépris de l'Europe faire justice de ces violences mesquines; et l'opinion de la France a si bien établi que la liberté ne peut être où la publicité n'est pas, que la censure ne serait à l'avenir qu'une mesure lâche, éphémère et funeste au pouvoir. Ici même les hommes qui possèdent un nom à perdre, un honneur à flétrir, repoussent cette dégoûtante mission; il faut que l'appât de l'argent fasse surgir de la boue quelques créatures tellement méprisables que leur honte déshonore même la tâche qu'on leur impose; et la censure, institution vile, est encore avilie par le nom des censeurs.

Dans la monarchie représentative, la censure est une lâche création ministérielle; c'est une institution politique dans la monarchie absolue. Comme le pouvoir sort du droit, il faut aussi qu'il sorte de la discussion; l'examen, le doute, la controverse, tout est interdit; et tout devant être puni, il vaut mieux prévenir que punir. Alors la censure n'est pas un bien; mais, palliatif du mal, elle est préférable au silence. Aussi voit-on des hommes honorables se faire honneur de ces fonctions, et porter des idées libérales dans une institution de servitude.

Toutefois dès avant la révolution française, la censure n'était pour le pouvoir qu'un bouclier impuissant. Les Lommes qui dirigeaient la librairie, avaient honte de paraitre en arrière de leur siècle; et sinon par amour 'de la liberté, du moins par amourpropre, ils briguaient avec les esprits éclairés de leur époque les honneurs de l'égalité, et n'osaient s'opposer à la circulation des idées nouvelles. D'un autre côté la censure ne peut rien sans la douane contre la vérité qui vient de l'étranger, et la Hollande nous inonda de livres philosophiques et l'Angleterre d'ouvrages républicains. Alors le commerce intérieur souffiait en pure perte de cette lucrative contrebande, et par une lâche, déception, on permit d'imprimer en France la plupart des ouvrages prohibés, à condition qu'ils porteraient le titre mensonger d'une ville étrangère.

Et qu'on ne pense pas que la censure dans sa toute-puissance offrit quelque garantie réelle. Dans les pays sacerdotaux, un inquisiteur ordonnait à un autre d'examiner

un livre, un second n'y trouvait rien à reprendre, un troisième permettait d'imprimer. Ces précautions étaient certes bien rassurantes, et toutefois cet énorme index qui sous peine d'excommunication prohibait la lecture de tant d'ouvrages presque tous approuvés par les inquisiteurs, des évêques, des censeurs séculiers, est une preuve évidente de l'inanité de la censure. Les papes s'appuyèrent alors sur l'inquisition dont les bûchers étaient tout autrement prohibitifs que des anathèmes théologiques, et celte cruauté, en déshonorant la puissance, finit par assurer le triomphe de la raison.

Dans les États monarchiques, la censure également absurde fut également impuissante, et les rois comme les papes en appelèrent au bourreau. Dès lors la censure sortit du domaine de la police et de la Sorbonne, pour entrer dans les attributions du parlement. Mais, comme on l'a dit « brûler n'est pas répondre, » et condamner un écrivain n'est certes pas réfuter sa doctrine. Ces arrêts, ridicules si l'on brûle le livre, cruels si l'on condamne l'auteur, ne peuvent avoir quelque ascendant qu'à ces époques où les mœurs publiques accordant à la magistrature une irrefragable autorité, le citoyen croit mal faire en faisant ce que le magistrat a défendu. Mais dans ces temps funestes où tous les voiles sont déchirés, ou toutes les justices qui se succèdent se prostituent à tous les pouvoirs, où la corruption de ceux-ci, la vénalité de ceux-là, l'ambition de tous livrent la balance et le glaive à tous les partis, à toutes les haines, à toutes les craintes, à toutes les espérances, l'opinion publique attache sa gloire à juger les juges, et casse à l'unanimité des voix leurs iniques arrêts. Alors tout est perdu: la magistrature est sans force parce qu'on vient de l'éprouver sans vertu; l'hostilité se nomme courage, la célébrité suit la persécution, et un livre est admirable, non parce qu'il est bon, mais parce qu'il est condamné.

Depuis Galilée, la censure s'est opposée à tout ce qui est vérité, à tout ce qui est raison: donc elle est stupide. Elle n'a remédié à rien, donc elle est inutile. Dans les États représentatifs qui vivent de publicité, d'examen, de discussion, elle est un crime.

J'aborde le système pénal.

La censure est un établissement facile : on crée des censeurs; ces gens-là prennent le mot d'ordre des ministres, et tout marche. Si quelque législateur est assez bêtement

homme de bien pour assujettir la censure à un règlement, il ne sait ce qu'il fait. L'arbitraire étant de l'essence de cette institution, elle est contrainte à se jouer de toutes les regles. Si quelque ministre est assez imprévoyant pour assujettir le tribunal des censeurs à une cour supérieure de censure, il ne sait ce qu'il fait. Dans une haute position sociale tout homme de bien répudiera ce lâ che métier si par hasard il se rencontre quelque ambition jésuitique, quelque noble corruption, quelque vénalité privilégiée, l'opinion publique en fera bientót bonne justice. On a tenté cette création: M. de Bonald fut seul assez intrépide pour se placer entre M. de Peyronnet et M. Lourdoueix. Avec la censure, les règles ne sont rien; les censeurs sont tout.

Mais si le système préventif répugne à toutes les garanties parce qu'il est une institution ministérielle, arbitraire par son essence même ; le système pénal au contraire, institution politique des gouvernements représentatifs, ne peut vivre sans Joi. Cette loi même ne saurait être isolée et spéciale; elle doit embrasser tout le système de la presse, c'est-à-dire celui qui fait un livre, celui qui le fait imprimer, celui qui l'imprime et celui qui le vend, l'auteur, l'éditeur, l'imprimeur et le libraire, dans leurs rapports avec la religion, les mœurs, le gouvernement et les citoyens.

La liberté de la presse ne peut se concevoir sans la liberté du commerce de l'imprimerie et de la librairie. Lorsqu'on punit l'a bus, on ne peut restreindre l'usage. Dire à un écrivain: Vous êtes libre d'écrire, mais vous ne pourrez faire imprimer et vendre votre livre que sous notre bon plaisir; dire à l'imprimeur, au libraire : N'imprimez pas, ne vendez pas, ou votre privilége vous sera retiré ; c'est allier le système. préventif au système pénal; c'est donner en principe une liberté qu'on retire en pratique ; c'est porter dans la royauté constitutionnelle les jongleries arbitraires de la monarchie absolue. Les brevets d'imprimeur, de libraire, étaient une conséquence naturelle du système préventif de l'ancienne France et de la France impériale; mais ils sont un contre-sens dans le système pénal de la France constitutionnelle; ils finiraient par rendre la liberté illusoire et la publicité impossible.

La loi sur la presse ne peut cependant exister qu'autant qu'elle établira l'indépendance de la librairie; hors de là, déception

honteuse, elle ne serait qu'un leurre et qu'un piége.

La liberté sans garantie dégénère en licence dans les mains du peuple, en arbitraire dans les mains du gouvernement. Punir l'abus, c'est garantir l'usage: pour réprimer l'abus, le législateur doit le définir. Tout doit être direct, rien ne peut être vague; tout doit être défini, rien ne peut être arbitraire.

Il est des ouvrages que la morale condamne, que le soin de la paix publique réprouve, que la sûreté de l'honneur, des personnes, des propriétés repousse. La presse peut avoir sa licence parce qu'elle a sa liberté : la loi doit définir cette liberté ou préciser cette licence, car où l'une finit l'autre com

mence.

Où placer la limite qui sépare l'usage de l'abus? Je ne répéterai pas ici ce que j'ai dit au mot LIBERTÉ; mais lors même qu'on prendrait la liberté pour la licence, il faut qu'on dise clairement ce qui est défendu, afin que les citoyens sachent ce qui est permis. Par cela seul que la loi établit des délits et des crimes, il faut qu'elle définisse ces crimes et ces délits. Ce qui est usage à Londres est abus à Vienne; mais partout la loi pénale a pour premier objet de caractériser l'acte qu'elle déclare punissable. Elle peut punir comme criminel un acte innocent, mais encore faut-il qu'elle définisse clairement l'acte inoffensif qu'elle veut rendre coupable.

En législation criminelle, il importe de s'entendre les mots qui disposent de l'honneur, de la liberté, de la fortune des hom. mes, exigent qu'on détermine leur valeur. La définition du crime ne rend pas la législation plus libérale, mais elle signale l'acte qu'on veut punir, et celui-là seul sera puni qui aura voulu l'être. Je le répète, les crimes doivent être définis ; le soin de nos libertés le demande, la justice l'ordonne, la dignité des tribunaux l'exige. Des ministres ont osé dire que cette définition était impossible. Or, on connaît le délit ou on ne le connaît pas si on le connait, il est facile de le définir; si on ne le connait pas, on ne peut le punir, car il n'existe point.

Le Code pénal, et quelle loi, bon Dieu ! que la loi criminelle de l'empire! le Code pénal avait défini avec justesse et cruellement puni l'injure, la calomnie, l'attentat à la morale publique, à la sûreté de l'État aux prérogatives constitutionnelles de la couronne. L'empire avec l'ombrageuse sus

:

ceptibilité d'une usurpation despotique, n'a pas suffi à une restauration légitime et constitutionnelle. Tout était certes dans le Code impérial; il est impossible de trouver un délit réel hors des cinq catégories qu'il précise. La crainte a fasciné les yeux du pouvoir il a cru à la possibilité d'autres crimes, et comme ces crimes n'avaient pas de réalité, la loi n'a pu ni les nommer ni les définir. Elle a imaginé des ouvrages nuisibles, des livres dangereux, des attentats à la considé ration, à la majesté, le mépris du gouvernement, que sais-je? Je le demande à tout homme de bien que veulent dire ces crimes en législation, ces paroles en grammaire? Les magistrats ne sont-ils pas contraints de juger arbitrairement, et d'appliquer des peines parfaitement connues à des délits qu'on ne leur a point fait parfaitement connaître? Le juge va chercher le crime sur le terrain trompeur des présomptions morales; que ne pourrais-je dire sur les probabilités juridiques! Les présomptions légales sont quelquefois nécessaires les présomptions de l'homme ne sont qu'arbitraire et déception. Lorsque la loi présume, elle juge sur une règle injuste peut-être, mais du moins certaine lorsque le magistrat présume, il ne juge pas, il assassine.

Lorsque le sens du mot par lequel on désigne un délit est abandonné à l'arbitraire de l'accusateur ou du juge, la loi manque de cette équité juridique que l'on retrouve dans les États les plus absolus. L'écrivain alors n'est plus accusé pour avoir commis un délit, mais pour avoir écrit un livre qu'il convient aux juges de qualifier délit. La loi n'indique pas les caractères auxquels on peut reconnaître le crime; le magistrat les présume, et il crée à-la-fois, de sa propre autorité, la culpabilité et le coupable. L'ouvrage n'est pas criminel, parce qu'il porte l'estampille directe, évidente du crime, mais parce que le ministre, le procureur-général, le tribunal le croient criminel.

Le vice de la loi fait que les tribunaux heurtent sans cesse l'opinion; et dans cette lutte du juge contre la voix publique, la justice perd cette inviolable dignité, cette estime attachée à l'intégrité, à l'indépendance, et si nécessaire à la magistrature.

Le vice de la loi produit une autre calamité: quelques accusés ne se défendent pas, et d'autres se défendent avec la conviction que toute défense est illusoire. Les magis

trats étant dans la nécessité d'accuser sans pouvoir convaincre, veulent qu'on soit convaincu, par la seule raison qu'on est accusé. Dès lors, avocats, témoins, innocence, tout est imaginaire : l'accusation seule est réelle, et la sentence qui doit la suivre! Ici le cœur se serre, et se refuse au rapprochement des doctrines cruelles que la mémoire lui vient offrir.

Le vice de la loi produit encore un irréparable malheur. Excepté dans ces cas rares où la culpabilité, évidemment écrite dans l'ouvrage incriminé, saute aux yeux de tous les lecteurs, c'est toujours le juge qui fait le crime. S'il absout, tout le parti des ministres accusateurs crie à la félonie : il a raison ; car la loi n'ayant point défini le délit, le magistrat pouvait le créer. S'il condamne, l'opinion publique lance l'anathème; elle a raison à son tour car la loin'ayant pas précisé ce qui est défendu, le magistrat était l'arbitre de ce qui est permis.

Tant que les crimes de la presse ne sont pas clairement défimis, un pays n'a pas de législation de la presse. Mais ce crime ne doit pas ressortir de quelques mots épars jetés par le pouvoir dans un alambic juridique : ce n'est pas au juge à tordre les paroles pour en exprimer le venin. Ce crime doit être écrit dans les expressions et dans la tendance directe de l'esprit qui a dicté l'ouvrage. Les mots et les choses doivent lui prêter un mutuel secours, une égale évidence. Cette tendance clairement exprimée par les paroles, est toujours directe, signale seule l'intention de l'auteur, et peut seule être punissable. Si l'on s'attaque à des phrases isolées, appliquées avec plus ou moins d'adresse à une torture juridique, pour leur faire dire ce qu'elles ne disent pas, toute loi est impossible; et rien ne pouvant alors être défini avec clarté, rien ne peut être puni avec justice. Hors l'esprit qui crée un ouvrage et qui le dirige vers un but criminel, tout le reste est involontaire, et ne peut être coupable que par la sécurité loyale de l'écrivain qui n'a pas su voir le danger, ou l'ombrageuse perspicacité du juge qui présume le crime.

Après avoir défini le délit, la loi doit indiquer le coupable. Si l'on excepte le cas unique d'une provocation directe à un crime quelconque qui signale une égale culpabilité chez l'auteur, l'éditeur, l'imprimeur et le libraire, celui qui imprime doit être à l'abri de toute poursuite, s'il indique celui qui a

fait imprimer, et celui-ci doit être hors d'atteinte dès qu'il fait connaître l'écrivain, et que cet écrivain habite le pays qui se plaint de l'écrit. Tout le reste rentre dans la complicité, et elle doit être directe, évidem ment prouvée par l'accusation, et non présumée par le juge sur de stupides probabilités. En France, l'arbitraire du juge présume la complicité, et ce vice de la magistrature vient du vice de la loi. Elle lui ordonne de créer le crime et le coupable, d'où s'induit le droit de supposer des complices. La loi le veut ainsi pour restreindre la liberté de la presse plus il est d'imprimeurs et de libraires condamnés, plus il en est à qui la police retire ou peut retirer le brevet, et par là la presse qu'on a eu l'air de faire entrer dans le système légal, rentre forcément dans l'arbitraire.

Une loi sur la presse doit être faite de bonne foi, et cette bonne foi est plus difficile à trouver que la loi n'est difficile à faire. Jusqu'à ce jour, les ministres n'ont connu que la censure, et le système légal actuel n'est lui-même qu'un système préventif déguisé. C'est la censure qu'on a été contraint d'enlever de la caverne de la police, pour la transporter dans le domaine juridique. Un écrivain censuré par ses pairs, sur un manuscrit, avant que sa liberté, sa fortune, sa réputation soient compromises, vaut mieux qu'un écrivain jugé par des juges qui saisissent tout son livre pour une phrase, et l'emprisonnent après l'avoir ruiné. Il a fallu que le choix des censeurs offrit une si honteuse indignité pour que les lettres recussent comme un bienfait d'être jugées sur les bancs du crime par des hommes dont l'intégrité civile et le talent juridique mis à part, présentent tant de choses à désirer sous le rapport des lumières scientifiques, des opinions politiques et des doctrines constitutionnelles.

Le ministère lui-même, s'il n'était domiminé par un esprit d'imprévoyance et d'erreur, aurait reculé devant l'idée de changer les cours de judicature en corps politiques. Maîtres de la presse, et, par elle, de l'opinion, ils peuvent soulever toutes les haines contre un système de gouvernement qu'ils réprouvent, et assurer l'impunité à tout ce qui est hostile et perturbateur. Dans un sens contraire, pouvant punir, sans pouvoir prohiber ou flétrir, tout ce qu'il y a de noble de généreux, de patriotique dans l'opposition, ils n'offrent au ministère que l'immo

ral appui des Laubardemont et des Oppède du gouvernement représentatif, en déshonorant une justice à laquelle la corruption et la vénalité impriment tous les caractères d'un lâche arbitraire et d'une violence d'autant plus odieuse qu'elle reste sans cesse impunie.

Cette autocratie parlementaire deviendrait plus frappante encore, s'il était vrai que les accusés n'eussent pas le droit légal de critiquer la manière dont se composent les diverses chambres d'une même cour. Alors un président pourrait appeler dans les chambres chargées de juger les appels de la presse, tous les juges dont les opinions poli. tiques seraient selon son cœur, et établir ainsi une cour prevótale permanente pour les écrivains. Il y a mieux, si un écrivain était poursuivi vers cette époque, on pourrait opérer le roulement des conseillers de façon à créer pour l'accusé un véritable tribunal spécial. C'est en choisissant dans le parlement les membres dont il pouvait disposer, que Richelieu formait ces chambres de commissaires qui trainaient à l'échafaud Marillac, de Thou et tous les gens de bien dont l'opposition avait le funeste honneur de lui déplaire.

Les honnêtes gens qui liront ces pages ne contesteront plus la nécessité qui contraint une loi pénale sur la presse à définir avec clarté les délits qu'elle veut punir; elle le doit au nom de tout ce qui est juste et sacré parmi les hommes : elle n'en sera pas plus libérale; elle cessera d'être aussi arbitraire. Quelque sévère que soit la justice, elle est toujours préférable à la tyrannie : le législateur ne peut refuser de faire connaître ce qu'est un crime, un délit, une contravention, puisque c'est là seulement que s'arrête la liberté de l'homme sous un gouvernement quelconque. La liberté politique vient de la libéralité de la loi; mais la sécurité du citoyen nait de la clarté de ses dispositions pénales et de sa justesse à définir les actes qu'elle punit. Tout est défendu lorsqu'on ne sait pas ce qui est permis, et tout est permis lorsqu'on ne sait pas ce qui est défendu. Les crimes indéterminés ne sont pas des crimes les actes de majesté sous Tibère, d'hérésie sous l'inquisition, d'irrévérence sous Catherine II, de conspiration sous la convention, de dignité royale, de mépris du gouvernement, s'appliquent à tout parce qu'il ne s'appliquent à rien, et la vague gé néralité de ces expressions est l'arsenal de l'arbitraire; il y trouve tout ce qu'il veut.

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