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parce que, par sa propre essence, le pavillon ennemi entrainait la confiscation du navire, et même accessoirement celle de la cargaison, à moins que, par des traités spéciaux, tels qu'il en a existé avec quelques puissances, et notamment avec plusieurs États barbaresques, la cargaison ne fût affranchie, même sous pavillon ennemi, ce qui ne pouvait être qu'une exception.

En réduisant à ce peu de mots ce qui regarde le pavillon ennemi, et en revenant pour un moment encore sur le pavillon neu tre (vrai foyer des difficultés qu'offre cette matière), il paraît convenable de rappeler que l'affranchissement de la cargaison par le pavillon n'est pas le seul attribut dont les neutres aient été privés, lors même qu'il n'y avait ni contrebande de guerre, ni destination pour un port bloqué réellement. L'on a vu plus haut qu'à diverses époques la navigation des neutres avait été frappée de restrictions d'un autre genre, et soumise à des investigations qui ne regardaient pas seulement la question de propriété au moment de la capture, mais l'origine même de certaines marchandises, et jusqu'à la route tenue par les neutres: c'étaient de nouvelles entraves introduites par les lois et décrets qui avaient autorisé la capture des marchandises d'origine anglaise, quel qu'en fût le propriétaire, ou prononcé la confiscation des navires qui auraient touché le sol britannique, ou se seraient dirigés vers ce pays.

Dans un tel état de choses, et pour statuer, en cas de confiscation, sur des intérêts si graves et souvent si compliqués, il était nécessaire que l'autorité publique intervînt en donnant des juges aux parties. Dès le principe des hostilités, il n'existait plus d'amirauté en France, et le jugement des prises fut d'abord déféré au conseil exécutif ou aux ministres de cette époque (1793), qui prononçaient à vue des pièces de bord, et d'après une instruction faite, soit par les administrateurs de la marine dans les ports français, soit par les consuls de France, si les prises avaient été conduites en des ports étrangers.

Un peu plus tard, le comité de salut public s'établit lui-même juge des prises maritimes; et lorsque la constitution de l'an 3 fut mise en activité, la connaissance de ces affaires passa aux tribunaux de l'ordre com mun dans divers ressorts maritimes. Mais cette attribution à la justice ordinaire ne

dura que peu d'années, et déjà le directoire exécutif de la république française avait, par un message au conseil des Cinq-Cents, provoqué le rétablissement d'une juridiction spéciale, comme étant plus en harmonie avec les besoins de la politique et avec les usages de toutes les nations maritimes, quand, le 26 ventôse an VIII, le nouveau gouvernement, établi par la constitution de cette année, obtint la loi en vertu de laquelle fut institué, peu de jours après (le 6 germinal), un conseil chargé de juger les contestations relatives à la validité des prises maritimes (1).

A cette attribution principale se joignit explicitement celle de connaitre des échouements sur les côtes du territoire français, lorsque la qualité neutre ou ennemie des objets naufragés serait mise en débat : la même compétence s'étendait sur les recousses ou reprises faites sur l'ennemi, et sur les rançons ou transactions faites à la mer, transactions très-susceptibles d'abus, et admissibles seulement lorsqu'elles étaient justifiées par de graves circonstances.

L'examen des pièces de bord, c'est-à-dire des pièces trouvées sur le navire saisi; l'instruction préliminaire faite sur les lieux où la prise avait été conduite, ou sur les côtes où le navire avait échoué; enfin l'instruction définitive faite devant le conseil, et le développement des demandes et exceptions respectives des parties dans des mémoires communiqués et produits par leurs avocats : tels étaient les éléments préparatoires de la décision après laquelle les parties étaient renvoyées devant d'autres autorités, soit pour la vente ou le partage des prises quand la capture avait été jugée valide, soit pour le règlement des dommages-intérêts quand il en avait été alloué au capturé, soit pour toutes autres liquidations accessoires à la prise.

Il serait superflu d'entrer ici dans de plus amples détails, et de chercher, même dans un simple aperçu, à donner une idée de la jurisprudence suivie en cette matière durant la dernière guerre : cette jurisprudence ne pouvait être que conforme aux règles alors tracées; et l'on a vu plus haut que

(1) Ce conseil était composé d'un président nommé parmi les conseillers ordinaires, d'un procureurgénéral, d'un substitut et d'un secrétaire-général. Cinq membres au moins devaient concourir au juge

ment.

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ces règles étaient bien peu favorables à la neutralité.

Cependant, et par la raison même qu'il était offert tant de latitude aux capteurs, il devenait d'autant plus justé de les obliger à se renfermer dans les limites qui leur étaient imposées ce devoir a été rempli, et il a été relâché plusieurs prises, même aux époques les plus rigoureuses envers les neutres (1), qui, il fant le dire, se prêtaient à bien des simulations.

Bien plus un bâteau pêcheur ennemi fit naufrage sur la côte de France. Le conseil, dans des vues philanthropiques, crut ne pas devoir user des rigueurs de la guerre, et relâcha le bâtiment et l'équipage. Les étrangers, et surtout le Transport-Office, applaudirent à cet acte d'humanité qui n'a pas, que l'on sache, été imité de l'autre côté de la Manche.

Terminons, au reste, cette notice par un coup d'œil général sur l'état de la course durant la dernière guerre.

Si la législation qui l'a régie n'a été, en quelque sorte, que l'ouvrage des circonstances ou le produit de fâcheuses représailles, il n'en serait pas moins injuste de méconnaitre les services que la course a rendus au pays in statu quo.

En effet, tandis que la marine de l'État était, par sa faiblesse et ses revers, retenue dans les ports, les corsaires français couvraient les mers et faisaient une multitude de prises légales, parmi lesquelles il y en avait d'une valeur immense.

Il est remarquable aussi que jamais la police intérieure de la course n'avait été mieux observée, ni les actes de piraterie plus rares, et que si certaines captures invalidées ont donné lieu quelquefois à des condamnations en dommages-intérêts, du moins elles ne présentaient pas de délits à punir.

Aux pertes éprouvées par le commerce

(1) L'auteur de cette notice, qui pendant près de quatorze ans a présidé le conseil des prises, pourrait citer à l'appui de cette assertion plusieurs décisions rendues par ce conseil; mais de tels détails sembleraient hors de place. Au surplus, un fort grand nombre de décisions, à la rédaction desquelles un secrétaire-général très-instruit (M. Calmelet) a eu la plus grande part, ont été imprimées, et forment un recueil où se font aussi remarquer les conclusions données par MM. Portalis père et Descotils, en qualité de procureurs-généraux, sur plusieurs questions de droit public.

ennemi (1), il s'est joint d'autres résultats qui méritent aussi d'être appréciés : des milliers de matelots qui seraient restés inactifs dans nos ports ont été employés par la course, et plusieurs capitaines ont mérité, par des actes d'une rare intrépidité et par d'honorables combats, que leurs noms fussent signalés parmi ceux des braves; tels ont été les Surcoff, les Bavastro, les Garnier, les Pollet, les Mordeille, etc.

De ce qui précède y a-t-il lieu de conclure qu'en soi-même la course soit un bien ? L'auteur anonyme d'un très-intéressant article inséré dans le présent Dictionnaire (2) a exprimé le désir que les lettres de marque fussent abolies et la course interdite.

L'accomplissement de ce vœu serait sans doute un grand bienfait pour le commerce de toutes les nations, et la guerre maritime deviendrait un bien moindre fléau, si son exercice ( circonscrit de telle sorte qu'il n'eût lieu qu'entre vaisseaux de guerre) laissait à tous les bâtiments de commerce, sans distinction d'amis, ennemis ou neutres, la faculté de naviguer librement, sous les seules restrictions relatives à la contrebande de guerre et au cas de blocus: mais est-il permis d'espérer une telle concession?

Ce serait, en cette matière, beaucoup obtenir qu'au moins le commerce neutre fût protégé par de sages principes : telle serait, entre autres, la règle jusqu'à ce jour tant controversée, et qui, admise enfin, établirait que le pavillon neutre couvre la marchandise; telle serait aussi la reconnaissance

(1) Le Porcher, bâtiment de la compagnie anglaise des Indes, avait une cargaison de plus de trois millions; le Caninolm avec sa cargaisou était estimé plus de quatre millions; plusieurs autres prises approchaient de cette importance; celles de 100,000 à 200,000 francs ne tenaient qu'un rang médiocre; les prises d'une valeur inférieure à 50,000 francs étaient en très-petit nombre. Or, pendant l'exercice seulement du conseil des prises (espace de plus de quatorze ans), il a été prononcé plus de trois mille confiscations. Qu'on applique maintenant à ce nombre de captures et à chacune d'elles la valeur moyenne de 200,000 francs, ce calcul donnera plus de six cents millions, et cependant il n'embrasse point les prises des huit années qui avaient précédé le consulat et l'établissement du conseil ; ni plus de dix-huit cents prises sous pavillon ennemi, conduites dans les ports français, alliés ou neutres; ni quatre mille deux cents saisies faites par les douanes, de marchandises anglaises, et jugées par le conseil; ni enfin les prises conduites dans les colonies.

(2) Voyez le mot Maritime (Code).

du principe qu'il ne peut exister de blocus le moins puissamment, l'angle réfringent en l'absence de forces propres à le constituer ne saurait avoir plus de 81°: dès lors si un réellement. Mais, dans la diversité des inté- tel prisme était quadrangulaire, il y aurait rêts ou des vues, est-il croyable que toutes au moins deux des angles qui ne pourraient les puissances s'accordent franchement sur être d'aucun usage, et ce nombre augmences points capitaux? Et quand ils seraient terait à mesure que les faces latérales sereconnus dans un congrès, qu'est-ce qui en raient plus multipliées. garantirait l'exécution, le cas de guerre

avenant ?

Dans les grands conflits d'État à État, il est peu de règles qui puissent résister à la volonté contraire de celui qui est le plus fort, et la raison publique a bien des pas à faire dans les cabinets des souverains pour y trouver un remède efficace à un tel mal. (Voyez BLOCUS, COMMERCE, CROISIÈRES, MARITIME (Code) et PROHIBITION. BERLIER.

PRISEUR (COMMISSAIRE). Voyez Huis

SIERS.

PRISME. (Physique.) Ce mot est employé par les géomètres pour désigner les polyèdres dont la surface est formée par des plans parallelogrammes, et qui supérieurement et inférieurement sout terminés par des polygones égaux et parallèles que l'on nomme base. Un prisme est droit ou oblique, suivant que les arétes produites par la rencontre des faces latérales sont perpendiculaires aux bases, ou forment avec elles des angles plus ou moins aigus. Au surplus, pour caractériser les diverses espèces de prismes, on dit qu'ils sont triangulaires, quadrangulaires, etc., suivant le nombre des côtés que présentent les polygones qui leur servent de bases.

Pour obtenir la surface d'un prisme, il suffit d'ajouter à celle des deux bases le produit du contour de l'une d'elles par une des arêtes du solide, de même que l'on en détermine le volume en multipliant la surface d'une des bases par la hauteur du prisme, c'est-à-dire par la perpendiculaire abaissée de l'un des points de la base supérieure sur la base inférieure.

Les physiciens emploient encore d'une manière spéciale le mot prisme pour désigner une masse de verre ou de tout autre substance diaphane, servant à décomposer la lumière; sa forme est le plus ordinairement triangulaire, parce que l'angle compris entre les deux faces qui livrent passage aux rayons lumineux ne peut aller au-delà d'une certaine limite facile à déterminer lorsque l'on connait la faculté refringente de la matière. Dans un prisme de verre, qui de tous les corps solides est celui qui réfracte

Tome 19.

Indépendamment des prismes dioptriques qui servent à disperser la lumière, il en est d'autres que l'on nomme achromatiques, et qui, formés de substances dont la faculté dispersive est variable, réfractent la lumière sans la décomposer, ou plutôt la recomposent en lui faisant éprouver des déviations en sens contraire. (Voyez le mot DISPERSION.)

Quelquefois enfin à la suite du mot prisme on ajoute le nom de la substance réfringente dont il est composé : ainsi l'on dit prisme de verre, prisme de flint, prisme d'eau, prisme d'air, etc. On conçoit que lorsqu'il s'agit d'un liquide ou d'un fluide élastique, ces matières doivent être renfermées dans une capacité formée de lames diaphanes, dont chacune d'elles a ses faces opposées parallèles, afin de rendre nulle l'influence spéciale qu'elles pourraient exercer sur la lumière. THILLAYE.

PRISONS. (Politique et Législation.) On donne le nom de prison à tous les lieux destinés à renfermer des coupables, et ceux qui sont prévenus d'un crime, d'un délit ou d'une infraction quelconque au pacte social.

Il est probable qu'en se réunissant en société, les hommes songèrent à s'assurer de ceux qui voudraient en troubler l'ordre, et qu'en fondant des villes ils y construisirent des bâtiments particuliers qui ne devaient servir qu'à renfermer des criminels, soit pour les punir, soit pour les mettre seulement dans l'heureuse impuissance de nuire. L'Égypte, la Grèce et Rome nous offrent les premières traces de ces lieux de réclusion, dont l'établissement était sans doute nécessaire à la sûreté des peuples, mais dont on a tant abusé, où le despotisme a creusé tant de cachots, où la superstition a précipité tant de victimes, où l'accusé a été souvent mille fois moins criminel que l'ac

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un simple vestibule, où ils avaient la liberté de voir leurs parents et leurs amis. Socrate, condamné à boire la ciguë, put, avant d'avaler le fatal breuvage, s'entourer des personnes qu'il aimait et qu'il estimait le plus. Quelquefois aussi les détenus étaient renfermés dans d'obscurs souterrains. Cela tenait à la gravité ou à la qualité des crimes qui motivaient l'arrestation. Les Romains avaient des fosses humides et infectes pour cachots Jugurtha fut jeté dans un de ces cloaques. La plupart des exécutions se faisaient dans les prisons, surtout pour ceux qui étaient condamnés à être étranglés ou au supplice du philosophie d'Athènes.

On lit, dans l'Abrégé de l'histoire romaine d'Eutrope que ce fut sous le règne de Tarquin-le-Superbe que l'on vit les premières prisons dans la ville de Romulus ; mais les écrivains ne sont pas d'accord à cet égard, et la plupart rapportent ces établissements de sûreté publique à Ancus Martius. Ce monarque, disent-ils, fonda la première maison d'arrêt, et, après lui, Servius-Tullius y ajouta un cachot, que l'on désigna long-temps sous le nom de tullianum. Juvénal, qui n'est peutêtre pas une grande autorité en histoire, assure que Rome n'eut qu'une seule prison sous ses rois et sous sa république, depuis sa fondation jusqu'à la bataille d'Actium, qui lui assura l'empire du monde, et qui l'asservit en même temps à la domination de ses empereurs. A cette maison de réclusion, qui suffit pendant sept siècles à prévenir, réprimer ou punir les désordres, Tibère, le successeur d'Auguste, en fit construire une nouvelle que l'on nomma prison de mamertin.

Les prisons, si rares sur le Tibre sous les monarques et les consuls, se multiplièrent bientôt à l'infini sous l'empire, et l'on voit par les actes des apôtres et ceux des martyrs, par les historiens ecclésiastiques des premiers siècles, par les jurisconsultes et les interprètes des lois de la même époque, qu'il y avait peu de villes dans les vastes États des Romains qui n'eussent une prison. Les Césars avaient aussi fait construire des maisons parfaitement distinctes de ces lieux de réclusion que l'on appelait mala mansio, où l'on faisait subir la torture ou quelque autre supplice de ce genre aux accusés, pour les forcer à l'aveu de leurs crimes, et les obliger à faire connaître leurs complices.

A des prisons où l'on respectait d'abord les droits sacrés de l'humanité, où l'on trou

vait les égards que l'on doit au malheur, la barbarie substitua d'affreux souterrains creusés dans le roc, et de vastes carrières, dont on ferma exactement toutes les issues. On les désignait sous le nom de lantumiæ et de lapidicinæ. On les confondit souvent avec des mines où l'on incarcérait certains criminels; mais c'étaient des prisons très-distinctes, qui différaient par les tourments qu'on faisait subir à ceux qui y étaient plongés. Dans les unes, le détenu pouvait au moins disposer de lui-même dans l'étroite enceinte qui lui était tracée ; dans les autres, chargé de fer, on le destinait à mourir lentement sur le roc auquel on l'attachait.

Les lois romaines font mention de différents employés à qui l'on confiait l'adminis tration et l'inspection des prisons, et de ceux que l'on chargeait de la garde des détenus. Toutes les dépenses qu'exigeaient les maisons d'arrêt s'inscrivaient sur des registres, et l'on en avait un particulier où l'on constatait le nombre des prisonniers, leur nom, leur état, et le crime dont ils étaient accusés. Des hommes, que l'on appelait commentarii, tenaient ces registres.

Outre les maisons de force, il y en avait que l'on pourrait regarder comme des prisons libres : on y était sous la simple surveillance d'un magistrat et confié à sa garde. On avait aussi quelquefois son propre domicile pour arrêt. Ces prisons domestiques, ces chartres privées, furent supprimées par les lois de Trajan et d'Antonin, mais permises cependant encore dans de certains cas. Ainsi, par exemple, un père renfermait souvent chez lui un fils dont la conduite était peu régulière; un mari pouvait donner sa maison pour prison à une femme qui avait manqué à ses devoirs; un maitre avait la faculté d'exercer le même droit sur son esclave.

Les ecclésiastiques, dès les premiers siècles du christianisme, eurent comme les pères, les époux et les maîtres, leur police particulière : chaque ordre, chaque monastère, chaque évêché eut sa prison. Mais dans ces temps de ferveur, où la charité ne faisait de tous les fidèles qu'une seule famille, où les ministres des autels aimaient leur prochain comme eux-mêmes, où ils étaient les parfaits modèles de toutes les vertus évangéliques, la sévérité que l'on exerçait envers un moine, un religieux ou un membre du clergé, était moins une punition qu'on lui infligeait qu'un moyen qu'on lui offrait de réparer une faute et de devenir meilleur.

Les lieux où l'on renfermait ces prêtres et ces cénobites qui avaient à se reprocher quelques faiblesses humaines, s'appelaient decanina; et si l'on usait quelquefois de rigueur envers les membres du clergé séculier ou régulier qui avaient violé les canons dans des points essentiels, cette rigueur était tempérée par les consolations d'une charité sans bornes. Les supplices n'approchaient jamais des decanina, c'était le repentir que l'on demandait aux coupables; on était loin de croire que les tourments pussent ramener à la vertu, que les échafauds pussent opérer la conversion du pêcheur.

Mais lorsque la superstition égara des âmes plus honnêtes qu'éclairées, lorsqu'un fanatisme aveugle arma les chrétiens les uns contre les autres, la simplicité évangélique fit place aux fureurs de l'intolérance; les moines partagèrent la démence générale ; ils devinrent plus féroces et plus barbares que les juges mêmes, que l'intérêt de la société force à s'armer de toute la rigueur des lois contre le crime. Leurs decanina devinrent d'affreux tombeaux, où ils plongèrent leurs malheureuses victimes, sans égard pour l'âge, l'ignorance ou la faiblesse; les prisons monastiques ne furent plus que d'horribles charniers ou les bourreaux sacrés, couverts du saint habit d'un Dieu de paix, clément et bon, inventèrent et organisèrent pieusement tous les supplices. Des abbés, dont la charité n'était que du fiel, la piété que de la fureur, la religion que du fanatisme et de l'intolérance, ne se bornèrent pas à renfermer leurs religieux dans la nuit profonde des cachots; ils les mutilèrent sans pitié, leur arrachèrent la langue, leur crevèrent les yeux, et leur firent subir dans les horreurs des prisons toutes les angoisses de la plus lente et de la plus douloureuse agonie. Ces atrocités sont consignées dans les capitulaires de Charlemagne, et les canons du concile de Francfort, qui s'élevèrent avec indignation, en 785, contre ces attentats, dont l'abbaye de Fulde et d'autres monastères offraient l'horrible et dégoûtant tableau. Cependant il s'opéra bientôt une ligue sacrée entre la puissance spirituelle et l'autorité temporelle pour rappeler des moines barbares à l'humanité, la première vertu du chrétien et la base de toutes les autres. En 817, l'assemblée d'Aix-la-Chapelle avait fermé les prisons monastiques ; mais cette sage mesure, cette modération si propre à ramener au devoir les cœurs égarés, ne fut pas de

longue durée : vingt-sept ans après, en 844, le concile de Verneuil ouvrit de nouveau les prisons, et ordonna que les religieux prévaricateurs ou apostats seraient punis par une détention indéfinie. On imagina une prison où la lumière du jour ne pénétrait jamais, et où le captif devait terminer sa malheureuse carrière. Ces antres ténébreux furent connus sous le nom de vade in pace. Pierre-le-Vénérable nous apprend qu'un Matthieu, d'exécrable mémoire, prieur de Saint-Martindes-Champs, à Paris, fit construire dans cette abbaye un souterrain en forme de tombeau, et y enferma à perpétuité un de ses moines, dont la mauvaise conduite avait résisté à tous les châtiments. Saint Benoit rendait au monde les moines qui refusaient d'obéir à la règle, il ne les assassinait pas. (Voyez ORDRES reLIGIEUX.)

Le bourreau de Saint-Martin-des-Champs trouva bientôt des imitateurs. Sa férocité devint la vertu d'un grand nombre de ses confrères, et une infinité de monastères ne tardèrent pas à avoir leurs souterrains et leurs victimes. Dans ces sépulcres vivants, l'infortuné qu'on y enchaînait, n'avait, pour prolonger sa longue agonie, qu'un pain noir et une eau sale et dégoûtante. Privé de de toutes consolations, de tout commerce avec les vivants, plongé dans une épaisse nuit, dans une atmosphère infecte et pestilentielle, sa vie n'était plus qu'on long supplice. Le silence de son tombeau n'était interrompu que par les accents plaintifs de sa douleur ; et s'il résistait à l'activité du mal, il succombait à sa durée. Il exhalait son der nier soupir dans les accès du désespoir et de la rage.

Le secret de tant d'horreurs fut enfin révélé. En 1351, le 27 janvier, nous dit Fleury dans son Histoire ecclésiastique, tome 21, livre 35, § 56, le vicaire-général de l'archevêque de Toulouse, Étienne Toldebrand vint, de la part de ce prélat, le dévoiler au roi Jean, pendant le séjour que faisait ce prince à Villeneuve, près d'Avignon, sur le Rhône. Le monarque français, épouvanté de cette fureur sacerdotale, ne balança pas à pénétrer dans ces infernales prisons, et à en arracher les victimes. Il eut besoin de toute son autorité pour forcer à l'obéissance les mineurs et les frères précheurs, qui devaient leur institution à la politique ambitieuse de Grégoire VII. Cette milice grossière et vagabonde de l'évêque de Rome, outrée de voir s'échapper de ses mains le

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