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glaive sanglant des bourreaux, osa porter ses plaintes au pied du trône pontifical; mais le roi Jean, indigné de l'audace et de la barbarie de cette horde mendiante, et fatigué de leur résistance, ne leur laissa que l'alternative de purger ses États de leur présence, ou d'obéir et d'être au moins hommes, s'ils ne pouvaient pas être chrétiens. Les féroces Dominicains feignirent de se soumettre; mais leurs souterrains ne cessèrent pas de s'ouvrir, et les vade in pace engloutirent de nombreuses victimes, jusqu'à ce qu'enfin un siècle de lumières vint émousser les poignards de l'intolérance.

Pendant que les moines et les religieux se creusaient ainsi des tombeaux, les évêques se formaient une juridiction contentieuse, s'attribuaient une justice particulière, construisaient des prisons, leur donnaient le nom d'officialités, et les remplissaient du petit nombre des ecclésiastiques qui ne secondaient pas leur ambition, ne partageaient pas leurs désordres, ou qui, ne joignant pas l'hypocrisie à l'audace, devenaient l'objet de quelques scandales publics.

Quand la faiblesse, l'ignorance et le malheur ne trouvèrent plus d'appui, plus de consolations dans les ministres de la religion; quand les successeurs des apôtres ne furent plus que des proscripteurs et des bourreaux; quand ils se mirent au-dessus de toutes les lois divines et humaines, comment les maitres de la terre auraient-ils résisté aux doucenrs du pouvoir absolu, aux trompeurs attraits du despotisme, à l'orgueil de commander à des peuples d'esclaves. A côté des cachots de l'intolérance religieuse, s'élevèrent les bastilles de l'intolérance politique. L'exercice du droit arbitraire d'emprisonnement ne put être que le résultat d'une tyrannic que rien ne contredit, et qui se permit impunément tout ce qu'il y avait de plus subversible de l'ordre et de la liberté publique et particulière des nations. Ce ne fut cependant qu'avec la marche lente et progressive du temps que l'on arriva aux abus du pouvoir. On n'osa pas d'abord violer audacieusement les formes judiciaires, et asservir la liberté des hommes aux caprices des rois. Mais lorsque ces chefs des États se furent déclarés les arbitres du monde, lorsqu'ils purent mettre l'arbitraire à la place des lois, et verser le sang de leurs esclaves pour les faire obéir, ils élevèrent ces châleaux-forts et ces bastilles, où furent plongés tant d'infortunés, et qui dévorèrent tant

de victimes. Constantinople eut son château des Sept-Tours; Rome, son château SaintAnge; la tour de Londres domina la Tamise; la prison perpétuelle des iles Sainte-Marguerite devint une des succursales de la tyrannie; Bicêtre, Charenton, Saint-Lazare entendirent d'autres gémissements que ceux des criminels. Ces asiles du désespoir et de la dou. leur furent souvent le théatre des attentats qu'ils étaient primitivement destinés à punir !

Ce n'est qu'avec le sentiment de la plus profonde amertume que l'on voit les passions vindicatives agiter tour à tour les rois, les princes de l'Église, les peuples, et des trou · pes de brigands, armés du poignard des assassins ou du couteau sacré de la religion, assiéger les prisons, en briser les portes, y organiser le carnage, et porter la mort jusqu'au fond des cachots, au nom d'un prince factieux, d'un pontife fanatique ou d'une liberté sans frein. On ose à peine mettre en lumière ces sombres atrocités qui ont si souvent déshonoré les pages de l'histoire; ces oubliettes, ces cages de fer de la tyrannie; et d'un autre côté, ces nuits sanglantes du 14 au 29 mai 1418, où le sang coula, dans toutes les maisons de détention de Paris, sous le fer d'un peuple mutiné; ces journées du 3 au 5 septembre, où les prisons révolutionnaires furent le théâtre des plus horribles assassinats; où la capitale au désespoir et la France en deuil eurent à compter parmi les victimes les citoyens les plus purs, les hommes les plus vertueux et les femmes les plus illustres.....

Mais loin de nous un passé qui ne rappelle que des souvenirs douloureux et pénibles! Tous ces anciens vestiges d'une licence sans frein et d'un despotisme sans bornes sont effacés. Les sociétés prennent une direction dans laquelle il semble que leur masse les entraîne et les emporte, et où l'esprit d'indépendance se combine avec l'exercice du pouvoir. Les vade in pace des moines et des évêques sont comblés, les cachots de l'inquisition ne déshonorent plus la religion, les fossés des prisons légales ont disparu, les châteaux-forts, les tours et les donjons des bastilles sont abattus, les prisons révolutionnaires ne se r'ouvriront jamais, et s'il reste quelques points où le despotisme ait encore ses secrets, ses tortures et ses abîmes, le temps n'est pas éloigné où les peuples, réveillés d'une longue et honteuse léthargie, se leveront pour reconquérir leurs droits, et mettre des bornes au pou

voir absolu. Dans les monarchies constitutionnelles, la liberté du citoyen est sacrée ; nul n'y porte impunément atteinte; on ne counaît de prisons que celles qui sont instituées par les lois, et elles ne s'ouvrent qu'à la voix du magistrat, pour s'assurer de la personne de l'homme prévenu d'un délit ou d'un crime, le soumettre à un jugement, l'absoudre ou le punir.

Tout tend à de nombreuses améliorations dans la construction, la surveillance, le régime et l'administration des maisons de détention, destinées à la prévention, à la mise en jugement, et à la correction. Bientôt on n'y verra plus des fièvres pestilentielles naître de l'atmosphère mortelle dont elles étaient infectées. La lumière pénètrera dans les cachots, dont on ne fera plus des tombeaux; les victimes ne seront plus entassées les unes sur les autres; l'eau, l'air et une grande propreté assainiront ces séjours de douleur et de larmes; les pieds et les mains des détenus n'y tomberont plus en putréfaction, sous les fers qui les meurtrissaient; enfin, les malheureux qui y gémissent n'appelleront plus à grands cris la mort, comme le seul bienfait qui puisse les affranchir des tourments qu'ils y éprouvaient.

La prison ne doit être qu'un lieu de sûreté destiné à garder un accusé jusqu'à ce qu'il soit jugé, ou de détention pour le temps qu'il est condamné à y séjourner. Que d'égards ne lui doit on pas, s'il est innocent! Et si cette même maison lui est enfin imposée, comme un moyen d'y expier une faute, ne doit-il pas y être traité avec cette consolante. humanité, que l'on ne peut refuser même aux grands coupables?

Les améliorations que l'on doit à Paris, à l'établissement du conseil royal des prisons, tout ce qu'on a tant de raisons d'en attendre encore, les travaux que l'on a introduits dans les maisons de correction et de détention, le zèle avec lequel on s'occupe de ces institutions nouvelles, en perfectionnant les ateliers, en y attachant les ouvriers par l'espoir d'une situation moins pénible, et le désir si naturel de diminuer le nombre des privations; l'air plus pur que l'on respirera dans ces maisons en en bannissant la misère; les déchirements de l'âme que l'on préviendra, en abrégeant les jours si longs et si cruels du secret, en murant d'infects et d'affreux cachots; la séparation et la distinction, si long-temps et si vainement attendues, que l'on fera des hommes, soit prévenus, soit

coupables, qui different souvent d'une manière si frappante par l'âge, l'état, la moralité, l'éducation et la nature des crimes ou des délits; la distribution d'un travail que l'on choisira et que l'on règlera en consultant les forces, les facultés, les dispositions et les habitudes de chaque individu; un régime plus doux enfin, des concierges moins avares qui ne s'enrichiront plus des dons que la bienfaisance prodigue au malheur, des guichetiers moins avides, moins grossiers, qui sauront adoucir et respecter l'infortune; le concours de la religion, si consolante dans la bouche d'un ministre éclairé; celui de l'humanité qui verse un baume salutaire sur les plus profondes douleurs : tout promet que les punitions, quoique justes et sévères encore, seront cependant plus en rapport avec nos mœurs, plus conformes à l'intérêt général de la société.

Et que l'on ne dise pas qu'en rendant les prisons moins horribles, et le sort des détenus moins affreux, on enlevera aux hommes, impérieusement entraînés vers le crime, la crainte salutaire d'une longue détention ou de la privation momentanée de leur liberté; qu'on ne dise pas que les dernières classes de la société trouvent le séjour d'une maison de correction sans tortures, moins insupportable que leur misère, que la paille qui meuble leur réduit. Non, sans doute! qui ne sait qu'un palais, dont on ne pourrait franchir les murs, serait mille fois plus odieux que l'antre où l'on aurait la faculté d'entrer et de sortir au gré de ses désirs? Et d'ailleurs faut-il donc, pour que les lieux de détention remplissent le but de la loi, pour qu'ils soient de suffisantes garanties contre les infractions du pacte social, qu'on les transforme en un repaire infect; qu'on en fasse le foyer de l'épidémie, de la peste et de la mort; que les vices qu'ils sont chargés de réprimer y acquièrent de nouveaux développements, s'y communiquent, s'y répandent, et parcourent tous les degrés qui conduisent à la corruption la plus profonde? Est-ce donc faire de la prison un séjour de plaisirs et de jouissances, que de mettre ceux qui l'habitent à l'abri des maladies contagieuses, de les nourrir d'un pain moins noir, de les arracher à la pourriture et à l'infection des cachots, de se souvenir que, s'ils sont coupables, ils n'en sont pas moins hommes? Y a-t-il à balancer entre une rigueur sans mesure, une barbarie sans bornes, que condamnent également l'humanité

et la religion, et qui ne produisent que l'immoralité, le libertinage ou le désespoir, et une juste sévérité qui astreint à une vie austère et laborieuse, qui impose toutes les privations, qui frappe ceux qui manquent à la règle, et qui les rend meilleurs en les punissant? Non, sans doute; et lorsque nous verrons l'heureuse époque où la prison cessera d'être le dangereux écueil où vont se briser la vertu prête à se relever, le repentir qui veut effacer une faute, et le remords qui effraie et qui soutient encore celui qui a fait un faux pas; la détention corrigera le détenu, et ne sera pas moins une peine, que chercheront également à éviter les ennemis nés du travail, et ceux qu'arrêteront toujours sur le bord de l'abime la honte d'un jugement flétrissant et le sentiment de leur

propre estime.

Que la malveillance soit enchaînée, que la perversité soit dans l'impuissance de nuire, et que tout tende, par une sévérité relative, et une modération sans faiblesse, dans les lieux d'expiation, à ramener le coupable à l'honneur, à l'ordre, à la vertu : voilà ce que doit désirer le corps social, et ce qu'il a le droit d'exiger. C'est aux lumières du 19° siècle, à nos institutions nouvelles, et à la tendance des esprits vers tous les genres d'améliorations, que nous devons l'heureux changement qui se prépare dans l'administration et dans le régime des prisons; et si nous n'avons pas prévenu nos voisins en repoussant ces législations barbares, qui ont fait pendant tant de siècles des plaies si profondes à l'espèce humaine, nous les imiterons au moins pour effacer tant de pénibles souvenirs (Voyez ARBITRAIRE, LIBERTÉ, PEINES et POLICE.) Le comte LABORDE.

PRISONS MILITAIRES. Les vieux recueils administratifs de Chennevières et de Briquet ne contiennent aucun renseignement sur les prisons militaires. Comme de leur temps un code de fer régissait l'armée, il paraît que l'administration s'inquiétait peu du local où se déposaient des hommes destinés, pour la moindre faute, au gibet ou aux galères.

L'Encyclopédie méthodique, rédigée trente ans plus tard, lorsque, les mœurs s'adoucissant, le soldat commençait à être compté pour quelque chose, ne consacre qu'un petit nombre de lignes à cette partie du service.

L'Histoire de l'administration de la guerre, par M. Xavier Audouin, ouvrage né avec la révolution, et qui abonde en vues de per-, fectionnement, paraît n'avoir pas même aperçu l'homme de guerre dans son état de prisonnier pour délits.

A une époque plus voisine encore de nous, qui a publié sept volumes sur la science adun écrivain d'un mérite distingué, M. Odier, ministrative, a entièrement négligé de parler des prisons: oubli d'autant plus difficile à expliquer, que la partie de son estimable certainement celle où il est traité de la justravail la plus neuve et la plus achevée est tice militaire.

Enfin, il faut arriver à l'an de grâce 1829 pour rencontrer, dans les Cours d'adminisoù cet écrivain exact rassemble méthodiquetration de M. Vauchelles, quelques pages ment tout ce qu'il y a de prescrit et de créé sur cette matière.

Toutefois, il reste un livre intéressant à faire; c'est celui des améliorations que comporte le régime des prisons de l'armée.

Le Français est un mauvais soldat de garnison. L'activité de son esprit, qui s'accommode des travaux et des périls de la guerre, ne sait à quoi dépenser les loisirs de la paix. Le dégoût pour les armes, qu'il manifeste toujours dans les temps où elles sont oisives, doit principalement être imputé à nos institutions, qui le condamnent, hors les camps, tantôt à un désolant rien-à-faire, tantôt à des occupations stériles. Quoi qu'il en soit, le désœuvrement et l'ennui portent leurs fruits accoutumés. De là, les manques fréquents au devoir, les atteintes multipliées à la discipline, dont on peut juger par le tableau ci-dessous, relevé sur les chiffres officiels de dix années.

DEL. COMMUNS.

* DÉLITS MILITAIRES.

Résultats numériques de l'administration de la justice militaire de 1818 à 1827.

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7673 14

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OBSERVATIONS.

Les délits militaires sont ceux dont le jugement se base sur la loi pénale de l'armée. Les délits communs sont ceux qui, u'étant pas prévenus dans cette loi, sont jugés d'après le Code pénal des citoyens.

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Cette misérable somme de dix sous devant fournir au prisonnier tout ce qui est de nécessité première, moins le vêtement, que l'on ne s'est pas cru jusqu'ici dans l'obligation de lui procurer, représente une condition qui n'a pas d'égale dans la société, c'est-à-dire au-dessous du mendiant et du galérien. Or, que l'on se reporte au tableau ci-dessus, on reconnaîtra que le plus grand nombre des délits ne constitue point d'offense à la morale, et, sans doute, on n'apercevra aucune bonne raison pour traiter à l'égal des crimes les plus odieux la désertion, la désobéissance, l'abus du pouvoir, et beaucoup d'autres manquements aux règles militaires. Ces délits y sont au nombre de 13,365 sur 17,724, c'est-à-dire, que les

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de ces condamnés sont des hommes méritant intérêt et égards, et qu'on traite avec toute la dureté imaginable.

Peut-être on objectera qu'il ne faut rien conclure de la parcimonie de l'État envers les prisonniers, attendu que leur travail supplée à l'insuffisance de ce que le trésor leur accorde. Cette objection est fondée pour sept prisons sur dix-huit, pour 600 condamnés sur1,772. Tout le reste, à moins que des charités particulières n'y pourvoient, subit les conséquences d'un ordre légal aussi rigoureux. Je ne veux pas nier qu'il y ait dans l'administration volonté d'adoucir tant de misère. Je crois même savoir que, dans l'année courante, la moitié des prisons aura des ateliers, et que, sous peu d'années, la totalité sera montée sur le même pied. Mais, tout en applaudissant à des projets qui, sans bourse délier, amélioreront le sort de ceux que les lois militaires ont frappés, je n'aperçois encore aucune tendance à les corriger de leurs mauvais penchants, aucune intention de les ramener dans une meilleure voie. Il me semble cependant que le but qu'on se propose dans une maison de correction, n'est pas uniquement de faire vivre ceux qu'elle renferme.

Les philosophes éclairés à qui l'Amérique du nord dut, il y a cinquante ans, ses lois et sa liberté, regardaient les vices comme des maladies guérissables. Ils croyaient possible qu'à l'aide d'un traitement convenablement appliqué, on replaçat dans sa dignité première l'homme que des passions en avaient fait décheoir. Cette pensée consosante, fécondée par les moralistes de diverses nations, donna naissance aux maisons péni

tentiaires de quelques États de l'Union, qu'imitèrent plusieurs cantons de la confédération helvétique, et que perfectionna la vieille Angleterre, qui en a réalisé à la terre de Van-Diemen et à la Nouvelle Galles du sud, l'application la plus étendue dont l'esprit se puisse former une idée.

De ces expériences, tentées en des lieux et sur des peuples différents, est sortie une vérité de fait; c'est qu'au moyen de privations successivement adoucies; avec le secours de l'isolement, de l'instruction et du travail, enfin par des remèdes à la fois physiques et moraux, on parvient à subjuguer les naturels les plus indociles. Il est désormais hors de doute que même des scélérats, justes objets d'épouvante pour la société, des voies de raison et de vertu, et replacés peuvent être graduellement ramenés dans finalement sans danger au milieu des populations innocentes.

Notre France, long-temps la première dans la carrière des perfectionnements sociaux, était restée cependant étrangère à ces tentatives philanthropiques; ou plutôt, engagée qu'elle était dans une lutte disproportionnée (lutte qu'il lui aurait été impossible de soutenir si elle n'avait déchaîné toutes les passions ), le temps lui avait manqué pour s'occuper de cette sorte d'amélioration, lorsqu'au retour du calme et de l'ordre, un premier essai de ces sages institutions fut hasardé par un militaire de la capitale.

Le général comte Defrance, frappé de la multiplicité des condamnations en temps de paix, et de leur rareté pendant la guerre, en avait induit que le plus grand nombre des délits militaires devait procéder d'un mauvais emploi des loisirs du soldat. Il jugea que si l'on combinait avec art le travail mécanique, non seulement on perfectionnerait les mœurs de l'armée, mais que les mêmes moyens, appliqués aux hommes que ces lois disciplinaires ont frappés, les ramèneraient à une vie régulière et sociale.

Il n'appartenait pas au simple commandant d'une division d'essayer sur les habitudes des troupes des changements dont le signal doit leur arriver de plus haut. Mais le général comte Defrance avait sous sa main un dépôt de condamnés que la maladie, que les privations, que les chagrins moissonnaient. Il résolut de faire diversion à tant de maux en occupant à-la-fois leur esprit et leurs bras. Montaign, séjour de

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