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Je vous prie de donner tous les ordres nécessaires à ce que, ainsi que vous me l'écrivez, nous puissions mettre en mer au mois de mars, et par après passant par Brouage, selon que vous me le mandez, vous en venir ici, afin que nous résolvions tout ce qu'il faudra faire l'année qui vient et pourvoyions aux moyens de l'exécuter.

Il faut faire quelque beau et bon dessein qui répare les malheurs qui sont arrivés aux affaires du roi cette année, ou par la lâcheté, ou par l'ignorance et la malice de quelques uns de ceux qui y ont été employés.

Comme vous jugez que c'est chose nécessaire que vous retourniez en janvier à Brest, le plus tôt que vous pourrez vous rendre ici sera le meilleur, afin que vous puissiez être de retour sans faillir au temps susdit. J'ai envoyé le capitaine du Mé en Normandie; c'est où les vaisseaux que vous y renvoyez seront le plus sûrement, et les y faire mettre. Je serai très-aise que vous ameniez des capitaines de brûlots de deçà, afin que nous voyions si on s'en peut servir à quelque bon dessein ; mais le sieur du Mé m'a représenté que si on fait des brûlots de deçà, ceux de Dunkerque en pourront être avertis, et que si on veut entreprendre quelque chose de considérable il faut faire faire lesdits brùlots à SaintMalo; ce à quoi vous mettrez ordre, s'il vous plaît. L'espérance que j'ai de vous voir bientôt m'empêche de vous en dire davantage, sinon que je suis et serai toujours,

Monsieur,

Votre très-affectionné comme frère à vous rendre service,
Le Cardinal DE RICHELIieu.

M. de Bordeaux étant arrivé à Paris le 20 novembre, alla saluer le roi, accompagné de ses capitaines de marine, qui furent tous bien reçus de Louis XIII et de M. le cardinal. Un mois après, M. de Bordeaux fut un des prélats qui assistèrent au service solennel du père Joseph, capucin et commissaire général des missions apostoliques; ce confident intime de M. le cardinal de Richelieu étant mort d'apoplexie à Ruel, le 18 décembre 1638.

LIVRE QUATRIÈME.

1639.

CHAPITRE VII.

Lettre de M. le cardinal de Richelieu à M. de Bordeaux, touchant l'armée navale de l'année 1639, et les desseins que l'on peut faire. — Instructions pour M. l'archevêque de Bordeaux, commandant l'armée navale du roi en ponant, lesquelles il n'ouvrira que lorsqu'il sera en mer. Lettre du roi servant de pouvoir à M. de Bordeaux.-M. de Noyers à M. de Bordeaux, sur l'armée navale d'Espagne. — M. le cardinal de Richelieu à M. de Bordeaux, sur la flotte. Mémoire et dépêches de M. le cardinal de Richelieu, pour répondre aux lettres de M. de Bordeaux. M. le cardinal engage M. de Bordeaux à s'emparer de la flotte espagnole qui revenait des Indes. Avis de M. le cardinal sur le plan de campagne de M. de Bordeaux. Journal de la navigation de M. de Bordeaux, depuis le 4 juin jusqu'au 18 août. — Attaque de la Corogne. — Prise de Larédo. — M. le cardinal félicite M. de Bordeaux sur les résultats de la campagne. M. de Bordeaux demande à revenir à Brest pour désarmer la flotte; il demande aussi de fondre quelques uns des canons pris à Larédo, afin d'en faire une cloche pour son église de Bordeaux. M. le cardinal lui accorde cette grâce. Désarmement de la flotte.

(Janvier - Décembre 1639.)

La guerre continua contre l'Espagne; le roi eut six armées sur pied: l'une commandée par M. de la Meilleraie pour attaquer les Pays-Bas; la seconde, vers le Luxembourg, par M. de Feuquières; la troisième, sous le maréchal de Châtillon, sur les frontières de Champagne; la quatrième en Italie, commandée par M. le duc de Longueville; la cinquième en Pié

mont, aux ordres du cardinal de Lavalette, et la sixième en Languedoc, aux ordres de M. le prince de Condé.

C'était avec ce dernier général que M. de Bordeaux devait agir de concert dans le cas où les différentes opérations qui lui furent prescrites par les instructions qu'on va lire, auraient manqué.

Avant de rédiger les instructions de M. de Bordeaux, le cardinal de Richelieu lui avait demandé son avis sur les opérations navales qu'il serait possible de tenter en 1639.

LETTRE DE M. LE CARDINAL DE RICHELIEU

A M. L'ARCHEVÊQUE DE BORDEAUX, TOUCHANT L'ARMÉE NAVALE
DE L'ANNÉE 1639, ET LES DESSEINS QUE L'On peut faire.

MONSIEUR,

17 janvier 1639.

Je ne doute point ni de votre affection ni de votre capacité en ce que vous voudrez entreprendre, et si des deux partis que vous savez, je n'en choisis pas déterminément l'un pour vous, ce n'est pas que je ne vous croie entièrement soumis à ce que voudront vos amis; mais parce qu'un tel choix doit dépendre de la connaissance de certains faits. particuliers que je ne sais pas comme vous, qui avez été en divers lieux de mer et de terre où il est question de servir. C'est donc à vous particulièrement à voir ce que vous estimerez pouvoir faire réussir à l'avantage du roi, et à moi à proposer par après à sa majesté ce à quoi vous penserez être utile à son service. Au reste, ne vous imaginez pas qu'un homme qui n'entreprend rien que par raison, et qui en l'exécution d'un dessein fait ce que la prudence et l'honneur conseillent, soit responsable des événements, quand même ils n'arrivent pas bons. Qui fait fidèlement ce qu'il peut, fait ce qu'il doit ; et qui fait ce qu'il doit, n'est pas garant des mauvais succès. Voilà ce que je puis vous dire sur ce sujet, en suite de quoi vous me direz franchement à votre retour ce que vous penserez le plus à propos.

Je ferai venir le sieur de Lamet, et j'espère que nous n'oublierons aucune chose qui puisse servir à l'avancement des desseins du roi. Cependant vous me ferez plaisir de dépêcher tous les capitaines de marine, afin que nous soyons plus tôt prêt que nos ennemis, et vous assurerez que je suis,

Monsieur,

Votre très-affectionné comme frère à vous rendre service,
Le Cardinal DE RICHELIEU.

A Ruel, le 17 janvier 1639.

Ensuite du rapport de M. de Bordeaux, le roi donna l'instruction suivante à ce prélat. Il y était expressément recommandé de chercher la flotte espagnole pour la détruire, et de plus, de tenter quelque descente à Bayonna, Cadix, la Corogne Sant-Ander et Fontarabie.

INSTRUCTION

POUR M. L'Archevêque de bORDEAUX, COMMANDANT L'ARMÉE NAVALE DU ROI EN PONANT, LAQUELLE IL N'OUVRIRA QUE LORSQU'IL SERA EN MER.

De Saint-Germain-en-Laye, le 15 février 1639.

Les vaisseaux qui doivent composer l'armée navale du roi sur l'Océan partiront des divers ports où ils sont à présent dès qu'ils seront en état, et se rendront en diligence à la rade de Saint-Martin de Ré, que sa majesté a ordonnée pour servir à assembler ladite armée, afin de prendre le reste des vivres, armes et munitions qui leur pourraient manquer, et faire effort d'y être assez à temps pour que l'armée en corps puisse mettre à la voile et sortir des pertuis dans le mois d'avril au plus tard.

Ladite armée étant assemblée, le sieur archevêque de Bordeaux, auquel sa majesté en a donné le commandement, fera embarquer sur les vaisseaux d'icelle vingt compagnies d'infanterie qu'il tirera du régiment de la Couronne, et plus s'il est besoin, pour faire jusqu'à

deux mille hommes effectifs, et après avoir renvoyé le reste des troupes destinées pour s'embarquer sur ladite armée, sous la conduite d'un maréchal-de-camp, en un lieu proche de la mer tel qu'il jugera plus propre à ses desseins, il mènera l'armée tout droit à la Corogne en Galice, pour y chercher celle d'Espagne, afin de la combattre, s'il se peut; et ne l'y trouvant pas, doublera le cap de Finistère pour l'aller chercher dans la baie de Vigo, à Lisbonne ou à Cadix, même au-delà de celui de Saint-Vincent, observant cela d'envoyer toujours au-devant de l'armée quelque patache bonne de voiles pour découvrir à la mer, et apprendre des nouvelles des ennemis.

En quelque lieu qu'il les trouve, soit en corps d'armée, soit par escadres, dans les rades ou dans les ports, il les combattra ou brûlera selon que l'occasion s'en présentera, sans en perdre aucune qui puisse lui donner avantage sur les ennemis, et sans s'arrêter à autre chose jusqu'à ce qu'il les ait entièrement défaits s'il se peut.

Après avoir rangé toute la côte d'Espagne depuis la Corogne jusqu'à Cadix, si l'armée d'Espagne a été combattue, et que Dieu ait eu agréable d'en donner au roi un bon succès, ou qu'il ne s'en soit rencontré aucune à la mer ni dans les ports, ledit sieur archevêque ramènera celle de sa majesté vers la France, en sorte toutefois que, rangeant les côtes d'Espagne, il puisse faire des descentes aux lieux qu'il jugera à propos pour piller et brûler, afin de nuire et endommager les ennemis en tout ce qui lui sera possible, mettant pour cet effet en terre tel nombre de gens qu'il aura besoin, soit desdites vingt compagnies de la Couronne, soit des équipages particuliers des vaisseaux.

En faisant ce retour, il fera reconnaître Bayonna, et tâchera de l'emporter par le pétard; et en cas que la place se puisse conserver contre les ennemis, il y mettra telle garnison qu'il jugera à propos, dégarnissant même, en cas de besoin, une partie des vaisseaux pour servir à ce dessein, lesquels il pourra renvoyer en diligence au lieu où il aura donné le rendez-vous au reste de ses troupes pour embarquer autant de gens qu'il aurait été obligé d'en débarquer audit lieu; mais ce dessein ne sera par lui entrepris qu'à condition de pouvoir conserver la place, et non autrement,

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