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pouvoir, et qu'elle établiroit un précédent que, plus tard, on invoqueroit contre les ministres en exercice. M. Bavoux prétend que la commission est investie du droit de faire des recherches, et de nommer un de ses membres pour faire l'instruction du procès. M.Villemain croit que l'on doit se borner à dresser l'acte d'accusation, et à poursuivre devant la chambre des pairs la réparation du grand crime dont sont coupables les derniers ministres.

M. Dupin aîné prononce un long discours dans le même sens. MM. Salverte et Mauguin soutiennent encore que la chambre des députés doit procéder à toute l'instruction de l'affaire, M. Béranger, rapporteur de la commission, s'efforce également de réfuter les adversaires de sa proposition. Il croit, comme M. Mauguin, que les pouvoirs qu'elle demande sont de la plus grande urgence; qu'il faut qu'elle puisse mander devant elle les ministres coupables, et procéder au plus tôt à leur interrogatoire.

M. Villemain présente un sous-amendement, d'après lequel la commission ne pourroit décerner que des mandats d'amener à l'égard des témoins et des prévenus. Quoique M. le rapporteur l'ait appuyée, cette proposition est écartée.

Après deux épreuves par assis et levé, quelque temps douteuses, l'amendement de la commission, tendant à l'investir de tous les pouvoirs appartenant aux juges d'instruction et aux chambres du conseil, est adopté. L'agitation qui s'ensuit est telle, que M. Viennet, qui se présente à la tribune pour faire son rapport sur une élection, est obligé de se retirer.

M. le président, M. Béranger, et beaucoup de membres, demandent que l'on vote maintenant au scrutin secret sur cet article. MM. Mauguin, G. de La Rochefoucault, de Corcelles et Demarçay, s'y opposent vivement, en disant que tout est consommé à cet égard. M. de Grammont représente que la question est trop grave pour qu'on se refuse à cette mesure. MM. Madié de Montjau, Crignon de Montigny et Lefèvre, soutiennent également qu'il est de la loyauté de la chambre de passer au vote du scrutin secret, et que le règlement l'exige même. MM. de Laborde et de Tracy ne veulent pas qu'on revienne sur la décision.

L'agitation est extrême. M. Laffitte veut consulter la chambre pour savoir le parti auquel on s'arrêtera l'extrême gauche s'y oppose. On demande la question préalable: elle est rejetée. Enfin, après deux épreuves douteuses, la chambre décide qu'elle votera au scrutin secret sur l'article en discussion. Le résultat en a donné 186 suffrages pour le projet de mise en accusation des ministres, avec les pouvoirs demandés par la commission; il n'y a eu que 93 boules noires. Cette majorité inattendue a causé la plus vive

sensation.

La chambre prononce ensuite l'admission de MM. de la Douespe et Thomas. Le premier prète serment.

Sur l'abolition de la peine de mort.

On sait que M. de Tracy proposa, mardi dernier, à la chambre d'abolir la peine de mort. Sa proposition fut fortement appuyée par M. de Lafayette, et il a été décidé qu'elle seroit prise en considération. On devoit s'attendre qu'elle auroit trouvé des défenseurs dans un journal qui depuis plusieurs années s'est souvent élevé contre la peine de mort. La Gazette des tribunaux ne parloit pas d'une condamnation à mort ou de l'exécution d'un assassin sans gémir sur cette cruauté inutile. A quoi bon, disoit-elle, ce spectacle horrible, ce sang, cette férocité, quand il suffisoit de mettre le coupable hors d'état de nuire? La société a-t-elle même le droit de retrancher ainsi un membre de son sein? la philantropie ne se révolte-t-elle pas contre cet énorme pouvoir, contre ce reste de barbarie qui est en opposition avec le progrès de la civilisation et avec la douceur de nos mœurs?

Ainsi raisonnoit la Gazette des tribunaux, et elle est revenue très-souvent sur cette thèse : mais aujourd'hui elle a changé de système, et un des rédacteurs blâme, dans un long article, la proposition de M. de Tracy, comme étant à la fois inoportune et gravement imprudente. Ce n'est pas à la suite d'une révolution, dit-il, qu'il convient de s'occuper de cet objet. Les coups de fusil des Parisiens ont-ils frappé tous les séïdes de la légitimité et du pouvoir absolu? s'imagine-t-on enfin que la caisse saisie à l'Archevéché contenoit tous les poignards à l'usage de la congrégation? Toutes les considérations que présente le rédacteur pour ajourner la proposition sont relatives à la politique.

Ainsi, ce que la civilisation réclamoit impérieusement avant la dernière révolution, elle ne le réclame plus aujourd'hui ; ce qui étoit un besoin de l'humanité est actuellement une extrême imprudence. Il faut d'abord en finir avec la légitimité, avec le pouvoir absolu, avec la congrégation; il faut nous débarrasser des ennemis du nouvel ordre de choses. Il faut sans doute faire subir un châtiment exemplaire aux principaux agens du dernier gouvernement quand on aura pendu quelques ministres, quelques généraux, et peut-être quelques préfets, alors on pourra sans danger prononcer l'abolition de la peine de mort pour les empoisonneurs et les assassins. Le rédacteur supplie très – sérieusement les députés et M. de Tracy de réfléchir moins en philantropes qu'en hommes d'Etat sur la proposition, et de descendre des hautes regions de la philosophie pour entrer dans celles de la politique. Il résulte de tout ceci que l'abolition de la peine de mort est une de ces belles théories que l'on ne met en avant que quand on n'est pas le plus fort.

Le Gérant, Adrien Le Clere.

De l'état de la religion en France.

« Je ne sais, disoit le grand évêque de Meaux, quelle inspiration, dont nous ne connoissons pas l'origine, nous apprend à réclamer Dieu dans toutes les nécessités de la vie. » Cette inspiration si belle, si digne de l'homme raisonnable, est un des premiers attributs de la vraie religion; et lorsque la société chrétienne est exposée aux plus violentes secousses, lorsque la crainte et les sinistres présages se sont emparés des meilleurs esprits, le ciel semble en quelque sorte se rapprocher de la terre; le sentiment qui nous occupe, qui absorbe notre ame, nous fait envisager comme plus près de nous l'arbitre souverain de toutes les choses humaines; nous nous élevons jusqu'à lui Sapientia humiliati exaltabit caput illius.

Depuis des siècles peut-être, notre patrie ne s'est trouvée dans des circonstances plus graves, plus difficiles, plus importantes dans leurs résultats. Tant de prodiges de la divine Providence, tant de vertus et tant d'efforts, tant de leçons et tant de bienfaits perdus peut-être sans retour; l'impiété ne doutant plus de la supériorité de ses armes et de la durée de son triomphe; un entrainement presque général vers le désordre et l'anarchie; la révolte, l'incrédulité, le mensonge et le privilége de tout écrire soutenus par l'ordre légal; la fidélité traitée comme un préjugé ridicule; la vertu éteinte et sans courage; le crime seul hardi, impudent, audacieux, dormant tranquille loin du remords; la religion calomniée et méconnue; au milieu de ce chaos, le pouvoir incertain, cerné et assiégé par toutes les puissances de la révolution, cherchant une issue, réduit à ses dernières ressources, et tentant, dans son état d'affoiblissement, ce qu'il n'osa jamais essayer lorsqu'il étoit dans Tome LXV. L'Ami de la Religion.

L

toute sa force voilà la France telle que la révolution l'a faite de nouveau.

Au milieu de ces perplexités, la religion, inébranlable sur ses bases, rappelle, comme malgré eux, les esprits même les plus irréfléchis vers les leçons et les avertissemens qu'elle dispense à l'homme isolé, comme aux sociétés humaines. Elle est le lien qui unit la terre au ciel; si ce lien est rompu, ou s'il est méconnu par les hommes, la terre s'ébranle et se trouble; ses destinées sont incertaines; on diroit qu'elle va retomber dans le chaos. Le monde créé dans le temps, mais formé pour un avenir, n'est plus que le théâtre des plus effroyables catastrophes, lorsqu'il ne gravite plus autour de ce centre qui existe avant toute chose, qui survit à toute chose, et que nous appelons éternité. Tel est l'ordre immuable de la divine Providence tout ce qui est, est de son domaine; tout repose dans ses mains; vouloir le lui ravir de nous-mêmes, c'est une folie, c'est un outrage; et lorsque l'homme, dans sa foiblesse, ose concevoir des pensées, des lois, des institutions étrangères à l'action de sa puissance, c'est le néant qui se révolte contre l'Etre des êtres, c'est le temps qui veut envahir l'éternité; c'est l'homme armé d'une fureur aveugle, s'efforçant de rompre le lien qui le tient suspendu au-dessus de l'abime.

Telle a été en France la destinée de la religion, que ses bienfaits ont été, pour des générations ingrates, la source de ses malheurs et de ses épreuves les plus terribles. Des mœurs si polies, si rafinées, n'ont pu soutenir la majesté imposante et l'austérité d'une religion qui ne civilise les hommes qu'en les rendant meilleurs. On s'est cru autorisé à la réduire à la proportion des foibles idées, manières et des exigences de l'homme dégradé par le siècle. Sans doute la religion a été donnée aux hommes pour les conduire dans toutes les conditions et dans tous les âges de cette vie, et elle doit convenir à toutes les conditions et à tous les âges. Mais on a trop oublié peut-être que ce prin

des

eipe exigeoit une réciprocité, et que la foi des chrétiens ne répond à toutes les pensées et à tous les besoins de l'homme, que lorsque l'homme lui-même lui donne la première place dans ses pensées, dans ses affections, dans ses habitudes.

Ce christianisme imparfait, décoloré par des mœurs affoiblies et relâchées, peut suffire encore pendant quelques années pour maintenir la société dans le cercle ordinaire de ses besoins et de son existence. Mais, s'il survient quelqu'orage suscité contre la religion par des passions violentes, si l'impiété vient lui disputer ses titres, méconnoitre ses bienfaits, outrager son pouvoir; si, pour arriver à ses fins criminelles, elle déploie cette énergie dont elle a plus d'une fois fait usage; les convenances sociales, la politesse, l'habitude même du bonheur et de la paix, dont on est redevable au christianisme, sont de bien foibles digues contre l'audace de ses ennemis; la société elle-même est entraînée dans sa perte, jusqu'à ce que, retrempé par le malheur, il reprenne sa place dans les affections de l'homme et dans les institutions humaines.

Telle étoit la leçon importante que nous avoit léguée cette grande catastrophe qu'on appelle la révolution. C'est sur la religion qu'elle avoit conquis sa force, et c'est contre cette religion qu'elle fonda son existence. Vaincue, ou du moins comprimée, par la foi, dans la Vendée, en Espagne, à Rome et parmi tous les vrais croyans, son génie paroissoit enchainé; le vrai Français, plus éclairé, plus sage que la loi humaine, invoquoit la loi divine dans les grandes époques de la vie, et demandoit aux dépositaires du pouvoir cet accord qui, dans tout Etat bien organisé, doit exister entre l'une et l'autre. Comment se fait - il que la loi ait continué d'être athée, comme l'a dit un de ses interprètes, et que les vœux, ainsi que les besoins les plus importans de la France, aient été méconnus? Là société chrétienne, le sacerdoce, le culte, l'enfance, attendoient des lois protectrices, des institutions, des ga

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