Page images
PDF
EPUB

SAMEDI 25 SEPTEMBRE 1830.

(N° 1689.)

Sur une cérémonie en l'honneur de Bories, Raoulx, Goubin et Pommier.

On a célébré mardi dernier, à Paris, l'anniversaire de la mort de quatre conspirateurs exécutés il y a huit ans. Déjà quelques journaux avoient manifesté le projet de réhabiliter leur mémoire, d'autres s'élevèrent contre cette idée. Le Journal des Débuts, qu'on n'accusera pas d'un zèle outré pour les principes conservateurs de la monarchie, avoit essayé de combattre le vœu de quelques associations secrètes en l'honneur des quatre Carbonari. Il fit là-dessus des réflexions, la plupart assez judicieuses :

«

Faut-il revenir, disoit-il, sur ce passé lointain? N'y a-t-il pas eu, pendant le cours de nos orages, de plus grands morts? Faudra-t-il exhumer l'une après l'autre toutes les sentences funestes, toutes les catastrophes sanglantes ? Qu'eussions-nous dit, si la restauration avoit voulu ou souffert que chacune des victimes de la révolution reçût tour-à-tour l'hommage des processions expiatoires? Ses quinze ans n'y eussent pas suffi. Nos places et nos rues eussent été attristées éternellement de cette étrange et nouvelle réaction de douleurs vraies ou fausses, de ressentimens vrais ou subversifs.

»

Qu'on y prenne garde; ce n'est pas tel tribunal révolutionnaire, telle cour prévôtale, qui a fait tomber les têtes de Bories et de ses amis, c'est un jury. Qui a le droit d'infirmer officiellement aujourd'hui la déclaration des jurés ? C'est faire de deux choses l'une, ou bien proclamer innocens ceux que les jurés trouvèrent coupables, les proclamer innocens et leur en faire honneur; ou bien c'est les reconnoître, pour leur en savoir gré, animés des desseins qu'on leur supposa. C'est à la fois absoudre leurs juges et les célébrer eux-mêmes pour avoir voulu prendre l'initiative de la destruction de l'ordre établi, du renversement des lois existantes.

Tome LXV. L'Ami de la Religion.

Аа

» La

sagesse vouloit que, pour honorer leur souvenir, on eût recours à tout autre chose qu'à des démonstrations populaires et bruyantes. Nous ne comprenons pas bien ce qu'il y a de pieux dans un rassemblement qui doit se faire sans le concours d'aucune autorité publique, on ne sait sous quels auspices et par quelles inspirations, sur la place de Grève enfin. C'est un lieu où la foule se rassemble trop souvent pour de sinistres spectacles. On n'imagine pas ce que peut être une cérémonie funèbre dans un tel lieu, sur cette place nue, en l'absence et de l'intérêt d'une douleur récente, et des pompes religieuses, et de l'appareil d'une solennité nationale. On ne voit pas qu'il puisse y avoir autre chose qu'un rassemblement plus ou moins tumultueux et des discours qui ne seront pas entendus.

» Quelles sont les autorités inconnues qui prennent cette initiative, qui publient ces délibérations, qui transportent dans nos rues et sur nos places ces démonstrations officielles? Nous dirons seulement une chose; c'est que ces démonstrations forcément concertées et bruyantes sont un sujet d'alarmes et de désordres publics... Les propriétaires, les négocians, la foule même ne croient point à des regrets qui aicnt besoin de se produire au grand jour après dix ans. Dès lors c'est à des passions qu'on attribue les effets tentés pour convier le peuple autour de tribunes en plein air....

[ocr errors]

D

Le journaliste parloit ensuite des alarmes que devoit concevoir la population tranquille, quand elle entendoit les clubs discourir et qu'elle voyoit les rues s'émouvoir. Nous avons déjà eu assez de rassemblemens, et tout ce qui a quelque fortune, tout ce qui a besoin d'ordre et de repos, s'inquiète de voir appeler le peuple à quitter ses pacifiques travaux pour des attroupemens oisifs, animés, illicites. Il paroit qu'en effet les sociétés qui avoient conçu le projet de la cérémonie funèbre avoient, par momens, songé à autre chose qu'à des regrets, et avoient eu quelque idée d'agir sur les vivans plutôt que d'honorer les morts; on a parlé du moins de certaines délibérations qui avoient un but purement politique, et de plans qui n'avoient rien de religieux, ni de funèbre. Mais ces plans ont été ensuite abandonnés. »

On avoit cru que l'autorité auroit pris quelque mesure pour empêcher la réunion, mais elle n'a pas jugé à propos de se montrer. Les préparatifs de la cérémonie se sont faits sans obstacle. Les commissaires nommés par quatre assemblées patriotiques ont tout disposé pour le mardi. Le cortége est parti à deux heures de la rue de Grenelle. La loge des Amis de la vérité, dont Bories et les autres faisoient partie, marchoit en tête. Un canonnier de la garde nationale portoit la bannière; quatre drapeaux et quatre faisceaux de couronnes portoient ces mots : Bories, Raoulx, Goubin, Pommier, 21 septembre 1822. Un journal prétend que le cortége étoit composé d'environ 4,000 citoyens; mais cette estimation paroit fort enflée. Deux journaux ne portent le nombre qu'à 1,500 personnes, et un témoin oculaire croit qu'il n'y en avoit pas plus de 8 à 900. Des curieux regardoient froidement défiler le cortége. On est arrivé à la Grève, où les gens du cortége se sont formés en carré, et où un des membres de la loge des Amis de la vérité à prononcé un discours en l'honneur des quatre jeunes gens. Il les a célébrés comme des héros et des martyrs de la liberté; il a vanté leur dévouement, leur courage, leur austère vertu; il les a représentés comme des précurseurs de notre dernière révolution. On a dit que plus de 20,000 citoyens étoient réunis sur la Grève; mais il en faut rabattre les neuf dixièmes. Il n'y a eu ni cris, ni acclamations; la cérémonie a été silencieuse et froide, et chacun s'est retiré après le discours, sans que la tranquillité ait été troublée, et sans que, ni les personnes du cortége, ni les spectateurs parussent fort émus. Comment l'auroient-ils été, en effet, d'un évènement déjà éloigné, de la mort de gens condamnés par un tribunal régulier et suivant toutes les formes légales? Il n'y avoit peut-être pas dans le cortége vingt personnes qui eussent connu Bories et ses complices. Quel effet pouvoit faire sur les autres le souvenir d'un procès où l'on ne voit aucune trace de passion, ni d'arbitraire? A ce sujet,

qu'on nous permette de rappeler les principales circonstances d'une affaire qu'on a fait revivre assez imprudemment.

Le nombre des accusés dans l'affaire de La Rochelle étoit de vingt-cinq; 12 comme complices et 13 comme non-révélateurs. L'instruction de l'affaire fut longue, et l'acte d'accusation est fortement motivé. Goubin fit des révélations qu'il rétracta ensuite. Un autre accusé, Hénon, donna de grands détails sur la conspiration. Goupillon avoua aussi le complot. Les débats commencèrent le 21 août 1822, à la cour d'assises de Paris, présidée par M. Montmerqué. MM. de Marchangy et de Broé rem→ plissoient les fonctions du ministère public. L'interrogatoire des accusés apprit des choses curieuses sur les Carbonari, sur l'organisation de leurs Ventes, sur leurs signes de reconnoissance, sur leurs projets, sur leurs moyens de succès, etc. Les plaidoiries des avocats remplirent plusieurs séances, et toute l'affaire occupa les audiences du 21 août au 5 septembre. Sur la déclaration des jurés, Bories, Pommier, Raoulx et Goubin furent condamnés à mort; Castille, Dariotsecq et Lefèvre à cinq ans de prison; Barlet à 3 ans, Labouret, Cochet et Perreton à 2 ans. Goupillon fut mis pour 15 ans sous la surveillance de la police. Les autres prévenus furent acquittés.

Bories et les trois autres se pourvurent en cassation; on a dit qu'ils donnèrent leur désistement, mais le fait ne paroit pas exact. Nous voyons que, le 19 septembre, la cour de cassation s'occupa de leur pourvoi, qui fut rejeté. L'arrêt est précédé de considérans très-étendus sur les moyens présentés par le défenseur. M. l'abbé Montès, aumônier de la Conciergerie, visita les condamnés, et resta seul avec eux pendant deux heures. Le 21 septembre, à 5 heures du matin, ils furent transférés de Bicêtre à la Conciergerie. On dit que Pommier demanda à faire dés révélations, et M. Montmerqué se transporta deux fois auprès d'eux. A cinq heures, ils arrivèrent sur la place de

Grève, accompagnés chacun d'un prêtre. Tous baisèrent le crucifix avant de monter à l'échafaud. Pommier paroit être celui qui a montré des sentimens plus chrétiens. Il avoit été confessé par M. l'abbé Chiais, et marcha au supplice avec résignation. Telle fut la fin des quatre condamnés, où on ne voit rien de cet air de conspirateurs audacieux qu'ont voulu leur donner ces jours-ci des orateurs et des journaux. Des gens qui font des révélations, qui se confessent, qui baisent le crucifix, qui marchent au supplice avec resignation, ne méritoient pas les honneurs révolutionnaires et païens qu'on leur a rendus.

La conclusion de tout ceci, c'est que la cérémonie de mardi n'a été qu'une parade ou un moyen d'entretenir la fermentation dans les esprits. A qui fera-t-on croire que les gens du cortége fussent émus d'une douleur bien profonde, après huit ans, et pour le supplice de quatre individus que très-peu d'entre eux avoient connus? Une telle cérémonie n'est-elle pas une insulte et une espèce de révolte pour le gouvernement, puisqu'elle étoit destinée à honorer des hommes convaincus d'avoir couspiré contre le gouvernement établi, contre un gouvernement régulier et reconnu, contre lequel ils n'articuloient d'ailleurs aucun grief, et qui ne leur avoit donné aucun prétexte à se soulever? Sous toute espèce de gouvernemrnt, ce seroit une bien mauvaise politique que d'absoudre de tels conspirateurs, dont plusieurs ont avoué eux-mêmes le complot.

Au sujet de la mort de Bories et de ses amis, un journal a donné, il y a quelques jours, des détails sur un projet formé, dit-il, par les Carbonari en 1822, pour les soustraire au supplice. Il assure qu'il fut résolu d'employer pour cela la force, et que les Carbonari se porterent sur les quais et se mêlèrent aux spectateurs, dans la vue de les provoquer à un soulèvement; mais ils ne pro'duisirent aucun effet. N'y a-t-il pas dans ces révélations tardives beaucoup de jactance et de fanfaronade?

« PreviousContinue »