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M. Villemain appuie ces considérations, et en appelle au principe de l'inamovibilité.

M. Mauguin soutient que ce principe est tombé avec le souve→ rain qui l'a institué, et prétend que la réforme doit s'étendre partout. M. Madié de Montjau réplique.

L'amendement, ainsi que celui de M. Salverte pour annuller toutes les nominations de juges faites par Charles X, sont repoussés à une grande majorité.

Le troisième paragraphe de la proposition de M. Berard, énonçant les diverses lois nouvelles dont le principe est consacré, passe sans difficulté, ainsi qu'un amendement de M. Podenas, étendant l'intervention du jury à tous les délits politiques, un autre de M. de Corcelles, annullant tous les décrets impériaux, ordonnances royales et règlemens de police contraires à la présente Charte, et un autre de M. Dupin aîné sur l'adoption des couleurs tricolores.

Enfin, le dernier paragraphe, qui confère la royauté à M. le duc d'Orléans, sous l'acceptation de ces nouvelles dispositions, est également adopté. Le côté droit, et une partie du centre droit, avoient déclaré qu'ils ne pouvoient voter sur une semblable question.

On procède au scrutin. Il y a 252 votans. Une majorité de 219 contre 33 consacre l'adoption de l'ensemble de la motion de M. Berard.

MM. Labbey de Pompières et Etienne avoient demandé que tous les députés votans dans une circonstance aussi solennelle missent leur nom à côté de leur vote; mais cette proposition n'a pas été admise.

A cinq heures, la séance est levée et ajournée au lundi 9.

Les 219 députés votans partent ensemble par quatre, escortés par la garde nationale, pour porter à M. le duc d'Orléans le résultat de cette fameuse séance. M. Laffite a lu à S. A. la déclaration de la chambre des députés. Le prince, entouré de sa famille, a répondu qu'il en étoit tout ému; qu'il regardoit cette décision comme l'expression de la volonté nationale et des principes qu'il a professés toute sa vie.

Le lundi 9, il y a eu séance des deux chambres pour la prestation du serment du prince. M. le duc d'Orléans s'y est rendu, accompagné de sa famille. Il s'est assis sur un pliant, à côté du trône, a prononcé un discours, a prêté le serment, s'est assis sur le trône et a prononcé un autre discours. Nous reviendrons sur cette séance.

Le Gérant, Adrien Le Clere.

DE LA NOUVELLE CHARTE.

Nous n'avons pu indiquer que fort imparfaitement, dans notre dernier numéro, les divers changemens faits dans la séance de samedi à la Charte de Louis XVIII; cependant il peut être utile pour beaucoup de nos lecteurs de connoître le texte de la Charte nouvelle. Ils souhaiteront pouvoir la comparer avec la Charte telle qu'elle fut publiée en 1814. Nous insérâmes celle-ci dans le tome Ier de ce journal, no 14. Il est douteux que la nouvelle dure autant que l'autre, et la promptitude avec laquelle elle a été rédigée et adoptée peut faire penser qu'elle sub-ra de nouvelles modifications. Toutefois, puisqu'elle est destinée à nous régir en ce moment, chacun a intérêt à savoir ce qu'elle contient. On y verra combien le pouvoir monarchique a été restreint, et combien l'élément populaire a pris d'extension.

Le préambule de la Charte est supprimé. Louis XVIII y disoit qu'il octroyoit la Charte, et que c'étoit au souverain seul à établir en ce genre quelque chose de durable. On a cru que ce langage blessoit la dignité nationale, en paroissant accorder ce qui appartient essentiellement aux Français. La nouvelle Charte porte le titre de Charte constitutionnelle des Français; elle est ainsi conçue :

Droit public des Français.

Art. 1. Les Français sont égaux devant la loi, d'ailleurs leurs titres et leurs rangs.

quels que soient

2. Ils contribuent indistinctement, dans la proportion de leurs fortunes, aux charges de l'Etat.

3. Ils sont tous également admissibles aux emplois civils et militaires.

4. Leur liberté individuelle est également garantie, personne ne pouvant être poursuivi ni arrêté que dans les cas prévus par la loi et dans la forme qu'elle prescrit.

5. Chacun professe sa religion avec une égale liberté et obtient pour son culte la même protection.

Tome LXV. L'Ami de la Religion.

E

6. Les ministres de la religion, catholique, apostolique et romaine, professée par la majorité des Français, et ceux des autres cultes chrétiens, reçoivent des traitemens du trésor public.

7. Les Français ont le droit de publier et de faire imprimer leurs opinions, en se conformant aux lois.

La censure ne pourra jamais être rétablie.

8. Toutes les propriétés sont inviolables, sans aucune exception de celles qu'on appelle nationales, la loi ne mettant aucune différence entr'elles.

9; L'Etat peut exiger le sacrifice d'une propriété pour cause d'intérêt public légalement constaté, mais avec une indemnité préalable.

10. Toutes recherches des opinions et votes émis jusqu'à la restauration sont interdites. Le même oubli est commandé aux tribunaux et aux citoyens.

11. La conscription est abolie. Le mode de recrutement de l'armée de terre et de mer est déterminé par une loi.

Formes du gouvernement du Roi.

12. La personne du Roi est inviolable et sacrée. Ses ministres sont responsables. Au Roi seul appartient la puissance exécutive.

13. Le Roi est le chef suprême de l'Etat ; il commande les forces de terre et de mer, déclare la guerre, fait des traités de paix, d'alliance et de commerce, nomme à tous les emplois d'administration publique, et fait les règlemens et ordonnances nécessaires

pour l'exécution des lois, sans pouvoir jamais ni suspendre les lois elles-mêmes, ni dispenser de leur exécution.

Toutefois aucune troupe étrangère ne pourra être admise au service de l'Etat qu'en vertu d'une loi.

14. La puissance législative s'exerce collectivement par le Roi, la chambre des pairs et la chambre des députés.

15. La proposition des lois appartient au Roi, à la chambre des pairs et à la chambre des députés.

Néanmoins toute loi d'impôt doit être d'abord votée par la chambre des députés.

16. Toute loi doit être discutée et votée librement par la majorité de chacune des deux chambres.

17. Si une proposition de loi a été rejetée par l'un des trois pouvoirs, elle ne pourra être représentée dans la même session. 18. Le Roi seul sanctionne et promulgue les lois,

19. La liste civile est fixée pour toute la durée du règne, par la première législature, assemblée depuis l'avènement du Roi.

De la chambre des pairs.

20. La chambre des pairs est une portion essentielle de la puissance législative.

21. Elle est convoquée par le Roi en même temps que la chambre des députés. La session de l'une commence et finit en même temps que celle de l'autre.

22. Toute assemblée de la chambre des pairs qui seroit tenue hors du temps de la session de la chambre des députés est illicite et nulle de plein droit, sauf le seul cas où elle est réunie comme cour de justice, et alors elle ne peut exercer que des fonctions judiciaires.

23. La nomination des pairs de France appartient au Roi. Leur nombre est illimité; il peut en varier les dignités, les nommer à vie ou les rendre héréditaires, selon sa volonté.

24. Les pairs ont entrée dans la chambre à vingt-cinq ans, et voix délibérative à trente ans seulement.

25. La chambre des pairs est présidée par le chancelier de France; en son absence, par un pair nommé par le Roi.

26. Les princes du sang sont pairs par droit de naissance; ils siègent immédiatement après le président.

27. Les séances de la chambre des pairs sont publiques comme celles de la chambre des députés.

28. La chambre des pairs connoît des crimes de haute trahison et des attentats à la sûreté de l'Etat, qui seront définis par la loi. 29. Aucun pair ne peut être arrêté que de l'autorité de la chambre, et jugé que par elle en matière criminelle.

De la chambre des députés.

30. La chambre des députés sera composée des députés élus par les colléges électoraux, dont l'organisation sera déterminée par

des lois.

31. Les députés sont élus pour cinq ans.

32. Aucun député ne peut être admis dans la chambre, s'il n'est âgé de trente ans et s'il ne réunit les autres conditions déterminées par la loi.

33. Si néanmoins il ne se trouvoit pas dans le département cinquante personnes de l'âge indiqué, payant le cens d'éligibilité déterminé par la loi, leur nombre sera complété par les plus imposés au-dessous du taux de ce cens, et ceux-ci pourront être élus concurremment avec les premiers.

34. Nul n'est électeur, s'il a moins de vingt-cinq ans et s'il ne réunit les autres conditions déterminées par la loi.

35. Les présidens des colléges électoraux sont nommés par les électeurs.

36. La moitié au moins des députés sera choisie parmi des éligibles qui ont leur domicile politique dans le département.

57. Le président de la chambre des députés est élu par elle à l'ouverture de chaque session.

38. Les séances de la chambre sont publiques; mais la demande de cinq membres suffit pour qu'elle se forme en comité secret.

39. La chambre se partage en bureaux pour discuter les projets de loi.

40. Aucun impôt ne peut être établi ni perçu, s'il n'a été consenti par les deux chambres et sanctionné par le Roi.

41. L'impôt foncier n'est consenti que pour un an. Les impositions indirectes peuvent l'être pour plusieurs années.

42. Le Roi convoque chaque année les deux chambres; il les proroge et peut dissoudre celle des députés, mais, dans ce cas, il doit en convoquer une nouvelle dans le délai de trois mois.

43. Aucune contrainte par corps ne peut être exercée contre un membre de la chambre, durant la session, et dans les six semaines qui l'auront précédée ou suivie.

44. Aucun membre de la chambre ne peut, pendant la durée de la session, être poursuivi ni arrêté en matière criminelle, sauf le cas de flagrant délit, qu'après que la chambre a permis są poursuite.

45. Toute pétition à l'une ou à l'autre des chambres ne peut être faite et présentée que par écrit. La loi interdit d'en apporter en personne et à la barre.

Des ministrcs.

46. Les ministres peuvent être membres de la chambre des pairs ou de la chambre des députés. Ils ont en outre leur entrée dans l'une ou l'autre chambre, et doivent être entendus quand ils le demandent.

47. La chambre des députés a le droit d'accuser les ministres, et de les traduire devant la chambre des pairs, qui seule a celui de les juger.

De l'ordre judiciaire.

48. Toute justice émane du Roi. Elle s'administre en son nom par des juges qu'il nomme et qu'il institue.

49. Les juges nommés par le Roi sont inamovibles.

50. Les cours et tribunaux ordinaires actuellement existans sont maintenus. Il n'y sera rien changé qu'en vertu d'une loi. 51. L'institution actuelle des juges de commerce est conservée. 52. La justice de paix est également conservée. Les juges de paix, quoique nommés par le Roi, ne sont point inamovibles. 53. Nul ne pourra être distrait de ses juges naturels.

54. Il ne pourra en conséquence être créé de commissions et de tribunaux extraordinaires, à quelque titre et sous quelque dénomination que ce puisse être.

55. Les débats seront publics en matière criminelle, à moins que cette publicité ne soit dangereuse pour l'ordre et les mœurs, et, dans ce cas, le tribunal le déclare par un jugement.

56. L'institution des jurés est conservée; les changemens qu'une plus longue expérience feroit juger nécessaires ne peuvent être effectués que par une loi.

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