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Aussi, jamais la défense de nos droits particuliers n'ira jusqu'à l'oubli de l'honneur national; jamais nous ne le compromettrons dans des vues personnelles. Un intérêt distinct peut tendre quelquefois à diviser les élémens et les liens d'une société; mais le vrai civisme est désintéressé, et sa puissance sur les cœurs qu'il anime ramène bientôt et rattache tout au bien commun.

Une saine politique, d'accord avec le bon sens, nous enseigne que c'est par là surtout que l'homme prouve son aptitude aux droits du citoyen. Quels titres, quels droits méritent ceux au nom desquels M. Bissette s'écarte si impudemment de ces principes?.....

Voilà le langage que vous tiendraient des députés colons. S'il doit vous importuner, repoussez, vous faitesbien, de votre sein des hommes que le mensonge vous signale comme anti-nationaux; sur les pas de quelques fous, sur les avis de quelques traîtres, insérez au cœur des Colonies le ver rongeur d'une administration incompatible avec leur existence; froissez à leur égard votre propre constitution, et, pendant que de tels soins vous occuperont, vos établissemens d'outre-mer rouleront vers l'abîme au bord duquel les Anglais viendront en recueillir les débris. Ce sont de ces conquêtes faciles qu'ils savent faire en temps de paix. Que leur ont coûté SainteLucie, Saint-Christophe, l'Ile de France et tant d'autres Colonies? le soin de compromettre la sûreté des uns aux mains de l'Espagne qui les appèle comme protecteurs ; celui d'imposer le sacrifice des autres à la restauration de l'aîné des Bourbons. Et c'est précisément sous l'influence de cette puissance britannique, si avide de Colonies, que l'on vous pousse au dégoût des Colonies.

On demande publiquement aujourd'hui l'émancipation des esclaves, lorsque déjà nos Colonies ont reçu dans l'en

couragement aux évasions une plaie dont elles peuvent mourir dans une seule nuit! On les berce de projets de lois plus extravagans les uns que les autres, lorsque, dans la promulgation de lois téméraires, elles peuvent rencontrer une mort plus lente, mais non moins terrible!.... Qu'on y réfléchisse mûrement; la propriété coloniale agit et pense!......

Elle n'est pas de celles qui peuvent long-temps flotter dans le vague du provisoire, surtout dans les excitations d'espérances chimériques, sans se mouvoir d'elle-même et courir à la catastrophe. Ne donnez pas aux Colonies une législation complète, indépendante et privée, et tout sera danger pour elles, dans la violation à leur égard des formes constitutionnelles de la Charte. Fiez-vous, livrezvous aux seules données sur lesquelles on paraît vouloir que vous organisiez une machine aussi délicate, et vos lois ne parviendront qu'au cadavre des Colonies!.....

Opposez-vous donc, Français loyaux auxquels s'adressent d'autres Français malheureux, à ce que vos compatriotes d'outre-mer soient victimes du mépris fait à leur égard d'une constitution que vous avez étendue sur eux. Évitez, évitez qu'au sein de votre capitale, qu'au milieu de la nation modèle, un fait inoui dans les fastes constitutionnels ne se consomme! un fait qui n'a jamais eu lieu dans le forum de Rome; un fait dont les places publiques d'Athènes n'ont jamais donné l'exemple; un fait que proscrivent toutes les législations du monde et que la civilisation a voué à l'exécration des peuples.....Condamner sans entendre!

Et vous, faiseurs officieux, prenez-garde que ces Colonies, aujourd'hui si légères à votre opinion, ne soient lourdes un jour à vos consciences!..... Le Roi et la Na

tion vous demanderont compte, bientôt, peut-être, des cinquante mille Français qui les habitent et que vous aurez sacrifiés...... Redde mihi legiones meas!.....

Ah! qu'on nous pardonne quelque chaleur dans la dé– fense de notre cause, il y va de la fortune et de la vie; il y va aussi de l'honneur et de l'intérêt de la France. Voilà surtout ce qui prête à notre voix des accens inaccoutumés, comme à nos cœurs de plus véhémentes vibrations. Que ne veut-on les connaître ces cœurs!... Ils sont pleins des sympathies nationales, tour à tour joyeux des triomphes de juillet et tristes du deuil de Varsovie !....

Que la Chambre des députés écoute sans impatience nos plaintes quelqu'amères qu'elles soient.... N'a-t-elle pas entendu les menaces et les malédictions dont on a chargé notre avenir ! Si le sénat de Rome, grave et majestueux, parut aux envoyés de Pyrrhus une assemblée de rois, c'est que le sénat de Rome laissa lire sur ses traits cette première vertu des rois qui accueille et récompense la vérité.

Et d'ailleurs que faisons-nous ici, sinon de protester de notre dévouement à la mère-patrie ? Placés comme nous le sommes aux avant-postes du champ présumé des premiers événemens maritimes, il est de l'intérêt de la France que nous sentions notre importance et l'utilité dont nous sommes pour elle. Non, ce n'est point au moment où la vaste Amérique, libre enfin du monopole de l'Espagne, ouvre son sein fécond à l'industrie du monde entier, que la France pourrait perdre ses Colonies occidentales sans les plus graves inconvéniens; ce sont des points maritimes installés, comme par un calcul spécial, sur les côtes mêmes du nouveau continent.

Si les Anglais affectent une sorte d'insouciance à cet

égard, cette insouciance n'est que le masque trompeur dont leur politique se couvre ordinairement. Les Anglais sont-ils donc d'ailleurs devenus tout d'un coup des amis si francs et si sincères qu'il faille vivre avec eux comme s'ils ne pouvaient jamais devenir nos ennemis ? Ils cherchent par de fallacieuses démonstrations dans leurs Colonies à vous entraîner dans une erreur qu'ils exploiteront bientôt. Prenez-garde d'en revenir trop tard, et lorsque déjà leur jalouse et sordide rivalité nous aurait interdit, dans le golfe américain, le commerce des nouvelles républiques.

Sachez, comme eux, que dans la paix, sans Colonies occidentales prospères et tranquilles, plus de magasins pour la France, plus d'entrepôts favorables au négoce du Nouveau-Monde; magasins et entrepôts si heureusement placés ! . . . . .

Sachez, comme eux, que dans la guerre, et elle peut d'un moment à l'autre s'allumer au choc des intérêts opposés des nations, sans Colonies occidentales encore, plus de position militaire pour la France sur le terrain de la lutte. Qu'elle vienne à les perdre en effet, et les clefs du Méxique, du Pérou, du Paraguay, de toute la Côte-Ferme tombent de ses mains. Ainsi expulsée de ses postes d'observations, la France demeurerait seule, entre tous les concurrens, privée des ports de refuge et de ravitaillement, à dix-huit cents lieues du théâtre des événemens, lorsque ses rivaux, au contraire, auraient sur les lieux, dans l'archipel même, des magasins, des arsenaux et toute une population de nationaux en réserve derrière eux!!.....

Voilà l'œuvre que veulent consommer et ceux qui proclament imprudemment leurs opinions anti-coloniales,

et ceux qui impriment des appels à l'émancipation et à l'évasion de nos esclaves, d'après l'exemple et sous la haute protection de l'Angleterre.

Voilà précisément ce que nous voudrions aider à empêcher, et dans nos intérêts et dans ceux de la mèrepatrie. Nous n'y parviendrons efficacement que lorsque nous aurons atteint le but de cette pétition :

Une représentation réelle et légale des Colonies dans la Chambre des députés. C'est ce que les colons demandent, en se fondant sur l'article 64 de la Charte constitutionnelle.

L. CICERON, AVOCAT.

Saint-Pierre-Martinique, 1er janvier 1832.

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