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le maintien de cette politique qui la caractérise. Cependant, nous avons estimé qu'il était bien difficile de ne pas dire ce qu'il advint, dans la suite, de cette législation et de la petite propriété qu'elle avait pour objet de défendre contre la convoitise des grands. C'eût été ouvrir toute grande et volontairement la porte à la critique et enlever tout intérêt à cet essai d'histoire, que de l'arrêter ainsi à mi-chemin. — Telle est la raison de ce chapitre et l'explication des motifs qui nous entraî nent au-delà des limites que nous nous étions tracées.

Après Basile II, on ne trouve plus, dans les novelles impériales, une seule disposition qui flétrisse les usurpations des grands et qui tente de les enrayer. Cela semble si extraordinaire, qu'on est en droit de se demander pourquoi les maitres de Byzance, qui avaient pu juger des effets heureux des lois macédoniennes, ne ne s'attachèrent pas à les maintenir en vigueur. A cette question, l'histoire de l'empire grec répond que cette législation bienfaisante ne fut délaissée que parce que les successeurs des Lécapène, des Nicéphore Phocas et des Basile Porphyrogénète se trouvèrent dans l'impossibilité de faire autrement. En effet, le frère de Basile, Constantin IX, qui lui succède en 1025, à soixante ans, après avoir passé sa vie tout entière loin des affaires, quoiqu'il fût de nom le collègue du Bulgaroctone, n'était qu'un prince incapable de s'occuper de quoi que ce fût ne touchant pas à ses plaisirs : «< Constantine was a mere worldling, a man of pleasure, a votary of the table and the cup of wine » ('), dit Oman. Basile, qui l'avait apprécié, l'avait rigoureusement tenu à l'écart de toute participation au gouvernement. Il avait vécu à peine plus dignement que Michel l'Ivrogne, dont le meurtre avait porté à l'empire le fondateur de la dynastie dont il était le dernier héritier

(1) Loc. cit., p. 244; Lebeau, loc. cit., XVI, 361 sq.

mâle. La mort de son frère, un des plus glorieux empereurs de Byzance, et celui qui avait le plus agraudi l'empire, plaça entre ses mains un sceptre trop lourd pour ses forces. Pour en porter le poids, il s'aida du concours de plusieurs de ses anciens courtisans et d'eunuques ignorants des choses de l'administration, qu'il chargea néanmoins de la direction des principaux services du gouvernement ('). Le choix de tels ministres lui aliéna les grands, et leur incapacité poussa Byzance dans la voie du déclin.

L'impopularité méritée dont Constantin IX était l'objet de la part de l'aristocratie, la crainte de l'augmenter encore par la confirmation des mesures énergiques de Basile II relativement à la petite propriété, mais surtout l'inaptitude politique de ce prince, telles sont les raisons qui auraient suffi à le détourner de la voie suivie par tous les Basileis de sa race, si son désintéressement complet des affaires publiques ne l'en eût naturellement écarté.

Sa fille Zoé, qui lui succède en 1028, aurait peut-être fait de grandes choses, si elle eût mieux employé son énergie. — Des princes que son caprice appelle successivement à partager avec elle le trône byzantin, Romain Argyre, Michel-le-Paphlagonien, Michel V et Constantin Monomaque, les deux premiers ne manquèrent point de mérite; mais sortis des rangs des Suvaτol, on ne pouvait guère attendre d'eux des lois bien sévères contre la classe d'où ils étaient issus et à laquelle ils tenaient encore par tant de liens. Du reste, l'eussent-ils voulu que la mort ne leur en eût guère laissé le loisir. Romain Argyre meurt bientôt empoisonné par celle qui l'avait contraint d'opter entre sa main et la perte de la vue (); Michel-le-Paphlagonien est

(1) Lebeau, loc. cit., XVI, 362, 363, 364.

(2) Gibbon, loc. cit., IX, 214; Lebeau, XVI, 369 sq., 404.

emporté, jeune encore, par une maladie nerveuse (1). Ces princes n'avaient jamais eu, du reste, que l'apparence du pouvoir, l'autoritaire Zoé était en réalité la maitresse de l'empire, mais elle n'en usait guère que pour satisfaire les caprices de son extravagante vanité (*).

Quant à Michel V et à Constantin Monomaque, ils étaient notoirement incapables. Le premier fut déposé et aveuglé par le peuple de Constantinople pour avoir tenté d'écarter sa bienfaitrice des affaires (3); le second, vieillard qui, trente ans auparavant, avait été un des fervents admirateurs de la Basilissa dans sa jeunesse, fut impuissant à réprimer les soulèvements qu'une aristocratie qui s'essayait à reprendre ses vieilles habitudes de turbulence, provoquait en Asie Mineure et dans les Balkans. Quels secours les humbles pouvaient-ils attendre de ses mains tremblantes?

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A la mort de Zoé, Théodora, sa sœur cadette, quitte à 70 ans la robe monacale pour revêtir la pourpre. Si elle donne au monde byzantin le spectacle de vertus qu'il avait perdu l'habitude de voir sur le trône ('), elle ne parut pas songer à reprendre les traditions de ses ancêtres au point de vue spécial qui nous occupe. Le respect qu'elle inspira à son peuple permit à la dynastie Macédonienne de s'éteindre paisiblement en sa personne. Elle meurt après un règne de deux ans, désignant Michel-le-Soldat comme son successeur à la couroune.

Le Stratioticus « vétéran infirme et décrépit» (), ne fut empereur que de nom; il est vrai qu'il eut à peine le temps

(1) Oman, loc. cit., p. 246; Lebeau, XVI, 426, 461, 474.

(2) « She was inordinately vain, and pretended, like Queen Elizabeth of England, to be the mistress of all hearts long after she was well advanced in middle age ». Oman, ibid., p. 245.

(3) Lebeau, XVII, 12 sq., 16 sq.

(4) Lebeau, XVII, 141 sq.

(5) Gibbon, loc. cit., IX, 217; Lebeau, XVII, 146, 175.

d'asseoir sur le trône son incapacité et son grand âge. L'extinction de la dynastie de Macédoine avait suscité des troubles à l'intérieur, l'empire était rempli de généraux dévorés d'ambition qui conspirèrent contre le vieux Basileus et le renversesans peine. Il avait régué un an.

L'usurpation ne porta pas bonheur à Isaac Comnène qui, après un an de règne, fut contraint par la maladie d'abandonner les appartements dorés du sacré palais pour le monastère où il finit peu après ses jours,

Les grands qui avaient donné le sceptre à Isaac Comnène, devant les refus inexplicables de son frère à le recueillir ('), appelèrent Constantin Ducas à lui succéder. -On comprend que, devant leur élévation aux nobles et aux puissants, et ne se maintenant sur le trône que grâce à leur appui, ces princes ne pouvaient songer un seul instant à prendre le parti des humbles et de la petite propriété, c'eût été pour eux la déposition immédiate. Malgré cela, Isaac l'eût peut-être tenté, si l'heure de la retraite n'eût pas sonné si vite pour lui.

Quant à Constantin Ducas, ce fut un empereur extraordinaire. Le trésor impérial que Basile II avait laissé plein jusqu'aux bords, avait été épuisé peu à peu par ses incapables successeurs; Constantin n'y trouva pas un nomisme. C'est alors qu'il imagina, pour le remplir, un expédient qui donne la mesure de ses capacités administratives: il licencia une portion considérable de l'armée et s'abstint de payer la solde aux troupes qu'il conserva (2). Ce prince voulait de l'argent à tout prix; il concentra vers ce but à atteindre toutes les ressources de son intelligence et de son autorité despotique. Il ne fit que des extravagances. Il ne comprit pas que le seul moyen de faire affluer l'or dans les caisses publiques était de rétablir la légis

(') Gibbon, ibid., IX, 221; Lebeau, XVII, 189 sq.

() Oman, loc. cit., p. 250; Lebeau, XVII, 202.

par

lation macédonienne protectrice de la petite propriété; il ne vit pas que la diminution considérable et croissante des revenus fiscaux tenait à ce que les duvatoí, ne se sentant plus contenus la main ferme d'un maitre, depuis la mort du Bulgaroctone, avaient peu à peu repris leurs pratiques d'autrefois et déjà commencé à s'emparer de nouveau des biens des humbles, désormais incapables de payer l'impôt, et du reste, soustraits en grand nombre aux atteintes des agents du fisc par l'influence de leurs nouveaux protecteurs. Enfin, il priva maladroitement Byzance d'une partie importante de ses forces militaires au moment où les Seldjoucides se rapprochaient et allaient envahir l'Arménie (1), rempart oriental qui protégeait l'empire contre les invasions, préparant ainsi la défaite de Manzikert.

A Constantin Ducas succède son fils Michel VII, sous la régence de sa mère Eudoxie. Cette princesse, trouvant trop lourde pour elle seule l'administration de l'empire et son veuvage insupportable, se donna en la personne de Romain Diogènes à la fois un co-régent et un nouvel époux. Le règne de ce prince n'offre guère d'intérêt que par le côté romanesque de ses débuts et les malheurs qui en marquèrent la fin. Romain n'eut pas le loisir de songer à intervenir entre les mεvýτes et les duvato, il employa les trois ans qu'il passa sur le trône à guerroyer contre les Turcs. Victorieux au début, il finit cependant par être vaincu et fait prisonnier à Manzikert. Quand il revint de captivité, on s'empara de sa personne et on lui creva les yeux sur l'ordre de Jean Ducas, oncle du jeune Michel VII, qui s'était emparé du pouvoir en l'absence du Basileus régent (3).

Michel VII, Ducas, n'était pas un empereur, mais un marchand et un marchand malhonnête. Ne profita-t-il pas d'une

(1) Oman, ibid., p. 251.

(2) Oman, loc. cit., p. 255 sq.; Lebeau, XVII, 234 sq., 308 sq.

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