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famine pour vendre du blé à ses sujets en les trompant sur la mesure! (1) — Qu'espérer de bon de pareils hommes?

Nicéphore Botoniates qui renverse Michel Parapinace en 1078, ne signale son passage sur le trône que par une sensible augmentation des impôts, copiant servilement en cela la conduite de ses prédécesseurs immédiats (").

Nous arrivons enfin au règue d'Alexis Comnène, qui fut un véritable empereur, s'il ne fut pas un homme de relations. sures. Il se présente à nous comme une sorte de Louis XI byzantin. Il eut à lutter à l'intérieur contre des rivaux jaloux de son élévation quelque peu brutale, à l'ouest contre les Normands et à l'est contre les Turcs. Quoiqu'il n'eût guère que les débris de l'armée de Romain IV, il réussit, à force de patience, de temporisation, de diplomatie et de mensonges, à triompher de tous les ennemis de l'empire et de tous ses rivaux person nels. Il ne reconquit pas toutes les provinces que l'empire avait perdues depuis Basile II, mais il n'en perdit pas de nouvelles, et même les Croisés lui en firent regagner quelquesunes en Asie-Mineure (3).

Malgré l'agitation perpétuelle à l'intérieur et les guerres externes incessantes qui marquent ce règne, Alexis Comnène parvint à raffermir son tròne chancelant, mais il n'eut pas le temps de s'occuper de la classe agricole et de la petite propriété. Prince actif et intelligent, quoique léger de scrupules, il dut comprendre le danger de l'oppression sans cesse grandissante des evάtes, mais il avait assez à faire avec les envahisseurs et les rebelles. Il régna sur un volcan en éruption.

(1) Oman, ibid., p. 256; Lebeau, XVII, 311 sq., met ce fait à la charge du ministre Nicéphorize et prétend que le prince y était étranger. — Cf. Gibbon, IX, 223, 224.

(3) Il recourut mème à l'altération des monnaies pour se créer plus de ressources. Lebeau, XVII, 396.

(3) Oman, loc. cit., p. 258 sq; Lebeau, loc. cit., XVIII, p. 477 sq.

Nous arrêterons là ces considérations historiques. A partir d'Alexis Comuène, le dernier empereur vraiment digne de ce titre, et dont le règne marque un temps d'arrêt dans la course vers l'effondrement final, l'empire décline rapidement. Il est le dernier prince qui eût pu mettre un terme aux empiètements toujours croissants des latifundia sur les petits domaines. Ses successeurs ne règnent pas, ils ne font que se débattre faiblement, et avec une efficacité décroissante, contre l'envahisseur qui, peu à peu, resserre sur eux le cercle de fer de la conquête, qui finira par étouffer l'empire.

Après Alexis Comnène, les ressources fiscales, que la perte de plusieurs provinces et la disparition systématique des petits propriétaires, les seuls contribuables sérieux, avaient déjà notablement diminuées, sont presque réduites à néant par la ruine à peu près complète du commerce byzantin. Jusque-là, les vaisseaux étrangers avaient fait avec Constantinople un trafic considérable; d'énormes quantités de marchandises étaient exportées et importées, qui laissaient dans les caisses impériales la trace dorée de leur entrée ou de leur sortie. Lorsque, à la suite de la première croisade, les Vénitiens et les Génois parvinrent à s'établir en Syrie, ils commencèrent à délaisser Constantinople; ils avaient plus d'intérêt à commercer avec Saint-Jean-d'Acre; ils faisaient mieux leurs affaires avec le roi de Jérusalem, qu'ils pouvaient piller impunément, qu'avec l'empereur, son suzerain (1). Cela fut cause que le commerce oriental avec la Perse cessa de passer par le Bosphore.

Le mal fut encore aggravé par les privilèges nombreux qu'Alexis I accorda aux républiques italiennes, qui étaient dispensées de tout droit d'entrée et de sortie, alors que les commerçants byzantins y étaient assujettis. C'était ruiner à plai

(1) Cf. Oman, loc. cit., p. 268.

sir le commerce et l'industrie de l'empire : « To give to forei gners a boon denied to his own subjects was the height of economic lunacy » (1).

L'histoire de cette rapide décadence de l'empire grec à partir du x1° siècle s'est chargée de montrer, d'une façon particulièrement frappante, les conséquences désastreuses de l'abandon de la législation protectrice de la classe agricole et de la petite propriété. Il est, du reste, bien facile de se rendre compte que cette décadence n'a pas d'autre cause que le délaissement de la politique des Macédoniens, puisque celui-ci entraîne successivement la ruine de tous les éléments constitutifs de la puissance de l'Etat byzantin : l'autorité impériale, l'armée et la marine nationales et enfin les revenus publics. Nous allons essayer de l'établir en quelques mots.

A vrai dire, cette démonstration est contenue en germe dans les chapitres qui précèdent, ce qui ne nous laisse guère qu'à reproduire, sous une forme nouvelle, des idées déjà exprimées.

L'autorité du prince reste nominalement intacte et absolue, mais elle va diminuant de plus en plus, surtout dans les provinces, même les plus rapprochées de Constantinople, où peu

à

peu les grands sont redevenus les maîtres. Le gouverneur, dont la faiblesse impériale ne soutient plus l'autorité, a été amené, pour régner dans sa circonscription, à s'appuyer sur les puissants, dont il fait partie, et qui seuls détiennent véritablement le pouvoir. De sorte que la province est redevenue peu peu indépendante de l'empereur.

Les duvarol qui, non seulement ne sont plus contenus par la loi, mais encore ont acquis plus d'autorité que jamais, se laissent de nouveau aller, sans contrainte, à leurs instincts bas et cupides. Si, dans la période précédente, ils avaient recours,

(1) Oman, loc. cit., p. 268.

pour s'emparer des biens des humbles, au mécanisme contractuel, que faussait leur mauvaise foi, ils n'ont plus désormais aucun scrupule d'employer la violence.

La petite propriété est irrémédiablement perdue. Chaque année qui s'écoule voit les grands domaines s'accroître de parcelles de terre arrachées à de pauvres campagnards, chaque année voit empirer la condition de la classe agricole libre.

On voit reparaître les incursions des pirates et des barbares, auxquelles le x siècle avait su mettre un terme. De nouveau, des bandes de brigands désolent les campagnes. Sous cette double influence de la toute-puissance des insatiables honestiores et de l'insécurité des districts ruraux, que le malheur des temps a ramenée, des foules entières de paysans sont poussées vers le patrocinium, qui, lui aussi, a reparu et qui constitue le seul remède à une pareille situation, remède aussi dangereux que le mal.

Les biens militaires, les petits domaines des agriculteurs ayάvo passent peu à peu aux mains des puissants, en même temps que soldats et agriculteurs s'enrôlent dans la phalange toujours grossissante des suscepti. C'est la désorganisation de l'armée, c'est la ruine des finances, la mort de l'agriculture.

En vain les Basileis essaieront-ils de remédier à ce triste état de choses en confiant à des troupes mercenaires la défense de l'empire, et en frappant d'impôts toujours croissants les contribuables qui n'ont pas encore renoncé à leur indépendance et qui ont réussi à conserver une part de leurs biens. Mais à l'exception de quelques rares et glorieux exemples, comme celui des Varangiens, les troupes étrangères n'ont, devant l'ennemi, aucune force de résistance; n'étant unies par aucun lieu au territoire qu'elles sont chargées de défendre, elles n'attendent que le premier choc pour se débander et fuir. Elles servent donc très mal et, en outre, elles ont l'inconvénient de

coûter beaucoup plus cher et d'être bien moins dociles que les troupes nationales. Aussi, à partir de l'époque que nous avons indiquée comme point initial de la décadence byzantine, chaque règne est-il marqué par la perte d'une ou de plusieurs provinces. Il n'y a guère d'exception qu'en faveur de celui d'Alexis Comnene. Si bien que moins de trois siècles après Basile-leBulgaroctone, l'immense empire de Byzance était réduit à Constantinople, à Thessalonique et au Péloponèse (').

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D'autre part, augmenter indéfiniment l'impôt pour compenser les pertes que le fisc éprouve par suite de la diminution incessante du nombre des contribuables, est un procédé aussi déraisonnable que dangereux, tant au point de vue économique qu'au point de vue politique. Economiquement, on ruine le contribuable à force de le pressurer et on le rend ainsi incapable de payer l'impôt dans l'avenir. C'est l'histoire de la poule aux œufs d'or. Politiquement, les extorsions du fisc, jointes à la misère et à la situation précaire faite aux habitants des campagnes, les poussent, pour mettre un terme à tant de maux, soit à chercher un refuge dans la prostasia, s'ils n'attachent pas grand prix à leur indépendance, soit à déserter le territoire de l'empire, s'ils tiennent à rester libres. Et ces désertions, non pas seulement d'agriculteurs, mais aussi de soldats propriétaires, ont lieu en très grand nombre, surtout dans les provinces d'Anatolie, où les Turcs font des offres séduisantes aux sujets du Basileus grec. Ce que dit Krause à ce propos est particulièment significatif : « Le sultan turc d'Iconium avait un jour fait prisonniers un nombre considérable de guerriers byzantins, et leur avait promis une exemption complète de tout impôt pour cinq ans, s'ils voulaient rester sur ses terres. Ce temps écoulé, ils auraient à payer une contribution modique, qui ne devait

(1) Oman, loc. cit., p. 334.

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