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tions amiables dans le zèle dont les gens de loi étaient animés pour les formes, et qui les avait rendus si antipathiques aux justiciables.

SECTION III

DROIT INTERMÉDIAIRE

La législation de cette époque, réagissant contre la complication des anciennes procédures, les simplifia d'une manière exagérée, et fit des lois dont beaucoup contenaient des idées fort justes, mais poussées à l'extrême et parfois inapplicables. Tel fut le cas de la nouvelle loi sur les ordres, qui fut promulguée le 9 messidor an III.

Mais cette loi est muette sur l'ordre amiable. Les législateurs révolutionnaires, avant de créer de nouvelles institutions, commencèrent par réformer les lois existantes. D'ailleurs, quand on considère leurs idées sur la subordination des individus à l'Etat, quand on les voit supprimer toutes les institutions dérivant de l'initiative ou de l'entente individuelle, on est amené à penser que l'ordre amiable ne devait guère être en faveur auprès d'eux.

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Dans sa rédaction primitive, celle de 1806, il ne consacrait que deux mots à l'ordre amiable. « Dans le mois de la signi>>fication du jugement d'adjudication, s'il n'est pas attaqué; en >> cas d'appel, dans le mois de la signification du jugement con>>firmatif, les créanciers et la partie saisie seront tenus de se régler entre eux sur la distribution du prix (art. 749 in fine). » Le mois expiré, et faute par les créanciers et la partie saisie

>>

» de s'être réglés entre eux... » on ouvrira l'ordre judiciaire

(art. 750).

Ces deux textes établissaient, pour les créanciers hypothécaires (') l'obligation de procéder à une tentative d'ordre amiable, avant d'ouvrir l'ordre judiciaire. Un délai d'un mois leur était imparti pour cela. Mais cet ordre amiable n'était qu'un ordre consensuel: aucune procédure n'était organisée, et aucun magistrat n'y était préposé. Bien plus, ce n'était pas même notre ordre consensuel devant notaire (2).

C'était un ordre pour ainsi dire innommé. Les créanciers se réunissaient chez l'un d'eux, chez l'adjudicataire, chez le saisi, et délibéraient. Pour les éclairer, les renseigner, personne l'avocat, le notaire, l'avoué grossiraient les frais. D'ailleurs, à une époque où l'instruction était encore peu répandue et le souvenir des anciennes procédures très vivace, on n'avait pas encore confiance dans les gens de loi.

Pas d'arbitre, non plus personne n'éprouve le besoin de le mettre au courant de ses affaires. Dans ces conditions, les créanciers, privés d'éclaircissements juridiques, n'ayant au milieu d'eux personne qui leur fasse entendre le langage de la raison et de la concorde, laissaient facilement la discussion dégénérer en dissensions devant l'antagonisme des intérêts. Puis, si on dressait un procès-verbal, quelle autorité pouvait-il avoir et de quelle manière était-il rédigé ?

(') Et privilégiés, mais, brevitatis causa, ce que je dirai des uns sera vrai des autres, sauf indication contraire.

(2) Actuellement, l'ordre consensuel n'est soumis à aucune condition de forme; il peut avoir lieu devant un avocat, un arbitre, voire même en présence des seuls créanciers. Il est alors valable, mais n'est pas exécutoire contre l'adjudicataire, et ne peut avoir pour effet la radiation des inscriptions. Quand nous parlerons de l'ordre consensuel, nous aurons toujours en vue celui qui se passe devant le notaire : l'autre n'est qu'une convention ordinaire sous seing privé.

Enfin, cette obligation imposée aux créanciers de se régler amiablement entre eux était complètement dépourvue de sanction, ce qui la rendait illusoire.

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Pour ces diverses raisons, l'ordre amiable, ou plutôt l'ébauche qu'en avait jetée le Code de procédure, loin d'être un moyen d'entente, devenait une source de discordes et de cès. Ceux-ci venaient d'un créancier oublié ou empêché sur l'absence duquel on a passé outre, sans compter les difficultés relatives aux procès-verbaux, quand on en avait rédigé, ou à la preuve de l'entente quand les créanciers ne savaient pas écrire. En somme, il montrait à merveille qu'une bonne institution, mal organisée, cause plus de maux qu'elle ne produit d'avantages.

Ces inconvénients, joints à la longueur et aux frais considérables de l'ordre judiciaire, causèrent des réclamations très vives, tant de la part des tribunaux et des corporations d'hommes de loi, que de celle des particuliers. Dès la Restauration, une réforme était urgente, mais les événements politiques et les autres travaux législatifs absorbèrent l'attention publique.

Le règne de Louis-Philippe, auquel nous devons pourtant un grand nombre de lois importantes, n'a rien fait en matière d'ordre amiable.

Enfin, sous le second Empire, un projet fut déposé au Corps Législatif et devint la loi du 21 mai 1858. Il avait fallu cinquante ans.

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Le projet fut discuté par le Corps législatif et voté à l'unanimité dans la séance du samedi 13 avril 1858. Les débats parurent dans Le Moniteur du 15. La Commission se compo

sait de MM. Guyard-Delalain, président; Tesnière, secrétaire; Riché, rapporteur; Corta, du Mirail, Josseau et Nogent SaintLaurent, membres. Les conseillers d'État, commissaires du gouvernement, étaient MM. de Parieu, vice-président du Conseil d'Etat; Suin, le baron de Sibert de Cornillon et Duvergier. La promulgation eut lieu le 21 mai.

Cette loi a modifié les art. 692, 696, 717 du Code de procédure et remanié complètement le titre de l'Ordre tout entier (art. 749 à 779). Elle impose aux créanciers l'obligation de procéder à une tentative d'ordre amiable, préalablement à l'ordre judiciaire, dont elle a également simplifié les formes.

Malgré certaines défiances, et diverses critiques dont elle fut l'objet lors de son apparition (1), c'est grâce à elle qu'on a pu se rendre compte des résultats de l'ordre amiable. Il est vrai qu'elle est encore incomplète : des formalités ont subsisté sans raison, grossissant les frais, des questions importantes sont restées sans solution. Néanmoins, elle constitue un grand progrès, et ses auteurs, s'ils n'ont pas fait une œuvre irréprochable, ont eu du moins le mérite de l'avoir entreprise.

(1) V. Pé de Arros, Etude pratique sur l'ordre amiable.

CHAPITRE II

DÉFINITION ET CONDITIONS

Les jurisconsultes qui se sont occupés des voies d'exécution forcée ne donnent pas la définition de l'ordre amiable. Ils se bornent, au début de leurs ouvrages, à poser celle de l'ordre. en général. Voici la proposition la plus satisfaisante que je relève dans l'ouvrage précité de M. Pé de Arros: « L'ordre » est la procédure par laquelle le prix d'un immeuble vendu » est distribué entre les créanciers hypothécaires ou privilégiés, conformément à leur rang. »

Puis, on parle de l'ordre amiable, comme si on sousentendait que, pour le définir, il suffit d'insérer le mot amiable dans la définition générale qu'on a donnée. Telle est donc l'idée que l'on se forme de notre institution. Il nous faut rechercher si cette idée est juste.

Reprenons la proposition que nous venons de transcrire, en y plaçant le mot amiable.

Nous remarquons tout d'abord qu'elle contient l'un des mots à définir, cela est contraire aux règles auxquelles les définitions sont soumises.

« L'ordre amiable est une procédure amiable par laquelle..... » Ainsi complétée, cette proposition ne nous semble pas à l'abri de tout reproche.

D'abord, le règlement amiable n'est pas une procédure. Il est vrai que certaines conditions de forme doivent y être ob

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