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trace d'ordre amiable. Une voic d'exécution aussi simple devait pourtant être connue et pratiquée à Athènes et en Asie Mineure, où plusieurs institutions douées d'un caractère amiable et économique avaient pris naissance (').

Mais ce ne sont là que des conjectures; force est de s'arrèter devant le manque de textes législatifs.

SECTION PREMIÈRE

DROIT ROMAIN

Le droit romain nous présente, non un ordre amiable tel qu'il existe dans notre droit, mais une institution qui s'en rapproche.

L'hypothèque n'y pénétra qu'à une époque assez incertaine, qu'on peut placer vers le 1er ou le e siècle de notre ère : l'édit perpétuel d'Hadrien la mentionne, et est, d'après les auteurs que nous avons consultés, le premier texte certain qui s'en occupe.

Les Romains ne connaissaient pas l'inscription des hypothèques, et ce défaut de publicité était le vice radical de leur système, d'ailleurs ingénieux. On se basait sur la date des obligations hypothécaires : seul le créancier le plus ancien a droit de poursuite. Il fait procéder à la venditio bonorum (vente totale) ou à la distractio bonorum (vente partielle) des biens du débiteur. Il distribue l'argent aux créanciers dont l'hypothèque est postérieure à la sienne, et aux chirographaires.

C'est donc un créancier seul qui joue le rôle de notre jugecommissaire ou de notre assemblée de créanciers. Le défaut en était que, venant le premier à l'ordre, il s'occupait seule

(1) M. Caillemer a démontré que la lettre de change était dans ce cas.

ment d'être désintéressé lui-même, laissant les suivants en face d'un débiteur appauvri et peut-être insolvable.

Un poursuivant indépendant, au contraire, se serait efforcé de faire produire à la vente le plus de fonds possible, et * n'aurait pas été porté à vendre à vil prix un objet momentanément déprécié, pour se couvrir d'une créance peut-être minime, mais la première en date.

Frappés de cet inconvénient, les Romains avaient créé le Jus offerendæ pecuniæ, qui permettait à un créancier postérieur de se substituer au premier, et d'agir en son lieu et place, à condition de le couvrir du montant de sa créance. Prenons une espèce.

Titius possédait une entreprise de transports maritimes. Il devait au constructeur de vaisseaux Navius 100.000 sesterces, hypothéquées sur sa maison de campagne, et comptait se libérer sur les bénéfices de ses opérations, mais ses vaisseaux ont fait naufrage et ses affaires ont périclité.

L'échéance arrive: Titius ne peut payer, et Navius, se croyant le premier en date, s'adresse au préteur pour faire procéder à une distractio ou à une venditio bonorum.

Mais Seius se présente il a une créance antérieure de quelques jours: il s'agit de 500 sesterces seulement. Seius poursuit un acquéreur offre 50.000 sesterces de la villa qui en vaut plus de 200.000. Voilà Navius sacrifié.

Il exercera le jus offerendæ pecuniæ : il comptera 500 sesterces à Seius. Celui-ci est forcé d'accepter heureux d'ailleurs d'être payé immédiatement et en totalité. Navius poursuivra lui-même la vente de la villa, et lui, riche entrepreneur de constructions navales, attendra l'occasion de vendre avantageusement.

Ce jus offerendæ pecuniæ est, en définitive, un retrait,

hypothécaire pour ainsi dire, et qu'on pourrait rapprocher, dans une certaine mesure, de notre retrait litigieux tel que l'organisent les art. 1699 à 1701 du Code civil. Nous avons également un retrayant, Navius, et un retrayé, Seius. L'objet du retrait est toujours une créance; la différence est qu'il ne s'exerce pas pendant le procès.

L'oblatio pecuniæ présente plusieurs des éléments de l'ordre amiable.

1° Elle tend à établir un ordre entre créanciers hypothécaires. Cela la distingue de diverses autres répartitions amiables, notamment de la distribution par contribution, et de la célèbre disposition des XII Tables, d'après laquelle les créanciers, disent certains auteurs, se partageaient amiablement le corps de leur débiteur.

Citer cela eût été puéril, mais sous l'exécution de la personne se cachait une exécution sur les biens, dont l'existence a été démontrée jusqu'à l'évidence par Jules Tambour. S'appuyant sur des textes de Denys d'Halicarnasse et de Tite-Live, il nous montre l'exécution sur les biens pratiquée dès l'époque de Servius Tullius. On peut alors se demander ce que fit la loi Pœtelia. N'est-elle pas en contradiction avec les récits des historiens? Nullement; elle ne fit que limiter les pouvoirs du créancier. Auparavant, il exécutait et sur la personne et sur les biens après cette loi il ne put plus exécuter que sur les biens.

2o C'est une institution amiable. - Tout se passe entre les seuls créanciers, et leur entente n'est soumise à aucune condition de forme, il n'y a pas de caractère obligatoire, et aucun officier public ne préside. Elle est donc plus amiable que notre ordre consensuel devant notaire.

3° C'est un ordre. - On accomplit la même chose que dans

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notre ordre amiable on règle entre créanciers l'ordre de paiement des créances.

Mais il ne faut pas s'exagérer les ressemblances : l'institution romaine différait de la nôtre en plus d'un point.

1o L'oblatio pecuniæ, une fois proposée par le créancier postérieur, était obligatoire pour le créancier antérieur. Actuellement, chacun est libre de consentir aux arrangements proposés par les autres.

2o Au début de chaque ordre, il est nécessaire de procéder à une tentative de règlement amiable. Le jus offerendæ pecuniæ pouvait ne pas être exercé, si on n'y avait pas intérêt, et se rapprochait ainsi de ce qu'avaient indiqué les art. 749 et 750 du Code de procédure civile, dans leur rédaction primitive. 3° L'oblatio pecuniæ est une voie d'exécution, en même temps qu'un mode de répartition. Notre ordre amiable n'est pas une voie d'exécution, à notre avis.

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4° Le jus offerendæ pecuniæ ne s'exerçait qu'entre un créancier quelconque, et le premier. Notre ordre amiable. a lieu entre tous les créanciers privilégiés et hypothécaires. Remarquons en terminant que l'institution romaine dont nous venons de nous occuper pourrait se pratiquer encore aujourd'hui en ordre amiable. Le législateur n'en parle pas, mais l'autorise en vertu du grand principe de la liberté des conventions. Cette oblatio constituerait, outre le retrait, une subrogation conventionnelle aux droits du créancier retrayé.

SECTION II

ANCIEN DROIT FRANÇAIS

Dans notre ancien droit français les procédures étaient très diverses, comme les tribunaux qui les appliquaient, mais elles avaient toutes pour caractère commun d'être fort longues.

On demanda souvent des réformes à ce point de vue, et les Etats Généraux se firent l'écho de ces réclamations, mais si l'on obtint quelques résultats, notamment en 1551 et en 1667, il ne paraît pas qu'on ait rien fait dans les ordonnances, en vue d'instituer un ordre à caractère amiable.

Nous dirons plus: notre ancien droit n'a pas connu l'ordre amiable. Nous avons examiné attentivement Pothier, trois volumes du Grand Coustumier de France, les ouvrages de Pigeau, Merlin, Guyot et Jousse ('), sans y trouver autre chose qu'un vestige du jus offerendæ pecuniæ: « Les créanciers » peuvent se mettre à la place les uns des autres....... en >> remboursant ceux qui doivent passer avant eux ». (Répertoire de Guyot, 1784, vo Créancier). Ce passage ne peut évidemment s'appliquer qu'à des créanciers munis d'un droit de préférence, privilège ou hypothèque.

En outre, nous n'avons constaté l'existence que d'une seule voie d'exécution amiable: c'est dans l'art. 44 de la très ancienne Coustume de Bretaigne : « Vente peut être faite par » trois voyes (moyens), c'est assavoir, par marché fait de cuer » à cuer entre les parties..... » (). Ce texte ne parle pas d'hypothèques, mais il est curieux de noter qu'il existait, à cette époque et dans ce pays, une tendance à entente entre les créanciers et le débiteur, surtout sur un point où notre droit n'autorise pas une pareille vente (*) (les formalités sont d'ordre public), et alors que toutes les autres coutumes sont muettes sur ce sujet.

Peut-être faut-il voir les causes de cette absence d'institu

(1) Ces ouvrages reproduisent notre ancien droit dans son état le plus récent.

(2) Cela n'a pas été maintenu dans la rédaction de 1510.

(3) C'est la célèbre clause de voie parée, rejetée par la doctrine et la jurisprudence.

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