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ordre de choses ne pût jamais s'appliquer à l'autre. Après avoir établi cette distinction, également sage et nécessaire, le projet de loi règle quels sont ceux qui sont appelés à jouir des droits civils.

Il distingue à cet effet les individus nés en France et ceux nés en pays étranger.

On conçoit facilement pourquoi il ne s'occupe point de ceux nés en France de Français. C'est bien pour ceux-là qu'est essentiellement faite la loi française, et que sont établis les droits civils.

Mais il y a eu plus de difficultés pour l'individu né en France d'un étranger. Un premier système tendait à déclarer cet individu Français, sans s'embarrasser de sa destinée et de sa volonté ultérieures. Puisqu'un heureux hasard, disait-on, l'a fait naître sur notre territoire, il faut que ce bonheur s'étende sur toute sa vie, et qu'il jouisse de tous les droits de Français. A l'appui de cette opinion, on citait l'exemple de l'Angleterre, où tout individu né sur le sol anglais est sujet du roi.

Les vues généreuses qui avaient produit ce système, ont cédé à des motifs d'un ordre supérieur. On a reconnu qu'il serait trop injuste et trop peu convenable à la dignité nationale que le fils d'une étrangère qui lui aurait donné naissance en traversant le territoire français, et qui, emmené aussitôt par ses parents dans le lieu de leur origine, n'aurait ni résidé, ni manifesté le désir de s'établir en France, y pût jouir de tous les bienfaits de la loi civile. Ces bienfaits ne sont dus qu'à ceux qui se soumettent aux charges publiques, et dont la patrie peut à chaque instant réclamér les secours et l'appui. C'est un devoir pour quiconque est adopté par la loi d'un pays de se montrer digne de cette faveur, et d'associer sa destinée à celle de sa patrie adoptive, en y établissant sa résidence. Certes on ne peut attribuer plus d'effet au hasard de la naissance qu'on en accordait autrefois aux lettres de naturalité, sollicitées par l'étranger, accordées par le souverain, et enregistrées avec la solennité des lois, dans les tribunaux dépositaires de son autorité. Or la condition expresse et nécessaire des lettres de naturalité était la résidence en France; condition si absolue que son observation faisait perdre au naturalisé les droits et la qualité que ces lettres lui conféraient.

Quant à la loi anglaise, elle ne fait que consacrer une maxime féodale, dont le motif n'a rien de commun avec celui de la disposition que nous discutons.

On a donc établi en principe, dans l'article 9, qu'il faut que celui qui est né en France d'un étranger réclame la qualité de Français, qu'il forme cette réclamation dans l'année de sa majorité, afin que la patrie dans le sein de laquelle il a vu le jour ne reste pas plus longtemps incertaine sur sa détermination; et ici l'on distingue : ou bien il réside en France, et alors il joint à sa réclamation la déclaration qu'il entend y fixer son domicile; ou il réside en pays étranger, et, dans ce cas, il fait sa soumission de fixer en France son domicile, et il doit l'y établir dans l'année à compter de l'acte de sa soumission. Ainsi le bonheur de sa naissance n'est pas perdu pour lui; la loi lui offre de lui assurer le bienfait de la nature; mais il faut qu'il déclare l'intention de le conserver.

Le projet de loi s'occupe ensuite de ceux nés en pays étranger. C'est l'objet des articles 10, 11 et 13.

Trois hypothèses s'offrent ici à votre examen : ou c'est un individu né en pays étranger d'un Français ayant conservé cette qualité, ou bien

105 c'est le fils d'un Français l'ayant perdue, ou bien enfin c'est un individu né de parents étrangers. Point de difficulté quant à l'enfant du Français, quoique né en pays étranger. La qualité de Français lui est assurée par la volonté de ses parents par le vœu de sa patrie.

et

Celui né d'un Français qui a perdu cette qualité pourra toujours la recouvrer en remplissant les conditions imposées par l'article 9 à l'individu né en France d'un étranger, c'est-à-dire en accompagnant d'une résidence effective sa déclaration ou sa soumission de s'établir en France. Observez cependant qu'il est plus favorablement traité que cet étranger né en France, car celui-ci n'a qu'une année à compter de sa majorité pour manifester sa volonté, tandis que l'autre le peut toujours, et dans toutes les époques de la vie. Les motifs de cette différence rentrent dans ceux de la disposition elle-même. Ils sont fondés sur la faveur due à l'origine française, sur cette affection naturelle, sur cet amour ineffaçable que conservent à la France tous ceux dans les veines desquels coule le sang français. Vainement un père injuste ou malheureux leur a ravi l'inestimable avantage de leur naissance; la patrie est prête à le leur rendre; elle leur tend les bras; elle leur ouvre son sein; elle répare à leur égard l'injustice de leurs parents ou les rigueurs de la

fortune.

La disposition qui vous est proposée, citoyens législateurs, est d'ailleurs conforme à ce qui s'observait dans l'ancienne jurisprudence. Les enfants de Français qui avaient abdiqué leur patrie recouvraient leurs droits et leur qualité, en vertu de simples lettres de déclaration, tandis que les étrangers n'acquéraient cette qualité et ces droits qu'avec des lettres de naturalité.

Je passe à la troisième classe d'individus nés en pays étranger: ce sont ceux qui y sont nés de parents étrangers; et c'est là véritablement ce qu'on appelle étrangers.

Leur sort est réglé par deux dispositions du projet de loi que je crois devoir mettre en même temps sous vos yeux. L'une est celle de l'article 11; l'autre est celle de l'article 13.

L'article 11 est ainsi conçu: « L'étranger jouira « en France des mêmes droits civils que ceux qui « sont ou seront accordés aux Français par les « traités de la nation à laquelle cet étranger appartiendra. »

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L'article 13 s'énonce dans ces termes : « L'étran«ger qui aura été admis par le Gouvernement à « établir son domicile en France y jouira de tous « les droits civils, tant qu'il continuera d'y ré« sider. >

Vous voyez, citoyens législateurs, que, dans la première de ces dispositions, il est question de l'étranger qui reste et veut rester étranger à la France; et, dans la seconde, de l'étranger qui veut devenir Français. Je ne sépare pas encore une fois ces deux articles, parce que le dernier me fournit la solution de l'unique objection contre le premier.

J'établis d'abord la justice de l'article 2, et je demande qu'il me soit permis de rappeler une distinction fondée sur la nature des choses, et consacrée par l'histoire de tous les peuples.

Il faut distinguer le cas où une nation règle les intérêts de ses propres citoyens, de celui où elle statue sur ses rapports avec les nations étrangères.

Quand elle s'occupe de ses propres citoyens, quand elle travaille pour elle-même, elle peut, sans péril, s'abandonner aux vues les plus libé

rales. Plus elle élève l'âme de ses citoyens, plus elle s'élève elle-même; tout ce qu'elle fait pour les porter à la grandeur et à la gloire, elle le fait pour sa propre grandeur et pour sa propre gloire.

Mais, quand elle règle ses rapports avec les autres peuples, sa générosité avec eux serait souvent un danger pour elle-même, ou une injustice pour les habitants de son territoire. Le droit civil qui régit les nations entre elles est dans leurs traités. Si l'une ne veut s'affaiblir ou se nuire, elle doit considérer ce que les autres font pour elle, avant de se prescrire ce qu'elle doit faire à leur égard. C'est sur ce principe que se fondent toutes les précautions auxquelles tiennent la sûreté et l'indépendance des peuples. L'orateur du Gouvernement en a fait sentir la vérité et la nécessité quant au système de défense militaire, quant à celui des douanes, et il en a fait ensuite une juste application à la question qui nous occupe.

C'est déjà un beau mouvement, un grand pas vers le bien de l'humanité, vers le rapprochement universel des peuples, qué de leur assurer d'avance tous les avantages qu'ils nous accorderont par leurs traités. Puisse cette déclaration solennelle faire disparaître la barrière que la paix même laisse encore entre quelques nations civilisées ! Mais, jusqu'à ce qu'elles aient répondu à cet appel, nous n'immolerons pas les intérêts de notre propre famille à ceux d'une famille étrangère. Il est une bienveillance au-dessus de cette bienveillance générale qui embrasse le genre humain : c'est celle que nous devons à notre patrie, à nos concitoyens. Nous réglerons sur la faveur et la protection qu'on leur accordera celle qu'on aura à espérer de nous.

Vous rétablissez, nous dit-on, le droit d'aubaine qu'abolit l'Assemblée constituante.

Est-ce donc à nous qu'il faut faire ce reproche? et le poids entier ne doit-il pas en retomber sur ces nations qui, sourdes à l'appel généreux que leur a fait l'Assemblée constituante, ont laissé subsister dans leur législation un droit que nous avions retranché dans la nôtre ? Le peuple français a eu la gloire de proposer au monde entier cette grande résolution. Douze ou treize ans se sont écoulés sans qu'un si bel exemple ait été imité. Rentrons dans le droit commun des nations, puisqu'on nous y oblige; mais rentrons-y de manière que notre législation contienne d'avance le germe de toutes les améliorations auxquelles elles voudront consentir par leurs traités.

Mais combien le reproche est injuste, lorsqu'on voit dans l'article 13 les facilités données à l'étranger d'acquérir les droits civils des Français! il ne lui faut, à cet effet, que déclarer qu'il établit son domicile en France, et continuer d'y résider. Est-ce là repousser les étrangers? Est-ce élever entre eux et nous une barrière insurmontable? Est-ce faire revivre enfin un droit fondé (suivant les expressions du grand nombre de nos publicistes) sur l'absence, à l'égard des étrangers, de tout sentiment de justice et de pitié?

Nous opposera-t-on, après une pareille disposition, que nous détournons les étrangers de nous apporter leurs capitaux? Nous leur donnons au contraire des facilités telles que n'en donne aucune autre nation; nous les invitons à se fixer eux-mêmes sur notre territoire, avec les fonds qu'ils voudront nous apporter, et qui, dès lors, se confondront à jamais avec la richesse nationale. Nous n'exigeons d'eux, pour les rendre Français, et les faire jouir de tous les droits attachés à cette qualité, qu'une déclaration qu'ils veulent le devenir, et une résidence continue qui prouve la

vérité de cette déclaration. Et pourquoi ne le dirions-nous pas? Le nom français a été porté à une assez grande hauteur pour qu'on ne le prodigue pas à ceux qui ne croient pas devoir le solliciter. Sans doute la richesse est une partie de la puissance; sans doute les nombreux capitaux excitent et fécondent l'industrie; mais il nous faut aussi des cœurs français; et l'honneur d'appartenir à la grande nation vaut bien la peine qu'on daigne le mériter et déclarer qu'on y aspire.

Avant de terminer la discussion des articles 11 et 13, j'observe, sur l'article 11, qu'on avait manifesté le désir que sa disposition ne portât point atteinte aux priviléges accordés aux étrangers dans certains lieux et dans certaines circonstances, pour notre propre intérêt. Ce vœu se trouve rempli par la déclaration faite par l'orateur du Gouvernement, que la disposition de l'article 10 n'exclut aucune des concessions dictées par les circonstances, et pour l'intérêt du peuple français.

J'observe, sur l'article 13, qu'il n'y a eu aucune objection contre la disposition qui veut que l'étranger ne puisse établir son domicile en France, s'il n'y est admis par le Gouvernement. C'est une mesure de sûreté autant qu'une disposition législative. Le Gouvernement s'en servira pour repousser le vice, et pour accueillir exclusivement les hommes vertueux et utiles, ceux qui offriront des garanties à leur famille adoptive.

Enfin, vous avez remarqué, citoyens législateurs, dans ce même article 13, une amélioration du sort de l'étranger qui veut se fixer parmi nous. Suivant un premier système, il ne pouvait jouir des droits civils qu'après une année de résidence postérieure à sa déclaration; ce qui le plaçait dans une position telle qu'il n'appartenait, pendant cette année, à la loi civile d'aucun pays. La nouvelle disposition de l'article 13 le fait jouir des droits civils, aussitôt après qu'il a été admis à établir son domicile en France. En vérité, plus on se pénètre de cette disposition, plus on la trouve hospitalière, généreuse, et conforme enfin à l'intérêt national.

L'article 12 du projet porte que « l'étrangère, qui aura épousé un Français, suivra la condition de son mari. » Cela est sans difficulté.

Les articles 14 et 15, qui déterminent la compétence des tribunaux français dans les contestations qui s'élèvent entre des Français et des étrangers pour l'exécution des obligations contractées entre eux, soit en France, soit en pays étranger, n'ont donné lieu à aucune critique.

L'article 16 conserve une précaution salutaire qu'imposait la jurisprudence à l'étranger demandeur, de donner caution pour le paiement des frais en dommages-intérêts résultant du procès par lui intenté. Deux exceptions seulement à cette règle l'une, lorsqu'il s'agit d'affaires de commerce dont la prompte expédition importe trop à la fortune publique pour qu'on puisse les environner de difficultés ou de formalités nouvelles; l'autre exception a lieu lorsque l'étranger demandeur possède en France des immeubles suffisants pour assurer le paiement des condamnations qui pourraient être prononcées contre lui. Cette dernière exception met à découvert le motif de sa disposition principale.

On a fait la remarque que ces trois derniers articles auraient pu trouver leur place dans le Code judiciaire; mais, d'un autre côté, on a senti l'avantage de présenter aux étrangers, dans un cadre étroit et unique, leurs droits et leurs obligations.

CHAPITRE II.

De la privation des droits civils. La privation des droits civils s'encourt de deux manières ou par la perte de la qualité de Français, ou par suite de condamnations judiciaires. Section 1re.

De la privation des droits civils par la perte de la qualité de Français.

L'article 17 porte que « la qualité de Français se perd: 1° par la naturalisation acquise en pays « étranger; 2 par l'acceptation non autorisée par le Gouvernement de fonctions publiques « conférées par un gouvernement étranger; 3° par l'affiliation à toute corporation étrangère qui exigera des distinctions de naissance; 4° enfin, par tout établissement fait en pays « étranger sans espoir de retour. Les établissements de commerce ne pourront jamais être con« sidérés comme ayant été faits sans esprit de

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1° Lorsqu'en acceptant, sans l'autorisation du Gouvernement, des fonctions publiques conférées par un gouvernement étranger, on contracte avec ce gouvernement des engagements incompatibles avec la subordination et la fidélité qu'on doit à celui de son pays;

2° Quand on s'affilie à une corporation étrangère qui exige des distinctions de naissance; car on blesse alors la loi fondamentale de son pays, celle de l'égalité;

3° Enfin, lorsqu'en formant un établissement en pays étranger sans esprit de retour, on a rompu tous les liens qui attachaient à sa patrie. Le Tribunat a applaudi à la disposition qui ne permet point de regarder les établissements de commerce comme ayant été faits sans esprit de retour. C'est une disposition tout à la fois utile et conforme au caractère national: utile, puisqu'elle tend à multiplier les entreprises commerciales en conservant à ceux qui les forment, quelle que soit leur durée, et dans quelques lieux éloignés qu'elles les portent, une qualité dont ils sont si jaloux : conforme au caractère national; car, de tous les peuples de l'univers, le Français est celui qui reste le plus fidèlement attaché à sa patrie. Si des vues de fortune l'entraînent loin d'elle, il ne chérit ses succès que par l'espérance de retourner en jouir dans son sein. Toujours ses regards se dirigent vers elle; c'est pour elle que sont ses plus tendres souvenirs. Le Français a surtout besoin d'espérer et le bonheur de passer ses dernières années et la consolation de mourir sur le sol qui l'a vu naître.

C'est encore un hommage rendu au caractère national que d'avoir rouvert l'entrée du territoire français au Français même qui a perdu sa qualité. C'est l'objet de l'article 18. Mais, comme, par son inconstance ou par sa première faute, il a mis ses concitoyens en défiance de sa fidélité, il ne rentrera en France qu'avec l'autorisation du Gouvernement; il déclarera qu'il veut s'y fixer, et abjurera toute distinction contraire à la loi de son pays.

L'autorisation du Gouvernement, la déclaration de se fixer en France, sont aussi exigées par

l'article 19, de la part de la femme Française qui sera devenue étrangère en épousant un étranger.

Une amélioration de l'ancienne législation, contenue dans l'article 20, a obtenu un assentiment unanime. Suivant cette législation, comme j'ai eu l'honneur de vous le rappeler, on distinguait les lettres de naturalité, qui donnaient à un étranger la qualité de Français, des lettres de déclaration qui rendaient cette qualité ou à un Français qui l'avait perdue, ou à ses enfants; et ces lettres de déclaration avaient un effet rétroactif, c'est-àdire que celui qui les obtenait était considéré comme n'ayant jamais quitté le territoire, et revenait, comme s'il eût été présent, sur tous les partages faits pendant son absence. C'était un abus que l'article 20 fait cesser. Il déclare que les individus qui recouvreront la qualité de Français ne pourront s'en prévaloir que pour l'exercice des droits ouverts à leur profit depuis qu'ils l'au

ront recouvrée.

L'article 21 assimile à l'étranger et soumet à toutes les conditions qui lui sont imposées le Français qui, sans autorisation du Gouvernement, prendrait du service militaire chez l'étranger, ou s'affilierait à une corporation militaire étrangère. Le Tribunat a applaudi à cette juste sévérité. La politique, l'intérêt de la nation, celui de nos alliés, peuvent exiger que des Français aillent servir dans leurs armées. Ceux qui partent avec l'autorisation du Gouvernement sont irréprochables; mais ceux-là sont coupables qui n'ont point cette autorisation; ils se placent dans une position qui peut devenir hostile envers leur pays; ils s'exposent à porter les armes contre leur patrie. Il n'y a que des cœurs ingrats et dénaturés qui bravent un pareil danger.

Section II.

De la privation des droits civils par suite de condamnations judiciaires.

Avant de nous livrer à l'examen de cette partie du projet de loi que nous discutons, nous nous sommes fait une première question: l'effet des condamnations judiciaires, quant à la privation des droits civils, qui est une peine ou une partie de la peine, doit-il être réglé par la loi civile ou par la loi criminelle? Une distinction naturelle et facile entre les objets de ces deux espèces de loi a bientôt fait cesser toute difficulté. La loi criminelle détermine la forme de l'instruction, celle des jugements, les peines, l'effet de ces peines quant à la personne; la loi civile détermine cet effet quant aux droits civils. Puisque c'est elle qui confere ces droits, qui en règle l'exercice, c'est à elle aussi de s'occuper de l'effet des causes qui emportent privation de cet exercice.

Cette première question résolue, il s'en est élevé une seconde sur l'article 22 ainsi conçu : « Les condamnations à des peines dont l'effet est « de priver celui qui est condamné de toute par«ticipation aux droits civils ci-après exprimés a emporteront la mort civile. »

On s'est demandé, sur cet article, s'il devait y avoir une mort civile. Mais, comme on reconnaissait de toutes parts la nécessité d'exclure de la participation aux droits civils ceux contre lesquels certaines condamnations seraient prononcées, on s'est bientôt accordé sur le nom qu'on donnerait à cette exclusion; et il a été reconnu que les termes de mort civile consacrés par l'ancienne législation française, et par les lois de tous les peuples civilisés, étaient les plus propres à rendre la pensée du législateur, et à caractériser le retranchement du sein de la société prononcé contre les coupables.

Celui qui est exclu de toute participation aux droits civils est hors de la société. Les lois civiles et politiques de cette société ne sont donc plus pour lui. Il ne peut ni recueillir les bienfaits, ni exercer les actions qui n'émanent que d'elles. Seulement, tant que son existence pèsera sur la terre qu'il a souillée et troublée par ses excès, l'humanité pourra réclamer en sa faveur ce qu'elle accorde à tous les êtres vivants, le droit de pourvoir à sa subsistance, celui d'être secouru, s'il est menacé ou frappé c'est l'effet de la pitié générale due à tout ce qui respire dans la nature; mais voilà tout ce qu'il peut prétendre. Tout ce qui vient de la loi ne peut être réclamé par celui qui est mort à ses yeux.

L'article 23 porte que « la condamnation à la « mort naturelle emportera la mort civile. » Ce serait en effet une contradiction bien étrange, si la loi regardait comme vivant celui qui n'existe que parce qu'il a dérobé sa tête coupable à sa juste vengeance.

C'est une sage amélioration que celle proposée dans l'article 24, qui veut qu'il n'y ait que des peines afflictives perpétuelles auxquelles la loi puisse attacher l'effet d'emporter la mort civile. Cette mort, devant être, en effet, aussi perpétuelle, aussi irrévocable que celle prononcée par l'arrêt de la nature, ne peut être attachée qu'à des peines qui aient elles-mêmes ce caractère de perpétuité.

L'article 25 décrit les effets de la mort civile: "Le condamné perd la propriété de tous les « biens qu'il possédait; sa succession est ouverte « au profit de ses héritiers, auxquels ses biens « sont dévolus de la même manière que s'il était «mort naturellement et sans testament.

Il ne peut plus ni recueillir aucune succes«sion, ni transmettre à ce titre les biens qu'il a acquis par la suite.

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« Il ne peut ni disposer de ses biens en tout ou en partie par donation entre-vifs, ni par testament, ni recevoir à ce titre, si ce n'est pour « cause d'aliments.

« Il ne peut être nommé tuteur, ni concourir aux opérations relatives de la tutelle.

« Il ne peut être témoin dans un acte solennel «ou authentique, ni être admis à porter témoi• gnage en justice.

Il ne peut procéder en justice, ni en défendant, ni en demandant, que sous le nom et par « le ministère d'un curateur spécial qui lui est « nommé par le tribunal où l'action est portée. « Il est incapable de contracter un mariage ui * produise aucun effet civil.

« Le mariage qu'il a contracté précédemment « est dissous quant à tous ses effets civils.

« Son épouse et ses héritiers peuvent exercer respectivement les droits et les actions aux« quels sa mort naturelle donnerait ouverture. » Nous n'avons eu que deux difficultés à nous proposer sur les effets attribués par cet article à la mort civile; mais leur importance a excité toute notre attention.

L'incapacité de transmettre à titre de succession les biens acquis postérieurement à la mort civile encourue a donné lieu à la première de ces difficultés; la dissolution, quant aux effets civils, du mariage précédemment contracté, a fait naître la seconde. Je les examine séparément.

A la disposition qui veut que le mort civilement ne puisse transmettre à titre de succession les biens par lui postérieurement acquis, et dont il se trouvera en possession au jour de sa mort naturelle, se rattache la disposition de l'article 33, qui règle le sort de ces biens, en déclarant qu'ils appartiendront à la nation par droit de déshé

rence, en laissant néanmoins au Gouvernement la faculté de faire, au profit de la veuve, des enfants ou parents, telles dispositions que l'humanité suggérera.

On a, en conséquence, attaqué les deux articles tout à la fois. On a dit, contre le premier, que la mort civile ne brisait pas les liens naturels qui unissent le condamné à ses parents; que les rapports de la nature sont indépendants de la loi civile, qui ne peut ni les détruire, ni les méconnaître que le condamné a toujours, dans l'ordre naturel, une famille qui doit être appelée à recueillir sa succession.

On a critiqué la disposition faite par l'article 33, des biens acquis par le condamné depuis la mort civile encourue. On a prétendu que c'était, sous le nom de déshérence, faire revivre le droit odieux de confiscation à jamais retranché de notre législation; que priver celui qui est mort civilement de l'espoir de laisser à sa famille le faible produit de ses travaux, c'était l'éloigner du travail, et s'oter ainsi le seul moyen de le voir rentrer dans le chemin de la vertů; on a ajouté que, le droit conféré au Gouvernement de pouvoir faire au profit de la famille telle disposition que son humanité lui suggérera, étant purement facultatif, n'absout l'article d'aucun des reproches qu'on vient de lui faire.

Je réponds d'abord à la première branche de cette objection. Je conviens, avec ceux qui la proposent, que la loi civile ne peut rompre les liens naturels qui unissent les familles ; mais je dis que la loi qui a attaché certains effets à ces liens naturels peut les retrancher ou les modifier, suivant que l'intérêt social l'exige. Sans doute, elle ne peut pas faire que les enfants d'un même père ne soient frères et sœurs; sans doute, elle ne peut détruire ces rapports antérieurs et immuables qu'établit la nature; mais les conséquences de ces rapports dans les droits civils auxquels ils donnent ouverture, dans les actions qu'elle autorise, et qui s'intentent en son nom, restent toujours dans son domaine; toujours elle peut les changer ou même les supprimer.

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Cette vérité s'applique surtout à l'ordre des successions, qui est tout entier l'objet et l'apanage de la loi civile. Montesquieu, après avoir réfuté l'opinion que les règles des successions sont fondées sur l'ordre naturel, ajoute: « Le partage des biens, les lois sur ce partage, les successions « après la mort de celui qui a eu ce partage; tout « cela ne peut avoir été réglé que par la société, « et par conséquent par des lois politiques ou « civiles (1). » La transmission des biens appartient donc uniquement et exclusivement à la loi. La nature conserve ses rapports, sans que la loi perde ses droits; et la loi peut fort bien reconnaître des parents dans l'ordre naturel, et méconnaître des héritiers dans l'ordre légal.'

Je prie maintenant les auteurs de l'objection de vouloir bien considérer avec moi les contradictions dans lesquelles leur système entraînerait le législateur. Car, tout en demandant que les parents du condamné succèdent aux biens qu'il a acquis depuis sa mort civile encourue, ils ne veulent cependant pas que, depuis cette époque, il succède lui-même à ses parents. Mais, s'il est parent pour transmettre, il doit l'être aussi pour recueillir. S'il est de la famille quand il faut trouver des héritiers, il faut qu'il en soit aussi quand il s'agit de le devenir. Voilà les conséquences nécessaires de cet appel aux droits de la nature.

(1) Esprit des Lois, liv. XVI, chap. xxvi.

Certes ces droits pourraient être bien plus puissamment invoqués par les parents de l'étranger mort en France, qui n'avait point, à la vérité, les droits et la qualité de Français, mais qui avait ou l'espérance ou la faculté de les acquérir, tandis que l'individu mort civilement les avait perdus par un crime, et était déclaré ou incapable où indigne de les recouvrer; et, cependant, comme l'ordre de succéder est le domaine exclusif de la loi civile, elle en prive la famille étrangère, qui n'est pas soumise à son empire.

Revenons donc à ce principe universellement établi que, pour qu'il y ait transmission de succession, il faut qu'il y ait capacité dans la personne de celui qui recueille. Sans le concours de ces deux capacités, il n'y a pas de succession. Dans l'espèce qui nous occupe, il y a incapacité dans la personne du condamné que dis-je? il ne vit pas même aux yeux de la loi. Pourrait-elle le reconnaître capable de transmettre, quand elle méconnait son existence?

La solution de la première partie de l'objection prépare et facilite la solution de la seconde, principalement dirigée contre l'article 33. Qu'il ne soit d'abord plus question de confiscation; car, franchement, ni l'idée ni le mot ne peuvent plus se retrouver à côté d'une disposition qui déclare la succession du condamné, à l'instant de sa mort civile, ouverte au profit de sa famille.

Quel sera maintenant le sort des biens qu'il aura postérieurement acquis? Celui des biens laissés par tous ceux qui n'ont pas d'héritiers aux yeux de la nature. Ces biens se confoudront dans le domaine public; ils appartiendront à la nation par droit de déshérence, telle est la conséquence nécessaire du principe. Mais, en même temps, le Gouvernement est autorisé, je pourrais même dire invité par la loi, à faire, en faveur de sa famille, toutes les dispositions que l'humanité lui suggérera. Il n'y a ni raisons, ni intérêt possible qui puissent jamais détourner le Gouvernement d'user de cette faculté, ou de déférer à cette invitation. Cette espérance, fondée sur la loi, naîtra dans l'âme du condamné, et lui rendra, s'il en est temps encore, avec l'amour du travail celui de la vertu. Heureuse disposition qui, en sauvant un principe rigoureux, mais nécessaire à l'ordre et à la sûreté publics, satisfait en même temps à tout ce que peut exiger l'humanité !

La seconde difficulté, que j'ai déjà annoncée, pour objet la dissolution, quant à tous les effets civils, du mariage précédemment contracté par celui qui est mort civilement.

On a dit contre cette disposition qu'elle ajoute à la sévérité de l'ancienne loi française, qui, en privant le condamné et sa famille de tous ses biens, avait cru néanmoins devoir conserver l'engagement qui subsistait entre les époux.

On a ajouté qu'en faisant même abstraction des idées religieuses, le mariage ne doit pas être considéré comme une chose purement civile; que c'est un contrat naturel réglé par la loi civíle, une union dont la perpétuité est le vou.

Enfin, on a regardé cette dissolution du mariage comme une peine infligée à des tiers intéressés, à la femme et aux enfants; comme tendante surtout à établir une opposition toujours funeste entre la loi d'un côté, et la morale et la religion de l'autre ; la loi qui regardait comme un concubinage la persévérance d'une épouse à partager la destinée de l'époux malheureux et coupable; la morale et la religion qui l'approuveraient comme un acte de dévouement et de vertu.

Je reprends successivement les trois parties de

cette objection. Quant au reproche qu'on fait au projet de loi d'être plus sévère sur cet objet que les lois de la monarchie, cette disparité est fondée sur la manière différente dont on envisageait, sous l'empire de ces lois, le lien du mariage. C'était alors un engagement tout à la fois religieux et civil; la religion et la loi concouraient également à le former, et la loi seule ne pouvait rompre des noeuds qu'elle seule n'avait pas tissus. Aujourd'hui la célébration du mariage et tous ses effets appartiennent à la loi civile. Elle laisse aux époux le soin et la liberté de prendre le ciel à témoin de leurs engagements; elle n'entre point, à cet égard, dans l'asile impénétrable des consciences: mais il n'y a à ses yeux d'union légitime que celle qui est formée devant les magistrats qu'elle en a chargés, et il n'y a que les mariages ainsi contractés qui puissent produire les effets qu'elle y attache. Aussi se contente-t-elle de dissoudre le lien quant à ses effets.

Je conviens, d'ailleurs, que, dans le mariage, le contrat naturel a précédé le contrat civil. Qu'en faut-il conclure? c'est que cet engagement est sous la double autorité de la loi naturelle et de la volonté civile. Si l'un des époux vit encore aux yeux de la nature, le lien qu'il a formé reste sous l'empire de la loi naturelle, à laquelle, à la vérité, il ne reste plus alors de sanction. Mais, si cet époux est hors de la société, les lois que cette société n'a faites que pour elle-même, qui n'existent que par sa volonté et pour son íntérêt, ne peuvent plus, sans se contredire, reconnaître la durée de l'engagement, quant aux effets qu'elle y avait attachés. La rupture d'un lien purement légal (et il n'est que cela aux yeux du législateur) est la suite nécessaire de la perte de tous les droits légaux. Comment conserver le droit d'un homme vivant à celui qui est réputé mort? Peuton considérer comme époux, comme père, celui qui n'existe plus? Si l'on reconnaît la nécessité du principe, il faut bien en adopter les conséquences.

qu'un

C'est, au surplus, la force des choses qui nous conduit à ce résultat. Comment, en effet, supposer qu'un individu mort civilement puisse rester chef d'une communauté dissoute par l'ouverture de sa succession; que celui qui n'a ni biens, ni existence légale, puisse exercer la puissance déférée par les lois aux époux et aux pères sur la personne et les biens de leurs femmes et de leurs enfants; qu'il puisse autoriser sa femme à paraître devant les tribunaux, quand l'accès lui en est personnellement interdit à lui-même ? C'est donc la force des choses, je le répète, qui amène l'annulation de tous les effets civils du mariage, ou sa dissolution, quant à ces effets.

M'objectera-t-on qu'il est possible que des enfants naissent de cette union dissoute par la loi, et qu'alors ces enfants seront privés des honneurs de la légitimité? Je reconnais la vérité de cette conséquence. Je pourrais dire qu'en pareil cas la légitimité a beaucoup à perdre de ses honneurs et de son prix; mais, enfin, la législation est pleine de ces dispositions de rigueur, commandées par des intérêts d'un ordre supérieur. Les enfants naturels sont exclus des honneurs réservés aux fruits d'une union légitime, et cependant ils sont innocents de la faute qui leur à donné le jour. C'est la morale, c'est le maintien des bonnes mœurs, la dignité du mariage, qui ont fait établir cette sage distinction. Ici, c'est l'intérêt général de la société qui veut qué l'individu retranché de son sein subisse toute sa peine, qu'il ne puisse plus invoquer ces lois

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