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Il serait également déraisonnable que deux époux qui conservent encore tous leurs droits de famille fussent forcés d'abandonner une partie de leurs propriétés à leurs enfants; et, par cette seule différence, le consentement mutuel introduit dans le système de la séparation de corps, y perdrait cette garantie principale qui en écarte les inconvénients et les abus dans le système du divorce.

Il serait surtout déraisonnable d'interdire à ces époux la faculté de se réunir, puisque c'est cet espoir qui fait encore subsister le lien. Ainsi ils pourraient se jouer sans pudeur de la société qu'ils ont formée, la quitter et la reprendre au gré de leurs fantaisies; insultant également à la dignité du mariage par le scandale de leurs divisions, par les désordres de leur isolement, et par l'avilissement qui accompagnerait leur réconciliation même tandis qu'au contraire le divorce, soumis aux sages conditions que le projet de loi lui impose, rend une seconde union impossible entre ces mêmes époux, et tous deux, prêts à consommer leur rupture, sont encore arrêtés par cette idée qu'une telle rupture est irrévocable, et que leur adieu mutuel est un adieu pour toujours.

Mais ce qui est digne surtout de considération, c'est qu'une certaine force de l'opinion publique et la salutaire influence des idées religieuses sont encore pour un grand nombre un contre-poids qui leur fait supporter la société conjugale, plutôt que de recourir au divorce, par lequel ils pourraient la dissoudre. Au contraire, la séparation de corps, qui concilierait tout à la fois les honneurs du inariage avec l'attrait d'une vie indépendante; qui laisserait subsister tous les droits d'épouse, sans imposer d'autres devoirs envers le mari que celui de porter son nom; qui permettrait de tirer vanité de la fidélité religieuse lors même qu'il n'y aurait plus de fidélité conjugale: la séparation, dis-je, deviendrait bientôt une mode perverse, dont le torrent entraînerait tout ce qui est sur le penchant de la licence.

Cette licence, législateurs, verra trahir par le projet qui vous est soumis l'une de ses sources les plus fécondes; heureux les époux, si toutes les précautions dont vous allez environner le divorce, les avertissent assez qu'il est moins une faculté qu'un remède, et que tout remède suppose toujours un mal lorsqu'il n'en est pas un luimême! Plus heureux si, voyant dans la loi le tableau des écarts qui portent atteinte à la société conjugale, ils en conçoivent assez d'aversion pour entretenir avec constance l'union à laquelle ils ont attaché leur commune existence!

Le Tribunat a voté pour l'adoption de ce projet. Treilhard. Citoyens législateurs, quelque impression qu'ait dû faire sur vos esprits le discours de l'orateur qui vient de vous présenter le vœu du Tribunat pour l'admission du projet de loi sur le divorce; quoiqu'il ne puisse rester aucun doute sur la nécessité de sanctionner ce projet par votre suffrage, je me permettrai cependant encore quelques observations sommaires, mais qui me paraissent décisives.

Et d'abord, je remarquerai que vous venez, par une loi récente, de placer le divorce au nombre des causes qui peuvent dissoudre le mariage. Nous n'avons donc plus à examiner s'il faut ou non admettre le divorce: la loi a parlé, et le divorce est admis. Ainsi s'écartent, en un mot, tous les raisonnements vagues qui frappent, non sur quelque disposition particulière du projet (seul objet qui puisse être mis en discussion), mais sur l'institution en elle-même, dont la nation a déjà re

connu la nécessité par l'organe du Corps législatif.

Il ne doit plus être question devant vous de systèmes, de théories et de tous ces lieux communs sur le mariage et sur le divorce, dont on pourrait peut-être sans inconvénient grossir des ouvrages de philosophie et de morale, mais qui peuvent être fort dangereux quand on s'occupe de lois, non pour un monde imaginaire, mais pour les hommes tels que les a formés la nature.

Je dois donc me circonscrire rigoureusement dans l'examen du petit nombre d'objections que la publicité du projet a fait éclore sur quelquesuns de ses articles.

Tout ce qu'on a pu dire frappe nécessairement sur les causes du divorce, sur ses effets, ou sur l'instruction de la procédure.

Je ne dirai rien sur ce dernier article, celui de la procédure. On n'a pas prouvé, on n'a pas même prétendu que la marche n'en fût pas assez lente, assez embarrassée, telle enfin que doit être la marche d'une action toujours admise avec regret, mais admissible cependant quand elle est nécessaire.

Quant aux causes du divorce, il paraît que celles de l'adultère et du consentement mutuel ont été combattues.

On ne voudrait pas que l'adultère fût placé au nombre des causes du divorce, non qu'on méconnaisse la légitimité de cette cause; mais on craint le scandale d'une discussion, et l'on trouve plus moral et moins dangereux de supprimer dans ce cas l'action que de l'admettre on propose d'imiter la sagesse des Romains, qui n'avaient pas prononcé de peines contre certains crimes, parce qu'ils les regardaient comme impossibles.

Je conviendrai, sans détour, que, si l'adultère était aussi inouï parmi nous que le parricide chez les Romains à l'époque dont on parfe, leur exemple serait d'un grand poids.

Mais ce n'est pas avec l'imagination qu'on fait de bonnes lois ; c'est avec la raison. Les législateurs ne sauraient fermer les yeux sur tout ce qui les entoure; ils ne peuvent pas supposer que des maux trop réels n'existeront plus, parce qu'ils auront affecté de ne pas les apercevoir. Quelles fatales conséquences pourraient résulter de la suppression de la cause d'adultère! On ne peut sans frémir penser à l'union forcée de deux époux, dont l'un porte le crime dans le fond de son cœur, dont l'autre porte le désespoir et le ressentiment du plus vif des outrages, c'est-à-dire de deux époux qui renferment en eux-mêmes le principe de tous les désordres et de tous les crimes. Voilà cependant ce que produirait la suppression de la cause d'adultère.

On a aussi attaqué le divorce par consentement mutuel. Je crois cependant que les motifs qui vous ont été développés sur cette disposition n'ont reçu aucune atteinte; et si je vous entretiens encore de cette cause de divorce, c'est moins pour l'impression qu'a pu produire ce qu'on a dit, que pour la nature même d'une objection qu'on s'est permise, et que le rapporteur au Tribunat a déjà combattue avec succès, puisqu'il a fait voter l'adoption du projet.

Vous pensez, me dit-on, que le divorce par consentement mutuel pourra déguiser des causes coupables de rupture: mais depuis quand est-ce le ministère des lois de cacher des crimes?

Il est impossible de se fonder sur un reproche qui a pour objet de représenter la loi comme composant avec le crime.

Mais, vous qui osez adresser ce reproche au pro

projet de loi, dites-moi dans quel code vous avez trouvé que la loi forçait une personne outragée, assassinée, à porter sa plainte devant les tribunaux? quelle est la religion qui a défendu de faire remise d'une offense personnelle, ou de se contenter d'une réparation qui met à couvert une victime sans exposer la tête du coupable? Et, si le coupable est un époux, un fils, un père, ditesmoi s'il existe dans le monde entier une législation assez barbare pour forcer le père, le fils, l'époux, à se traîner mutuellement sur l'échafaud, parce que la loi leur aura interdit tout autre moyen de pourvoir autrement à leur sûreté?

Sans doute un crime donne lieu à une action publique et à une action particulière. Que l'action publique ait son cours lorsque le crime a éclaté; voilà ce qu'exige l'ordre social; que la personné attaquée puisse remettre son injure, qu'elle ait le droit de couvrir d'un voile épais l'offense qui lui fut personnelle: voilà ce que la morale avoue, ce que l'intérêt social n'a jamais défendu.

Dira-t-on qu'il est beau de remettre entièrement son injure, mais qu'il ne doit pas être permis à la personne capable de cet acte de générosité de se précautionner pour l'avenir, que la morale ne lui laisse d'autre ressource pour préserver ses jours que celle de faire tomber la tête du coupable, parce que se taire dans de pareilles circonstances, c'est composer avec le crime?

Non, citoyens législateurs, cette morale de sang ne fut jamais celle d'aucun peuple; elle ne sera jamais la vôtre; l'action publique sera exercée dans toute sa rigueur, lorsque le crime sera connu; mais la loi ne forcera jamais une victime à rendre plainte; jamais elle ne regardera comme complice, comme composant avec le crime, celui qui sera capable d'un pardon généreux; jamais il n'existera d'opposition pareille entre les règles de notre droit et celles de la morale. Je pourrais aller plus loin et dire que ce pardon généreux est peut-être un devoir sacré pour les époux, et qu'elle serait atroce, la loi qui empêcherait, qui ne faciliterait même pas la pratique de ce devoir; mais je m'arrête ce n'est pas devant vous que pourront trouver grâce des sophismes tels que ceux que je viens de combattre.

Mais pourquoi, me dit-on encore, pourquoi admettre le divorce par consentement mutuel quand il y a des enfants? Pourquoi? parce que, si cette cause est quelquefois admissible, elle est bien plus nécessaire quand il y a des enfants.

Ce n'est pas alors son honneur personnel seul que l'époux doit ménager, c'est encore l'honneur de ses enfants : quelle perspective affreuse pour eux, si l'un des auteurs de leurs jours ne peut se soustraire à la barbarie de l'autre sans le conduire à l'échafaud!

D'ailleurs, l'existence des enfants fournit ellemême de nouvelles garanties contre l'abus du consentement mutucl, puisque les époux sont forcés, dans ce cas, de se dépouiller de la moitié de leurs propriétés.

Je ne sache pas qu'on ait combattu les motifs de cette partie du projet, autrement que par des généralités qu'il est si facile d'amonceler contre toute espèce de disposition, mais qui, dans la réalité, ne détruisent aucun raisonnement, et ne laissent dans les esprits qu'un grand vide.

L'article qui défend aux divorcés de contracter ensemble un nouveau mariage, a aussi éprouvé des contradictions; c'est, dit-on, fermer la porte au repentir cette disposition n'est ni juste ni morale.

Il me semble, au contraire, citoyens législateurs, qu'il yous a été démontré que cet article était juste, moral et surtout politique.

Il ne faut pas que l'opinion puisse s'affaiblir sur la nature d'une action en divorce; elle est un remède à un grand mal, mais elle n'est qu'un remède et un remède qu'on ne saurait appliquer avec trop de réserve.

Ceux qui ont médité sur les formes, sur les entraves dont cette action se trouve embarrassée, doivent être nécessairement convaincus qu'il est presque impossible qu'un divorce soit admis, dans une cause absolue, c'est-à-dire lorsqu'il n'existera pas une démonstration complète de cette vérité que la vie commune entre les époux est insupportable.

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Je le demande actuellement lorsque la conviction profonde de cette triste vérité est acquise, quel serait le but d'un second mariage? Ne seraitil pas plus orageux que le premier, et les législateurs qui l'auraient permis ne deviendraient-ils pas en quelque manière complices des maux dont la réunion pourrait être suivie?

Quel serait, au surplus, l'effet d'une loi qui autoriserait les époux divorcés à se réunir? Pour peu qu'on y réfléchisse, on sera bientôt convaincu que l'opinion publique sur la nature de l'action en divorce serait par là tôt ou tard corrompue. Une demande qu'on s'accoutumerait à regarder comme une épreuve se hasarderait avec bien plus de facilité. Des témoins manqueraient moins de complaisance pour favoriser un succès qui ne serait pas sans retour; les juges eux-mêmes n'éprouveraient pas au fond de leur cœur, pour une mesure qui ne serait que passagère, ce sentiment pénible dont ils doivent être pleins quand il faut prononcer un divorce, et enfin on finirait par abuser du divorce comme on avait jadis abusé des séparations; car telle est malheureusement la marche de l'esprit humain.

On a dù prévoir le mal; on l'a prévu. Les époux sauront que c'est pour toujours que sera dissous le lien qui les unit; ils ne pourront plus regarder le recours au divorce comme une épreuve, comme un moyen de réformer de premières conventions matrimoniales dont ils ne seraient pas satisfaits; et c'est déjà un grand bien, car ainsi se trouveront prévenues beaucoup de demandes en divorce.

Les tribunaux ne pourront pas se méprendre sur l'objet de la loi, sur la vérité qui doit en diriger l'application; ils sauront qu'ils vont prononcer sur le sort des époux pour toute leur vie; et cette grande considération entretiendra dans le cœur des magistrats une religieuse frayeur, qui ne leur permettra d'accueillir des demandes en divorce que lorsque l'absolue nécessité en sera bien démontrée.

J'ai donc eu raison de vous dire que la prohibition de se remarier après le divorce était également sage et politique.

Enfin, on s'est plaint de ce que le consentement mutuel n'était pas rangé parmi les moyens de séparation de corps; on trouve le consentement mutuel de trop parmi les causes du divorce; on se plaint de ne pas le voir au nombre des causes de séparation. Je me dispenserais de répondre à cette objection, si l'on ne la présentait pas comme une espèce d'inconséquence dans le projet; il est facile de se laver de ce reproche.

La loi sur le divorce est une loi toute politique. Le divorce est admis comme étant politiquement préférable à la séparation. Il me semble qu'on n'a pas détruit, qu'on n'a pas même abordé ce qui avait été dit à cet égard dans les motifs.

La séparation de corps est proposée pour ceux dont la croyance religieuse repousserait le divorce; il ne fallait pas les exposer sans ressource aux malheurs d'un joug trop insupportable, et les laisser entre le désespoir et la mort.

Mais que les effets de ces deux actions sont différents!

Le divorce rompt le lien conjugat, la séparation le laisse subsister. Déjà vous embrassez d'un coup d'œil les diverses conséquences qui doivent résulter de deux actions si différentes.

Le divorce rompt le lien conjugal.

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Il a donc fallu soumettre une action de cette importance à une procédure lente, longue, embarrassée de difficultés et de sacrifices; qui offre aux juges de puissants moyens pour rapprocher les esprits, pour démêler les causes secrètes qui font mouvoir les époux, pour faire tomber enfin une action qu'on ne doit pas accueillir s'il n'est pas démontré qu'elle est nécessaire tout est calculé dans cette marche, de manière que chaque pas offre une garantie réelle contre l'abus du consentement mutuel.

Mais la séparation laisse subsister le lien conjugal; il ne fallait donc pas surcharger cette action des embarras et des sacrifices imposés à l'action bien plus grave du divorce; et personne ne s'est plaint de la diversité des procédures dans les deux espèces. L'action en séparation est une action ordinaire qui se poursuit comme toutes les autres; par conséquent l'on n'a pu ni dù ranger le consentement mutuel au nombre des causes de séparation, parce que l'instruction ne pourrait présenter aucune espèce de garantie contre l'abus de cette cause. Le consentement mutuel dans le cas des séparations serait une large porte entièrement et toujours ouverte au caprice, à la légèreté, à l'inconstance, sans aucune espèce de préservatif contre leurs effets; et, comme la séparation de corps entraine de droit la séparation de biens, deux époux de mauvaise foi trouveraient encore dans leur consentement mutuel un moyen infaillible de ruiner tous leurs créanciers.

Ainsi, nulle inconséquence à reprocher au projet; et c'est dans la nature même des deux actions que vous trouverez la raison de la différence des chuses qui y donnent lieu.

Je ne crains pas de le dire, citoyens législateurs, plus vous y réfléchirez, plus vous serez convaincus de la sagesse et de la nécessité du projet qui vous est présenté.

sous laquelle nous vivons depuis dix ans n'est pas bonue, ce dont tout le monde convient; mais cela prouve aussi qu'il y a une grande inconséquence à vouloir prolonger l'empire d'une loi qu'on reconnaît mauvaise par le rejet d'une loi qu'on est forcé de reconnaitre bien meilleure.

A-t-on proposé des dispositions plus parfaites pour remplacer celles qu'on attaque? Certes, il est bien évident qu'une loi quelconque sur le divorce n'obtiendra pas un assentiment universel, parce que cette matière est le champ de bataille de divers partis,

Mais vous n'examinez pas si tout le monde approuve ce qui vous est présenté; vous examinez si l'on improuve par des raisons graves et sans réplique je n'en ai pas entendu de cette nature, et, s'il faut le dire, les objections qui ont été faites dans des sens bien différents, sont elles-mêmes de sûrs garants que le projet n'a flatté aucune passion ni aucun parti.

Ceux qui ne voulaient pas du divorce trouvent qu'on en a rendu l'usage trop facile; tout est perdu, si nous voulons les croire, et tout le monde divor

cera.

וך

Ceux qui voulaient l'abus du divorce, s'écrient qu'on en a embarrassé la marche de difficultés insurmontables, tout est perdu, suivant eux, et personne ne divorcera.

De ces reprochies si opposés, je me crois en droit de conclure que le Gouvernement, dans une matière si délicate, n'a pas franchi une juste mesure, et qu'il s'est tenu dans les bornes que la sagesse lui prescrivait. C'est à vous, citoyens legislateurs, qu'il appartient de sanctionner son Ouvrage.

Le Corps législatif ordonne l'impression des discours de Gillet et de Treilhard et leur distribution à six exemplaires.

Aucun autre orateur ne demandant la parole, la discussion est fermée,

On procède par appel nominal au scrutin secret, en la forme prescrite par l'article 14 de la loi du 19 nivôse an' VIII.

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Le nombre des votants est de 219, dont 188 votent pour l'adoption et 31 pour le rejet,. La séance est levée,

TRIBUNAT.

เอ

Le Tribunat renvoie ce projet de loi à la section de législation, et en fixe le rapport au samedi 5 germinal.

PRÉSIDENCE DU CITOYEN GARRY! Séance du 30 ventôse an XI (lundi 24 mars 1803). Je ne suis pas surpris des combats qu'on lui a Le procès-verbal de la séance du 28 est adopté. livrés; il n'est pas de matière sur laquelle les Le Corps législatif communique par un message préjugés, les passions, l'esprit de parti, aient dû le douzième projet de loi, titre XI, du Code civil, s'agiter avec plus de violence. Mais vous êtes pla-relatif à la majorité, à l'interdiction et au conseil cés au-dessus de toutes ces agitations, et c'est judiciaire. à votre raison que le projet est présenté : il n'a été attaqué par aucune objection fondée et insoluble contre ses détails; il n'est combattu que par des déclamations vagues qui frappent principalement sur le divorce en lui-même. Ce n'est pas telle ou telle disposition du projet qui blesse : c'est le divorce dont on ne veut pas; et comme vous avez converti en loi le principe, dans l'impossibilité de l'attaquer aujourd'hui directement et avec succès, on rattache comme on peut aux détails tous les lieux communs qu'on avait rassemblés contre le fond de l'institution.

On abusera du divorce! Eh! de quoi n'a-t-on pas abusé? quelle institution pourrait subsister, si la possibilité de l'abus suffisait pour la faire proscrire?

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Il y a eu mille divorces l'année dernière 1 Je n'en sais rien. Qu'est-ce que cela prouve? que la loi

Les citoyens Félix Beaujour et Adet, organes de la section de l'intérieur, font des rapports sur les projets de loi d'interet local, présentés au Corps legislatif, le 26 ventóse, par le conseiller d'Etat Segur,

Caen, cernant les communes de Vesoul, Liege,

Caen, Louhans, Saint-Mihiel, Laon, Chartres, Limoux, Villiers-les-Hestres, Aix-la-Chapelle et le département de l'Escant,

La section propose d'emettre un vou d'adoption. Il est procede au scrutin et les projets de loi sont adoptés à l'unanimité de 59 membres pré

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Aucun orateur ne prenant la parole, il est procédé au scrutin. 51 membres votent l'adoption et 2 le rejet.

J.A, Perreau fait un rapport sur le projet de loi, titre VIII, du Code civil, relatif à l'adoption.

Tribuns, si l'on recherche avec quelque soin, au milieu des débris qui les couvrent, ces grandes institutions que la fatalité d'une destinée commune à tous nos ouvrages a plus ou moins rapidement détruites, on en retrouvera qui récèlènt encore un principe de vie que le poids des siècles n'a pu entièrement étouffer, qui semblent n'altendre qu'un heureux souvenir pour se ranimer et reprendre une nouvelle existence.

Telles sont celles de ces institutions que le sentiment a liées à la nature. Comme elle, on les voit en quelque sorte participer à son impérissable durée, et conservant ainsi tout ce qu'elles doivent essentiellement à cette première association, ne perdre que ce qu'elles tiennent dans leurs formes de notre faiblesse et de la mobilité de nos systèmes.

Telle est l'adoption qui, à défaut de liens que la nature a négligé de former ou a laissé rompre, vient en créer pour unir dans la réciprocité des plus doux rapports deux êtres jusque-là étrangers l'un à l'autre, en donnant à la bienfaisance toute l'étendue de l'amour paternel, et à la reconnaissance tout le charme de l'amour filial. C'est donc faire une sorte de conquête dans l'ordre moral et politique que d'arracher à l'oubli des temps cette touchante institution, de la dégager de ce qu'elle avait reçu d'exagéré en fiction, même à son origine, et contracté de vicieux dans une longue continuité d'abus, de la faire revivre pour nous la rendre propre en l'adaptant à l'esprit de nos lois et de notre gouvernement.

En vain ceux qui l'attaquent dans son principe, ce qu'il importe avant tout de discuter, nous la représentent-ils comme une illusion qui, dans ses éléments et dans ses formes, n'a jamais eu rien de vrai ni de solide, et qui jamais encore n'a pu s'incorporer utilement au système social et législatif d'aucun peuple.

La nature et les faits démentent également cette double assertion.

L'adoption n'a rien de vrai en elle-même !... mais nous persuadera-t-on que, longtemps avant qu'elle eût pris un caractère légal chez quelque peuple que ce fut, beaucoup d'hommes bienfaisants ne se soient pas volontairement chargés du soin d'élever des enfants délaissés ou confiés à leur tendresse, qu'ils n'aient pris pour eux des sentiments peu différents de ceux de la vraie paternité, que ces enfants parvenus à l'âge de la force ne leur aient rendu en respect et en attachement ce qu'ils auraient rendu à leurs véritables parents? Pourra-t-on nier que cette adoption de fait soit aussi ancienne què les premières sociétés humaines? Et je demanderai à ceux mêmes qui la repoussent comme une innovation faite autant dans l'ordre même de la nature que dans celui de la législation positive, si de noinbreux exemples de ce genre n'ont pas encore frappé leurs regards.

C'est dans les rapports de l'état de famille, et dans les affections qui naissent à chaque instant de cette source intarissable, que l'homme a toujours été puiser l'idée du seul et vrai bonheur dont il lui ait été accordé de jouir; c'est sur le modèle de ces délicieuses affections qu'à leur défaut il a voulu s'en procurer de semblables; que, fatigué du vide de l'isolement dans lequel il se voyait à jamais délaissé, il a porté sur des objets

étrangers ces noms si chéris de père et de fils, et qu'il a cherché ainsi dans la plus douce des illusions à se créer au moins l'image d'une famille.

Eh pourquoi le législateur ne s'empresserait-il pas de sanctionner ce que la nature elle-même avoue et inspire? Combien ne serait-il pas à désirer que nos lois pussent réclamer plus souvent une telle origine !

Aussi, quelque diverses que soient les formes sous lesquelles il s'y montre, l'esprit de cette institution se retrouve-t-il chez presque tous les peuples anciens, particulièrement chez ceux dont on à le plus vanté la civilisation. Il ne serait pas difficile de citer du côté opposé plusieurs exemples pris de nations encore plongées dans l'état de barbaric.

Mais ce fut surtout chez ce peuple également célèbre, et par la sagesse de ses lois, et par la gloire de ses armes, que l'on vit l'adoption s'éle ver au rang de ses premières et plus imposantes institutions.

Les Romains avaient fait en tout de l'état de famille la base première de leur état de nation. Personne n'ignore que c'est toujours à ce point qu'il faut remonter lorsqu'on veut se rendre compte du phénomène de leur accroissement et de tous les prodiges de leur paissance.

Là venaient se rattacher toutes les branches de leur droit religieux, politique et civil. On sait encore que ce même esprit a survécu à leur ruine, et s'est conservé jusqu'à nous dans les débris de leur législation.

C'était chez un tel peuple sans doute que l'image seule de la famille devait être accueillie avec transport, et y prendre bientôt tous les traits qui pouvaient le plus la rapprocher de son modèle. Aussi voyez tout ce qu'on imagina pour y donner à la fiction le caractère de la réalité. L'adoption ne s'y montre que sous l'aspect le plus imposant, au milieu des plus augustes solennités.

Ses effets ne sont rien moins que d'opérer, par une imitation difficile à distinguer de la nature, le changement d'état le plus absolu; de transmettre avec tous les avantages de famille, les dieux Pénates et les images des ancêtres, la participation aux sacrifices domestiques, la majesté et la puissance paternelles, enfin tous les droits de filiation et d'hérédité.

Si nous reportons nos regards aux beaux jours de la République, nous ne pouvons douter que cette institution n'y ait produit dans l'ordre moral et politique une grande partie des avantages qu'on s'en était promis.

En effet, elle procurait à la patrie de puissants moyens d'honorer la mémoire et de récompenser les services de ceux qui en avaient bien mérité, en permettant à leurs enfants de rechercher dans la bienfaisance des citoyens les plus recommandables, la tendresse et l'appui de la paternité. En offrant à ces enfants le continuel spectacle des grands exemples domestiques, elle créait ainsi dans ces races factices des hommes dignes de porter un jour les noms de leurs nouveaux parents; elle rapprochait sans cesse par le commerce des relations de famille, et réunissait par des liens sacrés, deux ordres naturellement jaloux et rivaux l'un de l'autre. Partout élle faisait naître une noble émulation de sacrifices mutuels, et entretenait ainsi dans les affections réciproques des diverses classes de ce grand peuple, le premier des sentiments, commun à toutes, l'amour de la patrie.

Lorsque, cédant à cette fatalité que nous avons déjà signalée, Rome perdit ses vertus et tout ce

qu'elle devait à ses vertus de gloire et de vraic puissance, il en fut de l'adoption comme de toutes ses autres institutions. D'utile et de bienfaisante qu'elle était, elle devint une nouvelle source d'abus et de désordre, qui acheva de corrompre ce qui pouvait rester encore de moins impur dans les mœurs, et de bouleverser enfin tout le système de on antique législation.

Ce fut alors que l'on vit se multiplier ces monstrueuses et dégoûtantes fictions quí, en attaquant sans pudeur l'ordre de toutes les convenances, violaient à la fois, par leur scandaleuse absurdité, tous les droits de la raison et de la justice.

On conviendra cependant qu'à tous les maux qu'elle enfanta dans ces temps désastreux, il se mêla encore quelques biens. Si on peut lui reprocher d'avoir appelé Tibère à l'empire, on doit au moins lui savoir quelque gré d'avoir donné à la terre Trajan, Adrien, Antoine et Marc-Aurèle.

Il résulte de ce rapide aperçu des effets de l'adoption chez les Romains, en la jugeant toujours d'après l'hypothèse du mode de leur gouvernement, de leurs mœurs et de leurs lois, qu'elle y fut considérée comme très-avantageuse tant qu'elle se conserva dans sa première pureté; il résulte en tout de ces réflexions, que, vue en elle-même, elle n'a rien de mauvais ni de dangereux; mais qu'au contraire, en la modifiant aussi selon l'esprit de nos lois et de nos mœurs, elle peut produire chez nous de très-grands biens, y faire naître et entreenir le sentiment des plus hautes vertus, porter aux plus belles actions, et, pour me servir de l'heureuse expression de mon collègue Grenier, nous créer de nouvelles successions d'honneur et de gloire.

Mais nos lois, nous dira-t-on, ne suffisent-elles pas, sans y porter une aussi étrange innovation, pour donner à la bienfaisance le champ le plus vaste? En étendant pour chacun la faculté de disposer de ses biens, n'auront-elles pas tous les effets de l'adoption sans en avoir les inconvénients? Qu'est-il donc besoin d'une illusion qui n'ajoutera rien de réel au besoin qu'on peut faire par d'autres moyens et à beaucoup moins de frais? Ira-t-on, pour créer des familles imaginaires, s'exposer au danger de briser les liens des véritables familles, de jeter de la défaveur sur le mariage, en tout de nuire aux mœurs de la manière la plus funeste? J'observerai d'abord que les reproches que l'on fait ici au principe de l'adoption, ne lui sont pas tellement propres qu'ils ne puissent être adressés au système dans lequel on ne fait qu'en rejeter le nom, en laissant d'ailleurs subsister de même la plus grande partie de ses effets.

Qu'a donc ce nom de si effrayant? Quel mal peut résulter de ce caractère que la loi imprime à un acte de bienfaisance aussi étendu, en lui donnant la dénomination qu'appellent les sentiments où il a pris sa source? Et pourquoi refuseriez-vous ce nom de père à celui qui, après en avoir rempli les devoirs, en a si justement acquis les droits, et cet autre nom si doux de fils, à celui qui n'en peut trouver un plus digne de sa reconnaissance? Malgré vous ils se les donneront, et accuseront, par le retour fréquent de ces expressions chéries, les seules conformes à leurs sentiments, la froideur dédaigneuse avec laquelle vous traitez d'illusions les liens qui les unissent.

Mais le législateur plus juste et moins aisé à épouvanter, les sanctionnera; et comme nous le verrons bientôt, il trouvera les moyens de vous rassurer contre des effets dont peut-être quelques préventions vous exagèrent un peu trop le danger.

Veuillez bien vous rappeler les suffrages impo

sants que le principe de l'adoption a déjà obtenus parmi nous; le décret de l'Assemblée nationale, du 18 janvier 1792; les décrets de la Convention, du 7 mars 1793, du 4 juin de la même année.

Reprenez ce projet de code de l'an IV, modèle de sagesse dans ses principales dispositions, de précision et de dignité dans son style: relisez ce que son auteur, pour qui l'éclat de la réputation n'a pas attendu celui des dignités, dit en faveur de cette institution, sur laquelle il a le premier fait un projet de loi. Joindrai-je à ces autorités celle de l'exemple que nous donne la Prusse, exemple dont certes le poids est bien quelque chose en législation?

Mais les respectables auteurs du nouveau projet du Code civil ont omis d'en parler...

Le premier de nos tribunaux va répondre à cette observation.

« Les auteurs du projet n'ont pas cru devoir « admettre l'adoption: la majorité du tribunal de « cassation s'est déterminée à la proposer. Cette « majorité a remarqué d'abord que, s'il est dange« reux d'introduire certaines lois trop peu analo"gues aux mœurs d'une nation, c'est lorsqu'elles sont impératives; mais que celles de simple « faculté n'ont pas ces inconvénients, puisqu'il en « résulte seulement qu'on n'en fait pas usage. La << loi d'adoption ne pourrait être que de cette der«nière classe. »

Je me permettrai d'ajouter à cette sage réflexion, qu'il est encore, entre ces deux espèces de lois, une différence essentielle à remarquer.

Lorsqu'il s'agit d'établir des lois de pur commandement, il faut s'attacher le plus possible sans doute à ne voir les hommes que tels qu'ils sont, si l'on veut qu'elles soient justes et d'une facile exécution. Mais on peut n'être pas aussi rigoureux pour les lois de pure faculté: on peut s'y permettre de voir quelquefois les hommes tels qu'ils devraient ètre, et se flatter par cela même de les amener plus facilement an but qu'on se propose. Ces lois doivent être regardées comme les compagnes des mours; elles ne peuvent que les améliorer en arrêtant leur corruption, loin de l'accroître, comme paraissent le craindre ceux qui n'ont pas assez rélléchi sur la différence que je viens de faire observer. «Tout ce qui tend à établir de nouveaux liens « entre les hommes, disent encore les magistrats « du tribunal de cassation, tout ce qui tend à multiplier les relations quí les rapprochent et les « affections qui les unissent, est une source de bons "sentiments et de bonnes actions. Telle est l'adoption formant une parenté légale, un principe de bienfaisance, étant propre à inspirer aux êtres « les plus délaissés de la société l'espérance d'acquérir un état qui leur manque, et par cette espé«rance le désir de s'en rendre dignes.

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«Il a paru que des règles sages, des limites judi«cieusement posées, pouvaient prévenir les incon«vénients que redoutent ceux qui rejettent cette « institution. »

Il ne s'agit donc plus que d'examiner si le projet de loi qui vous est présenté remplit ces conditions. Pour vous rendre cette recherche plus facile, je vais vous rendre compte de l'intéressante discussion qu'il a fait naître dans la section au nom de laquelle j'ai l'honneur de parler.

Le titre de ce projet se divise en deux chapitres. Le premier traite en deux sections de l'adoption, de ses effets et de ses formes; le second, de la tutelle officicuse.

Adoption et ses effets.

Les quatre premiers articles comprennent tout

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