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ce qui est relatif aux qualités que la loi requiert dans les personnes, et aux conditions qu'elle exige pour accorder la faculté d'adopter.

L'adoption n'est permise qu'aux personnes de l'un ou de l'autre sexe, âgées de plus de cinquante ans, qui n'auront, à l'époque de l'adoption, ni enfants ni descendants légitimes, et qui auront au moins quinze ans de plus qué les individus qu'elles se proposent d'adopter.

Nul ne peut étre adopté par plusieurs, si ce n'est par deux époux.

Hors le cas de l'article 360 ci-après, nul époux ne peut adopter qu'avec le consentement de l'autre.

La faculté d'adopter ne pourra être exercée qu'envers l'individu à qui l'on aura dans sa minorité, et pendant six ans au moins, fourni des secours et donné des soins non interrompus, ou envers celui qui aurait sauvé la vie à l'adoptant, soit dans un combat, soit en le retirant des flammes ou des flots.

Il suffira, dans ces deux cas, que l'adoptant soit majeur, plus âgé que l'adopté, sans enfants ni descendants légitimes; et, s'il est marié, que son conjoint consente à l'adoption.

L'adoption ne pourra, en aucun cas, avoir lieu avant la majorité de l'adopté. Si l'adopté, ayant encore ses père et mère, où l'un des époux, n'a point accompli sa vingt-cinquième année, il sera tenu de rapporter le consentement donné à l'adoption par ses père et mère, ou par le survivant; et, s'il est majeur de vingt-cinq ans, de requérir leur conseil.

L'examen de ces articles a provoqué, sur quelques points, de sérieuses objections.

Ne pas interdire aux célibataires la faculté d'adopter, n'est-ce pas nuire aux mariages? n'estce pas attaquer, dans la première et la plus sacrée des institutions, les fondements de la société ? En supposant toujours qu'on puisse consentir à l'admettre, l'adoption doit-elle avoir d'autre but que d'apporter quelque soulagement à la peine des époux qui ont perdu leurs enfants, ou d'adoucir leurs regrets si leur union a été stérile? Doiton accorder le bienfait de la loi à ceux qui n'ont point satisfait aux obligations qui seules peuvent les en rendre dignes? autrement n'est-il pas à craindre que telle personne, comptant sur la faculté de se créer ainsi quand bon lui semblera une famille fictive, dédaigne de s'en donner une véritable? Enfin n'y a-t-il pas ici, pour la société, pour

les mœurs, une infinité d'autres dangers qué la décence ne permet pas d'analyser, mais que l'esprit le moins pénétrant peut aisément prévoir? On a ainsi répondu :

Qu'un peuple naissant, ou placé dans des circonstances telles qu'il doive non-sculement favoriser les mariages, mais encore les provoquer, interdise aux célibataires la faculté d'adopter, il ne fait en cela rien que de conforme à ce qu'exige de lui sa situation; mais qu'un peuple nombreux, chez lequel les mariages se multiplient à l'infini, sous le prétexte d'inquiétudes qu'il ne peut raisonnablement partager avec le premier, tienne aussi rigoureusement à cette prohibition; voilà ce qu'il ne lui serait pas aussi facile de motiver, car les raisons ne seraient plus les mêmes.

Ce serait vouloir traiter avec injustice, et sans en retirer aucun profit pour lui, un grand nombre d'individus, que de les priver d'avantages auxquels, pour la plupart, ils n'auraient pas perdu le droit de partíciper; car, sans parler des obstacles que la nature apporte au mariage, les rapports sociaux dans une grande nation se com

pliquent tellement, qu'il en nait à tout instant mille combinaisons imprévues, mille changements d'état, de fortune, en tout de position, qui ne permettent plus aux mieux intentionnés de réaliser les projets qu'ils ont formés. Faut-il donc leur im. puter des torts dont ils ne sont pas coupables? Faut-il les punir de n'avoir pu saisir le bonheur qu'ils ont vainement poursuivi? Faut-il les priver aussi cruellement du seul moyen qu'ils auraient encore de charmer les ennuis de leur solitaire destinée? Ceux-ci, quoi qu'il en soit des assertions opposées, formeront toujours le plus grand nombre des célibataires. On aura beau répéterque beaucoup d'autres seront continuellement entretenus dans la résolution qui les éloigne du mariage, par l'espoir que leur laisse la loi. Ceux qui raisonnent ainsi ne s'aperçoivent pas de la contradiction qui s'élève entre leurs principes et les conséquences qu'ils en tirent; ils ne voient pas, dis-je, qu'un homme, né avec la sensibilité qui lui ferait prévoir ce besoin impérieux d'attachement, ne remettrait pas au delà de cinquante ans à se satisfaire par de telles jouissances, s'il pouvait s'en procurer plus tôt et de plus véritables.

Restent ceux (et cette classe est peu nombreuse) qui, par légèreté, par suite d'abandon à une vie dissipée, seront parvenus à cet age sans avoir songé à former un établissement de famille: or on ne peut se faire de leur conduite un argument contre la loi; car, d'après l'hypothèse où nous les plaçons, ils ne sont pas restés dans le célibat avec projet, et en comptant pour l'avenir sur la faveur de l'adoption. Leur conduite serait la même, dans le cas où la loi n'existerait pas. Sans chercher à les justifier, on peut croire qu'il n'y a pas d'inconvénients à leur en accorder le bienfait. Eh! qui sait si leur empressement à le solliciter ne serait pas regardé comme une expiation de leur insouciance; si ce besoin qu'ils témoignent de s'attacher au moins à l'image d'un bonheur qu'ils ont laissé échapper ne serait pas même pour le mariage d'un exemple plus avantageux que nuisible?

Quant à ces autres dangers qu'on a fait pressentir pour les mœurs, la même décence qui n'a pas même permis de les énoncer, ne peut permettre d'en combattre les craintes avec plus de détails. Il suffit, d'ailleurs, d'observer que les conditions de l'âge et des six années de soíns, exigées par le premier article, doivent entièrement rassurer. Le genre de corruption, sujet de ces inquiétudes, n'a pas ordinairement des vues aussi éloignées; et même, en les lui supposant, j'aime à croire que les résultats seraient peut-être contraires à ceux que l'on redoute. En effet, cette longuc habitude de soins donnés à l'innocence devant la loi qui les surveille et les protége, ne peut-elle pas épurer les intentions les plus criminelles? et dans ce cas ne serait-ce pas là encore un nouveau bienfait de l'adoption? Au reste, il y a des excès de dépravations (très-rares, grâce au ciel!) qu'on ne peut raisonnablement faire entrer dans le calcul des inconvénients d'une loi pour l'opposer à ses avantages.

L'article 338 n'a paru susceptible d'aucune réclamation. Une disposition contraire à celle qui statue que nul ne peut être adopté par plusieurs, serait d'une absurdité révoltante. La seconde disposition de ce même article est conforme à l'obligation de maintenir, entre les époux, cette harmonie qui fait le bonheur de leur union.

L'exception établie en leur faveur, comme le remarqué très-bien l'orateur du Gouvernement, a sa raison dans la communauté de tous leurs sentiments, de leurs peines et de leurs consolations.

Quant à la faculté laissée à chacun d'eux d'adopter seul, avec le consentement de l'autre, on voit qu'elle est relative à des intérêts particuliers de famille que tous les deux peuvent ne pas également partager.

Votre section ose espérer que vous verrez favorablement, comme elle l'a vu, l'exception comprise dans l'article 339 du projet, qui accorde l'exercice de la faculté d'adopter envers celui qui aurait sauvé la vie à l'adoptant, soit dans un combat, soit en le retirant des flammes ou des flots, et qui exige seulement que l'adoptant soit majeur, plus âgé que l'adopté, sans enfants ni descendants légitimes, et, s'il est marié, que son conjoint consente à l'adoption. C'est une heureuse idée que celle qui fournit à la reconnaissance un moyen de s'acquitter, si parfaitement proportionné au service, qui lui permet de donner le titre de fils et tous les avantages qui en résultent à celui qui, si j'ose ainsi m'exprimer, en a déjà rempli par anticipation les devoirs les plus sacres. Reprochera-t-on encore à une telle institution de corrompre les mœurs? Les conditions seules qui restreignent la faculté d'adopter sont un hommage que l'on continue de rendre aux mêmes raisons d'égards pour les droits des enfants légitimes et le maintien de cette paix qui doit toujours régner entre les époux. On doit savoir gré encore aux auteurs du projet d'avoir spéciafement désigné l'espèce de dangers qui seuls donnent lieu, dans ce cas, à la faculté d'adopter. On voit tout ce qu'une dénomination vague dans ce genre aurait pu faire naître d'abus, et dans quel discrédit elle aurait bientôt fait tomber cette belle disposition de la loi.

Le commencement de l'article 340, où il est dit que l'adoption ne pourra en aucun cas avoir lieu avant la majorité de l'adopté, a excité quelques réclamations. En reconnaissant ce qui est hors de doute, que l'adopté ne peut jamais être lié avant sa majorité, on a prétendu qu'il ne devait pas en être ainsi, relativement à l'adoptant; on a observé que ne pas donner un effet irrévocable aux obligations de celui-ci, dès l'instant même où il montrait l'intention de les contracter, c'était entièrement changer la nature de cette institution, c'était tout à la fois altérer le charme et diminuer le prix de cette bienfaisance si pure qui se plaît souvent à s'engager sans condition pour les autres et sans aucune crainte de retour contre ses résolutions; mais n'est-ce pas, au contraire, accroître le prix de la bienfaisance que de lui donner la faculté de confirmer ou de changer ses déterminations jusqu'au terme plus éloigné où elle les arrêtera irrévocablement? Est-ce en altérer le charme que de la laisser chaque jour encore libre de reprendre ses premiers mouvements et d'en goûter les nouvelles jouissances? D'ailleurs, la loi veut, et avec raison, lui donner une garantie contre les erreurs, les piéges dans lesquels on peut la faire tomber, contre un faux sentiment dont elle-même peut être dupe, contre les justes regrets qui pourraient suivre une résolution plus prompte et plus irrévocable. Quelle idée aurait-on d'un contrat qui n'obligerait que d'un côté, et qui n'aurait pendant plusieurs années aucun effet assuré? Et qu'on ne cite pas ici en opposition la loi romaine, car on serait bientôt démenti par l'usage ou plutôt par les abus à peine croyables de la facilité de l'émancipation. Cette disposition s'accorde donc parfaitement avec les ménagements que demandent le repos et l'intérêt des familles. C'est encore ici une occasion de remarquer l'attention avec laquelle on veille toujours, dans le projet, au maintien de ces principes d'ordre, de justice et de paix.

T. IV.

Il en est ainsi du respect que l'on montre dans ce même article pour les droits de la paternité naturelle, en exigeant de l'adopté qu'il rapporte ie consentement donné à l'adoption par ses père et mère ou par le survivant, et, s'il est majeur de vingt-cinq ans, de requérir leur conseil. Le mode d'adoption proposé se garantit ainsi des reproches que mériterait très-justement une fiction également désavouée par la nature et la raison.

C'est donc par suite de ce même respect pour des liens qui toujours y sont regardés comme inviolables, que le projet, en conférant le nom de l'adoptant à l'adopté, retient celui-ci dans sa famille naturelle et lui en conserve tous les droits. On n'objectera pas sans doute que cette disposition est contrariée par celle qui prohibe les afliances entre l'adoptant, l'adopté et leurs parents, aux degrés d'où la loi défend ces mêmes alliances entre les parents naturels : la sorte d'affinité morale que produit l'adoption, l'ordre intérieur des familles, les dangers pour les mœurs, justifient sous tous les rapports possibles ces prohibitions.

L'article 343 consacre encore une des premières obligations naturelles, en maintenant celle qui existe entre l'adopté et ses père et mère naturels, de se fournir des aliments dans les cas déterminés par la loi. I paraît aussi juste que raisonnable de rendre cette même obligation commune entre l'adoptant et l'adopté.

Quant aux effets relatifs pour ceux-ci à leurs droits naturels de successibilité, le projet de loi a para très-conséquent à lui-même, en statuant aux articles 344,345 et 346.

1° Que l'adopté n'acquerrait aucun droit sur les biens des parents de l'adoptant, mais qu'il aurait sur la succession de celui-ci les mêmes droits qu'y aurait l'enfant né en mariage, même quand il y aurait d'autres enfants nés en mariage depuis l'adoption;

2o Que, si l'adopté meurt sans descendants légitimes, les choses données par l'adoptant, ou recueillies dans sa succession, et qui existeront en nature lors du décès de l'adopté, retourneront à l'adoptant ou à ses descendants, à la charge, bien entendu, de contribuer aux dettes, et sans préjudice des droits des tiers;

Que le surplus des biens de l'adopté appartiendrait à ses propres parents; que ceux-ci exclueront toujours pour les biens, même spécifiés au même article, tous héritiers de l'adoptant autres que ces descendants;

3"Que, si, du vivant de l'adoptant et après le décès de l'adopté, les enfants ou descendants de celui-ci mouraient eux-mêmes sans postérité, l'adoptant succédera aux choses par lui données, comme il a été dit plus haut; mais que ce droit sera inhérent à la seule personne de l'adoptant, et non transmissible à ses descendants, même en ligne directe.

Ces articles sout si clairs et si raisonnables qu'ils n'ont besoin d'aucun développement. Il suffit d'avertir que la raison générale de l'équité qu'on v remarque doit toujours être recherchée dans le principe de la loi qui donne tous les effets qu'ils doivent avoir aux relations personnelles de l'adoptant et de l'adopté, mais sans opérer un changement absolu d'état pour celui-ci, qui conserve donc entre lui et sa famille naturelle ces droits réciproques, formés, je le répète, de liens premiers qu'il ne permet jamais de rompre.

Formes de l'adoption.

La section 2 du titre premier, relative aux formes du projet, n'a point éprouvé d'opposition. 11 27

a été reconnu qu'on n'y avait rien négligé de tout ce qui pouvait assurer l'exécution de la loi, et de la manière la plus digne des effets qu'elle devait produire. L'acte d'adoption doit être porté, continué et consommé devant les tribunaux, car un tel acte ne peut être assimilé à un acte simple, tel que l'est celui d'une naissance, d'un décès et même d'un mariage; mais il se compose d'une suite de faits et de conditions qui exigent un jugement préalable.

Aussi le projet veut-il d'abord que l'adoptant et l'adopté constatent la liberté de leur consentement mutuel devant le juge de paix, par un acte qui sera homologué, après un délai convenable, par le tribunal de première instance; que ce tribunal prenne des renseignements certains, secrètement discutés, sur la réputation de l'adoptant; qu'il examine si les conditions prescrites par la loi ont été remplies; que ce premier jugement soit porté au tribunal d'appel tenu d'instruire et de prononcer son jugement dans les mêmes formes; que ce second jugement, s'il confirme l'adoption, ait toute la publicité convenable; que l'acte soit inscrit sur les registres de l'état civil, et qu'il reste sans effet s'il n'a été inscrit dans le délai fixé. Il excepte seulement de cette disposition, et par une indulgence que réclame sans cesse, dans tout ce qui a rapport à nous, notre fragilité; il excepte, disje, dans le cas où l'adoptant vient à mourir, l'acte passé devant le juge de paix, avant le jugement des tribunaux; alors il permet de continuer l'instruction, et veut, si les résultats en sont favorables, que l'intention de l'adoptant lui survive dans ses effets, et que l'adoption ait lieu.

L'exposé seul de ces articles suffira peut-être pour justifier le jugement qu'en a porté votre section, et calmer les inquiétudes que pourraient inspirer encore la légèreté et l'inconstance des résoPutions, les ruses, les intrigues de la cupidité, enfin la perversité des motifs. Tout s'y trouve statué de manière qu'il ne peut rester de doute raisonnable sur la liberté du consentement des parties, sur la pureté des mœurs et la droiture des intentions de l'adoptant. Les précautions prises surtout relativement à ce dernier sont évidemment telles, qu'on n'aura certes pas à craindre de voir fréqueniment des hommes, d'une réputation seulement équivoque, s'exposer à former des demandes en adoption. A cette garantie qu'elles donnent, et sans blesser dans l'opinion publique ceux qu'elles écartent, elles joignent encore l'avantage de l'heureuse influence que ce refus, même secret, peut avoir sur les mœurs.

Tutelle officieuse.

La tutelle officieuse, objet du second chapitre du projet, a paru à votre section une de ces conceptions heureuses dans lesquelles on se plaît à voir la raison qui les règle s'unir au sentiment qui les a inspirées.

Ce mode d'adoption auxiliaire, dénomination très-juste que lui donne l'auteur des motifs du projet, essentiellement le même que le premier, s'en distingue néanmoins sous des rapports qu'il importe de remarquer. I suppose une affection plus profonde, une intention plus fixée, des soins plus étendus et plus constants, enfin des obligations antérieures déjà remplies.

Le tuteur officieux sera donc celui qui, toujours conformément au premier principe du projet, âgé de plus de cinquante ans, n'ayant ni enfants, ni descendants légitimes, s'il est époux, avec le consentement de l'autre conjoint, voulant, durant la minorité d'un individu, se l'attacher par un

titre légal, obtiendra le consentement des père et mère de l'enfant ou du survivant d'entre eux, ou, à leur défaut, d'un conseil de famille; ou, enfin si l'enfant n'a point de parents connus, le consentement des administrateurs de l'hospice où il aura été recueilli, ou de la municipalité du lieu de sa résidence.

Un des premiers effets de cette tutelle est d'emporter avec soi, sans préjudice de toute stipulation particulière, l'obligation de nourrir le pupille, de l'élever et de le mettre en état de gagner sa vie. Il ne faut qu'énoncer cette disposition pour en faire sentir toute la justice. Sans doute que la loi ne doit pas permettre, sous le prétexte apparent d'une bienfaisance qui serait essentiellement fausse ou incertaine, que l'on puisse rendre la condition du pupille plus mauvaise qu'elle n'était, en l'abandonnant sans secours, dans l'âge où il ne peut se suffire à lui-même, et sans moyens d'assurer son existence pour l'avenir.

Si la loi confie au tuteur officieux le soin de la personne du pupille, à plus forte raison peut-elle aussi lui remettre l'administration de ses biens; oui, mais elle voudra que, toujours fidèle à ses généreuses intentions, le tuteur s'abstienne d'imputer sur les revenus de son pupille les dépenses d'éducation.

Que statuera-t-on dans le cas où, après avoir satisfait à toutes ces obligations pendant cinq années, sans laisser aucun doute sur la vérité de ses sentiments, le tuteur, prévoyant son décès, sera tourmenté par la crainte de ne pas arriver à ce terme de la majorité de son pupille, terme éloigné, que le projet a fixé pour rendre l'adoption irrévocable? La loi l'abandonnera-t-elle sans espoir de consolation à ses inquiétudes? le laissera-t-elle emporter au tombeau le regret de n'avoir pu couronner l'œuvre de bienfaisance? lui imputera-telle à tort cette cruelle fatalité? Des soins si constants n'obtiendront-ils pas leur récompense? Toujours juste, même lorsqu'elle ne paraît qu'indulgente, la loi s'acquittera ici de ce qu'elle doit ; elle lui permettra de conférer, par un acte testamentaire, l'adoption et tous ses effets à l'objet de son affection. C'est là le caractère particulier qui distingue le mode ordinaire d'adoption, celui qui peut résulter de la tutelle officieuse.

Mais si, moins prévoyant, le tuteur vient à mourir, soit avant, soit après les cinq années révolues, sans avoir usé de cette faculté d'adopter son pupille, par acte testamentaire, que deviendra le pupille, quelle sera sa condition? Ce cas n'a pas échappé à la prévoyante sollicitude des auteurs du projet. Alors il sera fourni au pupille, durant sa minorité, des moyens de subsister dont la quotité et l'espèce, s'il n'y a été antérieurement pourvu par une convention formelle, seront réglées soit amiablement entre les représentants respectifs du tuteur et du pupille, soit judiciairement en cas de contestation.

Enfin, lorsque le pupille est parvenu à sa majorité, qu'arrive-t-il? La loi revient ici au principe général qu'elle a établi, car elle n'a plus de raisons pour s'en écarter: élle laisse do ic au tuteur officieux la liberté d'adopter ou de ne pas adopter son pupille, comme elle laisse à celui-ci la faculté de consentir ou non à l'adoption; mais elle statue particulièrement, et avec une grande équité, pour le cas où le tuteur ne voudra point adopter et où le pupille ne sera point en état de gagner sa vie, que le tuteur, qui doit s'imputer le tort de cette incapacité où se trouve son pupille, soit tenu de lui fournir une indemnité propre à lui assurer, pour le moment et pour l'avenir, des moyens de

subsistance (de lui donner un métier), et toujours sans préjudice des stipulations qui auraient pu avoir lieu dans la prévoyance de ce cas. C'est dans ce même esprit que l'article dernier exige toujours du tuteur qu'il rende compte des biens pupillaires quelconques dont il aura eu Tadministration.

On doit reconnaitre, d'après la sagesse avec laquelle ces diverses dispositions sont combinées entre elles, et relativement aux principes généraux de la loi, qu'il doit résulter de grands avantages de cet ingénieux contrat de bienfaisance. Il aura éminemment celui de procurer plus fréquemment des secours à l'enfance infortunée et de les lui assurer; car beaucoup de familles ne se décideront à confier leurs enfants qu'avec cette certitude, tandis que, de l'autre côté, comme on l'a très-bien observé, ceux qui voudraient s'en charger ne le feront pas, si, partageant le même intérêt, ils ne partagent pas aussi la même assurance.

Tel est, tribuns, le compte que j'avais à vous rendre, et du projet de loi et de l'examen approfondi qu'en a fait votre section de législation. En le jugeant, vous ne vous laisserez pas étonner par ces mots de nouveautés, de systèmes étrangers et même contraires à nos mœurs; vous apprécierez ce que sont en elles-mêmes certaines objections auxquelles on a trop légèrement peut-être donné plus de valeur qu'elles n'en doivent avoir. Vous reconnaitrez que l'adoption telle qu'elle vous est présentée, d'accord avec la nature et la raison, ne fait que consacrer par des titres légaux des sentiments qui sont les mêmes pour tous les hommes et tous les temps, qui toujours et partout encore donnent les mêmes résultats; que, dans son principe, dans ses effets, dans ses formes, elle s'accorde aussi parfaitement avec notre ordre social; qu'elle ne le blesse, ni dans sa politique, ni dans ses lois, ni dans ses institutions; enfin, que, loin de nuire aux mœurs, elle les servira utilement.

On applaudira, sans doute, encore ici, à ces vues constamment sages et bienfaisantes du Gouvernement, qui, toujours également occupé et du bonheur domestique des individus et de la prospé rité publique de l'Etat; non content de réparer tant de maux sous tous ces rapports, vient chaque jour nous ouvrir de nouvelles sources de biens. Le vœu de la section de législation sollicite le vôtre en faveur du projet de loi sur l'adoption. Le Tribunat ordonne l'impression du rapport de Perreau.

La séance est levée.

CORPS LEGISLATIF.

PRÉSIDENCE DU CITOYEN MÉRIC. Séance du 1er germinal an XI (mardi 22 mars 1803). Le procès-verbal de la séance du 30 ventôse est adopté.

L'ordre du jour appelle le renouvellement du bureau.

Girod (de l'Ain), obtient la majorité des suffrages pour la présidence.

Les nouveaux secrétaires sont Latour-Maubourg, Lefranc, Monseignat et Bazoche.

L'ordre du jour appelle la discussion de dix projets de loi présentés le 21 ventôse, adoptés par le Tribunat dans la séance du 28 du même mois, concernant les communes de Planchey-Bas, Fréland, Trésavaux, Lauraguais, Luçon, Villacerf, l'Isle-de-Rhé, Vic-sur-Losse, Bruggen et Saint-Sever.

Le Citoyen Bose, orateur du Tribunat,développe les motifs du vou d'adoption émis par l'autorité dont il est l'organe, et dit que les projets de loi présentent un véritable but d'intérêt public.

Aucun autre orateur ne demandant la parole, le Corps législatif procède au scrutin et adopté les dix projets de loi à l'unanimité.

Les citoyens Miot, Dessolle et Fleurieu sont introduits.

Le citoyen Miot présente un projet de loi relatif aux prénoms et changements de noms, dont il développe les motifs dans les termes suivants :

Citoyens législateurs, le projet de loi que le Gouvernement m'a chargé de vous présenter n'est devenu nécessaire que par une suite de la variation et de l'incertitude de la législation, pendant le cours de la Révolution, sur un des points les plus essentiels au maintien de l'ordre public. Des idées de liberté exagérées sur la faculté que chaque personne pouvait avoir d'adopter ou de rejeter au gré du caprice ou de la fantaisie le nom qui doit ou la désigner individuellement ou déterminer la famille à laquelle elle tient, ont introduit une confusion et de graves inconvénients qui doivent nécessairement fixer l'attention du législateur; il ne peut surtout laisser échapper le moment où il règle par un Code civil les droits et les rapports de tous les membres de la société, sans fixer en même temps d'une manière invariable les principes d'après lesquels ils doivent les distinguer les uns des autres.

J'essaierai donc, pour éclairer votre opinion dans une matière aussi importante, de mettre sous vos yeux ce que l'usage et la législation avaient consacré avant l'époque de l'Assemblée constituante, F'état de la législation telle qu'elle existe actuellement, d'après les lois de cette Assemblée et celles de la Convention; enfin, les motifs du projet que je soumets à votre sanction.

Les personnes sont, chez presque toutes les nations de l'Europe, désignées habituellement par un ou plusieurs noms connus comme noms propres, qui sont individuels, et par un autre nom commun à tous les membres de la famille dont elles font partie. A ces premiers noms se joignent encore comme surnoms, suivant des usages abolis aujourd'hui parmi nous, des titres résultant de possessions ou de droits féodaux, mais qui ne sont, en quelque sorte, qu'un supplément de désignation, soit individuelle, soit de famille, nullement nécessaire pour établir une distinction précise entre les individus.

Le nom propre et le nom de famille ou surnoms sont, au contraire, devenus indispensables dans l'état d'accroissement et d'extension que la société a pris parmi nous, et l'usage des derniers s'est presque généralement introduit par la nécessité; cependant cet usage ne remonte guère qu'à l'année 1000 de l'ère chrétienne. Avant cette époque, il n'existait aucun nom de famille, ou du moins, dans tous les titres antérieurs qui nous ont été conservés, on ne trouve jamais là personne désignée autrement que par le nom propre, qui était alors le nom de baptême; il existe même encore dans le nord de l'Europe des familles qui n'ont point de nom particulier, et dont tous les individus ne sont désignés que par le nom propre joint à celui du père, comme Pierre, fils de Louis; Paul, fils de Jean, etc.

Les premiers noms de famille, qui n'étaient que des surnoms, ont été d'abord adoptés pour distinguer dans les rapports sociaux les personnes qui portaient le même nom propre; et cette distinction devenait d'autant plus nécessaire que les idées religieuses, attachées au choix du nom propre, resserraient davantage le cercle dans lequel il pouvait être pris; inais ces surnoms, dérivés presque généralement parmi la noblesse

des fiefs qu'elle possédait, et parmi les autres classes de la société, soit de quelque fonction ou métier, soit de quelque qualité physique ou morale, n'étaient d'abord qu'individuels; ils ne furent réellement héréditaires, à ce qu'il paraît, que sous Philippe-Auguste.

C'est depuis cette époque que les surnoms, devenus alors noms de famille, formèrent une sorte de propriété transmissible aux descendants et quelquefois même à des héritiers légataires, suivant les usages et les localités. Elle entre donc comme toutes les autres, pour le droit commun, dans le domaine des tribunaux; et, pour les cas. d'exception, elle fut une des attributions du législateur; mais, l'importance de cette propriété ne dérivant dans le principe que de droits féodaux et de distinctions nobiliaires qui pouvaient y être attachés, la législation antérieure à 1789 paraît ne s'être occupée que de régler ce qui concerne les cas où ces priviléges étaient intéressés.

Cette législation voulait que l'on ne pût changer de nom qu'en vertu de lettres patentes enregistrées dans les cours, en exécution de l'ordonnance d'Amboise, rendue, le 26 mars 1555, par Henri II, qui porte que « Pour éviter la supposition du nom et des armes, défenses sont faites à toutes personnes de changer de nom, suns avoir obtenu des lettres de permission et dispense, à peine de mille livres d'amende, d'étre punies comme faussaires, et privées des degrés et priviléges de la noblesse. »

Ces lettres patentes étaient connues sous le nom de lettres de commutation de nom, et comprenaient toujours cette clause: sauf notre droit en autre chose, et l'autrui en tout.

Ainsi, on tenait pour principe :

1° Que le roi seul pouvait permettre le changement ou l'addition de nom;

2° Que cette permission n'était jamais accordée que sauf le droit des tiers, qu'ils pouvaient faire valoir en s'opposant à l'enregistrement dans les cours;

3° Que le changement de nom et d'armes ne pouvait avoir lieu, même après un testament qui en imposait la condition, lorsqu'il y avait opposition de la part des mâles portant le nom et les

armes.

Ces divers principes, quoiqu'il ne soit question dans les ordonnances des rois que des noms appartenant aux familles nobles, s'appliquaient cependant également aux noms de famille des particuliers; et l'on a plusieurs exemples de noms changés, ou d'après des lettres patentes, ou d'après des arrêts des cours supérieures, sur la demande de ceux qui le portaient, soit pour se soustraire à la bizarrerie d'un nom ridicule, soit pour éviter la peine de porter un nom devenu infâme et qui se trouvait commun à plusieurs familles. Quelquefois même, et dans ce dernier cas, le changement était ordonné, ainsi qu'on l'a vu pour la famille des assassins des rois.

Du reste, la législation ne déterminait rien sur le choix du nom propre. Comme il dépendait toujours d'une cérémonie religieuse qui se confondait alors avec un acte civil, elle avait dans les maximes de la religion, qui ne permettait pas de chercher hors de son histoire oude son calendrier, une garantie suffisante contre les écarts de l'imagination.

Tel était l'état de la législation avant 1789; et vous voyez, citoyens législateurs, que le système en était complet.

Le premier changement qu'elle éprouva fut une conséquence des décrets de l'Assemblée constituante, du 19 juin 1790 et du 19 décembre 1791,

qui abolissent les titres, et ordonnent de ne porter que le nom de famille; et ensuite du décret du 20 septembre 1792, qui désigne des officiers publics pour recevoir à l'avenir les actes de l'état civil.

La première disposition n'eut qu'une influence salutaire, puisque, d'un côté, elle ne supprimait qu'un vain supplément de désignation indivi duelle, et que, de l'autre, loin d'introduire quelque confusion, elle écartait, au contraire, celle qui résultait alors de l'adoption d'une foule de surnoms empruntés par là vanité pour cacher une origine obscure; mais la seconde, en retranchant avec sagesse du domaine religieux un des actes les plus importants à la conservation de la société pour le rendre à la puissance civile, sans prescrire aucune règle sur le choix des noms que l'on pourrait prendre ou imposer à ses enfants, fit naître un désordre que le législateur n'avait pas prévu, ou dont les conséquences ne lui parurent pas assez importantes pour qu'il crût devoir s'en occuper.

Cette latitude laissée au caprice, à la fantaisie, à l'envie de se distinguer par le choix des noms nouveaux qui se rattachaient aux principales circonstances ou aux principaux auteurs de la Révolution, amena un premier désordre. Le nom propre ou de baptême qui fut alors connu sous celui de prénom, désignation convenable et que nous avons justement conservée, fut choisi arbitrairement, quelquefois parmi les êtres abstraits ou les choses inanimées, ce qui n'était qu'un léger inconvénient, mais plus souvent aussi parmi les noms des personnes existantes, système qui tendait à introduire la plus dangereuse confusion.

On ne s'en tint pas même à ce point; et chacun, étendant le principe à son gré, crut pouvoir non-seulement imposer à ses enfants un nom selon sa volonté, mais encore en changer soi-même par une simple déclaration faite devant sa municipalité et souvent dans une assemblée populaire. La Convention nationale consacra même cet étrange principe par un décret du 24 brumaire an II, qui reconnait que la faculté que tout citoyen a de se nommer comme il lui plait ice sont ses propres expressions), et renvoie la citoyenne Groux, qui voulait s'appeler LIBERTÉ, par-devant la municipalité de son domicile actuel pour y déclarer le nouveau nom qu'elle adopte, en se conformant aux formalités ordinaires.

L'abus et le danger de ces maximes furent si grands, qu'ils frappèrent bientôt ceux mêmes qui les avaient professés; et une loi du 6 fructidor an II défend de prendre d'autres noms patronymiques ou de famille que ceux portés à son acte de naissance, et ordonne à ceux qui les ont quittés de les reprendre.

C'est l'état de la législation actuelle, et elle se compose, comme vous voyez, de trois dispositions principales:

La première, celle qui interdit à tout citoyen français l'usage d'un surnom ou d'un titre dèrivant d'un droit féodal; la seconde, celle qui transporte la tenue des registres de l'état civil destinés à constater la naissance et le nom des personnes, à des officiers publics; et enfin la troisième, qui interdit de prendre d'autres noms que ceux portés dans l'acte de naissance.

Mais il est facile de voir que, quelque sages que soient ces dernières dispositions, elles sont encore insuffisantes, et qu'il manque à cette législation un complément qu'il est nécessaire de lui donner.

Vous remarquerez, en effet, citoyens législateurs, qu'aucune de ces dispositions n'interdit en

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