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faut que deux quand il s'agit de vols dans les campagnes avec port d'armes.

Il n'est sans doute pas nécessaire de remarquer ici la contrebande avec attroupement et port que d'armes ne doit pas être confondue avec des tentatives pour éluder le paiement d'une contribu› tion ordinaire: ces tentatives, très-répréhensibles sans contredit, sont réprimées par des peines analogues à l'espèce de délit. Mais la contrebande, objet du projet de loi, est un attentat à la sûreté intérieure de la République, un attentat qui montre le coupable en liaison ouverte avec les ennemis de notre commerce, un attentat enfin qu'on soutient par la force des armes.

Nous ne connaissons plus dans l'intérieur de la France de barrières qui rendent les citoyens étrangers les uns aux autres, et qui supposent, comme autrefois, une partie du peuple dans le territoire français et l'autre partie lors de son territoire; les barrières sont reculées aux extrémités de la République. Les prohibitions d'entrée ou de sortie, les droits sur quelques denrées ou marchandises sont des mesures politiques et non pas de simples mesures fiscales; ce sont des mesures calculées d'après nos ressources intérieures, nos besoins, l'état de notre commerce, la situation de nos manufactures, l'état et les ressources des autres peuples, et aussi d'après les mesures qu'ils ont eux-mêmes adoptées à notre égard.

Si les règlements en cette matière influent fortement, comme on n'en saurait douter, sur la prospérité nationale, doit-on être surpris des efforts redoublés de nos rivaux pour renverser notre régime, soit en nous enlevant des matières premières nécessaires à nos besoins, soit en effectuant sur notre sol des versements destructifs de nos manufactures, en même temps qu'ils ouvrent à notre numéraire un écoulement dangereux?

Le contrebandier est véritablement en révolte contre l'Etat; c'est un allié de ses ennemis, et lorsqu'il s'arme pour agir, point de doute qu'il mérite la mort. Aussi, dans tous les temps et chez toutes les nations, cette espèce de crime a-t-elle été punie d'une peine capitale.

Cependant nous avons cru devoir présenter un adoucissement à cette disposition rigoureuse ; non, encore une fois, qu'elle nous paraisse excessive, mais pour arrêter, s'il est possible, le coupable par la considération de son intérêt personnel. La peine de mort ne sera pas appliquée quand on n'aura pas fait usage des armes, et les tribunaux pourront alors n'infliger que la peine des fers.

Prononcer contre les complices la même peine que contre le principal coupable, c'est rappeler une disposition déjà existante dans le Code pénal. On ne peut pas avoir des peines différentes pour le même crime, et tous ceux qui y participent sont également coupables.

Dans le nombre des complices, il faut surtout ranger ces entrepreneurs de brigandage connus sous le nom d'assureurs, qui commandent, qui le crime, et qui ne diffèrent de celui qui Paient l'exécute que par un fonds de làcheté qui ne leur permet pas de se montrer.

Il est évident qu'ils doivent être punis comme les contrebandiers qu'ils mettent en œuvre, puisqu'ils sont les premiers, les vrais auteurs de la contrebande: en vain prétendraient-ils avoir ignoré la manière dont on exécuterait leurs ordres; l'assureur a dû savoir qu'il précipitait ses instruments dans toutes sortes d'excès, et il est coupable de tout ce qu'ils ont pu faire pour consommer l'entreprise.

Nous n'avons pas dû ranger indistinctement

sur la même ligne tous ceux qui auraient pu favoriser ou protéger les coupables dans les faits seulement qui ont préparé ou suivi la contrebande. Ils ne l'ont pas commandée comme les assureurs, et il est possible en effet qu'ils aient ignoré qu'elle s'opérait avec attroupement et port d'armes; la loi, dans ce cas, doit leur infliger une peine moins forte. Telle est la disposition du dernier paragraphe de l'article 4.

Une autre espèce de complice, digne aussi de toute la sévérité de la loi, c'est le préposé qui, payé par l'Etat pour surveiller la contrebande, emploie pour la faciliter cette même confiance dont il est revêtu; complice d'autant plus coupable, qu'il est plus difficile d'échapper à sa perversité; ce brigandage doit être aussi de la compétence des tribunaux spéciaux, même lorsque la contrebande favorisée n'a pas été faite avec attroupement et main armée; mais alors le tribunal ne prononcera que la peine des fers, plus ou moins prolongée, suivant la gravité des circonstances.

En attribuant aux tribunaux spéciaux la connaissance des faits de contrebande, on doit ordonner que la poursuite, l'instruction et le jugement auront lieu conformément aux règles établies par la loi portant création de ces tribunaux. Cette disposition n'a pas besoin d'être expliquée.

Enfin nous avons pensé que les détenus actuels, pour raison des délits caractérisés dans le projet, devaient être renvoyés aux tribunaux spéciaux; la loi de la création de ces tribunaux, du 18 pluviôse an IX, leur attribua par une disposition précise la connaissance des délits précédemment commis. Une disposition semblable présente aujourd'hui d'autant moins d'inconvénients, que l'attribution de la connaissance du crime de contrebande avec attroupement et port d'armes n'est pas à proprement parler une attribution nouvelle.

Mais, dans aucun cas, les tribunaux spéciaux ne pourront appliquer aux délits antérieurs à la publication de la loi, que les peines prononcées par les lois existantes à cette époque; le coupable n'avait encouru que ces peines, puisque la loi n'en avait pas prononcé d'autres; la société ne pourrait donc pas leur en infliger de plus graves sans s'exposer au juste reproche d'une rétroactivité qui est loin des principes du Gouvernement et des vôtres.

Je crois, citoyens législateurs, que vos méditations sur le projet ne pourront que vous convaincre de la nécessité de le convertir en loi; il est temps enfin de réprimer par des mesures efficaces l'audace criminelle et l'activité toujours croissante des contrebandiers.

Le citoyen Treilhard donne ensuite lecture du texte du projet de loi.

Projet de loi.

Art. 1er. Les tribunaux spéciaux établis en exécution de la loi du 18 pluviose an IX, et, dans les départements où il n'en a pas été établi, le tribunal spécial créé par la loi du 23 floréal au X, connaîtront exclusivement du crime de contrebande avec altroupement et port d'armes, dans leurs ressorts respectifs.

Art. 2. Sont marchandises de contrebande, celles dont l'exportation ou l'importation est prohibée, ou elles circuler qui, étant assujetties aux droits, et ne pouvant dans l'étendue du territoire soumis à la police des douanes sans quittances, acquits-à-caution ou passavants, y sont transportées et saisies sans ces expéditions.

Art. 3. La contrebande est avec attroupement et port d'armes, lorsqu'elle est faite par trois personnes au plus, et que, dans le nombre, une ou plusieurs sont porteurs d'armes en évidence ou cachées, telles que fusils, pistolets et autres armes à feu, sabres, épées, poignards, massues, et généralement de tous instruments tranchants, perçants ou contondants.

Ne sont réputées armes les cannes ordinaires, sans

dards ni ferrements, ni les couteaux fermant et servant habituellement aux usages de la vie.

Art. 4. Tous contrebandiers avec attroupement et port d'armes, et leurs complices, seront punis de mort. Sont complices et punis comme les contrebandiers, les assureurs de la contrebande.

Sont aussi complices et punis comme tels, ceux qui, sciemment, auraient favorisé ou protégé les coupables dans les faits qui ont préparé ou suivi la contrebande; mais s'ils ignoraient qu'elle etait faite avec attroupement et port d'armes, ils ne seront condamnés qu'à la peine des fers pour quinze ans au plus, et dix ans au moins, suivant la gravité des circonstances.

Art. 5. Pourront les tribunaux, lorsque les contrebandiers n'auront point fait usage de leurs armes, ne prononcer contre eux que la peine portée au dernier paragraphe du précédent article contre ceux qui auraient favorisé ou protégé la contrebande, ne sachant pas qu'elle était faite avec attroupement et port d'armes.

Art. 6. Tous préposés des douanes, et toutes personnes chargées de leur prèter main-forte, qui seraient con vaincus d'avoir favorisé les importations ou exportations d'objets de contrebande, même sans attroupement et port d'armes, seront punis de la peine des fers, qui ne pourra être prononcée pour moins de cinq ans, ni pour plus de quinze. Ils seront punis de la peine portée au paragraphe 1er de l'article 4 ci-dessus, si la contrebande qu'ils auront favorisée a été faite avec attroupement et port d'armes.

La connaissance des délits des préposés des douanes et autres personnes chargées de leur prèter main-forte est, dans tous ces cas, attribuée aux tribunaux spéciaux, conformément à l'article fer de la présente loi.

Art. 7. Les poursuites, instruction et jugement des délits mentionnés aux précédents articles auront lieu conformément aux dispositions du titre III de la loi du 18 pluviose an IX, relative à l'établissement des tribunaux spéciaux.

Art. 8. Tous détenus actuels pour raison desdits délits seront, à compter du jour de la publication de la présente loi, jugés par un tribunal spécial; en conséquence, tous juges seront tenus d'y renvoyer les détenus, avec les pièces, actes et procédures déjà commencés; et néanmoins, en cas de condamnation, le tribunal spécial ne pourra appliquer, pour les crimes antérieurs à la publication de la présente, que les peines prononcées par les lois précédentes.

Il n'est, au surplus, rien innové aux lois relatives à la contrebande, lesquelles continueront d'être exécutées dans toutes les dispositions qui ne sont pas contraires à la présente loi.

Le Corps législatif arrête que ce projet de loi sera transmis au Tribunat par un message. La séance est levée.

CORPS LÉGISLATIF.

PRÉSIDENCE DU CITOYEN VIENNOT-VAUBLANC. Séance du 6 floréal an XI (mardi 26 avril 1803). Le procès-verbal de la séance d'hier est adopté. L'ordre du jour appelle la discussion d'un projet de loi relatif à la levée des conscrits pour les années XI et XII.

Les orateurs du Gouvernement et ceux du Tribunat sont introduits.

Le Président. Le citoyen Daru, orateur du Gouvernement, a la parole.

Daru (1). Citoyens législateurs, vous avez, il y a un an, posé les bases sur lesquelles est fondé le système militaire de la République. Ce grand corps qui, au dedans de l'Etat, veille au maintien de l'ordre intérieur, qui sert de rempart à la nation sur ses frontières, qui les franchit au premier signal pour aller secourir vos alliés ou disperser vos ennemis, l'armée s'affaiblit en raison de son

(1) Nous donnons le discours de Daru d'après les impressions ordonnées par le Corps législatif. Cette version diffère sur quelques points de celle du Moniteur.

dévouement, et a besoin d'être secourue, à son tour, par le peuple qu'elle est chargée de défendre.

Mais il ne suffit pas que les secours qu'on lui donne soient considérables; il faut qu'ils soient analogues à son caractère, à sa destination. Vous avez reconnu, et l'expérience l'a démontré mieux que le raisonnement, vous avez reconnu, dis-je, que l'armée d'une grande nation ne devait pas être uniquement composée de ces hommes inquiets et turbulents qui ne voient dans la guerre qu'une occasion d'agrandissement ou de fortune, qu'un désordre qui favorise ces passions violentes trop semblables à la valeur. Vous savez quelle préférence méritent ces soldats citoyens qui, dans le choc de deux empires, voient un intérêt public à défendre, une gloire nationale à soutenir, et qui, au milieu des batailles, se souviennent de leur patrie et de leurs parents.

Vous n'avez pas voulu que l'armée d'un peuple généreux ne fût composée que de stipendiaires : il faudrait pour cela, ou que l'armée fût considérablement affaiblie, ou que la masse des hommes que leur oisive inquiétude, leur inutilité, leur misère, portent à la profession des armes, fût énormément accrue. Ce serait n'avoir à choisir qu'entre le danger et le malheur. La prudence n'a pas permis de réduire l'armée au-dessous de l'effectif qui a été déterminé à l'époque de la pacification générale. Cette armée est encore trop nombreuse pour pouvoir être recrutée par le superflu de la population; et une administration qui se perfectionne de jour en jour contribue même à diminuer cette ressource.

Autrefois la profession des armes était un privilége pour la caste favorisée, une charge pour la classe opprimée, un moyen d'existence pour les vagabonds.

Par une combinaison plus juste les armées de la République n'offrent plus les récompenses avant les services; on ne s'informe point de quelle source vient le sang qui a coulé pour la patrie : l'honneur de la défendre n'est plus une charge ni un privilége, c'est un devoir. Mais vous avez voulu que ce devoir, que dans les circonstances périlleuses tant de Français ont rempli avec zèle, ne fût pas, dans les temps ordinaires, trop onéreux aux citoyens, et qu'il n'en détournât pas un trop grand nombre des autres fonctions utiles.

Ce n'est pas sans un sentiment pénible que le législateur prescrit à un grand nombre de jeunes citoyens d'abandonner leurs champs, leurs études, leurs familles, pour venir se ranger parmi les défenseurs de l'Etat. Vous éprouvez tous en ce moment, citoyens législateurs, cette émotion paternelle, et chez plusieurs de vous elle se fortifie du souvenir de vos propres enfants, dont vous avez déjà consommé ou dont vous allez faire le sacrifice. Quelques-uns même se rappellent avec douleur que cette séparation est devenue pour eux éternelle. Qu'ils me pardonnent d'avoir réveillé des souvenirs si amers, et qu'ils considèrent combien leurs propres malheurs rendent auguste la loi qui va prescrire un dévouement dont ils ont donné l'exemple.

En abolissant toutes les exemptions abusives qui faisaient peser cette charge sur la classe la plus laborieuse de la société, la loi a rendu cette contribution civique plus noble à la fois et moins onéreuse (1).

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Vous savez quel intérêt méritent ces jeunes gens dont les mœurs sont pures, la santé robuste, la vie laborieuse, qui fournissent par leurs travaux la subsistance de leurs concitoyens et la principale source des richesses de l'Etat.

Vous regardez avec un œil d'admiration et de bienveillance ces autres jeunes gens plus favorisés de la nature, qui, doués par elle d'une noble émulation, portent dans l'étude des sciences utiles ou des arts l'heureuse activité de leur âge.

Vous savez que les uns et les autres sont l'espérance la plus précieuse de la patrie; vous ne doutez pas de feur affection pour cette mère commune, et vous les avez vus abandonner précipitamment leurs travaux lorsque de grands dangers l'ont menacée. Mais vous n'oublierez pas que l'administration publique doit calculer les dangers longtemps avant que les administrés en aient connaissance; vous n'oublierez pas qu'il est toujours plus facile de les prévenir que de les repousser; et, quelque confiance que doive inspirer le dévouement dont nos concitoyens ont donné un si grand exemple, votre sagesse n'attendra pas que la nation soit assez effrayée de ces dangers pour vous reprocher votre imprévoyance, et pour se précipiter une seconde fois vers les frontières sans mesurer sa résistance sur la force de ses ennemis.

La politique ne pourrait se concilier avec un pareil système de défense. Il faut que nos concitoyens soient persuadés que les sacrifices annuels que la loi leur impose n'ont pour objet que d'éviter les sacrifices plus considérables que tôt ou tard la nécessité viendrait leur commander. Il faut qu'ils sachent que les enrôlements forcés, ordonnés par le législateur, ne sont qu'une partie des levées que l'entretien de l'armée exige, et qu'on a soin d'employer toutes les ressources que peut offrir l'enrôlement volontaire pour rendre l'autre moins onéreux. Enfin il est juste qu'ils comparent cette contribution civique, imposée tous les ans par une loi solennelle, répartie également sur tous, à ces levées arbitraires, inégales, violentes, qu'une autorité moins circonspecte exerce chez les peuples voisins, et qui démentent cette liberté dont quelques-uns se vantent avec tant d'orgueil.

En organisant le système de la conscription militaire, vous avez considéré qu'il importait de faire concourir trois espèces d'hommes au recrutement de l'armée. D'abord les jeunes citoyens, pris indistinctement dans toutes les classes, les fils de ceux qui ont un domicile, des propriétés, une famille; car il ne faut pas que l'armée cesse d'être vraiment nationale, et perde ce caractère auquel elle doit tant de succès. Cette classe d'hommes doit fournir une partie des recrues destinées à entretenir l'armée au complet.

L'autre partie sera prise parmi les militaires actuels, que les habitudes et l'espoir de justes récompenses retiendront sous les drapeaux, et parmi cette classe moins heureuse de citoyens qui, privés d'une utile industrie, trouveront dans la profession des armes un honorable moyen d'existence sans être à charge à la société.

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« de terre et de mer, les matelots, les gens infirmes et estropiés, ceux qui sont âgés de 16 ans et qui n'ont pas la taille requise, les praticiens, les domestiques, « les employés des fermes, en un mot toutes les personnes privilégiées qui sont dispensées de tirer au a sort, et vous serez bientôt convaincus que le faix de « la milice est un fléau d'autant plus terrible pour le « cultivateur, qu'il ne porte pas, à beaucoup près, sur le << quarantième de la nation. » (Réflexions sur la milice.)

Par cette sage combinaison. l'armée continuera d'être composée, non de mercenaires, mais de citoyens; elle conservera ces soldats aguerris qui sout les modèles de leurs jeunes émules; elle retirera du sein de la société ces hommes oisifs dont l'existence est onéreuse et quelquefois dangereuse pour l'Etat.

Depuis l'an VIII, on a fixé à 30,000 hommes le contingent que la masse des jeunes gens de vingt ans doit annuellement à l'armée. L'engagement étant de cinq ans, ce recrutement annuel entretenait une armée de 150,000 hommes, et c'est au Gouvernement à se procurer par des enrôlements volontaires le surplus des soldats nécessaires pour entretenir l'armée active au complet. Mais le Gouvernement a conçu, et vous avez adopté, la formation d'une armée de seconde ligne, d'une réserve qui, forte de 150,000 hommes, s'avancera, dans les circonstances impérieuses, pour donner à nos armées cette supériorité qui doit leur appartenir. Il ne faut pas qu'une grande nation, en différant l'emploi de ses forces, accoutume ses ennemis à essayer les leurs, et à prolonger par de petits moyens des guerres dont la durée est un fléau, des discussions publiques dont l'issue n'est souvent qu'une calamité. Il faut que la République, trop puissante pour être ambitieuse, mette à la fois dans la balance le poids de sa justice et de sa volonté.

C'est pour conserver cette grandeur qui lui est acquise, c'est pour pouvoir se montrer modérée impunément, qu'elle a besoin de présenter cet appareil redoutable dont l'existence, quoique dispendieuse, doit épargner à la France, à l'Europe, le retour de tant de malheurs.

Vous avez recueilli, sans doute, ces paroles de l'orateur du Gouvernement, lorsqu'il est venu présenter la loi que nous soumettons aujourd'hui à votre délibération : « Ce n'est pas le besoin d'un << recrutement extraordinaire qui a porté le Gou« vernement à comprendre la classe de l'an XII « dans la loi de l'an XI; ce n'est même point la prévoyance qui l'y a déterminé. L'armée sera « maintenue pendant l'an XI au complet de paix, « au moyen de la classe de l'an XI, et aucune cir« constance politique ne fait présumer au Gouver«nement le besoin de passer aujourd'hui ce com<< plet. >>

Ainsi le Gouvernement ne vient vous demander que le contingent de l'année dont les sept derniers mois sont déjà écoulés. Ce retard est une preuve évidente des dispositions pacifiques et de la sécurité manifestée par son orateur.

Il demande aussi l'autorisation de faire la levée de l'année prochaine, mais seulement lorsque cette année sera commencée, et cette autorisation n'est nécessaire dès à présent que parce qu'elle pourrait être trop tardive, si vous attendiez votre session de l'an XII pour la donner.

Le contingent à lever pour ces deux années est le même que celui qui à été fourni pendant les trois années précédentes; ainsi, à compter de l'an XIII, l'ordre de la conscription sera définitivement établi; la durée du service des conscrits de l'an VIII sera révolue; et chaque loi que vous rendrez à l'avenir pour autoriser une levée annuelle annoncera aux familles le retour des soldats qu'elles auront fournis cinq ans auparavant.

Ainsi le Gouvernement ne vous demande aujourd'hui que la confirmation de votre ouvrage; mais l'expérience lui a fourni quelques moyens de le perfectionner; et les modifications qu'il vous propose sont d'autant plus dignes de vous, qu'elles sont toutes favorables aux citoyens de la part de qui la loi exige cet honorable dévouement.

Les lois antérieures assimilaient ceux qui se dérobaient à cette contribution civique aux soldats parjures qui avaient abandonné leurs drapeaux. La conséquence de cette assimilation était une peine infamante qui confondait des jeunes gens coupables de n'avoir pas obéi à l'appel de la patrie avec ces hommes méprisables qui ont violé les lois de l'honneur et de la société (1).

La plupart de ces jugements étaient prononcés par contumace, parce que c'était précisément pour le fait de l'absence que la peine était portée; mais l'impunité des fautes contribue à les multiplier plus que la modération des peines. L'inexécution de la loi diminuait le respect que l'on doit avoir pour elle, la flétrissure imprimée aux condamnés répandait le désespoir sur leurs familles, jetait les jeunes gens dans des résolutions extrêmes, et changeait quelquefois un citoyen désobéissant en rebelle, en banni ulcéré contre sa patrie, en vagabond dangereux, parce qu'il n'avait plus d'asile, et criminel, parce qu'on l'avait déjà flétri.

C'est mal connaître le caractère de notre nation que de lui présenter à la fois les récompenses promises à l'honneur, et les fers qui impriment 'ignominie. La perspective de ces peines honteuses fait perdre à la gloire même quelque chose de son

(1) On observe beaucoup de variations dans les anciennes lois qui ont prononcé des peines contre les miliciens qui se dérobaient au service.

L'or lonnance du 1er février 1705, rendue sous le ministre Chamillard, abolit la peine des galères portée contre les déserteurs, et condamna à être fouettés et marqués ceux qui ne s'étaient pas présentés au tirage, ceux qui s'étaient sauvés après que le sort leur était échu, et mème ceux qui avaient substitué un autre homme à leur place. On punissait comme un crime l'engagement d'un volontaire dans les milices, parce qu'on éprouvait beaucoup de difficultés pour recruter l'armée active.

Suivant l'ordonnance du 15 janvier 1719, rendue sous le ministère de M. Leblanc, les absents, les étrangers substitués à un homme du lieu, et même les miliciens qui, pour éviter de tirer au sort, s'engageaient dans les troupes réglées, étaient envoyés aux colonies.

Cette peine fut confirmée par l'ordonnance du 16 décembre 1726.

Ce fut le 30 mars 1737 qu'on fit aux déserteurs des milices l'application de la loi qui condamnait à la peine de mort ceux des troupes réglées. Il fallut bientôt prononcer des amnisties pour rappeler dans leur patrie les déserteurs qu'une loi si terrible en avait éloignés.

Mais, quelque forte impression que cette peine dût produire, on n'en vit pas moins des désertions fréquentes, et on fut obligé de changer à cet égard les dispositions de la loi. Par l'ordonnance du 1er janvier 1748, sous M. d'Argenson, les miliciens absents avant le tirage étaient condamnés à servir pendant douze ans, et ceux qui s'étaient enfuis après avoir été désignés soldats par le sort, à servir toute leur vie. Les soldats qui désertaient en se rendant à leur corps étaient punis de la peine des galères perpétuelles, et ceux qui désertaient des drapeaux subissaient la peine de mort.

Six mois apres, le 1er août, on adoucit ces peines; la durée du service fut réduite à dix ans, et la peine de mort fut remplacée par les galères perpétuelles.

C'est une chose bien digne de remarque, que l'effet des lois terribles par lesquelles on a trop longtemps cherché à réprimer la désertion. On comptait, année commune, environ 6,000 déserteurs; quelques-uns subissaient leur supplice; plus de la moitié s'expatriait. Ainsi, tous les ans, la France perdait environ 3,000 hommes qui allaient augmenter les forces de l'étranger. Ces 3,000 déserteurs émigrés allaient accroître la population de nos voisins, au lieu d'accroître celle de la France; et les 3,000 qui ne sortaient pas du territoire étaient réduits une vie errante qui les rendait inutiles et dangereux. C'est une vérité constante que, depuis la Révolution, la désertion à l'étranger à cessé presque entièrement, et on ne peut douter que la République ne doive cet avantage à la modération de ses lois et à la composition actuelle de ses troupes.

éclat. Il est de la sagesse du législateur de ne pas faire une menace humiliante à des hommes de qui on exige de nobles sentiments. Aussi, depuis que nos lois ne sont plus le résultat des calculs d'une autorité absolue, on a cessé de voir dans les fers où l'on retient le crime ce grand nombre de militaires à qui on n'avait que des fautes à reprocher.

On ne condamnera plus à cette chaîne, dont on porte les marques toute la vie, de jeunes citoyens à qui leurs habitudes ou leurs affections auront fait oublier ce devoir; la loi, assez indulgente pour ne les punir que par une amende, leur fournira un moyen de réparer leur faute. Les jeunes gens qui ne se seront pas présentés, dans le délai d'un mois, au lieu qui leur aura été désigné, seront conduits dans un dépôt spécial, où ils seront incorporés dans des troupes sur lesquelles on exercera une surveillance plus sévère; et ce sera selon leur conduite que le Gouvernement déterminera leur destination.

Mais, en même temps qu'elle adoucit la punition de cette faute, la loi nouvelle contient des dispositions qui tendent à la prévenir. On n'avait pas assujetti les jeunes conscrits appelés à fournir le contingent nécessaire à l'armée à se présenter dans le lieu du domicile de leur famille; cette faculté de se présenter dans un autre lieu facilitait l'infraction de la loi. A l'avenir, ce sera dans la municipalité de leur domicile qu'ils devront comparaitre ou se faire représenter cette faculté de la représentation évite tous les inconvénients que cette disposition pourrait avoir, et cette disposition donne à chaque municipalité la certitude que tous ses jeunes habitants contribueront au contingent qui sera demandé. La surveillance mutuelle des jeunes gens sera plus exacte, parce qu'elle sera intéressée; la responsabilité des parents ne sera plus illusoire; là tâche des magistrats sera plus facile; l'opération sera plus simple; l'exécution de la loi sera plus sûre.

Les jeunes gens, qui voudraient se dérober aux obligations que la loi leur impose, ne pourront plus tromper sur leur âge, sur leur état, sur leur santé, le magistrat dont ils seront parfaitement connus. Les magistrats ne pourront plus admettre, par erreur ou par bienveillance, des exemptions dont tous leurs concitoyens seront intéressés à vérifier la légitimité; et, lorsqu'un conscrit aura été désigné pour faire partie du contingent, toute sa commune sera intéressée à ce qu'il se rende à son poste, parce qu'elle sera responsable de son remplacement.

Par une suite de ces dispositions, les conscrits absents ne seront pas désignés soldats par le seul fait de leur absence; ceux qui auront obéi à la loi ne verront pas aggraver leurs obligations, et n'auront plus à se plaindre de partager la peine de ceux dont ils n'avaient point partagé la faute.

Mais ce qui garantit bien plus que toutes les clauses rigoureuses l'exécution de cette nouvelle levée, ce sont les facilités accordées pour le remplacement. Il ne pouvait avoir lieu, suivant l'ancienne loi, que dans l'arrondissement du conscrit qui voulait se faire suppléer et parmi les jeunes gens de son age. Désormais les conscrits de toutes les classes antérieures seront admis à servir comme remplaçants; ainsi ceux qui chercheront à lever un homme à leur place pourront le choisir sur un nombre cinq fois plus considérable qu'aupa

ravant.

Outre cette disposition salutaire, le projet de loi présente trois exceptions qui dispensent du service de l'armée active le frère d'un conscrit déjà

incorporé, le fils unique d'une veuve, et l'aîné d'une famille d'orphelins.

Je n'ai pas besoin de justifier à vos yeux des exceptions fondées sur de pareils motifs, et vous accorderez sans doute à ceux en faveur de qui elles sont proposées, la faculté de se faire comprendre dans l'armée de réserve lorsqu'ils auront été désignés pour l'armée active.

Telles sont, citoyens législateurs, les dispositions nouvelles que contient la loi soumise aujourd'hui à votre délibération; dans le reste, elle est conforme à la loi fondamentale du 28′ floréal an X. L'orateur du Gouvernement a ajouté qu'on avait établi la répartition du contingent sur la base la plus équitable, celle de la population. Cette répartition, qui paraît une opération si simple, se compose de beaucoup d'éléments; il faut considérer les qualités physiques et morales des habitants des diverses contrées; mais, lorsque le contingent demandé n'est pas trop considérable; lorsque la loi offre elle-même des moyens d'alléger un fardeau qui pouvait être onéreux; lorsque la masse des citoyens accomplit avec dévouement le devoir que le législateur lui impose, on peut alors écarter toutes les considérations qui empêcheraient de faire une répartition rigoureusement égale. La possibilité de cette répartition est une forte preuve de la bonté de l'esprit public.

Vous remarquerez aussi, dans le tableau qui fait suite à la loi qui vous est présentée, que les départements situés au delà des Alpes sont appelés à fournir leur contingent. Tandis que ces départements vont vous envoyer des soldats, nous leur envoyons des concitoyens, et cette double mesure contribuera à cimenter l'alliance de deux peuples destinés à ne plus faire qu'une seule et même nation.

Tous les peuples belliqueux ont su conquérir; mais tous les gouvernements n'ont pas su faire une province d'une contrée soumise. La conquête est l'œuvre de la force; la réunion est l'œuvre de la sagesse. Désormais, si nos soldats sont encore forcés, pour défendre nos frontières, d'aller se placer entre elles et nos ennemis, les derniers champs qu'ils traverseront sur notre territoire leur offriront le témoignage de la reconnaissance de la patrie en vers ses défenseurs. Ils verront ces braves vétérans, qui furent leur modèle, cultiver pour eux-mêmes le sol qu'ils ont arrosé de leur sang, et, en marchant au-devant des dangers, ils emporteront la douce certitude de la reconnaissance nationale.

Le Tribunat nous charge de vous porter son vœu pour l'adoption de ce projet de loi.

Le Corps législatif ordonne l'impression du discours de Daru.

Aucun autre orateur ne prenant la parole, la discussion est fermée.

Le Corps législatif procède au scrutin et adopte le projet de loi à la majorité de 194 boules blanches contre 15 boules noires.

La séance est levée.

TRIBUNAT.

PRÉSIDENCE DU CITOYEN COSTAZ. Séance du 6 floréal an XI (mardi 26 avril 1803). Le procès-verbal de la séance du 2 floréal est adopté.

Il est rendu compte de la correspondance.

Le Tribunat renvoie au Gouvernement diverses pétitions et passe à l'ordre du jour sur plusieurs réclamations.

Le Corps législatif communique, par un mes

sage, un projet de loi relatif à l'établissement d'un droit de bassin pour les ports du Havre, d'Ostende et de Bruges.

Ce projet de loi est renvoyé à la section de l'intérieur, qui fera son rapport le samedi 10 floréal. Le Corps législatif adresse au Tribunat, par un second message, un projet de loi, livre III, titre II du Code civil, relatif aux donations et testaments. Ce projet de loi est renvoyé à la section de législation, qui fera son rapport le vendredi 9 floréal.

Un troisième message du Corps législatif transmet au Tribunat un projet de loi relatif à l'établissement d'un droit pour l'entretien du port de Cette.

Ce projet de loi est renvoyé à la section de l'intérieur. Le rapport sera fait le samedi 10 floréal.

Un quatrième message du Corps législatif saisit le Tribunat de l'examen d'un projet de loi relatif à la contrebande avec attroupement et port d'armes, et aux préposés qui favorisent la contrebande en général.

Ce projet de loi est renvoyé à la section de législation, qui fera son rapport le samedi 10 floréal.

Daugier fait un rapport sur le projet de loi relatif à la solde de retraite, et aux secours à accorder aux veuves et aux enfants des militaires.

Tribuns, vous avez chargé une commission spéciale d'examiner le projet de loi relatif à la solde de retraite, et aux secours à accorder aux veuves et aux enfants des militaires; je viens en son nom vous présenter le résultat de son travail, et vous exprimer son vœu d'adoption.

Avoir à vous entretenir des défenseurs de la patrie, et de leurs droits à la reconnaissance nationale, c'est être assuré de fixer toute votre attention, et rappeler en même temps les plus glorieux souvenirs.

Il serait superflu, sans doute, de retracer ici les travaux de nos armées, de donner des éloges au courage héroïque et au dévouement de nos guerriers il n'est pas un seul Français qui ne les ait présents à sa mémoire; et les peuples des bords de l'Escaut jusqu'à la mer Adriatique, ceux de Naples, de la Toscane et de la Ligurie, témoins pendant plus de dix années de leur valeur et de leurs exploits, publient assez leurs triomphes, et ils en transmettront, n'en doutons point, l'éclatant souvenir aux générations qui doivent suivre.

Ils le conserveront aussi, ces peuples à demi barbares, auxquels la nation française voulait reporter les sciences et les arts que l'Europe dut autrefois à ceux qui les ont précédés ; et les traces du glorieux séjour de nos soldats dans ces contrées célèbres seront aussi durables que ces monuments qui, depuis tant de siècles, frappent d'étonnement et d'admiration, et devant lesquels tant de siècles encore doivent s'écouler.

Mais, lorsque la République a vu de toutes parts la victoire accompagner ses armes, lorsque ses triomphes l'ont replacée au rang qui lui était dû parmi les nations de l'Europe, et qu'elle jouit des avantages de l'indépendance et de la paix, pourrait-elle oublier qu'elle doit de justes récompenses à ceux qui, au prix de leur sang, ont assuré son repos et sa gloire? Loin de nous cette pensée ! La nation française a depuis longtemps manifesté son væu, et le législateur, en décrétant la loi qui acquitte cette dette sacrée, doit se considérer comme l'organe fidèle de la nation tout entière.

Cette dette, citoyens tribuns, a deux objets différents. On doit des honneurs aux guerriers qui succombent en combattant pour la patrie, ou qui l'honorent par un dévouement héroïque, ou par des actions éclatantes qui assurent éminemment

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